Intégristes : Pourquoi le Pape a‑t-​il pris tant de risques ?- 9 mars 2009


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Intégristes : Pourquoi le Pape a‑t-​il pris tant de risques ?

Si l’efficacité d’une action poli­tique se mesure au bruit média­tique qu’elle pro­voque, la levée de l’excommunication du pape Benoît XVI a atteint son objec­tif, d’une manière il est vrai dont l’intéressé se serait sans doute pas­sé. Il faut dire que le diable s’en est mêlé : ce qui n’aurait dû n’être au départ qu’une affaire de sacris­tie a pris une toute autre dimen­sion avec les pro­pos absurdes – et conco­mi­tants – de l’un des quatre évêques concer­nés, niant l’extermination des juifs par Hitler (1).

Par Roland HUREAUX

On peut certes se deman­der ce qu’allait faire à ce moment là sur une télé­vi­sion sué­doise un évêque schis­ma­tique anglais vivant en Argentine. Mais, mani­pu­la­tion ou pas, des pro­pos scan­da­leux ont bien été tenus et même s’il ne les connais­sait pas (2) quand il a pris sa déci­sion le pape ne pou­vait igno­rer com­plè­te­ment les idées de cet individu.

Le confi­ne­ment social, poli­tique et intel­lec­tuel où vivent depuis de nom­breuses années les tra­di­tion­na­listes de la mou­vance de Mgr Lefebvre a lais­sé pros­pé­rer de sombres fan­tasmes. Nul doute qu’en levant l’excommunication, le Pape a vou­lu remettre dans les cou­rants d’air la vieille tour gothique. Cela ne plait géné­ra­le­ment pas à tous ceux qui l’habitent. Et de la tour ain­si éven­tée, si l’on nous par­donne cette image à la Walt Disney, ne sur­git pas tou­jours la Belle au bois dor­mant : d’étranges chéi­ro­ptères peuvent aus­si en sor­tir bruyam­ment – nous par­lons des idées, non des hommes, même si ceux-​ci sont hau­te­ment blâmables.

Fallait-​il pour autant que le pape s’abstint ?

S’il ne s’agissait pour lui que de réduire le schisme lefé­vriste, peut-​être. D’autant que l’ abou­tis­se­ment de l’opération est encore loin : nul n’ignore en effet que la levée de l’excommunication – une sanc­tion que mal­heu­reu­se­ment le droit canon n’a pas pré­vu pour la bêtise ! – est une mesure d’indulgence qui n’implique nul­le­ment la réin­té­gra­tion immé­diate dans l’Eglise et encore moins que la moindre res­pon­sa­bi­li­té soit confiée aux intéressés.

Il faut évi­dem­ment écar­ter les allé­ga­tions stu­pides qui vou­draient voir là l’effet d’une péné­tra­tion de l’extrême droite dans l’Eglise ou encore l’insinuation pro­pre­ment odieuse que le pape alle­mand aurait lui-​même des relents anti­sé­mites. Tout ce qu’il a écrit le dément et Joseph Ratzinger n’a pas sûre­ment pas oublié com­ment il fut chas­sé à quinze ans, à coup de pieds et sous les quo­li­bets d’un corps de garde SS quand il leur eut fait part de son refus de les rejoindre et de son pro­jet d’entrer dans les ordres.

Orient et Occident

On ne peut en réa­li­té com­prendre cette ini­tia­tive à haut risque qu’en la situant dans le des­sein bien plus vaste qui est celui de Benoît XVI.

Le grand objec­tif de son pon­ti­fi­cat est le rap­pro­che­ment avec l’orthodoxie. A l’instar de Jean Paul II, il la tient pour le pou­mon orien­tal de la chré­tien­té euro­péenne dont la sépa­ra­tion lui paraît contre nature. Mais il ne souffre pas du han­di­cap qui obé­rait toutes les ten­ta­tives de son pré­dé­ces­seur : il n’est pas polo­nais, tare rédhi­bi­toire, semble-​t-​il, pour un russe. L’aboutissement de ce vaste des­sein remet­trait sans doute en cause un ordre géo­po­li­tique domi­né depuis long­temps par le « Nord-​Ouest » anglo-​saxon et pro­tes­tant (2). Un tel pro­jet rompt notam­ment avec la géo­gra­phie d’un Samuel Huntington pour qui dans sa théo­rie du « choc des civi­li­sa­tions », une césure majeure sépare l’Ouest catho­lique et réfor­mé de l’Est ortho­doxe. Si la guerre de Yougoslavie a paru vali­der cette divi­sion, les théo­lo­giens ne l’acceptent pas, consi­dé­rant que les dif­fé­rences entre catho­liques et pro­tes­tants sont mineures à côté de celles qui séparent Rome de la Réforme.

On ne com­pren­drait pas sans une telle pers­pec­tive la modé­ra­tion de l’attitude du Saint-​Siège lors de l’affaire de Georgie. Pas davan­tage son obs­ti­na­tion à réduire le schisme traditionnaliste.

Comment en effet pré­tendre se récon­ci­lier avec ceux qui ont arrê­té le temps au XIe siècle, si l’on n’est pas, dans son propre pré car­ré, capable de le faire avec ceux qui l’ont arrê­té au XVIe ? C’est , n’en dou­tons pas, ce que des ortho­doxes ont dit au pape, sûre­ment pas dans ces termes d’ailleurs. En sus de sa por­tée géo­po­li­tique, une telle pro­blé­ma­tique illustre ce que sont les nou­veaux che­mins de l’œcuménisme. Pour les tenants « pro­gres­sistes » de ce der­nier, qui tenaient le haut du pavé dans l’Eglise dans les années soixante et soixante-​dix, l’interlocuteur pri­vi­lé­gié était, même si cela n’était pas dit ouver­te­ment, le pro­tes­tan­tisme libé­ral. Le pro­gramme pro­po­sé au catho­li­cisme, dans la suite de Vatican II, n’était d’ailleurs pour beau­coup d’entre eux que de lui res­sem­bler de plus en plus.

Cette voie a‑t-​elle encore un sens ? On peut se le deman­der au vu de l’évanescence de l’interlocuteur, lar­ge­ment débor­dé par une mou­vance « évan­gé­liste » bien plus obs­cu­ran­tiste sur les ques­tions de science que Rome ne le fut jamais. L’évolution affli­geante d’un Mgr Williamson illustre à sa manière la déli­ques­cence de l’anglicanisme.

Le pro­tes­tan­tisme, qui avait pour­tant trou­vé son équi­libre pen­dant cinq siècles, appa­raît aujourd’hui comme une molé­cule instable : cer­tains par­mi les plus enga­gés, comme Frère Roger, ancien prieur de Taizé ou le père Viot, ancien évêque luthé­rien de Paris, rejoignent le catho­li­cisme. Mais la plu­part se déco­lorent au point de sem­bler de plus en plus sécu­la­ri­sés(3).

La même chose arrive d’ailleurs au sein du catho­li­cisme. Dans le repli géné­ral de la foi, l’aile « gauche » s’effrite le plus vite. Martine Aubry avait le droit de mani­fes­ter en 1995 avec la Libre pen­sée contre la venue du pape à Reims, mais elle ne sau­rait pré­tendre comme son père Jacques Delors, authen­tique chré­tien de gauche, être un conseiller écou­té de l’épiscopat fran­çais. Il ne faut pas cher­cher ailleurs le sen­ti­ment d’une droi­ti­sa­tion de l’Eglise – qui n’a rien à voir avec une sup­po­sée prise de contrôle par l’extrême droite.

Si elle veut encore faire pro­gres­ser l’unité des Eglises, l’Eglise catho­lique n’a donc pas le choix : ce n’est plus à des libé­raux qu’elle a à faire désor­mais. Les uns sont cris­pés sur telle ou telle forme de rituel, les autres sur une inter­pré­ta­tion lit­té­rale de la Bible, en par­ti­cu­lier du récit de la Création, que même saint Augustin, au IVe siècle écar­tait. Même si, par rap­port à cer­tains, comme les ortho­doxes, les vraies diver­gences appa­raissent mineures au pro­fane, le rap­pro­che­ment n’en est que plus dif­fi­cile. Les reli­gions non chré­tiennes, avec les­quelles le dia­logue conti­nue, sont elles-​mêmes le plus sou­vent atta­chées à dif­fé­rentes formes de lit­té­ra­lisme. Littéralisme que le pape a pré­ci­sé­ment pris à contre­pied dans son dis­cours des Bernardins en rap­pe­lant que dans la grande tra­di­tion euro­péenne, pour sacré qu’il fut, tout texte appe­lait une interprétation.

En ten­dant la main aux lefeb­vristes, le pape Benoît XVI a pris un risque consi­dé­rable. S’il a cru devoir le faire, c’est que l’enjeu pour lui était bien davan­tage qu’une affaire de chapelle.

Roland Hureaux in France Catholique

1. Quoique fort réac­tion­naires eux aus­si, les trois autres s’en sont désolidarisés.

2. On ne sau­rait mettre en doute la bonne foi du pape quand il affirme ne pas avoir été au cou­rant de ces pro­pos avant la signa­ture de la levée d’excommunication. Cela vaut-​il cepen­dant pour tous les membres de la Curie ?

3. Est-​ce pour­quoi l’offensive contre le pape est par­tie du Spiegel, le grand heb­do­ma­daire de Hambourg ? Le pro­tes­tan­tisme de l’Allemagne du Nord est aujourd’hui lar­ge­ment sécu­la­ri­sé. Les résul­tats des élec­tions de 1932 et 1933 montre qu’il résis­ta moins bien au nazisme que la Bavière catholique.