Luther, l’ennemi de la grâce de Jésus-​Christ – 2e partie : l’hérétique

II – L’hérétique

Le pro­tes­tan­tisme se pré­sente à nous sous de mul­tiples visages : luthé­ria­nisme, cal­vi­nisme, angli­ca­nisme, pen­te­cô­tisme, mou­ve­ments évan­gé­liques, etc. cette diver­si­té est la consé­quence néces­saire du prin­cipe pre­mier du pro­tes­tan­tisme, à savoir le libre exa­men, qui per­met au croyant d’interpréter par lui-​même la sainte Ecriture, selon ses propres lumières.

Il est cepen­dant pos­sible de trou­ver des points com­muns entre tous ces pro­tes­tants. D’abord, ils sont unis dans le rejet com­mun (pro­tes­ta­tion d’où « pro­tes­tant ») de cer­tains dogmes et cer­taines doc­trines catho­liques. Ensuite, il existe aus­si une cer­taine union entre eux, dans les prin­cipes géné­raux qu’ils uti­lisent pour com­bler le vide lais­sé par cette des­truc­tion des prin­cipes catho­liques. Nous sommes en effet, avec le pro­tes­tan­tisme, dans une œuvre émi­nem­ment révo­lu­tion­naire, détrui­sant ce qui existe, pour bâtir un monde nou­veau sur les ruines de l’ancien.

Le pro­tes­tan­tisme est essen­tiel­le­ment une rup­ture avec le catho­li­cisme, dont on consi­dère géné­ra­le­ment l’origine his­to­rique à la publi­ca­tion des 95 thèses de Luther, le 31 octobre 1517. Ce sont dans les expli­ca­tions que Luther don­ne­ra à ces thèses assez rapi­de­ment qu’apparaissent les points de cris­tal­li­sa­tion de cette rup­ture. En effet, « un triple refus carac­té­rise le désac­cord entre les pro­tes­tants et Rome. Ce triple refus peut être expri­mé dans une for­mule lapi­daire : un homme, une femme, une chose ; à savoir : le pape, Marie, la messe » (L. Gagnebin, Qu’est-ce que le pro­tes­tan­tisme ? Trois défi­ni­tions pos­sibles » in : L. Gagnebin et A. Gounelle, Le pro­tes­tan­tisme ? Ce qu’il est. Ce qu’il n’est pas. Carrières-​sous-​Poissy, La Cause, 1990, p. 9)

Refus du pape : dans ce refus, c’est toute l’Eglise catho­lique que les pro­tes­tants refusent, avec sa visi­bi­li­té, sa hié­rar­chie ; son chef unique (puisque l’Eglise est monar­chique), le pape, suc­ces­seur de saint Pierre, repré­sen­tant de Notre Seigneur.

Refus de Marie : ce que les pro­tes­tants refusent, ce n’est pas la mater­ni­té de Marie, ni même sa vir­gi­ni­té, car « la majo­ri­té des pro­tes­tants sous­crivent à l’idée biblique de la vir­gi­ni­té mariale. » (G. Monet, Modernités et pro­tes­tan­tismes, Université Marc Bloch, facul­té de théo­lo­gie pro­tes­tante de Strasbourg, 2006). Le refus est celui du culte marial, comme tout le culte des saints d’ailleurs. Les catho­liques, selon les pro­tes­tants, déi­fient Marie et la trans­forment en déesse. Cette accu­sa­tion rejoint leur refus d’admettre d’autres média­teurs que le Christ. Certes, Notre Seigneur est l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes, mais cela n’implique pas l’absence d’autres média­teurs, agis­sant sous la dépen­dance et par la grâce de Notre Seigneur Jésus-​Christ. C’est d’ailleurs ce qui se pas­sa aux Noces de Cana : Notre Seigneur inter­vint à la prière de sa sainte Mère.

Refus de la Messe : le débat ne porte pas seule­ment ou essen­tiel­le­ment sur « la pré­sence réelle de Christ dans le sacre­ment de la Cène, qui, il est vrai, est fort débat­tue, y com­pris à l’intérieur du pro­tes­tan­tisme » (G. Monet, ib.). C’est sur­tout sur la notion de Sacrifice et de sacri­fice pro­pi­tia­toire que les pro­tes­tants butent. Pour eux, il n’y a qu’un sacri­fice, celui de Jésus sur la Croix, qui ne peut être renou­ve­lé. Il y a chez eux une triple erreur sur la Messe :

1 – Négation du carac­tère sacri­fi­ciel de la Messe, qui ne serait qu’un simple mémo­rial de la Passion pour ins­truire les fidèles et leur rap­pe­ler le sacri­fice du Calvaire, afin de pro­vo­quer un acte de Foi (si Luther parle de sacri­fice, c’est uni­que­ment dans le sens de sacri­fice de louanges et d’action de grâces) ;

2 – Négation de la Transsubstantiation (conver­sion ins­tan­ta­née de toute la sub­stance du pain et du vin en celle du Corps et du Sang du Christ, de telle sorte qu’il ne demeure rien de la sub­stance pré­cé­dente et uni­que­ment les accidents) ;

3 – Négation du sacer­doce par­ti­cu­lier du prêtre, qui ne serait qu’un pré­sident d’assemblée qui n’agit plus « in per­so­na Christi ».

Ce triple refus carac­té­rise le pro­tes­tan­tisme du point de vue de son oppo­si­tion au catho­li­cisme. Mais si le pro­tes­tan­tisme est bien d’abord une pro­tes­ta­tion contre la doc­trine catho­lique, la place lais­sée libre par la des­truc­tion de ces prin­cipes catho­liques, n’est pas res­tée libre long­temps. Rapidement, Luther et ses core­li­gion­naires, dans les contro­verses avec les catho­liques, ont dû affir­mer et pré­ci­ser leur posi­tion doc­tri­nale, mon­trant ain­si ce que l’on peut appe­ler les prin­cipes géné­raux com­muns à tous les pro­tes­tan­tismes. Ces prin­cipes peuvent être résu­més là aus­si dans une for­mule lapi­daire : la grâce seule, la foi seule, Dieu seul, l’Ecriture seule.

La grâce seule : la concep­tion pro­tes­tante et fausse de la grâce découle de leur concep­tion du péché ori­gi­nel. Selon Luther, par suite du péché ori­gi­nel, le natu­rel ne reste pas intègre mais est essen­tiel­le­ment et intrin­sè­que­ment cor­rom­pue. Le libre arbitre est tota­le­ment cor­rom­pu et anéan­ti ; l’homme ne peut pas ne pas pécher. Selon Luther, la grâce est certes néces­saire pour obte­nir le salut. Mais elle n’est pas don­née pour que l’homme évite le péché et soit intrin­sè­que­ment jus­ti­fié. Les péchés ne sont pas effa­cés et demeurent dans l’âme du pécheur. La grâce per­met seule­ment que ces péchés ne sont plus impu­tés au pécheur mais seraient comme igno­rés de Dieu et cepen­dant tou­jours bien pré­sents. Finalement le péché serait plus fort que Dieu. La sain­te­té, au sens catho­lique du terme, est inconcevable.

La foi seule : selon les pro­tes­tants, la jus­ti­fi­ca­tion s’opère par la seule foi, celle-​ci étant un acte de confiance aveugle par lequel le croyant est per­sua­dé que Dieu le jus­ti­fie en lui impu­tant les mérites du Christ. Cette jus­ti­fi­ca­tion par la foi seule est liée inti­me­ment avec un autre dogme pro­tes­tant, celui de la pré­des­ti­na­tion : Dieu a déci­dé de sau­ver qui il veut, par sa seule puis­sance, indé­pen­dam­ment de toute acti­vi­té col­la­bo­ra­trice du libre-​arbitre (qui, nous l’avons vu, est tota­le­ment cor­rom­pu selon les pro­tes­tants). Donc, la foi seule suf­fit, sans les œuvres ; ou bien, s’il y a les œuvres, celles-​ci ne sont là que pour attes­ter que Dieu a pré­des­ti­né au Ciel celui qui agit bien.

Dieu seul : les pro­tes­tants ont une fausse concep­tion des rap­ports de l’âme avec Dieu. Tout se passe entre le croyant et Dieu, sans aucun inter­mé­diaire. Pas de hié­rar­chie, pas de com­mu­nion des saints. Le pro­tes­tant est constam­ment illu­mi­né inté­rieu­re­ment par le Saint-​Esprit qui lui donne la convic­tion d’être dans le vrai : en matière reli­gieuse, il n’y a pas d’autorité, pas d’intermédiaire, mais pleine liber­té. La dévo­tion aux saints est impen­sable pour un pro­tes­tant, et le culte ren­du à la Très Sainte Vierge est quelque chose non seule­ment d’inutile mais de blas­phé­ma­toire, dans la mesure où il signi­fie­rait l’insuffisance de l’unique média­tion du Christ.

L’Ecriture seule : puisque, selon les pro­tes­tants, Dieu donne le salut sans pas­ser par les causes secondes, tout croyant pui­se­ra direc­te­ment à l’unique source de la sainte Ecriture, sans avoir besoin de la Tradition orale et de l’interprétation don­née par le Magistère de l’Eglise. C’est le libre exa­men, cette doc­trine essen­tielle aux pro­tes­tan­tismes, selon laquelle le croyant inter­prète lui-​même l’Ecriture, cette inter­pré­ta­tion étant sup­po­sée faite sous l’inspiration du Saint-​Esprit. « Entre les risques de l’autorité, abou­tis­sant aux pri­vi­lèges exor­bi­tants de l’infaillibilité pon­ti­fi­cale, et ceux de la liber­té, abou­tis­sant par­fois aux pri­vi­lèges exces­sifs du libre exa­men, le pro­tes­tan­tisme a choi­si, une fois pour toutes, les risques de la liber­té » (L. Gagnebin, ib.). Paul VI, lui-​même, don­na son avis sur ce prin­cipe infil­trant l’Eglise catho­lique (audience du 24 sep­tembre 1969) : « on pré­tend faire de son juge­ment per­son­nel, ou comme il arrive sou­vent, de son expé­rience sub­jec­tive, ou encore de son ins­pi­ra­tion du moment, le cri­tère qui oriente sa reli­gion ou le canon selon lequel est inter­pré­tée la doc­trine reli­gieuse, comme s’il s’agissait d’un don cha­ris­ma­tique ou d’un souffle pro­phé­tique. […] nous aurions alors un nou­veau libre examen. »

Cela abou­tit à une reli­gion sans dogme fixé, à une liber­té d’opinion totale et à l’anarchie intel­lec­tuelle, à un indi­vi­dua­lisme exa­cer­bé : autant de pro­tes­tan­tismes que de protestants.

Cela abou­tit à une morale toute exté­rieure. La jus­ti­fi­ca­tion ne consiste pas dans une trans­for­ma­tion inté­rieure. Il n’y a pas de vraie ver­tu (prin­cipe inté­rieur de renou­veau), mais seule­ment des actions qui appa­raî­tront exté­rieu­re­ment hon­nêtes selon leur confor­mi­té à un idéal prédéfini.

Pour conclure, nous ferons nôtre ces lignes du théo­lo­gien suisse, le car­di­nal Charles Journet, connais­seur répu­té de la reli­gion de Luther et de Calvin.

« La ten­dance qui a créé le pro­tes­tan­tisme est une ten­dance qui se trouve en cha­cun de nous à l’état latent mais actif ; c’est même une des rai­sons pour les­quelles le pro­tes­tan­tisme nous inté­resse autant. Car le pro­tes­tan­tisme est la pro­tes­ta­tion de la rai­son humaine contre la révé­la­tion divine, de l’autonomie de l’homme contre l’intervention de Dieu, des droits de la nature contre les exi­gences de la sur­na­ture. Et quel est le catho­lique qui ne sent pas dans son cœur des pous­sées de désordre, des souffles d’anarchie qui, s’il ne veillait pas et ne priait, l’entraîneraient fata­le­ment vers le pro­tes­tan­tisme et l’hérésie ? Et l’hérésie est le contraire du chris­tia­nisme » (Charles Journet, L’Esprit du pro­tes­tan­tisme en Suisse, p. 200).

Abbé Thierry LEGRAND, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X