M. l’abbé Guy Castelain, AumônierGénéral de la Confrérie Marie Reine des cœurs
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
Chers pèlerins, nous voici réunis, ici, à Chartres, pour notre pèlerinage annuel, sous le patronage de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, dont nous commémorons le troisième centenaire de la mort et de l’entrée au ciel.
Durant l’été 1699, Louis Grignion, qui était alors séminariste à Paris, fut désigné par ses Supérieurs pour accomplir le pèlerinage à Notre-Dame de Chartres et représenter le séminaire de Saint-Sulpice aux pieds de Notre-Dame. Après son pèlerinage ici, à Chartres, Montfort s’en est retourné à pied à Paris. On ne rentrait pas en train ou en autocar, à l’époque ! C’est donc en quelque sorte en compagnie de saint Louis-Marie que nous allons faire ce pèlerinage 2016 sur son trajet du retour.
Chers pèlerins, que nous dit le Père de Montfort du haut du ciel ? Que nous enseigne-t-il ? Que nous prêche-t-il ? Ecoutez donc sa prédication toujours d’actualité :
« Voilà deux partis qui se présentent tous les jours : celui de Jésus-Christ et celui du monde. Celui de Notre-Dame, de notre aimable Sauveur, est à droite, en montant, dans un chemin étroit et rétréci plus que jamais par la corruption du monde. Ce bon Maître y est en tête, marchant les pieds nus, la tête couronnée d’épines, le corps tout ensanglanté et chargé d’une lourde croix. Et il n’y a qu’une poignée de gens, mais des plus vaillants, à le suivre. » « A gauche est le parti du monde ou du démon, lequel est le plus nombreux, le plus magnifique, le plus brillant, du moins en apparence. Tout le beau monde y court, on y fait presse, quoique que les chemins soient larges et plus élargis que jamais par la multitude qui y passe comme des torrents ; ils sont jonchés de fleurs, bordés de plaisir et de jeux, couverts d’or et d’argent. »
« A droite, le petit troupeau qui suit Jésus-Christ ne parle que de larmes, de pénitences, d’oraisons et de mépris du monde ; on entend continuellement ces paroles entrecoupées de sanglots : »Souffrons, pleurons, jeûnons, prions, cachons-nous, humilions-nous, appauvrissons-nous, mortifions-nous, car celui qui n’a pas l’esprit de Jésus-Christ, qui est un esprit de croix, n’est point à lui. Il faut être conforme à l’image de Jésus-Christ ou être damné. Courage, s’écrient-ils, courage ! Un moment d’une légère tribulation produit un éternel poids de gloire… » Voilà donc une partie des paroles divines dont les Amis de la Croix -dont vous faites partie- s’animent mutuellement. »
« Les mondains, au contraire, pour s’animer à persévérer dans leur malice sans scrupule, crient tous les jours : »La vie, la vie ! La paix, la paix ! La joie, la joie ! Mangeons, buvons, chantons, dansons, jouons ! Dieu est bon, Dieu ne nous a pas faits pour nous damner ; Dieu ne défend pas de se divertir ; nous ne serons pas damnés pour cela ; point de scrupule, nous ne mourrons pas ! Etc. » »
En venant faire ce pèlerinage, vous avez choisi le bon parti, vous avez choisi le bon camp, le bon étendard ! Vous avez choisi de suivre Montfort, à la suite de Jésus-Christ. Bravo, chers pèlerins, félicitations et courage.
Chers pèlerins, qu’est-ce que Montfort nous invite à faire durant ces trois jours ? Qu’est-ce qu’il nous invite à changer ? Ce qu’il a cherché lui-même toute sa vie : la divine Sagesse, et cette Sagesse, c’est Jésus-Christ lui-même, la Sagesse éternelle incarnée. Et comment ferons-nous pour chercher cette Sagesse ? Quelles dispositions devons-nous donc avoir pour ce périple spirituel ? Et bien Montfort nous le dit dans son livre sur Jésus-Christ, L’Amour de la Sagesse éternelle. Tout d’abord, il vous faut, il nous faut, un grand désir, un grand désir d’obtenir la Sagesse, c’est-à-dire l’union à Jésus-Christ, et il faut, dit-il, que ce désir soit « sincère, en gardant fidèlement les commandements de Dieu, car il y a une infinité de fols et de paresseux qui ont mille désirs, ou plutôt mille velléités du bien, mais qui ne [leur] faisant point quitter le péché ni se faire violence, sont des désirs faux, trompeurs, et qui tuent et qui damnent. » Vous aurez donc durant ces trois jours, à vous approcher du sacrement de confession, pour reprendre les commandements de Dieu comme règle de vie, si par malheur vous les aviez abandonnés. Car c’est une condition sine qua non pour obtenir cette Sagesse.
Deuxièmement, pour avoir cette Sagesse, il nous faudra pratiquer la prière continuelle :
« La prière, dit le Père Grignion, est le canal ordinaire par lequel Dieu communique ses grâces, particulièrement sa Sagesse. Ecoutons ce que dit la Sagesse elle-même : »Cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira, demandez et l’on vous donnera. Comme si elle disait : Si vous voulez me trouver, il faut me chercher ; si vous voulez entrer dans mon palais, il faut frapper à ma porte ; si vous voulez me recevoir, il faut me demander. Personne ne me trouve s’il ne me cherche ; personne n’entre chez moi s’il ne frappe à ma porte ; personne ne m’obtient s’il ne me demande, et tout se fait par la prière. »
Et quelle prière ferons-nous, chers fidèles, pour obtenir la Sagesse ? Et bien, nous prierons et méditerons le très saint Rosaire pour se convertir et se sauver. Car Montfort affirme qu’il « ne trouve rien de plus puissant pour attirer le Règne de Dieu, la Sagesse éternelle, au-dedans de nous, que de joindre l’oraison vocale à la mentale, en récitant le saint Rosaire et en méditant les quinze mystères qu’il renferme. »
Troisièmement, Montfort nous demande une mortification universelle.
« La Sagesse, dit le Saint-Esprit, ne se trouve point chez ceux qui vivent à leur aise, qui donnent à leurs passions et leurs sens tout ce qu’ils désirent, car ceux qui marchent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu, et la sagesse de la chair est ennemie de Dieu. Tous ceux qui sont à Jésus-Christ, la Sagesse incarnée, ont crucifié leur chair avec ses désirs et ses concupiscences. Ils portent actuellement et toujours la mortification de Jésus dans leur corps. Ils se font une continuelle violence et portent leurs croix tous les jours. Voilà les paroles du Saint-Esprit, dit le Père de Montfort, qui sont plus claires que le jour. Pour voir la Sagesse incarnée, Jésus-Christ, pour la voir, il faut pratiquer la mortification, le renoncement au monde et à soi-même. » Et il insiste : « Ne vous imaginez pas que cette Sagesse, plus pure que les rayons du soleil, entre en une âme et un corps souillés par les plaisirs des sens. Ne croyez pas qu’elle donne son repos, sa paix ineffable, à ceux qui aiment les compagnies et les vanités du monde. » Je ne donne ma manne, dit la Sagesse, qu’à ceux qui sont victorieux du monde et d’eux-mêmes. » »
Si vous avez quitté le monde pour trois jours, chers pèlerins, si vous avez quitté votre confort habituel et vos aises quotidiennes, si vous venez marcher trois jours sous le soleil ou sous la pluie, si vous venez bivouaquer dans une tente et dormir à la dure, c’est, je n’en doute pas, que vous êtes convaincus que le pèlerinage vous aidera à remplir cette troisième condition pour obtenir la Sagesse, à savoir cette mortification universelle. Alors, courage et confiance, quelles que soient les difficultés de ces trois jours.
Quatrièmement, Montfort nous dit que « le plus grand des moyens, le plus merveilleux de tous les secrets pour acquérir et conserver la Sagesse », c’est « une tendre et véritable dévotion à la Sainte-Vierge. » Pour quelle raison ? Et bien, il le dit :
« Il n’y a jamais eu que Marie qui ait trouvé grâce devant Dieu, pour soi et pour tout le genre humain, et qui ait le pouvoir d’incarner et de mettre au monde la Sagesse éternelle. Et il n’y a encore qu’elle qui, par l’opération du Saint-Esprit, ait le pouvoir de l’incarner, pour ainsi dire, dans les prédestinés. » Saint Louis-Marie nous dit que « Marie est l’aimant sacré qui, étant dans un lieu, y attire si fortement la Sagesse éternelle qu’elle n’y peut résister. C’est cet aimant qui l’a attirée sur la terre pour tous les hommes, et il l’attire encore tous les jours dans chaque particulier où il est. Si nous avons une fois Marie chez nous, dans notre cœur, nous avons facilement en peu de temps, par son intercession, la divine Sagesse. Marie est, de tous les moyens pour avoir Jésus-Christ, le plus assuré, le plus aisé, le plus court et le plus saint. »
Et cette dévotion à Marie est pour nous de la plus haute importance, elle est décisive et capitale. Le Père de Monfort l’affirme :
« Quand nous ferions les plus effroyables pénitences, quand nous entreprendrions les voyages les plus pénibles, les travaux les plus grands, quand même nous répandrions tout notre sang pour acquérir la divine Sagesse, et que l’intercession et la dévotion à la Sainte Vierge ne se trouvât point dans tous ces efforts, ils seraient inutiles et incapables de nous l’obtenir. Mais si Marie dit un mot pour nous, si son amour se trouve chez nous, si nous sommes marqués à la marque de ses fidèles serviteurs, qui gardent ses voies, nous aurons bientôt et à peu de frais la divine Sagesse. »
Car c’est bien par Marie que Montfort nous invite à trouver Jésus-Christ, la Sagesse incarnée. « Ad Jesum per Mariam – A Jésus par Marie ! » Telle est sa devise. C’est pourquoi vous chanterez à tue-tête et à plein poumon ce que j’appellerais le « tube » de notre pèlerinage 2016 et qui se trouve dans le carnet du pèlerin : « Pour aller à Jésus, allons chrétiens, allons par Marie ; pour aller à Jésus, c’est le divin secret des élus. »
C’est Marie elle-même, d’ailleurs, qui mettra du baume sur vos souffrances durant ce pèlerinage, car Montfort enseigne qu’elle est la confiture des croix !
« Je crois, dit Montfort, qu’une personne qui veut être dévote et vivre pieusement en Jésus-Christ, et par conséquent souffrir et porter tous les jours sa croix, ne portera jamais de grandes croix ou ne les portera pas joyeusement ni jusqu’à la fin, sans une tendre dévotion à la Sainte-Vierge qui est la confiture des croix. Tout de même qu’une personne ne pourra pas manger sans une grande violence, qui ne sera pas durable, des noix vertes sans être confites dans le sucre. »
Chers pèlerins, Montfort est vraiment « une âme de feu pour notre temps », comme l’indique le très beau dossier du pèlerinage que vous avez pu lire et méditer pour vous préparer. Cette âme de feu s’est exprimée avec flamme dans sa célèbre Prière embrasée pour demander les Apôtres des derniers temps. C’est que Montfort a vu prophétiquement les temps que nous vivons aujourd’hui et qu’il décrit en ces termes : « Votre divine Loi est transgressée ; votre Evangile est abandonné, ô mon Dieu ; les torrents d’iniquité inondent toute la terre et entraînent jusqu’à vos serviteurs ; toute la terre est désolée ; l’impiété est sur le trône ; votre sanctuaire est profané ; l’abomination est jusque dans le Lieu saint. Tout deviendra-t-il, à la fin, comme Sodome et Gomorrhe ? Ah ! Permettez-moi de crier partout : Au feu ! Au feu ! Au feu ! A l’aide ! À l’aide ! Au feu dans la maison de Dieu ! Au feu dans les âmes ! Au feu jusque dans le sanctuaire ! A l’aide de notre frère qu’on assassine ! A l’aide de nos enfants qu’on égorge ! A l’aide du bon père qu’on poignarde ! Seigneur, levez-Vous ! Pourquoi semblez-vous dormir ? »
On identifie facilement, chers pèlerins, dans ces traits de feu, tous les malheurs de notre temps : le libéralisme, dans la divine Loi qui est transgressée ; l’apostasie silencieuse, dans l’Evangile qui est abandonné ; l’impudicité se déversant et s’étalant dans les rues, dans les torrents d’iniquité qui inondent toute la terre ; les défections et les scandales des âmes consacrées, dans les serviteurs de Dieu qui sont entraînés par ces mêmes torrents ; les catastrophes naturelles, dans la terre qui est désolée ; les gouvernements maçonniques, dans l’impiété laïciste qui est sur le trône ; les messes sacrilèges, célébrées dans le sanctuaire qui est profané ; le vice contre-nature, qui est désigné par Sodome et Gomorrhe ; Bouddha posé sur le tabernacle à Assise en 1986, dans l’abomination du Lieu saint ; l’insécurité permanente qui règne, derrière le frère qu’on assassine ; l’avortement qui transparaît derrière les enfants qu’on égorge ; l’euthanasie que révèle le bon père qu’on poignarde. Rien n’est oublié, le tableau est complet, saisissant d’une criante actualité. Montfort semble bien décrire prophétiquement la situation dans laquelle nous sommes. Voilà donc l’homme de la situation, voilà donc l’homme qu’il nous faut, à nous, pèlerins du XXIème siècle, voilà donc celui qui doit nous conduire sur les routes de Chartres à Paris durant trois jours.
Mais Grignion de Montfort ‑et je termine sur ces paroles encourageantes- n’est pas un pessimiste déprimant. Il a le moral ! Vive Jésus, vive sa Croix ! Montfort va relever notre courage, il va nous ranimer, il va nous communiquer sa flamme. Ecoutons-le nous adresser ces paroles, à nous si nombreux ici, mais qui ne sommes dans le monde qu’une poignée de pèlerins :
« Ne craignez point, dit-il, petit troupeau, car votre Père a pour agréable de vous donner le Royaume des cieux. Ne craignez point, quoique naturellement vous ayez tout à appréhender… Et voilà les nations, les mondains, les avares, les voluptueux, les libertins assemblés à milliers pour vous combattre par leurs railleries, leurs calomnies, leur mépris… Mais ne craignez point, petit troupeau. Je suis votre protection et votre défense, vous dit le Père éternel, je vous ai gravés dans mon cœur et écrits dans mes mains, vous dit Dieu le Fils mourant sur la croix, pour vous chérir et vous défendre, parce que vous avez mis votre confiance en moi… Je vous délivrerai des pièges qu’on vous tend… des assauts du démon… je vous cacherai sous mes ailes, je vous porterai sur mes épaules… Vous marcherez avec courage… Je vous exaucerai dans vos prières ; je vous accompagnerai dans vos souffrances ; je vous délivrerai de tous les maux ; je vous glorifierai de toute ma gloire que je vous montrerai dans mon royaume à découvert, après que je vous aurai comblés de jours et de bénédictions sur la terre. Ce sont-là ‑chers amis- les promesses admirables, que Dieu vous faits par la bouche du prophète, si vous mettez, par Marie, toute votre confiance en Lui. »
Alors, chers pèlerins, bon et saint pèlerinage en compagnie de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et de Notre-Dame de la Route.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
Pour conserver à ce sermon son caractère propre, le style oral a été maintenu.
Source : La Porte Latine du 17 mai 2016