Spectacle de désolation

Avec les cam­pagnes élec­to­rales suc­ces­sives, nous assis­tons aujourd’­hui à un spec­tacle de déso­la­tion. Tandis que des affaires nau­séa­bondes éclatent à chaque ins­tant, que fusent les invec­tives, chaque can­di­dat essaie d’é­vi­ter le nau­frage élec­to­ral grâce à un « coup média­tique », au ral­lie­ment d’une per­son­na­li­té, à un dis­cours toni­truant. Pourtant, dans un monde com­pli­qué, dan­ge­reux, angois­sant, où règnent l’in­sé­cu­ri­té, le chô­mage, le déli­te­ment de la vie sociale, il serait urgent de tra­cer une voie claire, sage, pos­sible et efficace.

Pourquoi ce chaos poli­tique en un moment cru­cial ? C’est que le maté­ria­lisme a tout enva­hi, englou­tis­sant le bien com­mun de la socié­té « dans les eaux gla­cées du cal­cul égoïste ». La sur­abon­dance des biens maté­riels a ron­gé comme un acide les rela­tions humaines, enfer­mant cha­cun dans son petit uni­vers ou, tout au plus, dans son groupe, dans sa « bulle » per­son­nelle : le spec­tacle mas­sif et affli­geant, dans les trans­ports, de ces per­sonnes cou­pées de leurs voi­sins par des écou­teurs et pia­no­tant fré­né­ti­que­ment sur leur télé­phone sans regar­der autour d’eux est une triste para­bole de la socié­té actuelle. Individualisme dont la source est clai­re­ment le pro­tes­tan­tisme, pri­mat de l’é­co­no­mique et « consom­ma­tion » sont fina­le­ment les vraies valeurs contem­po­raines, au détri­ment de celles qui ont ani­mé notre cher vieux pays durant de nom­breux siècles.

Le bien com­mun tem­po­rel (dont le som­met est la ver­tu), objet propre et pre­mier de l’ac­tion poli­tique, est délais­sé par les hommes poli­tiques, aus­si bien que par ceux qui les élisent, parce que le bien com­mun suprême, natu­rel d’a­bord, mais encore plus sur­na­tu­rel, à savoir Dieu, est oublié, pire encore omis de façon sys­té­ma­tique par la pré­ten­due laï­ci­té, voire com­bat­tu ouver­te­ment. Un quo­ti­dien n’hé­si­tait d’ailleurs pas à titrer récem­ment son édi­to­rial (Libération du 23 mars) : « Il est temps de tuer Dieuet la patrie. » Le conte­nu ne dépa­rait pas cette annonce : « notre com­bat contre Dieu », « notre mis­sion pre­mière de créer un monde sécu­la­ri­sé », « éra­di­quer les réfé­rences reli­gieuses de toute notre légis­la­tion ». Et l’é­di­to­ria­liste concluait : « Nous devons trou­ver des moyens de tuer leur Dieu et de tuer leur amour pour leur patrie. »

Bien sûr, les poli­tiques font sem­blant de rani­mer le cadavre de la vie poli­tique lors des joutes élec­to­rales. Mais cela ne signi­fie plus rien, car cha­cun n’a qu’un seul désir : être élu pour pro­fi­ter de la place, ou élire celui qui fera avan­cer ses inté­rêts personnels.

Au milieu de tout cela, hélas !, l’Église « offi­cielle » est muette, inexis­tante, alors que la reli­gion est évo­quée à tout bout de champ, mais pour l’at­ta­quer, la dif­fa­mer. Les seuls moments où cette Église « offi­cielle » s’ex­prime sont presque seule­ment ceux où elle hurle avec les loups. Personne, en par­ti­cu­lier, ne prêche la doc­trine sociale et poli­tique de l’Église, qui serait si effi­cace pour notre socié­té en crise.

D’où vient ce grand mal­heur natu­rel et sur­na­tu­rel qui nous frappe et menace de nous anéan­tir ? D’un châ­ti­ment de Dieu ? Hélas ! ce serait un moindre mal. Quand Dieu châ­tie, sa cor­rec­tion est tou­jours accom­pa­gnée de misé­ri­corde. Mais par­fois, quand les hommes ont accu­mu­lé trop de péchés, quand ils ont trop abu­sé de sa misé­ri­corde, quand ils se sont trop lon­gue­ment détour­nés de lui, alors Dieu les aban­donne pour un temps à eux-​mêmes, à leur folie, à leur méchan­ce­té, à leur aveu­gle­ment. Châtiment plus ter­rible que la foudre, le ton­nerre, les trem­ble­ments de terre, les épi­dé­mies, les guerres.

Faut-​il alors que nous bais­sions les bras ? Que nous déses­pé­rions ? Certainement pas ! Sans doute, nos moyens humains d’ac­tion sont fort limi­tés, et nous ne pou­vons pré­tendre chan­ger d’un coup de baguette magique le cours poli­tique et moral de nos socié­tés. Mais nous pou­vons tra­vailler à pré­pa­rer une renais­sance chré­tienne, en agis­sant pour Dieu et avec Dieu là où nous sommes, dans le cadre de notre devoir d’é­tat, pour nous-​mêmes (notre sanc­ti­fi­ca­tion, tout sim­ple­ment), pour nos familles, pour les socié­tés (entre­prises, asso­cia­tions, etc.) dont nous avons la charge et, dans la mesure des pos­si­bi­li­tés, pour la cité, dans la poli­tique, en ser­vant le bien com­mun et en tra­vaillant, avec la grâce de Dieu, à recons­truire à petit bruit la chrétienté.

Abbé Christian Bouchacourt †, Supérieur du District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Fideliter n° 236 de mars-​avril 201

FSSPX Second assistant général

Né en 1959 à Strasbourg, M. l’ab­bé Bouchacourt a exer­cé son minis­tère comme curé de Saint Nicolas du Chardonnet puis supé­rieur du District d’Amérique du Sud (où il a connu le car­di­nal Bergoglio, futur pape François) et supé­rieur du District de France. Il a enfin été nom­mé Second Assistant Général lors du cha­pitre élec­tif de 2018.

Fideliter

Revue bimestrielle du District de France de la Fraternité Saint-Pie X.