Entretien avec l’abbé de Montagut, supérieur d’Espagne et du Portugal

Monsieur l’abbé Juan Maria de Montagut

Prieuré San Jose
Le prieu­ré San José – Siège de la mai­son auto­nome d’Espagne

LPL : M. l’abbé de Montagut, pourriez-​vous vous pré­sen­ter et nous décrire la fonc­tion que vous occu­pez dans la Fraternité ?

Abbé de Montagut : J’ai été ordon­né il y a dix ans à Ecône [NDLR : en 1999], et nom­mé ensuite au prieu­ré de Madrid. Depuis quelques mois, j’ai la charge de Supérieur de la mai­son auto­nome d’Espagne-Portugal.

Vous avez sur votre ter­ri­toire un couvent de reli­gieuses, les « Siervas de Jesús Sacerdote y del Corazón de Maria » : quelle est l’origine de cette congré­ga­tion ?

Elle est née dans des cir­cons­tances dif­fi­ciles pour les soeurs. Suite aux dis­tances prises par le Père Muñoz, fon­da­teur de l’Oasis de Jesús Sacerdote à Barcelone, d’avec la Fraternité, une par­tie de la com­mu­nau­té, ne vou­lant se déta­cher de notre com­bat, et après des longs mois de dif­fi­cul­tés à l’intérieur du couvent, deman­dèrent aux Supérieurs de la Fraternité une solu­tion devant la situa­tion qui deve­nait insou­te­nable pour la bonne pour­suite de leur voca­tion reli­gieuse. C’est ain­si que quinze soeurs quit­tèrent le monas­tère de l’Immaculée à Barcelone, et sont arri­vées dans la région de Madrid, à proxi­mi­té de notre Casa San José.

Comment décrire plus pré­ci­sé­ment leur « spé­ci­fi­ci­té » par rap­port aux car­mé­lites ou aux autres ordres contem­pla­tifs féminins ?

C’est une bonne ques­tion ! Cette famille reli­gieuse a for­cé­ment beau­coup de points en com­mun avec d’autres formes de vie cloî­trée, comme l’intense vie d’oraison (deux heures d’oraison men­tale dans la cha­pelle) qui est tou­jours le point cen­tral. Les ‘Servantes de Jésus Prêtre’ fondent leur règle de vie sur la spi­ri­tua­li­té de Saint François de Sales, qui insiste davan­tage sur la mor­ti­fi­ca­tion de l’esprit (humi­li­té, sim­pli­ci­té, joie) plu­tôt que sur les péni­tences corporelles.Elles ont aus­si une­grande dévo­tion envers la Sainte Messe, et vénèrent tout par­ti­cu­liè­re­ment le Cœur Immaculé de Notre Dame, vou­lant par là répondre aux ins­tances du Ciel à Fatima. Mais leur spé­ci­fi­ci­té se résume dans cette phrase que la novice pro­nonce le jour de sa pro­fes­sion : « Immolation et silence pour la sanc­ti­fi­ca­tion des prêtres et âmes consa­crées ».

En « immo­la­tion et silence pour la sanc­ti­fi­ca­tion des prêtres et âmes consa­crées » : quel magni­fique et sublime pro­gramme ! Mais une barre pla­cée si haut n’est-elle pas un obs­tacle aux voca­tions pour cette jeune communauté ?

En effet, il sem­ble­rait trop ambi­tieux comme pro­gramme. Il l’est. Mais l’appel et la grâce de Dieu amènent cette magna­ni­mi­té dans les âmes, même si on parle de jeunes filles. La Providence se plaît à sus­ci­ter des grandes œuvres sur­na­tu­relles lorsque son Église endure des grandes épreuves, et nous devons être per­sua­dés de l’importance capi­tale de la prière dans la res­tau­ra­tion de l’Église, qui ne se fera que par le retour des prêtres à la foi et au sacri­fice de la Messe. Autrement dit, ces reli­gieuses ont la mis­sion de sou­te­nir les bons prêtres mais sur­tout d’obtenir de Dieu la conver­sion de beau­coup d’autres, en offrant (c’est cela que signi­fie ‘obla­tion’) leurs vies à Dieu dans le silence de la clô­ture. C’est un pro­gramme bien actuel et néces­saire, qui cor­res­pond très bien, me semble-​t-​il, à la pen­sée de Mgr Lefebvre lorsqu’il parle de « reli­gieuses affi­liées » dans nos constitutions.

Combien sont-​elles à ce jour (Nombre de pro­fesses, de novices, de postulantes) ?

À ce jour elles sont tou­jours quinze, toutes pro­fesses car la der­nière novice vient de faire il y a seule­ment quelques jours sa pro­fes­sion. En ce moment il n’y a pas de pos­tu­lantes, ce qui est pro­ba­ble­ment en par­tie dû à la jeu­nesse de leur Congrégation et le peu connue qu’elle est ailleurs. De plus, une com­mu­nau­té contem­pla­tive, de par sa nature, n’est pas très visible aux jeux d’autrui…

De quels pays sont-​elles originaires ?

L’Espagne, le Mexique, la France, l’Argentine, et même l’ancienne Rhodésie y sont représentés.

À par­tir de quel nombre les Servantes de Jésus Prêtre décideront-​elles de lan­cer une nou­velle fon­da­tion ? Et quel est le pays qui a le plus de chances de les voir s’implanter ?

En fait, elles sont en soi suf­fi­santes pour pou­voir fon­der ailleurs, mais tout reste au juge­ment des supé­rieurs, qui sont les mieux éta­blis pour déci­der du lieu et du moment idoines pour le faire. Le Mexique, la France et l’Argentine ont des chances de deve­nir les amphi­tryons de pro­chaines com­mu­nau­tés des Siervas de Jesús Sacerdote.

Les lec­teurs inter­nautes de La Porte latine sont majo­ri­tai­re­ment fran­çais, mais viennent aus­si de tous les pays du monde : quel mes­sage voulez-​vous leur faire pas­ser et com­ment pourraient-​ils sou­te­nir et aider nos chères Sœurs ?

Je m’adresserais d’abord à des jeunes filles qui sentent l’appel de Dieu à une vie contem­pla­tive, et qui en même temps se sou­cient en voyant la défaillance et infi­dé­li­té de tant de ministres de Dieu, et veulent faire quelque chose… Qu’elles en parlent à leurs confes­seurs, et demandent à venir visi­ter la com­mu­nau­té. À mes confrères, je les invite tout sim­ple­ment à venir connaître ces religieuses.

Pour les aider, je demande à tous des prières d’abord, car elles forment une armée d’élite qui a besoin d’encouragement (elles ont même une branche de laïcs dits « auxi­liaires »). Mais il y a aus­si, bien sûr, l’aspect maté­riel : elles com­mencent à zéro et pour l’instant elles se trouvent dans une pro­prié­té louée et avec la néces­si­té d’en trou­ver une défi­ni­tive. J’ose vous lais­ser leurs coor­don­nées et le nº de compte bancaire :

Siervas de Jesús Sacerdote
y del Corazón de María
Apartado de cor­reos nº 3
28.979 – Serranillos del Valle (Madrid)
Espagne 

Compte Courant :
María Mercedes Matía Bahillo
0030/​1401/​84/​0000399271
Code BIC : ESPC-​ESMM
(Code IBAN : ES-​66 [+ le nº de compte])

Monsieur l’abbé puisque vous êtes res­pon­sable de la FSSPX en Espagne et au Portugal, pouvez-​vous nous dire un mot de votre apos­to­lat dans ces deux pays ?

Même en par­lant de ma propre patrie, je dois avouer la dif­fi­cul­té que notre apos­to­la­tren­contre dans des pays qui gardent encore cer­taines cou­tumes catho­liques tra­di­tion­nelles (pro­ces­sions, neu­vaines popu­laires, etc…), où le cler­gé est glo­ba­le­ment plus conser­va­teur qu’ailleurs, et res­pec­té des catho­liques encore pra­ti­quants, et où les plus conser­va­teurs des fidèles se groupent autour des nom­breuses ins­ti­tu­tions à la pié­té et aux formes assez ‘tra­di­tion­nelles’ (du genre Opus Dei, Legionarios de Cristo, Lumen Dei…). Si on rajoute le culte outré et sans nuances des catho­liques pour la per­sonne du Pape, voi­ci le champ sur lequel nous devons tra­vailler en essayant de réveiller l’intelligence de la foi, avec ses consé­quences litur­giques et doc­tri­nales. Et ce que je dis, s’applique assez faci­le­ment à notre pays frère du Portugal.

Combien de prieu­rés com­pose votre immense champ d’apostolat ? Pouvez-​vous nous dire un mot de vos confrères et de leurs responsabilités ?

Votre ques­tion est une colle ! Je veux dire, qu’il vous suf­fit d’enlever le plu­riel pour savoir quel est le nombre de prieu­rés que nous des­ser­vons. Dans toute l’Espagne, et en dehors de la capi­tale (qui est ‘la paroisse’), on visite une dou­zaine de villes pério­di­que­ment, mais il s’agit de groupes res­treints dont les plus nom­breux ne dépassent jamais 25 fidèles, ce qui rend dif­fi­cile la fon­da­tion d’autres prieu­rés. Et même s’il s’agit de noyaux bien éta­blis, le pro­grès numé­rique reste dif­fi­cile de par les cir­cons­tances que je viens de décrire. Un espa­gnol (ou un por­tu­gais) n’approcheront de la Fraternité qu’après un mûris­se­ment intel­lec­tuel, puisque son cœur tra­di­tion­nel trouve faci­le­ment ailleurs où abreu­ver sa saine piété.

Pour l’apostolat en Espagne, nous sommes trois confrères (cela fait des kilo­mètres !…) à tour­ner dans ces dif­fé­rents lieux de culte, en dehors des tâches par­ti­cu­lières assi­gnées à cha­cun, et pour le Portugal c’est M. l’abbé Ettelt qui s’envole toutes les semaines à la capi­tale, visi­tant aus­si régu­liè­re­ment quatre autres lieux (à noter notre cha­pelle à Fatima).

Et dans l’avenir, la Fraternité a‑t-​elle de nou­veaux pro­jets d’installation et de développement ?

Le déve­lop­pe­ment se fait tou­jours, mais très len­te­ment. Ce sont de plus en plus nom­breux les jeunes (même les jeunes ménages) qui, moins char­gés d’a prio­ri que leurs parents, et un peu déçus du manque de réponses dans les groupes ‘conser­va­teurs’, approchent de nous. Un déclic impor­tant arri­ve­ra sans doute un jour si Rome fai­sait un pas sin­cère vers la Tradition. Cela réveille­rait beau­coup de choses en Espagne et Portugal.

Quant aux pro­jets, d’abord celui de raf­fer­mir spi­ri­tuel­le­ment et for­mer nos fidèles. Aussi la construc­tion d’une église à Madrid ; aider à l’installation défi­ni­tive des Siervas de Jesús sacer­dote ; déve­lop­per l’apostolat de la presse ; on pense aus­si à une petite rési­dence pour nos vieillards, ‘anciens com­bat­tants’ sou­vent iso­lés et dis­per­sés dans toute notre géo­gra­phie. Ma foi, les pro­jets ne manquent pas.

Pouvez-​vous nous dire un mot sur prêtres amis ? 

En ce moment nous avons deux prêtres asso­ciés qui habitent chez nous, et un autre qui col­la­bore en Argentine. Dans des dif­fé­rentes régions, on a des contacts de sin­cère ami­tié avec des prêtres dio­cé­sains, pour la plu­part d’un âge jeune, qui apprennent à célé­brer la Sainte Messe (cer­tains la célèbrent chaque semaine depuis le Motu pro­prio), et qui voient en nous l’espoir pour l’Église. Il est à remar­quer l’attitude de pleine confiance qu’ils nous font dès le pre­mier contact, au point de nous consi­dé­rer comme la seule réfé­rence doc­tri­nale hors de doute, et com­ment notre connais­sance les encou­rage à per­sé­vé­rer et avan­cer dans le bon sens, faute de faire un pas per­son­nel plus fort et plus décisif.

Quelles sont vos rela­tions avec l’é­pis­co­pat local ? Ont-​elles évo­lué depuis le Motu Propio de 2007 et le retrait du décret d’excommunication ?

Les évêques nous ignorent, en sachant que nous ne repré­sen­tons un dan­ger numé­rique impor­tant. Cependant, ils appré­hendent ce que signi­fie notre pré­sence, et pour mâter des ini­tia­tives nées après le Motu pro­prio sur la Messe, ils accourent sou­vent à l’argument de « atten­tion aux lefeb­vrians ! ». C’est tout de même curieux de voir cette peur du fan­tasme de la Tradition. Je pro­fite pour dénon­cer une espèce d’accord tacite de l’épiscopat espa­gnol pour rendre dif­fi­cile sinon empê­cher l’établissement de la messe tra­di­tion­nelle dans leurs dio­cèses (par exemple, dans les dio­cèses de Madrid, Santander, Oviedo, Palma de Mallorca, Gran Canaria). Eux, qui se pré­sentent comme les défen­seurs du Pape, les voi­ci insou­mis et déso­béis­sants dans l’application de ses volon­tés [du Pape] dans leurs propres juridictions…

Et les voca­tions religieuses ?

À pré­sent on est sept prêtres espa­gnols, et un évêque !, Mgr. de Galarreta ; de plus, deux jeunes se trouvent au sémi­naire de La Reja. Dans le monas­tère capu­cin de Morgon un frère pro­fès se pré­pare, Dieu aidant, au sacerdoce.

Avez-​vous un pro­jet qui vous tient par­ti­cu­liè­re­ment à cœur ?

Oui, celui de consa­crer plus de temps au contact avec le cler­gé (plu­sieurs cen­taines de prêtres nous ont deman­dé le DVD sur la célé­bra­tion de la Messe), et si pos­sible en éta­blis­sant une sorte de Lettre à nos frères prêtres comme il existe en France.

Quel sera votre mot de conclu­sion sur les Servantes de Jésus Prêtre et sur votre apostolat ?

Un appel à la prière pour l’Église, dont ces Soeurs en sont un modèle. L’appel à la géné­ro­si­té des âmes des jeunes filles, puisque la mater­ni­té spi­ri­tuelle dépasse infi­ni­ment en nombre et joies celle des foyers.

Et pour notre apos­to­lat, des prières aus­si car il est rude (on ne manque pas de joies, quand même !), et sur­tout recom­man­der la dif­fi­cul­té que nous trou­vons à éta­blir une petite école pour nos enfants, car la récente légis­la­tion socia­liste empêche toute ini­tia­tive modeste, ce qui a pro­vo­qué le démé­na­ge­ment de plu­sieurs de nos familles en d’autres pays.

Que Dieu et Notre Dame bénisse la France catholique !

Propos recueillis pour La Porte Latine le 8 décembre 2009

Reportage photos sur les « Siervas de Jesús Sacerdote y del Corazón de Maria » 

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