Dans une série de deux articles, Fideliter vous propose une enquête sur les franciscains de l’Immaculée. Cette congrégation a beaucoup souffert de son intérêt pour la liturgie traditionnelle. L’histoire de ses soubresauts est riche d’enseignements.
Il a été beaucoup question de cette société religieuse depuis 2012 dans les milieux traditionnels, d’une part à cause du rapprochement de cette société des positions traditionnelles, et d’autre part à cause des ennuis qu’ils ont essuyés, semble-t-il du fait de ce rapprochement. Cet article s’efforcera de présenter cette branche franciscaine et de tirer au clair, autant qu’il est possible, l’origine de leurs récents déboires. Nous n’affirmerons rien qui n’ait été régulièrement vérifié à la source ou du moins soigneusement étayé auprès des meilleurs témoins.
La fondation : quelques dates
2 juillet 1970 – Fondation de la première maison des franciscains de l’Immaculée à Frigento, près d’Avellino, maison-mère de la congrégation. Le père Stefano Maria Manelli, franciscain conventuel, désirant revenir aux sources franciscaines et s’attacher à l’orientation mariale du père Kolbe, demanda et obtint (24 décembre 1969) l’autorisation de fonder une nouvelle branche. Il débuta avec le père Gabriele Maria Pellettieri, considéré comme cofondateur.
Juridiquement, la nouvelle fondation est une branche de mineurs conventuels, avec pour spécificité une vie plus pénitente, la rapprochant des capucins ; de plus, étaient institutionnalisés certains aspects de la spiritualité mariale du père Kolbe. Le père Manelli composa une Pratique mariale de vie franciscaine qui deviendra, avec la règle de saint François, le texte fondamental de la législation de l’institut. Les vocations affluant, la maison de Frigento fut érigée en noviciat (1971) et en scolasticat (1976), devenant de fait indépendante de la province à laquelle elle appartenait.
1er novembre 1982 – Sollicité par des jeunes filles, le père Manelli constitua aussi à cette date un groupe de religieuses. La première fondation, aux Philippines, fut reconnue par l’archevêque de Manille.
23 juin 1990 – Avec le temps, les différences entre les Frères de Frigento et les conventuels s’accentua, ces derniers subissant le sort des Ordres « conciliaires », les premiers récoltant les fruits d’une plus grande fidélité à saint François. Ses supérieurs voulant mettre fin à l’expérience du père Manelli, il fit les démarches nécessaires pour obtenir l’érection d’un institut autonome. Malgré les fortes oppositions des conventuels, le père Manelli, avec l’aide d’une dame polonaise qui connaissait très bien Jean- Paul II, réussit à obtenir que l’archevêque de Bénévent érigeât, le 23 juin 1990, « par décision du Saint-Père », un nouvel institut de droit diocésain, les franciscains de l’Immaculée. À cette date, les membres de l’institut n’étaient qu’au nombre de trente.
2 août 1993 – Les religieuses du père Manelli furent elles aussi érigées en institut de droit diocésain, les « soeurs franciscaines de l’Immaculée », par le père abbé du Mont-Cassin.
1er janvier 1998 – Grâce à un développement rapide, l’institut obtint le droit pontifical. Les 30 Frères de 1990 étaient devenus 122 à cette date. L’augmentation se poursuivit les années suivantes : 282 membres (dont 64 prêtres) en 2005, et 352 (dont un peu moins de 200 prêtres) en 2011.
9 novembre 1998 – Les soeurs franciscaines de l’Immaculée furent érigées en institut de droit pontifical. Elles étaient 177 en 2000, 280 en 2005, 306 en 2008.
La place de l’ancienne liturgie
7 juillet 2007 – Publication du motu proprio Summorum Pontificum. Jusqu’à cette date, la position des franciscains de l’Immaculée sur l’ancienne liturgie était assez réservée. Avant cette date, personne dans l’institut ne célébrait selon le vetus ordo.
Le père Manelli aurait refusé la demande de certains Pères, qui auraient voulu bénéficier des indults de 1984 et 1988. À partir du motu proprio de Benoît XVI le père Manelli, avec beaucoup d’autres Frères, manifeste un très grand intérêt pour l’ancienne liturgie.
Le fondateur, dans ses « Orientations générales du chapitre de 2008 », exhorte les Frères « à connaître et à faire connaître de plus en plus le patrimoine très précieux du vetus ordo ». En septembre 2008, un des collaborateurs du père Manelli, le père Massimiliano Zangheratti, est envoyé faire une intervention au 1er congrès sur le motu proprio à Rome (16–18 septembre).
L’année suivante c’est le père Manelli lui-même qui y participe (16–18 octobre 2009). Les franciscains de l’Immaculée n’ont jamais adopté le vetus ordo comme rite propre et sont demeurés biritualistes, mais la diffusion de la liturgie ancienne est encouragée.
À partir de 2009 et jusqu’en 2012, les ordinations au diaconat et au presbytérat se font selon le rite traditionnel, ainsi que les principales cérémonies de la vie religieuse. L’initiation à la liturgie ancienne est graduelle du postulat au scolasticat où toute la liturgie est traditionnelle. Mais en pratique, mainte communauté ne croit pas pouvoir renoncer à la nouvelle messe, à cause des fidèles ; de plus, nombre de membres ne connaissent qu’imparfaitement ou pas du tout le latin.
Du côté doctrinal, certains craignent une « dérive traditionnaliste ». C’est pourquoi le rite traditionnel est recommandé mais non pas imposé. La position de l’institut à la veille des interventions romaines se trouve résumée dans une circulaire de la maison générale adressée aux membres le 21 novembre 2011 (« Ordonnance liturgique pour le vetus ordo [1]) »). L’utilisation de l’une ou de l’autre liturgie est laissée à l’évaluation de chaque supérieur de maison, selon les circonstances touchant les Frères et les fidèles. On pousse pour une plus grande diffusion, mais sans rien imposer.
Cependant l’atmosphère, pour ainsi dire, reste très favorable au rite ancien, qui de fait attire plus de vocations. Entre la fin de 2007 et la fin de 2012, l’Ordre est passé de 305 à 384 membres, (+26 %), contre +13 % durant les cinq précédentes années. Cependant, les avis ne sont pas unanimes : à côté d’une majorité favorable (certains en arrivant à considérer le novus ordo comme moins parfait), il existe une minorité consistante, issue de milieux « charismatiques », qui ne voit pas l’intérêt d’un rite jugé compliqué et peu compréhensible. Telle est la situation à la fin de 2011.
16–18 décembre 2010 – Le séminaire de l’institut organise à Rome un congrès d’études sur le Concile qui rassemble nombre de personnalités importantes liées, d’une manière ou d’une autre, à la mouvance traditionnelle (Yves Chiron, Roberto de Mattei, Mgr Brunero Gherardini, Mgr Athanasius Schneider, l’abbé Nicola Bux, Mgr Agostino Marchetto). Si l’on exclut l’intervention de Mgr Gherardini (et en partie celle de de Mattei), toutes les autres se placent dans le sillon de l”« herméneutique de la continuité ». Néanmoins, cela suffit pour que le Vatican se mette en alerte. Selon un témoin autorisé, c’est depuis ce congrès que Rome commence à s’inquiéter de la « dérive traditionnelle » de l’institut. Il semble que le problème soit constitué moins par l’adoption de l’ancienne liturgie que par la critique du Concile, même très embryonnaire.
Craignant une dérive appelée « crypto- lefebvriste », cinq membres, n’acceptant pas le rapprochement avec la Tradition, demandent l’intervention de la congrégation pour les Instituts de vie consacrée. Le Vatican saisit l’occasion pour justifier son intervention.
Pour la première fois depuis 2008, les ordinations presbytérales (mars 2012) sont célébrées dans le nouveau rite. Les supérieurs se justifient en soulignant le biritualisme de l’institut, mais des bruits – invérifiables – font état d’une intervention romaine. Il est certain que la dénonciation du petit groupe a poussé les autorités à faire marche arrière.
Une visite canonique…
5 juillet 2012 – Ce jour-là, la congrégation pour les Instituts de vie consacrée diligente une visite canonique des franciscains de l’Immaculée. La tâche st confiée à Mgr Vito Angelo Todisco. Sans établir de contact direct avec les religieux, le visiteur envoie un questionnaire à chaque membre, par l’intermédiaire des supérieurs locaux.
Y est annexé le décret qui ordonne la visite et la justifie par les raisons suivantes : « suite aux renseignements reçus à propos d’un malaise important parmi les religieux de la société des frères franciscains de l’Immaculée en raison du style de gouvernement et des décisions récemment adoptées par le supérieur général », la congrégation a décidé une visite canonique. Quant à son objet : le visiteur devra examiner « l’état des communautés visitées et la vie de communion fraternelle, le style de gouvernement du supérieur général et ses décisions particulièrement en matière liturgique, de la formation des jeunes religieux et des candidats au sacerdoce, et les relations avec la congrégation des soeurs franciscaines de l’Immaculée » (c’est nous qui mettons en italique).
Le visiteur n’a visité que deux ou trois maisons et ne s’est pas rendu au séminaire. Le questionnaire a été distribué le 1er novembre 2012 (4 mois après la nomination du visiteur) et n’a été envoyé qu’aux profès perpétuels : au début, certains membres ignoraient totalement l’existence de la visite !
Quant au contenu du questionnaire, sur 14 questions, 6 concernaient la formation des candidats, le gouvernement du supérieur général, ses relations avec l’institut des Soeurs et les membres de son Conseil. Les 8 autres portaient sur la liturgie ancienne.
(q 2) « Quelle est ton opinion sur les décisions du supérieur général en matière liturgique ?»
(q. 8) « Estimes-tu que l’introduction définitive de la forme extraordinaire dans l’institut : est un bien ? aide la communion entre les membres ? répond aux exigences de l’évangélisation ? répond aux exigences de spiritualité de l’homme contemporain ? répond aux désirs du supérieur général ? est requise par le concile Vatican II ? répond à la mens du Saint-Père ? »
(q. 9) « Estimes-tu que l’introduction de la forme extraordinaire dans l’institut est voulue : par le pape ? par le chapitre général ? par le supérieur général ? par le conseil général ? par le chapitre de ta communauté ? »
(q. 10) « Estimes-tu que l’introduction de la forme extraordinaire dans l’institut satisfait ta spiritualité ?»
(q. 11) « Si tu devais choisir entre les deux formes (ordinaire et extraordinaire) pour tous les membres de l’institut, laquelle choisirais-tu ? pourquoi ?»
(q. 12) « Quel est, à ton avis, l’organe de gouvernement auquel les constitutions des franciscains de l’Immaculée attribuent l’introduction de la forme extraordinaire dans l’institut ?»
(q. 13) « Le supérieur général et son conseil, en émettant l” »Ordonnance liturgique pour le vetus ordo » du 21 novembre 2011 [cf. ci-dessus], sont-ils, à ton avis, allés au-delà des décisions du chapitre général de 2008 ? ont-ils créé des mécontentements dans l’institut ? ou bien ont-ils appliqué dans l’institut ce qui était prévu par le motu proprio Summorum Pontificum, par l’Instruction de la commission pontificale Ecclesia Dei et par les directives du chapitre général ?»
(q. 14) « Si le supérieur général et le conseil général, en émettant l” »Ordonnance liturgique pour le vetus ordo » du 21 novembre 2011, étaient allés au-delà de ce qui a été établi par le chapitre général de 2008, quel devrait être, à ton avis, l’attitude des membres de l’institut ? : obéir aveuglement, parce que… désobéir, parce que… penser que l’ordonnance n’oblige pas, parce que… demander la convocation d’un chapitre général extraordinaire, parce que…»
Finalement, le questionnaire proposait des solutions. Quatre alternatives étaient possibles, il fallait cocher l’une d’entre elles :
1) « En substance tout va bien. »
2) « Il existe des problèmes qui peuvent être résolus par le chapitre général ordinaire. »
3) « Il existe de graves problèmes qui peuvent être résolus par un chapitre général extraordinaire. »
4) « Il existe de très graves problèmes requérant la nomination d’un commissaire (mise sous tutelle).»
Le conseil général de l’institut, avec son procureur général, dénonce [2] les irrégularités de la visite à la congrégation pour les Instituts de vie consacrée, qui n’intervient cependant pas. Quatre points sont à relever dans cette dénonciation :
1. « La formation du visiteur est inadéquate : il n’est ni religieux, ni expert en liturgie, ni expert en droit canon. De plus, il est un vieil ami des Frères « contestataires » et partageait déjà leurs critiques contre le fondateur. »
2. « La décision de procéder seulement par questionnaire écrit, en évitant la visite des communautés et des séminaires eux-mêmes, malgré nos invitations répétées. »
3. « Le contenu du questionnaire qui, outre qu’il suggère une version tendancieuse de la situation dans l’institut, est farci de questions difficiles pour la majorité de nos confrères. »
4. « L’interdiction faite aux supérieurs d’expliquer ces questions aux Frères moins instruits, pour éviter « toute interférence » (cf. lettre du visiteur du 12 novembre), qui a favorisé l’interférence des Frères « critiques » sur ces Frères moins instruits, influençant négativement leurs réponses. »
Nomination d’un commissaire
11 juillet 2013 – La congrégation pour les Instituts de vie consacrée nomme un commissaire au gouvernement des franciscains de l’Immaculée. Le décret note que cette décision a été prise à la suite des résultats de la visite canonique et que son but est de « sauvegarder et promouvoir l’unité interne des instituts religieux et la communion fraternelle, une formation convenable à la vie religieuse et consacrée, l’organisation des activités apostoliques, la droite gestion des bien temporels ».
Le commissaire désigné est le père Fidenzio Volpi, capucin, qui assume le gouvernement général de l’institut. Les membres de la maison générale, y compris le fondateur, sont destitués et remplacés par des collaborateurs du père Volpi. Le décret est approuvé in forma specifica par le pape, ce qui empêche tout recours à une instance supérieure. De plus il se termine (in cauda venenum) par une disposition singulière sur la liturgie : « Le Saint- Père François a disposé que tout religieux de la congrégation des frères franciscains de l’Immaculée est tenu à célébrer la liturgie selon le rite ordinaire et que l’utilisation éventuelle de la forme extraordinaire (vetus ordo) devra être explicitement autorisée par les autorités compétentes pour chaque religieux et/ou communauté qui la demandera. »
27 juillet 2013 – Le père Volpi présente sa mission par une lettre circulaire. Citant longuement le pape François, il rappelle le devoir de sentire cum Ecclesia : « il n’est pas possible qu’une consacrée et un consacré ne sentent pas avec l’Église ». Les franciscains de l’Immaculée sont donc accusés de ne pas sentir avec l’Église (conciliaire). C’est une confirmation posteventum que Rome a agi pour des raisons doctrinales.
19 septembre 2013 – Le secrétaire de la congrégation pour les Instituts de vie consacrée, Mgr José Rodriguez Carballo, autorise la publication de certains résultats du questionnaire.
31 janvier 2014 – Dans une conférence de presse, Mgr Carballo déclare : « La mise sous tutelle des franciscains de l’Immaculée est commencée après une visite apostolique durant laquelle 74 % des membres ont déclaré par écrit vouloir une intervention urgente du Saint-Siège pour résoudre les problèmes internes de l’institut, en proposant soit un chapitre général extraordinaire, présidé par un représentant du dicastère, soit l’attribution du gouvernement de l’institut à un commissaire par le Saint-Siège. » La comparaison du chiffre donné par Mgr Carballo avec les résultats publiés sur le site des franciscains de l’Immaculée, montre que seulement 45 % des religieux étaient favorables soit à un chapitre général extraordinaire soit à une mise sous tutelle. De plus, 30 % des frères profès n’ont pas répondu au questionnaire, la plupart pour protester contre les méthodes de la visite. Par conséquent, le nombre réel de profès favorables au chapitre général extraordinaire ou à une mise sous tutelle ne dépasse pas 25 %. Il faut ajouter qu’environ 170 autres membres de l’institut, de vœux temporaires, n’ont pas pu donner leur avis. L’on peut conclure que la grande majorité de l’institut était substantiellement d’accord avec son fondateur.
Face à la décision de la mise sous tutelle, la maison générale réagit par un acte d’obéissance : dans un communiqué, le père Manelli déclare « obéir au Saint-Père et espérer que cette obéissance amène de plus grandes grâces ».
Entretemps les milieux et les personnalités liés à la messe ancienne, ainsi que des journalistes connus, réagissent à la décision romaine. On s’étonne de la sévérité montrée envers les franciscains de l’Immaculée. De plus, on exprime la préoccupation que les restrictions concernant la messe ancienne ne soient que le premier pas vers une remise en question de Summorum Pontificum. Impressionné par l’étendue de la protestation, le Vatican explique, par la bouche du père Federico Lombardi (2 août 2013), que la décision a été motivée par des problèmes spécifiques à l’institut et n’aura pas de conséquence sur la libéralisation du rite ancien.
Le gouvernement du commissaire
Le père Volpi n’a jamais caché ses intentions. Dans une conférence tenue aux membres au début de son mandat, il a clairement dit qu’il était là « pour détruire et reconstruire ».
23 août 2013 – Le commissaire nomme le père Alfonso Bruno – chef moral de la contestation – secrétaire général de l’institut. Cette nomination révèle que l’intention de Rome est d’imposer les vues d’un parti minoritaire. Ajoutons que ce Père, tout en ayant demandé la visite canonique et la mise sous tutelle, avait signé la lettre de protestation du conseil général contre la visite canonique adressée à la congrégation pour les Instituts de vie consacrée. Peu après, il signifiait à la même congrégation qu’il ne partageait pas la protestation…
31 août 2013 – Le père Volpi diffuse un message à l’occasion des professions perpétuelles. D’après lui, « un des problèmes centraux vient de la menace d’une certaine autoréférentialité, c’est-à-dire du désir de souligner à tout prix sa propre particularité. (…) Cela arrive quand on confond la fin avec les moyens, en considérant que les textes, les conseils, les attitudes ou les paroles des fondateurs sont plus importants que l’enseignement du Magistère ou les textes bibliques eux-mêmes. »
Le genre de vie des franciscains de l’Immaculée s’attachait aux pratiques d’avant le concile ; lorsque le père Volpi parle du Magistère il faut sous-entendre : le magistère conciliaire en tant qu’il s’oppose au magistère passé. Et la volonté de se distinguer des autres revient au désir de rester fidèle à la conception traditionnelle de la vie religieuse abandonnée par tous. Le père Volpi veut donc un retour à l’ordre conciliaire.
15 novembre 2013 – Les supérieurs du séminaire théologique de l’institut, proches du fondateur et de la mouvance traditionnelle, sont éloignés et remplacés par d’autres qui sont fidèles à la nouvelle orientation. Le père Lanzetta, coupable d’avoir ouvert, dans ses publications, un débat sur Vatican II (dans des termes extrêmement prudents et encore très éloignés des conclusions non seulement de la Fraternité Saint-Pie X, mais aussi d’un Mgr Gherardini) est sanctionné.
8 décembre 2013 – Devant l’impossibilité de remplacer tous les professeurs du séminaire, le scolasticat est fermé, et les études suspendues jusqu’à nouvel ordre. De plus, on interdit à tous les Frères de publier quoi que ce soit et de collaborer avec des revues. Pour justifier cette décision, on invoque des raisons doctrinales et théologiques, jamais précisées dans le détail, malgré les instances.
Dans la lettre ordonnant cette fermeture, le père Volpi se plaint de la désobéissance de Frères, qui vivraient dans une « crainte révérencielle des autorités déposées ». Il se réfère à une « campagne médiatique » organisée sur internet contre la décision romaine. « Je me suis demandé la raison d’un tel intérêt [des laïcs] pour la situation [de l’institut], et je suis arrivé à la conclusion que l’institut était devenu le champ de bataille d’une lutte entre des courants de la Curie et surtout des oppositions au nouveau pontificat du pape François. Ce n’est pas un hasard que Mgr Fellay en parle. »
En pratique, après avoir disposé que les ordinations seront suspendues pendant un an, le père Volpi poursuit : « De plus, les candidats qui sont en formation devront souscrire personnellement une acceptation formelle du novus ordo comme expression authentique de la tradition liturgique de l’Église et donc de la tradition franciscaine (sans préjudice de ce qui est permis par le motu proprio Summorum Pontificum, une fois que l’actuelle disposition disciplinaire d’interdiction – ad hoc et ad tempus pour l’institut – sera révoquée) et des documents du concile Vatican II, selon l’autorité qui leur est accordée par le Magistère. Ceux qui n’acceptent pas ces dispositions seront immédiatement renvoyés de l’institut. » Des membres consultés ont affirmé que la congrégation et le pape étaient au courant des décisions du commissaire et les approuvaient. De plus, les Frères ont maintes fois envoyé des protestations aux différents dicastères romains et au pape lui-même. Sans résultat.
23 décembre 2013 – Trois couvents suspects de traditionalisme, situés dans le diocèse d’Albenga-Imperia, sont fermés par décision du commissaire. On sait que l’évêque, Mgr Mario Oliveri, favorisait l’ancien rite.
27 décembre 2013 – Une lettre (signée Frater Vigilius) d’un membre des franciscains de l’Immaculée circule sur internet, dénonçant la situation de l’institut sous le commissaire. Son récit est confirmé par le témoignage d’autres Frères et par divers documents.
Toutes les activités de formation spirituelle et théologique (nombreuses auparavant) sont désormais suspendues. Le commissaire est accusé de n’avoir aucun soin de la formation des Frères : il se borne à émettre des décrets et à reprocher aux membres d’être insubordonnés ou « lefebvristes ». « Le mot d’ordre est : obéir sans réfléchir. »
Des nombreuses demandes de pouvoir célébrer à nouveau la messe ancienne, presque aucune n’a été acceptée (exception faite lorsque la demande était appuyée par un groupe de fidèles selon le Motu proprio). Le rite traditionnel a disparu des maisons de formation.
Les membres de l’institut ne peuvent plus communiquer avec le père Manelli : cette interdiction est absolue, radicale, et personne n’en connaît les raisons. De plus, les Frères non seulement ne peuvent plus publier, mais même acheter et diffuser les publications de leur propre maison d’édition (gérée désormais par la branche féminine).
Le mouvement laïc de l’institut (tiers-ordre et autres degrés d’affiliation) est pratiquement supprimé : les Frères ne pourront plus s’en occuper, sauf permission spéciale du commissaire. Les téléphones et les ordinateurs sont contrôlés par un système électronique, de sorte que le commissaire peut être au courant de tout ce qui se dit. À l’intérieur de l’institut, l’ambiance est très mauvaise : la confiance entre les membres se détériore ; on craint les délateurs qui pourraient rapporter même les plaisanteries sur les supérieurs au commissaire, avec de graves conséquences pour les « coupables ».
Peu après, une nouvelle lettre nous apprend que les Frères ne pourront plus se déplacer d’un couvent à un autre sans la permission écrite du commissaire. Cela pour défavoriser les contacts entre les Frères « rebelles ». Pareillement, sans permission il leur est défendu d’utiliser le bréviaire ou le rituel de 1962, de célébrer la messe (même novus ordo) chez les Sœurs, d’effectuer certaines activités d’apostolat habituelles dans l’institut (par exemple une journée de formation et de prière mariale pour les fidèles dans les paroisses et les sanctuaires).
Telle est la situation de l’institut au lendemain de la mise sous tutelle. Dans le prochain numéro de Fideliter, nous raconterons les réactions à cette mise sous tutelle, venues de l’extérieur et de l’intérieur de l’institut, ainsi que l’épilogue encore inachevé de cette histoire.
Abbé Arnaud Sélégny†, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Fideliter n° 238 de juillet-août 2017