Sermon de Mgr Lefebvre – 19e dimanche après la Pentecôte – Ordination abbé Kocher – 24 septembre 1978

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

J’adresserai quelques mots avant cette belle céré­mo­nie, par­ti­cu­liè­re­ment à notre cher frère, qui, dans quelques ins­tants, va rece­voir la consé­cra­tion sacer­do­tale. Car si cette ordi­na­tion a lieu aujourd’hui, à une date à laquelle nous n’avons pas cou­tume de don­ner des ordi­na­tions, c’est pré­ci­sé­ment que le cas de notre cher frère est tout particulier.

Et il est bien un signe de ce que nous souf­frons aujourd’hui.

Saint Paul, dans son Épître aux Galates, leur adresse ces paroles :

« Pourquoi êtes-​vous pas­sés si faci­le­ment à un autre évan­gile ? Parce que des apôtres sont pas­sés au milieu de vous ; des pré­di­ca­teurs sont pas­sés au milieu de vous, et ont trou­blé vos consciences. Eh bien je vous dis que si nous-​même ou si un ange des­cen­dant du Ciel vous annon­çait un autre évan­gile que celui qui vous a été prê­ché, qu’il soit anathème ».

Et je vous répète, dit saint Paul, si quelqu’un vous annonce un autre évan­gile que celui que vous avez appris, qu’il soit anathème.

« Vous ai-​je prê­ché, » dit-​il encore, « vous ai-​je prê­ché au nom des hommes ou au nom de Dieu ? Ai-​je cher­ché à plaire aux hommes ? Si j’avais cher­ché à plaire aux hommes, » dit saint Paul, « je ne serais pas le ser­vi­teur de Notre Seigneur Jésus-Christ ».

Eh bien je pense, mon cher frère, que c’est cela qui a déter­mi­né votre choix dou­lou­reux, de tout quit­ter. De quit­ter votre famille reli­gieuse, où vous avez pas­sé des années – disons-​le, j’en suis cer­tain – heu­reuses. Attaché à vos frères, atta­ché à cette famille, atta­ché à vos supé­rieurs qui repré­sen­taient pour vous Notre Seigneur Jésus-​Christ, atta­ché à toutes les tra­di­tions de votre socié­té, cette si belle socié­té des Pères maristes qui ont édu­qué tant et tant de géné­ra­tions dans la foi de Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans l’amour de Notre Seigneur. Et voi­là qu’en effet, des pré­di­ca­teurs nou­veaux sont pas­sés au milieu de nous, dans votre socié­té comme ils sont pas­sés par­tout. Ils nous ont don­né un autre évan­gile ; ils nous ont don­né un autre caté­chisme ; ils nous ont don­né une autre Bible ; ils nous ont don­né d’autres mis­sels. Ils vous ont don­né, mon cher frère, d’autres constitutions.

Et c’est alors que le cœur de ceux qui sont fidèles à la foi de Notre Seigneur Jésus-​Christ, sont obli­gés de se deman­der : Mais ces consti­tu­tions, mais cet évan­gile, mais ce caté­chisme, mais cette Bible qu’on nous donne, sont-​ils vrai­ment conformes à ce qui nous a été enseigné ?

Et nous sommes obli­gés de nous convaincre – mal­gré notre dou­leur –, mal­gré le désir d’être en confor­mi­té avec nos supé­rieurs – nous sommes obli­gés de consta­ter qu’il n’en est rien. Que ce qui nous est don­né, n’est plus conforme à ce pour­quoi nous sommes entrés dans nos congré­ga­tions reli­gieuses ; qu’elles ne sont plus conformes aux pro­messes de notre bap­tême ; qu’elles ne sont plus conformes à l’Évangile qui nous a été enseigné.

Alors, nous sommes obli­gés de conclure avec saint Paul : Eh bien, que si un ange du Ciel venait nous annon­cer un autre évan­gile, qu’il soit ana­thème. Par consé­quent, je ne puis pas accep­ter ce nou­vel évan­gile. Je suis obli­gé de quit­ter mes frères ; de quit­ter ma congré­ga­tion ; de quit­ter ceux que j’ai tant aimés ; de les quit­ter pour res­ter fidèle aux pro­messes de mon bap­tême ; pour être fidèle aux consti­tu­tions reli­gieuses sur les­quelles j’ai prê­té ser­ment et que j’ai prê­té ser­ment de les obser­ver jusqu’à la fin de mes jours. Je veux être fidèle à ces consti­tu­tions, à ces vœux que j’ai pro­non­cés, à cette obéis­sance, obéis­sance d’abord à Notre Seigneur Jésus-​Christ, obéis­sance à ma foi. Car c’est la pre­mière des obéis­sances : notre foi, obéir à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et alors, après avoir tant réflé­chi, tant prié mon cher frère, com­bien de fois vous êtes venu ici, com­bien de fois vous avez écrit, écrit à Rome ; vous avez été faire des démarches jusqu’à Rome, jusqu’au Secrétaire de la Congrégation des reli­gieux. Vous l’avez consul­té. Deux fois vous êtes mon­té à Rome, pour deman­der des lumières à ceux qui auraient dû vous en donner.

Et enfin, vous avez pris votre déci­sion, cou­ra­geu­se­ment, fer­me­ment, devant le Bon Dieu. Eh bien, la parole de l’Évangile qui nous dit : Diligentibus Deum omni coope­ran­tur in bonum (Rm 8,28) : « Pour ceux qui aiment Dieu tout coopère au bien ». Eh oui, nous le consta­tons aujourd’hui, mon cher frère : Pour ceux qui aiment Dieu, tout coopère au bien.

Voici qu’après avoir pas­sé deux années à Weissbad, vous dévouant auprès de la jeu­nesse qui se pré­pare au sacer­doce, voi­ci que le Bon Dieu Lui-​même vous a appe­lé. Vous a appe­lé comme un ser­vi­teur de la der­nière heure, mais il vous appelle pour mon­ter aus­si à l’autel, pour vous joindre à ceux qui ont la grâce du sacer­doce. Grâce incom­pa­rable, grâce ines­ti­mable, grâce inef­fable que de mon­ter à l’autel et de pro­non­cer les paroles de la Consécration, de conti­nuer le Sacrifice du Calvaire, au milieu des géné­ra­tions pré­sentes et de faire des­cendre sur ces géné­ra­tions des grâces innom­brables, des béné­dic­tions infi­nies et des grâces de sanc­ti­fi­ca­tion que nous ne pou­vons pas soup­çon­ner. Et c’est ce que vous allez faire bientôt.

Alors tous ensemble, nous prions, tous ensemble nous louons Dieu, nous remer­cions Dieu de ces épreuves. Nous l’avons vu au cours de cette retraite. Nous avons vu que plus la grâce est grande et plus la croix est pesante. Notre Seigneur nous en a don­né l’exemple. Personne n’a reçu une grâce aus­si grande que Notre Seigneur Jésus-​Christ. Personne n’a souf­fert comme Notre Seigneur Jésus-​Christ. Personne après Notre Seigneur n’a reçu une grâce aus­si grande que la très Sainte Vierge Marie et per­sonne n’a souf­fert autant que la très Sainte Vierge Marie après Notre Seigneur Jésus-Christ.

Eh bien, cette grâce qui vous est don­née, sort de la Croix aus­si, mon bien cher frère, pour vous. La croix est lourde de quit­ter votre famille reli­gieuse, mais à cette croix est atta­chée la grâce du sacer­doce. Louons Dieu. Remercions Dieu. Remerciez la très Sainte Vierge Marie de qui vient toute grâce, car elle est bien Marie média­trice et avec elle, vous serez sous sa pro­tec­tion, sous son égide, sous sa mater­ni­té. Vous serez le prêtre de Notre Seigneur Jésus-​Christ et vous conti­nue­rez à édu­quer la jeu­nesse comme vous l’avez fait durant toute votre vie. Mais vous le ferez désor­mais avec une grâce encore supé­rieure, avec la grâce du sacer­doce, rem­pli encore davan­tage des dons du Saint-Esprit.

Alors nous allons prier de tout cœur, nous tous ici pré­sents qui vous entou­rons de notre affec­tion – vos parents, vos amis, qui sont venus – tous ceux qui sont ici, tous ceux qui du haut du Ciel ont été vos confrères dans votre congré­ga­tion, tous ceux-​là vont prier ensemble pour deman­der à Dieu de vous rem­plir des dons du Saint-Esprit.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.