6 sept. 2015 – Sermon de M. l’abbé de La Rocque : ces 50 ans ne peuvent être l’occasion que de pénitence et non de joie

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,

Bien chers fidèles,

A écou­ter vos nom­breuses inter­ro­ga­tions ces der­niers jours, il me faut reve­nir sur un évé­ne­ment qui s’est dérou­lé cette semaine et qui en lais­sé plus d’un – à juste titre – quelque peu per­plexe. Le 1er sep­tembre, le Pape, le jour même où il rece­vait le tris­te­ment célèbre Mgr Gaillot, évêque dépo­sé par Jean-​Paul II, ce même jour, en charge du pro­chain Jubilé de la Miséricorde. Dans cette lettre, il édicte quelques prin­cipes d’ap­pli­ca­tion de ce jubi­lé, tout d’a­bord pour l’en­semble des fidèles catho­liques, puis pour des cas par­ti­cu­liers : les malades, les per­sonnes âgées, les pri­son­niers… et les membres de la .

Paradoxe de ce pape qui, par le fait même, nous recon­naît ouver­te­ment et publi­que­ment comme catho­liques. Cela fait cin­quante ans qu’on le sait, mais voi­là qu’il le recon­naît publi­que­ment. Que dit-​il, nous concernant ?

« J’établis, dit-​il, par ma propre dis­po­si­tion, que ceux qui au cours de l’Année Sainte de la Miséricorde, s’ap­pro­che­ront pour célé­brer le sacre­ment de la récon­ci­lia­tion – vous avez com­pris la confes­sion, sacre­ment de péni­tence – j’é­ta­blis donc que ceux qui s’ap­pro­che­ront des prêtres de la Fraternité Saint-​Pie X rece­vront une abso­lu­tion valide et licite de leurs péchés. »

Quelle est la por­tée, la rai­son d’être de cette disposition ?

La pre­mière chose qui est claire, c’est qu’en cette lettre, le pape nous invite, veut nous impli­quer dans ce jubi­lé de la Miséricorde. Il importe en tout pre­mier lieu de nous inter­ro­ger sur cela. Qu’est-​ce que ce jubi­lé ? Devons-​nous, pouvons-​nous y par­ti­ci­per, ou non ?

Un jubi­lé, vous le savez – le terme est cou­rant – est un anni­ver­saire que l’on célèbre dans la joie, dans la jubi­la­tion. Vous célé­brez le jubi­lé d’argent ou d’or de votre mariage, nous de notre sacer­doce. Evénement joyeux dans lequel nous ren­dons grâce à Dieu pour ses bien­faits. Dans l’Eglise, les jubi­lés sont la plu­part du temps un anni­ver­saire de la Rédemption de Notre-​Seigneur Jésus-Christ.

Par exemple, en l’an 2000, dans sa Bulle d’in­dic­tion – c’est l’acte pon­ti­fi­cal par lequel le pape décrète un jubi­lé – le pape Jean-​Paul II ouvrait le jubi­lé pré­ci­sé­ment pour célé­brer le grand Mystère, magni­fique, de l’Incarnation rédemp­trice de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Il disait, c’é­taient les pre­miers mots de sa Bulle d’in­dic­tion : « Les yeux fixés sur le Mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu, l’Eglise s’ap­prête à fran­chir le seuil du troi­sième mil­lé­naire ».

Les yeux fixés sur le Mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu… Nous étions face à un jubi­lé tout à fait tra­di­tion­nel, clas­sique quant à sa nature même, et c’est pour­quoi nous y avons par­ti­ci­pé allè­gre­ment, tout en nous tenant lar­ge­ment à l’é­cart de toutes les mani­fes­ta­tions dra­ma­tiques qui se sont dérou­lées à l’oc­ca­sion de ce jubi­lé. Qu’elles soient œcu­mé­niques ou inter­re­li­gieuses, mal­heu­reu­se­ment elles se sont mul­ti­pliées. Mais le jubi­lé en soi, ce jubilé-​là était tout à fait catho­lique, tra­di­tion­nel ; et avec des actes catho­liques, tra­di­tion­nels, nous y avons par­ti­ci­pé. Faisant une double pro­fes­sion de foi, tout d’a­bord par ce pèle­ri­nage à Rome, puis en pre­nant la défense de la foi, et à cette fin Mgr Fellay nous avait deman­dé de rédi­ger une étude appro­fon­die sur le si grave Problème de la réforme litur­gique. (1)

Qu’en est-​il du jubi­lé d’aujourd’hui ? Que vient-​il célé­brer ? Il faut pour cela regar­der la par laquelle il décrète ce jubi­lé. C’est là que sont décrits le but et l’in­ten­tion du jubi­lé. Or, ce texte est extrê­me­ment clair. Il s’a­git d’y célé­brer les cin­quante ans du concile Vatican II.

L’Eglise, dit le pape, res­sent le besoin de gar­der vivant cet évé­ne­ment. Et c’est pour­quoi, dit-​il, j’ou­vri­rai la Porte Sainte, pour le cin­quan­tième anni­ver­saire de la conclu­sion du concile œcu­mé­nique du concile Vatican II.

Vatican II s’est ache­vé le 8 décembre 1965, et c’est donc à cette date, pour le 50ème anni­ver­saire de cet évé­ne­ment, que s’ou­vri­ra ce jubilé.

Pouvons-​nous nous réjouir, jubi­ler, de cet évé­ne­ment que fut le concile Vatican II ? Il est évident, mal­heu­reu­se­ment, que non.

Ce concile a en lui-​même toutes les causes de la déca­dence, de la déchéance, qu’a connues l’Eglise depuis 50 ans ; que ce soit au niveau doc­tri­nal, au niveau pas­to­ral. Un seul exemple très pré­sent aujourd’­hui, cette immense fai­blesse de l’Eglise devant les fausses reli­gions. Si l’is­lam est aujourd’­hui pré­sent dans notre pays, si fort et si vif, c’est en pre­mier lieu à cause de l’Eglise qui a caché, qui a eu honte de son mes­sage sur Jésus-​Christ, Unique Sauveur ; de l’Eglise hors de laquelle il n’y a point de salut. Nous subis­sons toutes les consé­quences pra­tiques de ces prin­cipes erro­nés, énon­cés par le concile. Ce n’est qu’un exemple par­mi tant d’autres. 

Alors, il est évident que nous ne pou­vons pas nous réjouir de cet évé­ne­ment du concile. Ces cin­quante ans, pour nous, et pour qui cherche à avoir un regard objec­tif de luci­di­té, doc­tri­nale et pas­to­rale, ces cin­quante ans ne peuvent être l’oc­ca­sion que de péni­tence et non de joie.

Revenons à ce texte de mar­di der­nier pour en voir les enjeux, ce qu’il cache par der­rière lui-​même. Il y a là sans aucun doute beau­coup d’ha­bi­le­té de la part du pape François. Depuis des années, des décen­nies, ils cherchent à nous faire recon­naître le concile Vatican II et ses nou­veaux prin­cipes erro­nés. Ils ont cher­ché à nous les faire recon­naître par prin­cipe, en essayant de nous faire signer de pré­ten­dues décla­ra­tions doctrinales.

Etant à Rome dans ces dis­cus­sions doc­tri­nales de 2009 à 2011, je peux vous dire qu’on en a vu pas­ser des textes de décla­ra­tions doc­tri­nales qu’ils vou­laient nous faire signer. Et ils ont échoué. Alors, plu­tôt que de nous faire recon­naître par prin­cipe tous ces nou­veaux ensei­gne­ments, ils cherchent à agir par la praxis, à nous faire poser des actes qui, en eux-​mêmes, par leur nature, impliquent de manière impli­cite la recon­nais­sance de tout cela.

Ils veulent nous faire par­ti­ci­per au jubi­lé célé­brant les 50 ans du concile Vatican II.

Nous sommes là – je ne juge nul­le­ment des inten­tions, je prends seule­ment quelques leçons d’his­toire – nous sommes là face à une tac­tique pro­pre­ment révo­lu­tion­naire, bien connue des mar­xistes. Quand le révo­lu­tion­naire ne peut atteindre les prin­cipes de celui qu’il consi­dère comme son enne­mi, il cherche à lui faire poser des actes concrets par les­quels celui-​ci met entre paren­thèses ses principes.

Par exemple, lisez le livre de Madame Hue, « ». Elle raconte com­ment, étant affa­mée, on lui refu­sait toute nour­ri­ture jus­qu’à un ven­dre­di où on est venu lui appor­ter de la viande, pour qu’elle renonce à ses prin­cipes de vie catho­lique. En théo­rie pure, elle aurait pu en man­ger ; elle mou­rait de faim, il y avait une cir­cons­tance grave… Mais elle avait très bien com­pris qu’on vou­lait por­ter atteinte à ses prin­cipes catho­liques. Et elle a refu­sé. C’est elle qui avait raison.

On rap­porte encore com­ment, tou­jours en cette Chine com­mu­niste, pour réduire à néant une paroisse pro­fon­dé­ment catho­lique, les troupes com­mu­nistes ont cher­ché à obli­ger les fidèles à sim­ple­ment sor­tir les bancs de leur église pour les brû­ler. Ce n’é­tait pas un acte direc­te­ment sacri­lège. Ce n’é­tait pas por­ter atteinte au Saint-​Sacrement. Ces catho­liques, forts de leur foi vive, évi­dem­ment ont refu­sé. Ils avaient raison.

Je crois que pour nous aujourd’­hui, c’est exac­te­ment, quoiqu’à une échelle dif­fé­rente, les mêmes situa­tions dans laquelle nous sommes. Garder cette force dans la foi, cette force pai­sible, cette force douce mais ferme, consiste jus­te­ment à gar­der nos prin­cipes, les prin­cipes catho­liques tout sim­ple­ment, qui rejettent l’er­reur. Garder ces prin­cipes et vivre confor­mé­ment à ces prin­cipes. Ne pas vivre confor­mé­ment à des prin­cipes aux­quels on reste inté­rieu­re­ment atta­ché c’est tout sim­ple­ment ce qu’on appelle le libéralisme.

Alors, peut-​être cer­tains me diraient : mais quand même on y gagne puis­qu’à tra­vers cela, le pape recon­naît la vali­di­té, la licéi­té de nos confes­sions. Je vous répon­drais : tant mieux, tant mieux pour les âmes timo­rées, tant mieux pour les âmes qui ne sont pas de cette paroisse. Mais pour vous, là-​dessus, il est évident que vous n’a­vez aucun doute et que cette recon­nais­sance n’ap­porte abso­lu­ment rien.

Vous le savez : pour que le prêtre puisse par­don­ner, il doit avoir juri­dic­tion. Or dans l’Eglise, il existe trois sortes de juri­dic­tions. Il y a ce qu’on appelle la juri­dic­tion ordi­naire. Le pape a une juri­dic­tion ordi­naire sur l’Eglise uni­ver­selle ; l’é­vêque a une juri­dic­tion ordi­naire sur son dio­cèse : pre­mier type de juri­dic­tion, la juri­dic­tion ordi­naire. Deuxième type de juri­dic­tion, c’est la juri­dic­tion délé­guée. L’évêque ne pou­vant pas assu­mer toutes les confes­sions de son dio­cèse, délègue une par­tie de sa juri­dic­tion au curé, lequel curé va délé­guer à nou­veau à ses vicaires. Deuxième type de juri­dic­tion, la juri­dic­tion délé­guée ; tou­jours don­née par l’Eglise, par des inter­mé­diaires, par une chaîne humaine. 

Il y a encore un troi­sième type de juri­dic­tion, tou­jours don­née par l’Eglise – toute juri­dic­tion vient for­cé­ment de l’Eglise, vient for­cé­ment du pape de la loi de l’Eglise. Eh bien pré­ci­sé­ment, dans le droit cano­nique, la loi de l’Eglise, il y a ce troi­sième type de juri­dic­tion, qu’on appelle de sup­pléance et par laquelle l’Eglise, le Souverain Pontife donc, donne sa juri­dic­tion auto­ma­ti­que­ment aux prêtres, à tout prêtre dans cer­tains cas, dans des cas que l’on appelle de néces­si­té. Ces cas de néces­si­té, c’est tout simple, ils sont gérés par ce grand prin­cipe du droit cano­nique : la pre­mière loi de l’Eglise, c’est le salut des âmes. Et quand le salut des âmes est mena­cé, l’Eglise par sa loi donne auto­ma­ti­que­ment donne sa juri­dic­tion à tout prêtre pour pou­voir exer­cer le minis­tère, le bien auprès de ces âmes ; juri­dic­tion de sup­pléance. Notez bien, pour évi­ter cer­taines équi­voques : cer­tains disent que la juri­dic­tion de sup­pléance est don­née aux prêtres par les fidèles. C’est radi­ca­le­ment faux. Les fidèles n’ont aucune juri­dic­tion. La juri­dic­tion est tou­jours don­née par l’Eglise. Et l’Eglise, le pape, donne la juri­dic­tion directe aux prêtres, indé­pen­dam­ment de la chaîne humaine, pour pou­voir accom­plir les actes néces­saires au salut. 

Qu’il y ait cas de néces­si­té aujourd’­hui, c’est hélas plus qu’é­vident. Ne serait-​ce que dans ce domaine de confes­sion pour ne prendre que celui-​ci. Il n’y a pas une semaine au bureau de garde sans que nous n’ayons des per­sonnes, exté­rieures à cette paroisse, qui viennent nous voir pour se confes­ser, alors qu’ils sortent d’un confes­sion­nal d’une paroisse pari­sienne. Scandalisés par ce qu’on leur a dit, par la notion de péché com­plè­te­ment déna­tu­rée que le prêtre cen­sé les confes­ser avait. Alors ils sont venus ici pour pou­voir rece­voir une véri­table abso­lu­tion. Et cela n’est pas le fait de tel ou tel curé. C’est mal­heu­reu­se­ment un fait qui est dans toute l’Eglise.

Il n’y a qu’à regar­der . Quand on en est à se poser la ques­tion de la recon­nais­sance dans l’Eglise de l’u­nion homo­sexuelle, quand on en est à dire : « Quelqu’un qui pèche contre nature reste en état de grâce, il peut com­mu­nier », quand on en est à dire : « Quelqu’un qui a renié le ser­ment de fidé­li­té fait devant Dieu le jour de son mariage peut com­mu­nier », il y a, au plus haut niveau de l’Eglise, un cas grave de néces­si­té. Et voi­là pour­quoi, depuis des années, des décen­nies, toutes les abso­lu­tions, tous les sacre­ments, mariages, abso­lu­tions, que vous rece­vez en cette paroisse, vous le savez sont et valides et licites. Vous avez consta­té com­bien ils étaient sanc­ti­fi­ca­teurs parce qu’à tra­vers eux, oui, le Christ, l’Eglise agis­sait. Oui, ils étaient valides et licites.

Alors, dans ce jubi­lé, ce que le pape met dans la balance, face à ce qu’il nous demande – nous réjouir d’un concile délé­tère – vous voyez, ça n’a aucun poids.

Ce qu’il nous faut aujourd’­hui deman­der pour nous à notre saint Patron, saint Pie X, c’est tout à la fois cette grande fer­me­té dans la foi, cette grande uni­té dans notre vie, gui­dée et diri­gée par cette foi magni­fique. C’est lui deman­der cette grande cha­ri­té en ces temps de confu­sion où tant et tant de per­sonnes hélas sont per­dues, sont comme éga­rées ; une grande cha­ri­té à leur endroit. Ne les jugeons pas, ne les condam­nons pas, mais pour nous res­tons dans cette grande fidé­li­té qui vous a carac­té­ri­sés depuis si long­temps, c’est elle qui pour ceux-​là sera véri­table lumière. 

Ainsi soit-​il.

Abbé Patrick de La Rocque, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Transcription : Y. R‑B pour LPL

Note de LRDLPL

(1) En pré­sen­tant offi­ciel­le­ment à Jean-​Paul II, en 2001, Le pro­blème de la réforme litur­gique (PRL) , la Fraternité Saint-​Pie X a vou­lu mon­trer le lien intime exis­tant entre la crise litur­gique et la crise théo­lo­gique. La dis­so­nance des ensei­gne­ments épis­co­paux, sur­ve­nus depuis,montrent à l’évidence l’urgence d’une cla­ri­fi­ca­tion doc­tri­nale, qui seule per­met­tra un véri­table renou­veau litur­gique. [Le pro­blème de la réforme litur­gique : en vente à la Librairie Française au prix de 5. 35 €]

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.