Le 19 mars 2016 a été publiée l’Exhortation apostolique post-synodale Amoris lætitia du pape François sur l’amour dans la famille. Pourquoi parler de ce document pontifical dans une revue de spiritualité montfortaine ? Parce que le Père de Montfort jette une lumière singulière sur la problématique que pose ce document.
Un rappel pour commencer. Le leitmotiv, l’idée motrice du concile Vatican II fut l’aggiornamento, en latin, accomodatio renovata, c’est-à-dire ouverture et adaptation au monde moderne. Paul VI s’en est expliqué dans le discours d’ouverture de la deuxième session (1963) : « que le dépôt de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté de façon plus efficace » et que la doctrine « soit approfondie et exposée suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne ». Il s’agissait donc, pour parler simplement, de marier la doctrine catholique avec l’athéisme, l’évolutionniste, le modernisme, le libéralisme et l’immoralité du monde moderne. Là est le problème de fond : comment faire pour exposer la révélation divine, c’est-à-dire la foi et la morale catholique, avec la pensée du monde actuel ? C’est à proprement parler tenter d’inventer la quadrature du cercle.
Pour utiliser, cette fois, une terminologie plus « montfortaine », le problème du concile Vatican II était de marier la Sagesse divine avec la sagesse du monde. Saint Louis-Marie Grignion de Montfort n’a-t-il pas traité ce sujet dans l’Amour de la Sagesse éternelle aux numéros 74 à 89 ? Le Père de Montfort explique que le monde se sert « finement de la vérité pour inspirer le mensonge, de la vertu pour autoriser le péché, et des maximes mêmes de Jésus-Christ pour autoriser les siennes » (n° 79). Le Père Grignion précise aussi que la sagesse mondaine est « une conformité parfaite aux maximes et aux modes du monde… non pas d’une manière grossière et criante, en commettant quelque péché scandaleux, mais d’une manière fine, trompeuse et politique ; autrement ce ne serait plus selon le monde une sagesse, mais un libertinage » (n° 75). Il définit enfin le mondain comme quelqu’un « qui fait un secret mais funeste accord de la vérité avec le mensonge, de l’Évangile avec le monde, de la vertu avec le péché » (n° 76). Montfort décrit un siècle avant son existence (XIXe siècle) le catholicisme libéral qui a fini par triompher au concile Vatican II et dans ses réformes.
Que contient Amoris lætitia ? Un rappel de la doctrine de l’indissolubilité du mariage (aux numéros 52–53, 62, 77, 86, 123 et 178) et, en même temps, des affirmations qui donnent la possibilité aux divorcés-remariés d’accéder aux sacrements, c’est-à-dire à la confession et à la communion, sans conversion, sans contrition, sans réparation du scandale, sans cesser de vivre dans l’adultère et sans cesser de pécher (aux numéros 243, 298–299, 301–305 et spécialement la note 351). Pour s’en convaincre, le lecteur pourra se reporter à deux revues faciles d’accès, tant informatiquement qu’intellectuellement : Dici n° 345 du 25 novembre 2016 (payant) et le Courrier de Rome n° 595 de janvier 2017 (gratuit).
Montfort, avec son regard d’aigle, a bien vu le nœud du problème qui nous occupe actuellement : la sagesse conciliaire consiste à déguiser (terme cher à notre saint, qui se trouve plusieurs fois dans ses cantiques) le mensonge sous le manteau de la vérité et le vice sous celui de la vertu. Ainsi, Amoris lætitia, sous couvert de charité, permet de transgresser le décalogue, sous couvert de miséricorde autorise l’adultère, et sous couvert de pastorale autorise le sacrilège. Soit dit en passant, le synode de 2018 risque de réaliser le même tour de passe-passe avec le célibat ecclésiastique pour permettre l’ordination sacerdotale d’hommes mariés.
Montfort est vraiment un homme en avance sur son temps. Il l’est parce qu’il tient la doctrine catholique, celle du concile de Trente qui reprend celle de saint Thomas d’Aquin. En effet, l’histoire nous apprend que, durant ce Concile, deux livres étaient posés sur l’autel : la Bible ou l’Écriture sainte (la Tradition écrite) et la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin (représentant la Tradition orale).
Et cette doctrine catholique, à l’époque, n’était pas exposée à l’aide d’une philosophie athée, qui s’oppose à la foi catholique, mais à l’aide de la saine philosophie aristotélico-thomiste, celle qu’on appelle la Philosophia perennis, et qui est « la Servante de la théologie » (saint Thomas d’Aquin).
Abbé Guy Castelain+, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Marie Reine des Cœurs nº 144