L’Eglise catholique et l’euthanasie

Nous assis­tons depuis quelques années à une offen­sive en faveur de la léga­li­sa­tion de l’eu­tha­na­sie. La méthode est bien connue ; elle a déjà per­mis de faire pas­ser les lois en faveur de l’a­vor­te­ment, du mariage des homo­sexuels et autres lois de la culture de mort. On com­mence par pré­sen­ter un pro­jet de loi à l’as­sem­blée sans espoir de le faire accep­ter mais sim­ple­ment pour don­ner à l’i­dée une cer­taine légi­ti­mi­té et lan­cer le débat. On tra­vaille ensuite à influen­cer l’o­pi­nion en pra­ti­quant la dés­in­for­ma­tion pour don­ner à pen­ser que l’ab­sence d’une loi régle­men­tant cette pra­tique a des consé­quences désas­treuses pour la socié­té ; en publiant des mani­festes de soi-​disant auto­ri­tés morales qui se pro­noncent pour la léga­li­sa­tion de la pra­tique sou­hai­tée et en mon­tant en épingle quelques cas choi­sis pour leur conte­nu émo­tion­nel. Une fois obte­nu un consen­sus en faveur de cette pra­tique, un pro­jet de loi est de nou­veau pré­sen­té aux dépu­tés de l’as­sem­blée natio­nale qui l’a­doptent tout naturellement.

Durant tout ce temps, le débat est volon­tai­re­ment main­te­nu au niveau émo­tion­nel pour semer la confu­sion et empê­cher une ana­lyse sereine des prin­cipes. Il nous faut donc, loin de l’é­mo­tion volon­tai­re­ment pro­vo­quée autour du sujet, ana­ly­ser cal­me­ment et sans pas­sion les prin­cipes régis­sant l’eu­tha­na­sie. Commençons d’a­bord par bien défi­nir les termes pour cla­ri­fier la question.

Définition des termes

De façon géné­rale on parle d’euthanasie pour dési­gner l’acte de mettre fin à la vie d’une per­sonne gra­ve­ment malade.

Euthanasie active et passive

L’euthanasie active est en fait l’euthanasie pro­pre­ment dite : poser un acte qui cause la mort du patient. L’autre s’appelle pas­sive car elle n’attente pas à la vie du « patient » ; elle consiste à ne pas accom­plir un ou plu­sieurs actes néces­saires ou utiles à conser­ver sa vie. Pour faire plus simple et appe­ler les choses par leur nom : l’euthanasie active est le meurtre du « malade », alors que dans le cas de l’euthanasie pas­sive, il s’agit plu­tôt de non-​assistance à per­sonne en danger.

De nom­breux auteurs récusent cette dis­tinc­tion. Pour eux, l’euthanasie s’accomplit aus­si bien par action que par omis­sion à par­tir du moment où il y a inten­tion de mettre un terme à la vie du patient. Nous adop­te­rons cette façon de voir qui nous paraît plus conforme à la réa­li­té et par­le­rons donc d’euthanasie par omis­sion de soins. On dis­tingue alors entre les soins ordi­naires (ali­men­ta­tion par exemple) dont le refus équi­vaut à une eutha­na­sie et les soins extra­or­di­naires qui eux peuvent être légi­ti­me­ment omis. Nous y reviendrons.

Nous uti­li­se­rons donc la défi­ni­tion de Patrick Verspieren qui est conforme à celles des juristes :

« l’euthanasie consiste dans le fait de don­ner sciem­ment et volon­tai­re­ment la mort ; est eutha­na­sique le geste ou l’omission qui pro­voque déli­bé­ré­ment la mort du patient dans le but de mettre fin à ses souffrances. »

Euthanasie et suicide

Quand c’est le patient lui-​même qui décide de mettre fin à ses jours, il ne s’agit plus d’euthanasie mais tout sim­ple­ment de sui­cide. On ne devrait par­ler d’euthanasie que dans le cas où la déci­sion de mettre fin à la vie est prise par un autre que le patient que ce soit la famille ou le méde­cin soignant.

On parle aus­si de sui­cide assis­té quand, à la demande du malade, une tierce per­sonne l’aide à mettre fin à ses jours, ou même la tue direc­te­ment à sa demande. Mais cela reste tou­jours un suicide.

Principe de résolution

L’euthanasie est le meurtre d’un inno­cent et, comme tel, est condam­née par la loi natu­relle et le cin­quième com­man­de­ment de Dieu. Seul Dieu a pou­voir sur la vie qu’il donne et retire selon son bon vou­loir. Il ne cède ce droit aux hommes qu’envers le cou­pable qui devient un dan­ger pour autrui. On peut alors mettre fin à sa vie pour se pro­té­ger. Ce sont les cas de légi­time défense, de guerre et de condam­na­tion à mort pro­non­cé par un tri­bu­nal com­pé­tent. C’est là la seule excep­tion. L’euthanasie concerne des inno­cents et est donc tou­jours intrin­sè­que­ment mau­vaise. Cela est valable quel que soit celui qui décide de l’accomplir : l’état, le pro­chain ou même le propre déten­teur de la vie (sui­cide).

L’état ne peut pré­tendre au droit de vie ou de mort sur ses admi­nis­trés. « Certes l’individu est une par­tie qui doit coopé­rer au bien du tout, mais d’un autre côté il trans­cende ce tout par sa digni­té de per­sonne et sa des- tinée éter­nelle ! Dès lors la socié­té ne peut « se débar­ras­ser des inutiles » sans som­brer pro­pre­ment dans le tota­li­ta­risme qui fait du « tout » un abso­lu. » Mgr Bernard Tissier de Mallerais dans le Respect de la vie, édi­tions Fideliter, p. 112.

Ce prin­cipe condamne aus­si le sui­cide qu’il soit « assis­té » ou non car, comme le dit Saint Augustin, « celui qui se tue n’est-il pas le meur­trier d’un homme ? ». « La vie, dit Saint Thomas d’Aquin, est un don de Dieu concé­dé à l’homme, et qui demeure tou­jours sou­mis au pou­voir de Celui qui « fait vivre et mou­rir » (Deut. XXXII, 39). Aussi qui­conque se prive lui-​même de la vie pèche contre Dieu, abso­lu­ment comme pèche (…) celui qui s’arroge le droit de juger une cause qui ne relève pas de sa juri­dic­tion. Décider de la mort ou de la vie n’appartient qu’à Dieu seul. » (IIa IIae, Q. 64, a. 5)

Réponses à quelques objections

Face à l’universalité de ce prin­cipe pro­té­geant la vie de l’innocent, les par­ti­sans de l’euthanasie réclament une excep­tion qui serait d’après eux jus­ti­fiée par le sou­cis d’éviter aux malades soit des souf­frances into­lé­rables, soit une perte de digni­té insup­por­table. Avant de répondre sépa­ré­ment à ces deux objec­tions, notons d’abord que le meurtre d’un inno­cent est un acte intrin­sè­que­ment mau­vais. Il ne peut donc y avoir d’exception car il n’est jamais per­mis de faire le mal même en vue d’un bien.

Des souffrances intolérables

L’euthanasie, nous dit-​on, aurait pour but d’éviter aux malades de grandes souf­frances, souf­frances inutiles puisque sa mala­die est incu­rable. Ces pro­pos sont ten­dan­cieux. Ils laissent entendre que les souf­frances du malade ne peuvent être sou­la­gées et que l’euthanasie est la seule façon d’y mettre fin. Or, cela est faux. De nom­breux méde­cins affirment le contraire. Tel le pro­fes­seur Julien Israël, can­cé­ro­logue et membre de l’académie des sciences morales et poli­tiques qui écrit : « Il n’y a aucune dou­leur, aucune souf­france phy­sique, que la méde­cine aujourd’hui ne puisse contrô­ler et apai­ser. Je vous assure qu’une com­bi­nai­son de soins locaux, de soins géné­raux et d’anti-dépresseurs per­met au patient de ne pas souffrir. »

Certes, il y a encore beau­coup à faire en France pour pro­cu­rer adé­qua­te­ment ces soins à tous les malades. Mais alors, la solu­tion n’est-elle pas dans une amé­lio­ra­tion de cette situa­tion par le déve­lop­pe­ment des soins pallia- tifs ? L’euthanasie est une réponse tota­le­ment dis­pro­por­tion­née aux souf­frances du malade qui d’ailleurs ne la sou- haite géné­ra­le­ment pas. Le doc­teur Théo Klein affirme que « les malades qui demandent réel­le­ment la mort sont extrê­me­ment rares et, une fois leurs maux sou­la­gés ne réitèrent pas une telle demande.

Cette demande vient le plus sou­vent de l’entourage qui, ayant une fois admis que la fin est iné­luc­table, veut que cela se ter­mine au plus vite. C’est pour se pro­té­ger eux-​mêmes d’une image qui leur déplaît, qu’ils demandent qu’on sup­prime l’autre. » (Cahiers Saint Raphaël, N° 59, Juin 2000, p. 39) . Il n’est certes pas facile d’assister impuis­sant au dépé­ris­se­ment d’un être cher ; l’entourer et le sou­te­nir demandent un grand inves­tis­se­ment à la fois émo­tion­nel et maté­riel ; mais peut-​on pour autant le pri­ver de ses der­niers ins­tants de vie en met­tant pré­ma­tu­ré­ment fin à celle-​ci ? C’est choi­sir égoïs­te­ment la solu­tion de faci­li­té ; pour évi­ter d’avoir à faire face au pro­blème, on le fait dis­pa­raître. L’euthanasie est-​elle au ser­vice du malade ou de son entou­rage et de la socié­té ? La ques­tion mérite d’être posée. On est bien loin en tous cas des belles inten­tions avan­cées par les pro­mo­teurs de l’euthanasie.

Ajoutons aus­si que ces pro­pos dénient toute valeur à la souf­france ce qu’un chré­tien ne peut accep­ter. La pas- sion de Notre-​Seigneur Jésus Christ lui enseigne que la souf­france offerte à Dieu en sou­mis­sion à sa volon­té a une grande valeur à ses yeux. Elle per­met au malade de répa­rer les erre­ments de sa vie en expiant ses péchés. L’une des fins du sacre­ment des malades est d’ailleurs d’aider ceux-​ci à sup­por­ter leurs souf­frances dans cet état d’esprit au lieu de cher­cher à les fuir à tout prix.

La souf­france peut aus­si être mer­veilleu­se­ment féconde. Dieu nous l’a ensei­gné par l’exemple de plu­sieurs saints tel Sainte Rafqa (1832 ‑1914). A l’âge de 53 ans, sa vie devint un véri­table cal­vaire qui allait durer 29 ans. Elle se mit à endu­rer des dou­leurs atroces à la tête et aux yeux au point de ne plus sup­por­ter la lumière et devint com­plè­te­ment aveugle en 1899. A par­tir de 1906, ses os se dis­lo­quèrent un à un. En 1911, elle n’était plus qu’un tas d’os que ses sœurs (elle était reli­gieuse) dépla­çaient dans un drap de peur que ses os dis­lo­qués ne tombent. Elle vécut ain­si pen­dant trois ans sans jamais se plaindre. Sa foi l’aida à trou­ver un sens à sa vie de souf­france qu’elle sut rendre extrê­me­ment féconde par les grâces obte­nues de Dieu. Aujourd’hui, notre socié­té moderne lui propose- rait de mettre fin à sa vie jugée inutile et sans valeur, est ce vrai­ment un progrès ?

Une insupportable perte de dignité

Les par­ti­sans de l’euthanasie reven­diquent ce qu’ils appellent le droit de mou­rir au nom du res­pect de la digni­té de la per­sonne qui serait com­pro­mise par un état insup­por­table de déchéance phy­sique et men­tale cau­sé par la mala­die. Mais la digni­té de la per­sonne humaine ne se juge pas à ses fonc­tions bio­lo­giques. Elle ne se perd pas par une dimi­nu­tion des capa­ci­tés phy­siques. « La vie ter­restre trouve son sens dans la vie éter­nelle ; même souf­frante ou incons­ciente, la per­sonne conserve sa digni­té d’être créé à l’image et à la res­sem­blance de Dieu, la digni­té d’un « être d’éternité ». C’est pour­quoi, dit Pie XII (aux méde­cins chi­rur­giens, 13.02.1945), « le méde­cin mépri­se­ra toute sug­ges­tion qui lui sera faite de détruire la vie, si frêle et si humai­ne­ment inutile que cette vie puisse paraître ». »

Le refus de soins

L’euthanasie peut aus­si se réa­li­ser par l’omission des soins néces­saires à la conser­va­tion de la vie. Pie XII nous explique dans quelle mesure cette omis­sion est coupable :

« La rai­son natu­relle et la morale chré­tienne disent que l’homme (et qui­conque est char­gé de prendre soin de son sem­blable) a le droit et le devoir, en cas de mala­die grave, de prendre les soins néces­saires pour conser­ver la vie et la san­té. Ce devoir, qu’il a envers lui-​même, envers Dieu, envers la com­mu­nau­té humaine, et le plus sou­vent cer­taines per­sonnes déter­mi­nées, découle de la cha­ri­té bien ordon­née, de la sou­mis­sion au Créateur, de la jus­tice sociale et même de la jus­tice stricte, ain­si que de la pié­té envers sa famille mais il n’oblige habi­tuel­le­ment qu’à l’emploi des moyens ordi­naires (sui­vant les cir­cons­tances de per­sonnes, de lieux, d’époques, de culture), c’est-à-dire des moyens qui n’imposent aucune charge extra­or­di­naire pour soi-​même ou pour un autre.

Une obli­ga­tion plus sévère serait trop lourde pour la plu­part des hommes, et ren­drait trop dif­fi­cile l’acquisition de biens supé­rieurs plus impor­tants. La vie, la san­té, toute acti­vi­té tem­po­relle, sont en effet subordon- nées à des fins spirituelles.

Par ailleurs, il n’est pas inter­dit de faire plus que le strict néces­saire pour conser­ver la vie et la san­té, à condi­tion de ne pas man­quer à des devoirs plus graves. » (Pie XII, Allocution du 24 novembre 1957)

Les dangers d’une loi sur l’euthanasie

Porte ouverte à tous les abus

Admettre ne serait ce qu’une excep­tion à un prin­cipe, c’est le remettre en ques­tion et ouvrir la porte aux abus. Il sera vite bafoué pour la moindre rai­son. Tel fut le cas avec l’avortement qui fut accep­té comme une excep­tion au prin­cipe du res­pect de la vie de l’innocent. Il ne fut d’abord auto­ri­sé que pour répondre à une situa­tion excep­tion­nelle. Il est désor­mais entré dans les mœurs au point d’être recon­nu comme un droit de la femme. « Une telle dérive ne sau­rait épar­gner la pra­tique de l’euthanasie dans une socié­té où la lon­gé­vi­té s’accroît régu­liè­re­ment avec ses souf­frances et mul­tiples dépen­dances, ce qui pèse­ra de plus en plus sur le bud­get de la Santé, d’où cer­taines tentations… »

Incitation au suicide

Il est à craindre qu’une loi auto­ri­sant l’euthanasie ou même seule­ment le sui­cide assis­té devienne une véri­table inci­ta­tion au suicide.

En effet, il faut savoir qu’un grand malade passe par des périodes de pro­fond déses­poir sou­vent accom­pa­gné de ten­ta­tions de sui­cide. La pra­tique habi­tuelle face à une per­sonne à ten­dances sui­ci­daires (pri­son­nier, malade psy­chia­trique) est d’éloigner de lui tout ins­tru­ment qui lui per­met­trait d’attenter à sa vie et de le sur­veiller pour l’empêcher de pas­ser à l’acte. Ici, non seule­ment, on ne fait rien de tout cela, mais encore on pro­pose au malade toute l’assistance néces­saire pour réus­sir son suicide.

Le malade est aus­si très sen­sible au fait qu’il devient une charge pour son entou­rage. Il sera donc particuliè- rement vul­né­rable aux pres­sions de celui-​ci qui pour­ra être ten­té de l’encourager à pro­fi­ter d’une telle loi. Il coûte cher à la socié­té ; il est un far­deau pour ses proches ; et tout cela pour quoi : pro­lon­ger de quelques jours une vie dont il ne peut plus pro­fi­ter. Ne serait-​il pas pré­fé­rable pour tout le monde, lui com­pris, s’il se déci­dait à mettre fin à tout cela sans plus tarder ?

Conclusion

L’euthanasie est le meurtre d’un inno­cent. Comme tel, elle est intrin­sè­que­ment mau­vaise et n’est donc jamais per­mise. Sa léga­li­sa­tion serait un pas de plus dans la reven­di­ca­tion de la liber­té abso­lue de la per­sonne humaine qui doit être à même de « choi­sir sa vie, choi­sir sa mort » (thème du congrès tenu par l’ADMD – asso­cia­tion pour le droit de mou­rir dans la digni­té, Nice, 21–23.09.1984) Elle affir­me­rait ain­si sa liber­té – même face à Dieu – en ne se lais­sant pas impo­ser une mort à subir contre son gré.

Abbé François Castel, prêtre de la fSSPX

Extrait de La Sainte Ampoule n° 153 de juin 2007