Le cardinal André Vingt-Trois achève son ministère à la tête de l’archidiocèse de Paris. Il a accordé un entretien au Figaro le 10 novembre. À la question : « Ne voyez-vous pas une perte d’influence de l’Église en France ? », le Cardinal répond de façon assez stupéfiante : « L’Église n’a jamais eu d’influence ! »
Il développe ensuite sa pensée. D’abord, dit-il, l’Église n’a pas pu empêcher certaines lois mauvaises. Ensuite, affirme-t-il, la société civile est traversée de divers courants, l’Église n’en représentant qu’un seul. Il souligne également que « si les chrétiens ne sont pas investis, ce n’est pas l’archevêque de Paris qui va changer le cours des choses… » Enfin, il déclare que « la question n’est pas de savoir si la loi autorisera ou non [tel comportement condamnable], mais de savoir s’il y a des chrétiens suffisamment motivés pour ne pas y avoir recours ! »
Ces arguments ne sont guère convaincants. Certes, des lois mauvaises sont passées malgré la résistance des catholiques, mais l’important débat qui a accompagné la question du « mariage homosexuel », par exemple, manifeste clairement que l’Église peut avoir une influence quand les catholiques sont déterminés… surtout s’ils sont soutenus par leurs évêques ! Même si la société est aujourd’hui malheureusement pluraliste, quel parti politique ou syndicat réunit chaque semaine plusieurs millions de ses militants, comme l’Église ? Bien entendu, ce n’est pas l’archevêque de Paris seul qui agit dans la société (même si sa parole a un poids particulier), mais toute l’Église, depuis le dernier des fidèles jusqu’au sommet de la hiérarchie. Enfin, que les chrétiens s’abstiennent de faire le mal, même autorisé légalement, n’est pas équivalent à combattre les mauvaises lois et à promouvoir les bonnes.
Ces arguments du Cardinal concluent encore moins que l’Église n’a jamais eu d’influence. Peut-on dire que sous Constantin, l’Église n’a eu aucune influence dans la société civile ? Que Léon le Grand n’a pas eu d’influence en arrêtant les ravages d’Attila ? Que sainte Clotilde, que saint Rémi n’ont pas eu d’influence sur Clovis ? Que les rois saint Louis en France, saint Édouard en Angleterre, saint Henri en Germanie, saint Étienne en Hongrie, saint Herménégilde en Espagne, n’ont pas eu d’influence sur la société ? Que saint Bernard, saint Vincent de Paul, saint François de Sales, Bossuet, saint Grignion de Montfort, le curé d’Ars, n’ont pas eu un rayonnement social ?
Dire que l’Église n’a pas eu d’influence sur la société, c’est nier l’évidence de l’Histoire, c’est vouloir changer le réel au nom d’une idéologie. La chrétienté, cette union étroite de l’Église et de la société, cette civilisation imprégnée de christianisme, comme l’entendent les historiens, a bel et bien existé durant de nombreux siècles.
En vérité, le Cardinal connaît suffisamment l’Histoire pour savoir que cette influence de l’Église sur la société a été réelle et profonde. En affirmant tout de go que « l’Église n’a pas d’influence », il cherche surtout à se soustraire à ses responsabilités : c’est un langage de démission, d’abandon, de renoncement.
Sans doute, en ses modalités, l’influence de l’Église est-elle différente aujourd’hui de ce qu’elle fut lorsque l’État était officiellement chrétien. Désormais, c’est plutôt par ses intellectuels, ses réseaux modernes d’influence, sa capacité militante, ses institutions universitaires et ses revues, son clergé répandu sur tout le territoire et bien inséré dans la vie locale, que l’Église peut et devrait intervenir avec plus de pugnacité dans le débat public, contribuer à l’enrichir, à l’infléchir, à l’améliorer, à défendre et à promouvoir des valeurs qui font la vraie civilisation. Si toutefois les hommes d’Église veulent être vraiment catholiques, et non se rallier à une prétendue « modernité » qui n’est que le nom d’un monde rejetant Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Sans oublier évidemment la force de la prière et de la grâce : au cours de l’Histoire, quand la situation paraissait désespérée, une prière ardente a pu renverser le cours des choses. C’est ainsi que la bataille de Belgrade en 1456 avec saint Jean de Capistran, que la bataille de Lépante en 1571 avec saint Pie V, que la bataille de Vienne en 1683 avec Jean Sobieski, toutes remportées sur les musulmans oppresseurs de l’Europe chrétienne, furent d’abord des victoires de la prière.
Pour cela, toutefois, il faut que les clercs, et au premier rang les évêques, retrouvent le courage de leurs pères, celui que réclame leur fonction, et engagent les fidèles à prier et à agir dans la société, avec habileté, certes, mais sans crainte ni respect humain, pour le règne de Jésus-Christ.
Abbé Christian Bouchacourt †, Supérieur du District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Fideliter n° 240 de novembre-décembre 2017