La déclaration du 21 novembre 1974 de Mgr Lefebvre possède une profondeur de vue insoupçonnée. Pour cela, il faut, non seule-ment, la lire, mais la scruter et la méditer.
L’évêque la rédige en 1974, c’est-à-dire après la promulgation de la nouvelle messe imposée par Rome en 1969, mais aussi avant la promulgation du nouveau Code de droit canonique qui n’aura lieu qu’en 1983 et celle du nouveau Catéchisme de l’Église catholique qui n’arrivera qu’en 1992. Il est vrai que l’évêque a déjà connu les nouveaux parcours catéchétiques comme Pierres Vivantes, mais ce sera le nouveau Catéchisme qui se substituera, en tant qu’écho fidèle de la doctrine du concile Vatican II, au Catéchisme du concile de Trente.
Le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X rédige sa déclaration juste après avoir refusé catégoriquement la nouvelle messe.
La déclaration commence par un « principe et fondement » :
« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. »
Ceci n’est jamais qu’une ferme adhésion au dogme « Hors de l’Église, pas de salut » ! Tout catholique digne de ce nom est tenu, pour son salut, de faire cette profession de foi.
La contrepartie de cette pro-fession de foi est inévitable, dans la mesure où l’Église catholique est désormais une « Église occupée », selon l’expression consacrée par le livre de Jacques Ploncart d’Assac. Voici l’antinomie :
« Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le Concile dans toutes les réformes qui en sont issues. »
Avec cette affirmation, Mgr Lefebvre choisit définitivement son camp : l’Église catholique de toujours et non pas l’Église conciliaire conçue il y a cinquante ans. Puis, il prolonge sa réflexion sur le Concile en énumérant les ravages accomplis par « les réformes qui en sont issues », c’est-à-dire celles qu’il a connues jusqu’à cette date :
« Ces réformes, en effet, ont contribué et contribuent encore à la démolition de l’Église, à la ruine du Sacerdoce, à l’anéantissement du Sacrifice et des Sacrements, à la disparition de la vie religieuse, à un enseignement naturaliste et teilhardien dans les universités, les séminaires, la catéchèse, enseignement issu du libéralisme et du protestantisme condamnés maintes fois par le magistère solennel de l’Église. »
Ne sont pas mentionnées ici explicitement, et pour cause, les réformes de 1983 et de 1992. Ces dernières réformes sont cependant contenues implicitement, ou au moins virtuellement, dans son refus, refus qui se manifestera le moment venu.
Monseigneur Lefebvre motive en bonne et due forme son refus. Pour ce faire, il remonte à la Tradition apostolique, affirme qu”« on doit obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Act. V, 29) :
« Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le magistère de l’Église depuis dix-neuf siècles. »
Car la Foi est absolument nécessaire au salut : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné » (Mc. XVI, 16). Et il cite saint Paul : « S’il arrivait que nous-mêmes ou un Ange venu du Ciel vous enseigne autre chose que ce que je vous ai enseigné, qu’il soit anathème » (Gal. 1, 8), en se référant au pape régnant à l’époque, c’est-à-dire Paul VI : « N’est-ce pas ce que nous répète le Saint-Père aujourd’hui ? »
Monseigneur tire ensuite une application pratique immédiate :
« Si une certaine contradiction se manifestait dans ses paroles et ses actes ainsi que dans les actes des dicastères, alors nous choisissons ce qui a toujours été enseigné et nous faisons la sourde oreille aux nouveautés destructrices de l’Église. »
Le principe du discernement ne sera donc pas sa conscience autonome – cela serait du protestantisme – mais la règle objective résidant dans la Tradition, règle établie depuis longtemps par saint Vincent de Lérins dans son Commonitorium : « Dans l’Église catholique elle-même, il faut veiller soigneusement à s’en tenir à ce qui a été cru partout, toujours, et par tous » (chap. 2).
L’adhésion à la Rome, maîtresse de vérité, ne doit donc pas se comprendre seulement hic et nunc, c’est-à-dire à notre époque, mais aussi à la Rome éternelle à travers le temps dans toute sa Tradition. Le Commonitorium (chap. 23), canonisé par le concile Vatican I, précise que le développement de la foi, et non l’évolution de la foi, doit se faire dans « la même croyance, dans le même sens et la même pensée » (3° session, 1870).
Monseigneur Lefebvre dénonce ensuite la praxis révolutionnaire conciliaire :
« On ne peut modifier profondément la lex orandi sans modifier la lex credendi. »
On croit comme on prie et on prie comme on croit. La révolution est une praxis. Commençons par la pratique, dit-elle, c’est-à-dire par la liturgie, car c’est par la pratique que l’on change les esprits, selon l’adage bien connu : « A force de ne plus vivre comme on pense, on finit par penser comme on vit. »
L’auteur perçoit ensuite, avec un oeil d’aigle, tout ce que va impliquer la nouvelle messe protestantisée :
« A messe nouvelle correspond catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires nouveaux, universités nouvelles, Église charismatique, pentecôtiste, toutes choses opposées à l’orthodoxie et au magistère de toujours. »
De là, il ne faut pas inférer que pour lui la messe traditionnelle pourrait suffire pour tout remettre en ordre dans l’Église. Mais voyant la logique qui doit relier la pratique liturgique aux principes qui la gouvernent, il remonte aux conséquences que va entraîner la praxis liturgique révolutionnaire.
Il dénonce ensuite les origines profondes de la réforme qu’il dénomme désormais avec un grand « R » tout comme on qualifie la révolution, prise comme système, avec un grand « R » :
« Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée ; elle sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie, même si tous ses actes ne sont pas formellement hérétiques. »
Cette hérésie c’est, du point de vue religieux, le protestantisme, et du point de vue philosophique, le libéralisme. À noter que la dernière partie de la phrase est quelquefois supprimée dans certaines versions, mais elle est bien authentique.
Pour le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X l’attitude de la conscience vraiment et pleinement catholique à cette grande Réforme conciliaire est claire et nette :
« Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d’adopter cette Réforme et de s’y soumettre de quelque manière que ce soit. »
La conséquence pratique qu’il tire est parfaitement logique :
« La seule attitude de fidélité à l’Église et à la doctrine catho-lique, pour notre salut, est le refus catégorique d’acceptation de la Réforme. »
C’est-à-dire de la réforme conciliaire dans son ensemble.
Maintenant, le grand défenseur de la Foi du XXème siècle, éclairé par la foi et stabilisé par elle, prend une décision, conscient qu’il est de la mission qui l’attend. Il formule une résolution aussi simple que limpide :
« C’est pourquoi sans aucune rébellion, aucune amertume, aucun ressentiment nous poursuivons notre œuvre de formation sacerdotale sous l’étoile du magistère de toujours, persuadés que nous ne pouvons rendre un service plus grand à la sainte Église catholique, au souverain pontife et aux générations futures. »
Il fait l’application générale de ce principe à tous les domaines de sa mission apostolique :
« C’est pourquoi nous nous en tenons fermement à tout ce qui a été cru et pratiqué dans la foi, les moeurs, le culte, l’enseignement du catéchisme, la formation du prêtre, l’institution de l’Église, par l’Église de toujours et codifié dans les livres parus avant l’influence moderniste du Concile en attendant que la vraie lumière de la Tradition dissipe les ténèbres qui obscurcissent le ciel de la Rome éternelle. »
Il faut noter ici le seul principe de solution entrevu par le défenseur de la foi catholique pour sortir des ténèbres de la crise : « la lumière de la Tradition. »
L’évêque sort pacifié de ce grand combat de la foi. Il termine en ces termes sa déclaration :
« Ce faisant, avec la grâce de Dieu, le secours de la Vierge Marie, de saint Joseph, de saint Pie X, nous sommes convaincus de demeurer fidèles à l’Église Catholique et Romaine, à tous les successeurs de Pierre, et d’être les fideles dispensatores mysteriorum Domini Nostri Jesu Christi in Spiritu Sancto », c’est-à-dire : les fidèles dispensateurs des mystères de Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’Esprit saint.
En 1974, Mgr Lefebvre s’oppose donc au concile Vatican II et à tout ce qui est déjà sorti du concile Vatican II ou en sortira, dans la mesure où tout cela contrarie la Tradition catholique.
La réforme liturgique est explicitement et définitivement refusée ; les autres réformes, celle du Code canonique (1983) et celle du grand Catéchisme (1992), le sont déjà implicitement ou au moins virtuellement.
Les choses, depuis lors, n’ont pas changé, mais ont empiré, « en raison de l’amplification de la crise ».
Cette déclaration est donc toujours d’actualité : elle reste un principe et fondement du bon combat de la foi, un glaive à deux tranchants pour combattre sous l’étendard du Christ-Roi.
Abbé Guy Castelain+, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : Le Combat de la Foi n° 171 de décembre 2014