Abbé Lorans
L’abbé de Cacqueray nous parlait de cette évolution que nous constatons. Vous-même, qui êtes à la tête de la Fraternité, qui avez des contacts directs avec Rome, avez-vous eu l’impression que la feuille de route (les préalables demandés avant toute reconnaissance canonique de la Fraternité Saint-Pie X, NDLR) était suivie ? Avez-vous aussi, à partir des documents qui émanent de Rome, le sentiment que la ligne de partage se déplace ?
Mgr Fellay
Il y a effectivement beaucoup de choses intéressantes qui se passent ; elles ne se passent pas comme on le voudrait mais c’est normal puisqu’on a affaire à des hommes. Notre feuille de route, avec ses fameux préalables, avait été transmise à Rome au début de l’année 2001. En février, la réponse de Rome était telle que j’ai dû répondre que nous ne pouvions pas poursuivre en l’état : « Si c’est comme ça, on suspend ».
C’est ainsi que cela a commencé, en l’an 2001. Au sujet de la messe, le cardinal Castrillón Hoyos disait : « Le pape est d’accord. Le pape est d’accord que la messe n’a jamais été abrogée et que par conséquent tout prêtre peut la dire ». Et sur ses doigts, il faisait la liste des cardinaux de Rome qui étaient d’accord aussi. Je lui ai dit : « dans ce cas, où est le problème ? » – « Vous comprenez, les secrétaires des congrégations, les sous-secrétaires, eux ils ne sont pas d’accord, et donc on ne peut pas vous l’accorder ».
C’était comme cela pour la messe. Quant à la question de l’excommunication, la réponse était : « Rassurez-vous on règlera ça quand on signera les accords ». J’ai répliqué que pour avancer nous avions besoin de marques de confiance de la part de Rome et qu’à défaut, nous n’avions pas d’autre choix que de suspendre les discussions. Le cardinal a rétorqué : « je n’aime pas ce mot-là ».
Et puis est arrivé Benoît XVI, qui va reprendre la question de la messe, relativement vite. Bien sûr, le Motu proprio [Summorum Pontificum] vaut ce qu’il vaut, mais il contient des éléments essentiels, capitaux, il est pour moi comme une pierre milliaire. Je pense que, dans l’histoire de l’Eglise, on se rappellera de ce texte qui reconnaît que la messe de saint Pie V n’a jamais été abrogée.
Vous savez, lorsqu’une matière est reprise dans toute son ampleur, lorsque le législateur reprend une loi pour la modifier de fond en comble, on considère que la loi précédente est abrogée. Il en va de même des lois liturgiques. Qu’il y ait donc cette affirmation, en deux mots : « numquam abrogatam, jamais abrogée », c’est d’une force ! On a de la peine à le concevoir, mais enfin le législateur sait ce qu’il dit : « Elle n’a jamais été abrogée ». De dire qu’une loi n’a pas été abrogée, cela veut dire qu’elle s’est maintenue dans l’état où elle était auparavant. La loi précédente, la messe de toujours, c’est donc la loi universelle, c’est la messe de l’Eglise. Lorsque le pape actuel affirme que la messe n’a jamais été abrogée, cela veut dire qu’elle est toujours en vigueur, qu’elle continue à être la messe de l’Eglise. Il ne s’agit plus de permission, de privilège etc., c’est la loi de l’Eglise, autrement dit un droit universel de tout catholique, prêtre ou fidèle. C’est ce qui est expressément reconnu dans le fameux Motu proprio de 2007.
C’est fondamental, même si d’autres parties du texte sont discutables, et que nous ne sommes pas d’accord du tout avec elles. Mais si l’on considère la vigueur que ce Motu proprio donne à la messe contre ses détracteurs, c’est vraiment très très fort. On se demande comment jamais dans le futur on pourra démolir cette messe.
De ce point de vue, l’avènement de Benoît XVI a été comme un déclic. Quoiqu’on pense, quoiqu’on dise de la personne elle-même, une nouvelle ambiance est apparue. Au Vatican même cette arrivée a donné du courage à ceux, appelons-les conservateurs, qui jusque-là frôlaient les murs… Peut-être d’ailleurs encore maintenant les frôlent-ils ! parce que la pression ou l’oppression des progressistes est toujours là ; ce qui rend le gouvernement même presque impossible.
L’ambiance en tout cas a changé. On le voit dans la nouvelle génération qui, elle, n’est plus liée au concile. Pour les nouvelles générations et tous ceux qui ont 20 ans aujourd’hui, le concile, c’est le millénaire passé, c’est quelque chose de bien vieux. Cette génération qui n’a pas connu le concile, et qui voit l’Eglise dans un état si piteux, se pose nécessairement des questions. Elle se pose des questions d’une manière tout à fait différente de ceux qui ont vécu le concile, de ceux qui l’ont fait et qui y sont viscéralement attachés, parce qu’ils voulaient démolir le passé, parce qu’ils voulaient tourner la page.
Cette nouvelle génération ressent un vide, elle est ouverte, elle cherche, elle jette sur nous un regard de sympathie mais éprouve en même temps vis-à-vis de nous de la méfiance parce que nous sommes marqués, exclus… Cependant une espèce d’effervescence dans la jeunesse inquiète les progressistes à tel point qu’aujourd’hui ils se posent la question : « L’avenir de l’Eglise, sera-t-il progressiste ou conservateur ? »
Dans certains séminaires modernes les professeurs constatent avec effroi que le choix des séminaristes se porte sur des ouvrages plus sérieux que ceux qui leur sont proposés ; ce phénomène est assez généralisé. J’ai eu des aveux d’évêques, ou de professeurs de séminaire. Un professeur de séminaire m’a dit littéralement : « Je ne peux plus donner mon cours comme avant, les séminaristes m’obligent à être beaucoup plus conservateur ». Ce n’est encore qu’une tendance, mais c’est très intéressant. Plusieurs textes émanant de Rome demandent des réformes dans les études, dans les séminaires, dans les universités. Ce sont manifestement des coups de frein. Malheureusement, on a l’impression qu’ils restent lettre morte – et je pense qu’on n’a pas tort de le penser. Néanmoins on voit ces efforts, c’est déjà quelque chose, ce n’est plus le pur modernisme.
Un élément très important, vraiment très important, ce sont les premières attaques sur le concile qui n’émanent pas de nous mais de personnes reconnues, qui portent un titre, tel Mgr Gherardini qui ne s’est pas contenté d’écrire un seul livre mais qui continue d’écrire, et de façon de plus en plus hardie. Lorsque je l’ai rencontré, il m’a tenu ce propos : « Il y a 40 ans que j’ai ces choses sur la conscience, je ne peux pas paraître devant le Bon Dieu sans les dire ». En fait il est pour ainsi dire avec nous, mais il utilise une forme d’expression très romaine, très prudente, circonstanciée, tout en disant ce qu’il a à dire.
Dans ce même contexte, le 22 décembre 2005, le pape a prononcé son célèbre discours à la Curie dans lequel il condamne une ligne d’interprétation du concile, la fameuse ligne de rupture. A la première lecture, je vous avoue avoir pensé que nous étions visés ! mais par la suite je ne suis rendu compte qu’il parlait des progressistes.
Parce que justement le pape dénonçait et condamnait ceux qui voient dans le concile une rupture avec le passé. Bien sûr s’il y a quelqu’un qui voit dans le concile une rupture avec le passé, c’est bien nous. Et pour étayer notre propos, nous ne craignons pas de citer les Congar, les Suenens, ceux qui ont dit que c’était la Révolution de 89 dans l’Eglise, ou la Révolution d’octobre 1917, la révolution russe. Ce sont des paroles très fortes. Et puis, ce n’est pas seulement nous, c’est tout le monde qui a pu constater que ce concile avait été un grand changement, un véritable chamboulement. Même Paul VI a reconnu qu’alors qu’il attendait une brise légère, c’est une grande tempête qui s’était déchaînée… Eh bien, cette ligne de rupture dénoncée, c’est la condamnation de ceux qui voient dans le concile une rupture avec le passé. Le pape condamne cette attitude qui voudrait faire appel à « l’esprit du concile » pour revendiquer un Vatican III, une révolution permanente…
Je voudrais faire ici une remarque, car peut-être nous abusons-nous. Lorsqu’on voit condamner l’herméneutique de la rupture, on pense immédiatement que l’autre est l’herméneutique de la continuité. Or le pape n’a pas parlé de l’« herméneutique de la continuité », mais de l’« herméneutique de la réforme ». Ce n’est pas la même chose ! En continuant le texte, on voit bien qu’il est pour le concile, qu’il est pour tout ce contre quoi nous sommes ! Dans ce concile, tout ce que nous attaquons, lui il le défend. Mais néanmoins on voit très bien qu’il condamne une ligne. C’est un commencement, mais évidemment ce n’est pas suffisant ; cela montre seulement que les autorités ont pris conscience que quelque chose ne va pas dans l’Eglise.
Poursuivons. Le 2 juillet 2010, Mgr Pozzo, secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, a donné à Wigratzbad, aux prêtres de la Fraternité Saint-Pierre, une conférence sur Lumen Gentium portant justement sur cette question de l’interprétation du concile. Ces questions d’interprétation sont quelque chose de très moderne, il faut bien le comprendre. Mais je voudrais vous montrer qu’il y a des choses qui bougent, même si de notre côté nous espérons que ce n’est qu’un début et que les choses iront plus loin. Nous, nous n’hésitons pas à attaquer le concile en tant que tel, en mettant l’accent sur ce qui ne va pas.
A Rome, la position de Mgr Pozzo, et on peut dire celle du pape, est encore en révérence totale à l’égard du concile, mais il voit qu’il y a des choses qui ne vont pas. Il ne dira pas encore « c’est la faute du concile », mais « c’est la faute de la manière de comprendre le concile ». Il s’agit justement de l’interprétation, ou de l’herméneutique. Si Rome avoue maintenant qu’il y a une manière fausse d’interpréter le concile, cela laisse évidemment supposer qu’il y en a une qui est juste. Mais, sur beaucoup de points que nous condamnons au niveau de la chose elle même (sans en regarder la cause), on constate que finalement, sans oser trop le dire, ils sont d’accord.
Dans la conclusion de ses conférences à Wigratzbad, Mgr Pozzo parlera d’une idéologie « conciliaire », puis d’une idéologie « para-conciliaire ». Le terme d’idéologie désigne quelque chose de mauvais, une erreur, c’est même un système d’erreurs. Essayez de comprendre ce que veut dire cette phrase : « une idéologie para-conciliaire s’est emparée du concile depuis le début en se superposant à lui ». Cela veut dire que d’après lui, le concile depuis le début n’a pas été compris comme il le devait. C’est–à‑dire que la seule manière qui restait aujourd’hui de pouvoir comprendre le concile était fausse. C’est une curieuse manière de vouloir sauver le concile, tout en reconnaissant que ce qui a été dit du concile depuis 40 ans est faux ! Même si ce n’est qu’un début d’aveu, il faut en prendre note. Evidemment, cela ne nous suffit pas, mais c’est quand même fort intéressant de voir comment ils essayent de s’en sortir. C’est de l’équilibrisme…
On entend des phrases telles que : « Le concile n’est pas appliqué, le concile est mal compris, c’est pour cela que cela ne va pas dans l’Eglise ». Encore faut-il l’expliquer ! Pourquoi cela ne va pas dans l’Eglise ? Parce qu’on n’a pas réussi à appliquer le concile. Mais alors, qu’est-ce qu’ils ont fait pendant ces 40 ans ? C’est là un gros problème. Qui était responsable de l’interprétation du concile pendant ces 40 années ? Si ce ne sont pas les autorités à Rome, c’est qu’elles ont dormi pendant 40 ans, elles ont laissé faire les autres, qu’ont-elles fait ? Voyez-vous, il y a quand même beaucoup de questions qu’on peut introduire à partir même de leur point de départ où se dessine un début d’aveu.
Le pape parle de l’esprit du concile en le condamnant alors que toutes les réformes ont été faites dans l’esprit du concile. Qu’est ce qui reste ? Et maintenant, on nous dit qu’il y a une idéologie conciliaire qui s’est emparée du concile depuis le début !
On peut imaginer le concile se trouvant dans une bulle ; on voit la capsule extérieure mais on n’arrive pas à l’intérieur. De sorte qu’on ne voit que cette capsule extérieure et non pas le concile ; on n’arrive plus à parvenir au concile. C’est très moderne comme idée, comme perspective. On aimerait bien savoir qui est à l’origine de l’idéologie para-conciliaire, celle qui s’est emparée du concile pour faire en sorte qu’on ne puisse plus le comprendre comme les Pères conciliaires l’avaient voulu… Il serait intéressant de le savoir. Autant de questions qui viennent à l’esprit, parce que cela commence à bouger. On se rend compte que ce qui était tabou commence à branler, alors on essaie de sauver le tabou en l’entourant d’une bulle. Aujourd’hui, vous avez le droit de tirer sur la bulle, mais pas sur ce qui est dedans. Vous pouvez dénoncer l’idéologie para-conciliaire, mais ne touchez pas au concile.
Dans ce contexte, Mgr Gherardini dont je parlais tout à l’heure va aller un peu plus loin en touchant au concile. Je pense que c’est le premier personnage officiel, renommé, qui ose le faire. Sa qualité de doyen de la Faculté de théologie du Latran, chanoine de Saint-Pierre, directeur de la revue Divinitas lui donne autorité. A 85 ans, il a parlé à Rome, et des personnes qui n’étaient pas de notre côté ont abordé les questions du concile. Mgr Schneider, un évêque, a même proposé de faire un Syllabus sur le concile, dans le but d’épurer et de condamner tout ce qui n’est pas clair dans Vatican II, toutes les propositions qui sont ambiguës.
Tous ces événements me font penser à une casserole d’eau sur le feu qui commence à former les premières bulles. Ce n’est pas encore l’ébullition, mais ça commence à chauffer. Pendant ce temps, nous restons dans l’expectative.
Abbé Lorans
Lors d’une récente prédication au séminaire de Winona, vous avez dit que nous n’étions pas en rapport avec Rome, mais avec « les Rome ». Quelle est l’ambiance au Vatican actuellement ? Pouvez-vous nous aider à y voir un peu plus clair ?
Mgr Fellay
En Valais, une montagne, le Zinalrothorn, culmine à 4.000 mètres ; l’une de ses arrêtes s’appelle le Rasoir et mesure une dizaine de mètres de long. Le seul moyen de la passer est à califourchon, ou encore d’un côté, vous avez alors les mains sur la crête et les pieds sur la face, avec de chaque côté 500 ou 1 000 mètres de chute. J’ai l’impression que non seulement cela s’applique à nos rapports avec Rome, mais plus encore que c’est franchement un fil d’équilibriste. C’est pourquoi j’utilise carrément le terme de « contradictions ».
En juin 2009, j’avais demandé un rendez-vous au cardinal Bertone, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, pour tenter de tirer au clair ces contradictions. Après avoir beaucoup insisté, la réponse suivante est arrivée : « le cardinal Levada vous recevra ». C’est la diplomatie romaine ! J’aimerais vous donner quelques exemples de ces contradictions pour vous montrer le climat qui règne à Rome, c’est à dire dans quoi ou avec quoi on travaille, c’est très difficile.
Certains éléments ont déjà été abordés dans la première partie de cette conférence, mais il est bon de les résumer en les regroupant.
Nos rapports avec Rome se sont fortement tendus peu après la sortie du décret sur la levée des excommunications, le 21 janvier 2009. Au mois de mars, à Sitientes, jour des ordinations au sous-diaconat, les évêques allemands ont mis sur pied une stratégie pour essayer de nous « mettre dehors ». Mgr Zollitsch, le président de la Conférence épiscopale allemande, a déclaré à un groupe de députés : « D’ici la fin de l’année, la Fraternité Saint-Pie X sera à nouveau hors de l’Eglise ». Je tiens ces propos de l’un des députés, c’est une information directe. Ils avaient donc leur plan pour contrer l’argument de la levée de l’excommunication qu’ils ne pouvaient plus utiliser.
On voit très bien que les progressistes ont essayé d’utiliser deux pistes. La première est celle du concile. Pour que la Fraternité Saint-Pie X puisse prétendre à une reconnaissance canonique, elle doit reconnaître le concile et en accepter toutes les réformes, ainsi que le magistère de tous les papes depuis le concile. C’est très fort, car ils savent parfaitement que nous n’accepterons jamais de marcher dans une telle voie. C’est de fait rendre impossible cette reconnaissance canonique. Il est facile ensuite de nous condamner d’être contre le concile, preuve que nous sommes schismatiques, etc.
La seconde est une ligne plus disciplinaire, celle de l’obéissance. Il est quand même curieux que juste après la levée des excommunications par Rome, l’évêque de Ratisbonne, dans le diocèse duquel est situé notre séminaire de Zaitkofen, interdise à nos évêques les ordinations de nos propres séminaristes ! Mais c’est ce qu’il a fait. Cela fait 30 ans que notre séminaire se trouve sur son territoire sans qu’il soit jamais intervenu ! Il choisit juste le moment de la levée des excommunications pour prendre cette décision… La Conférence des évêques allemands s’est empressée de renchérir par la bouche de Mgr Zollitch qui a déclaré : « Si ces évêques font ces ordinations, le pape doit les excommunier ». Il est descendu à Rome pour faire pression sur le pape et sur le cardinal Bertone.
Et je reçois, dix jours avant ces ordinations, une communication téléphonique du cardinal Castrillón qui me dit : « Cela m’ennuie de vous faire une demande qui va vous sembler un peu curieuse, mais le pape n’a pas que des amis, les évêques allemands font pression, vous feriez une faveur au pape en ne faisant pas ces ordinations en Allemagne ». Après en avoir conféré avec mes Assistants et avec les autres évêques, il a été décidé de faire un geste, sans que ce soit une capitulation. A Sitientes, il n’y aura donc pas d’ordination à Zaitkofen, mais les séminaristes deviendront ce jour-là sous-diacres… à Ecône. Et puis il est bien entendu que c’est un geste qu’on ne fait qu’une fois ; donc les ordinations de juin sont maintenues. Nous voulions que cela soit compris à Rome non pas comme une capitulation, mais comme un geste. Cela ne leur a pas plu et m’a valu une nouvelle lettre…
Deux jours avant Sitientes, nouveau coup de téléphone du cardinal Castrillón, le troisième en une semaine, c’est quand même une pression forte ! Cette fois, l’ordre est net : « Vous désobéissez formellement, vous allez retomber dans vos censures. Il ne faut pas faire ces ordinations. Il faut demander au pape la permission mais je vous assure – il parlait en italien – quasi immediatamente, quasi immédiatement, vous allez recevoir la permission ». Il a ajouté : « D’ici Pâques la Fraternité sera reconnue ». « Je ne comprends pas, ai-je répondu, un texte officiel (une note de la Secrétairerie d’Etat) vient de sortir stipulant que la Fraternité ne sera pas reconnue tant qu’elle ne reconnaîtra pas le concile, vous savez parfaitement ce que nous pensons du concile, comment pouvez-vous dire cela ?! » Réponse du cardinal : « Ce texte n’est pas signé ; il s’agit de textes administratifs, de textes politiques ; et puis ce n’est pas ce que pense le pape ».
Alors maintenant qui dois-je croire ? Croire le cardinal au téléphone (c’est par oral, il n’y a aucune trace), ou bien le texte officiel ?
Au point où en étaient les choses, j’ai écrit au pape pour l’informer tout simplement de ce qui se passait. Je lui ai demandé de ne pas voir dans ces ordinations un acte de rébellion mais un acte de survie posé dans des circonstances complexes et difficiles. Et la chose est passée.
D’ailleurs je ne vois pas comment ils auraient réussi à nous condamner pour avoir ordonné des sous-diacres, puisque chez eux les sous-diacres n’existent pas ! Etre puni pour quelque chose qui n’existe pas, c’était quand même difficile.
Et après il y a eu les ordinations au diaconat et à la prêtrise, et c’est passé. Mais les évêques allemands ont essayé de les empêcher. C’est quand même une petite victoire ! Réalisez que nous sommes une toute petite congrégation, une petite congrégation qui se bat contre une conférence épiscopale, pas n’importe laquelle, et on gagne. On a gagné. C’est invraisemblable… Mais il ne s’agit pas de nous… Les conflits sont de toutes sortes, mais d’abord doctrinaux.
Le pape Benoît XVI a osé reconnaître [lors de l’audience du 29 août 2005, à Castel Gandolfo , NDLR] : « Peut-être y a‑t-il, peut-être pourrait-on dire qu’il y a état de nécessité en France, en Allemagne ». Remarquez que dans un état de nécessité, les organismes nécessaires au bon fonctionnement d’un corps social ne fonctionnent plus, c’est une espèce de sauve-qui-peut ; chacun se sauve d’abord, puis collabore à aider les autres comme il le peut. C’est une situation invraisemblable. Vous voyez la contradiction : d’un côté on vous dit que la Fraternité ne peut pas être reconnue, mais de l’autre on vous dit qu’elle est reconnue puisque le pape vous reconnaît. Alors quid ?
Je vais vous citer d’autres exemples de contradictions qui nous montrent qu’il y a divers courants à Rome, dont certains très puissants. Essayez de savoir dans lequel se trouve le pape ? Ce n’est pas évident.
En septembre de l’année passée, c’est donc tout récent, un prêtre américain d’une Congrégation (il me semble que sont les Augustiniens) nous a rejoint. Au mois de septembre 2010, il reçoit une lettre de son provincial à laquelle est jointe une lettre de la Congrégation des religieux confirmant la décision du Provincial, et qui dit ceci : « Vous n’êtes plus membre des Augustiniens parce que vous avez rejoint la Fraternité ». La lettre de la Congrégation des religieux dit très précisément ceci : « Le père Untel (je ne cite pas son nom) n’appartient plus à votre Congrégation, il est excommunié parce qu’il a perdu la foi en rejoignant formellement le schisme de Mgr Lefebvre ». C’est daté du mois de septembre de l’année passée ! En conséquence pour Rome, rejoindre la Fraternité c’est rejoindre un schisme et perdre la foi, et on se retrouve excommunié. Je suis allé à Rome avec ce papier, évidemment !
Lorsque j’ai commencé à lire ce passage à Mgr Pozzo – secrétaire d’Ecclesia Dei ; le président en est le cardinal Levada qui est en même temps préfet de la Congrégation de la Foi – il m’a arrêté au milieu de la phrase en me disant : « Je sais déjà tout ça, on s’en est occupé il y a deux semaines. Nous avons dit à la Congrégation des religieux qu’ils ne sont pas compétents pour dire cela et qu’ils doivent réviser leur jugement ». Il a continué en me disant : « Cette lettre voici comment il faut la traiter… Comme ça ». Et de joindre le geste expressif de la déchirer. Ainsi, voilà comment une instance romaine me dit qu’il faut traiter un document officiel d’une autre instance romaine, de la manière la plus radicale qu’on puisse imaginer en la mettant au panier, en la déchirant…. C’est quand même un peu fort ! Sur le fond, cela signifie qu’à Rome certaines instances des congrégations, des dicastères nous déclarent schismatiques, hérétiques, ayant perdu la foi, alors que d’autres nous considèrent comme catholiques, presque comme normaux, n’ayant plus aucune peine, plus aucune censure. Quelle confusion !
Vous voyez que l’on peut vraiment parler de contradictions ; des personnes au gouvernement à Rome ont des perspectives sur nous diamétralement opposées ! Ainsi, pendant que se déroulent les fameuses discussions théologiques, nos prêtres logent à Sainte-Marthe – c’est le bâtiment où logent les cardinaux quand il y a des consistoires, des conclaves, et qui sert d’habitude à recevoir les évêques – et ils disent la messe à Saint-Pierre. Alors pendant que d’un côté l’on discute de doctrine, de l’autre côté nos prêtres sont hérétiques ou schismatiques ? Cela ne tient pas debout.
Un autre exemple encore plus récent. Cette fois-ci dans l’ordre de l’interprétation ; il s’agit du tout dernier texte sur la messe, Universae Ecclesiae. Trois ans après le Motu proprio Summorum Pontificum, un nouveau texte est sorti qui concerne l’application du texte précédent. Ce texte est fort intéressant.
Une analyse des dispositions qui sont prises montre deux mouvements que l’on peut considérer comme radicalement opposés, ce qui fait que nous considérons le résultat d’un air interrogatif. La première ligne, qui est manifeste, est une ligne d’ouverture, on sent une volonté de donner, de mettre à la disposition des catholiques du monde entier non seulement la messe, mais toute la liturgie de l’Eglise de toujours dans tous ses aspects.
En son début, le document romain affirme que le Motu proprio est une loi universelle. Ce n’est pas un privilège – une loi privée réservée à un petit groupe – mais une loi universelle, c’est-à-dire valable pour tout le monde. Il précise que sa volonté était de permettre l’accès à la messe traditionnelle aux fidèles du monde entier. C’est on ne peut plus explicite !
Ensuite vous avez d’autres dispositions qui vont encore beaucoup plus loin, puisque tous les livres liturgiques sont cités, pour être mis à disposition. Tous. C’est invraisemblable. Cela ne peut pas se faire s’il n’y a pas une volonté, s’il n’y a pas une intention justement de rouvrir, de redonner vie à tout ce trésor, sinon ça n’a pas de sens. On y parle par exemple du Rituel. C’est très intéressant, le Rituel, qu’y trouve-t-on ? Vous y trouvez d’abord tous les sacrements, ceux qui sont donnés par le prêtre, et puis aussi les exorcismes. Dire que le Rituel est à disposition, cela signifie que toutes les bénédictions, tout ce monde liturgique d’antan est vraiment remis à disposition. Cela ne peut pas se faire, s’il n’y a pas l’intention de faire revivre tout ce trésor. Cela n’aurait aucun sens de le mettre à disposition si on voulait en même temps lui fermer la porte !
Il en va de même du Cérémonial des évêques ou du Pontifical… On insiste pour dire que les évêques peuvent utiliser le Pontifical. Pour le Bréviaire, les prêtres sont libres d’utiliser l’ancien Bréviaire, tout en précisant que s’ils prennent l’ancien Bréviaire, il doivent en respecter toutes les rubriques. Pourquoi ? Parce qu’avec le nouveau Bréviaire, on peut choisir ad libitum parmi les petites heures, tandis qu’avec l’ancien Bréviaire, on doit tout dire. C’est un peu curieux. Tout cela dépasse de beaucoup ce que nous avions demandé au départ dans notre fameux préalable, à savoir la messe pour tous. Or ce n’est pas seulement la messe, mais toute la liturgie et sous tous ses aspects. C’est une des lignes qui est manifeste.
A côté, vous avez la ligne vraiment contraire, avec deux restrictions majeures. La première au sujet des ordinations : « Les ordinations selon l’ancien Pontifical, ne peuvent être données que pour les groupes qui sont sous l’autorité d’Ecclesia Dei ». Pourquoi pas les autres ? Parce que les évêques n’en veulent pas dans les diocèses et que Rome veut éviter trop de problèmes avec les évêques en laissant la possibilité du choix aux séminaristes. Pourquoi d’un côté tout mettre à disposition, et puis là pour une partie si importante, si capitale, les ordinations, là, tout bloquer ?
La deuxième restriction majeure concerne la qualité des fidèles qui peuvent jouir des dispositions du Motu proprio…
Quelques numéros plus bas, on insiste pour dire que le Pontifical est mis librement à disposition. Bien sûr, il n’y a pas que les ordinations dans le Pontifical, le rituel des confirmations par exemple y figure. Or on précise que les confirmations peuvent être données selon l’ancien rite. C’est vraiment un curieux mélange. Il n’est pas possible que l’on puisse trouver deux intentions aussi contraires dans un même texte. Comment est-ce possible ? L’explication que je vois, c’est qu’il y a effectivement au moins deux forces contraires à Rome, chacune d’elle essayant de mettre sa griffe. A la fin, on en arrive à des espèces de compromis ingérables et indigestes.
J’en reviens à Mgr Pozzo et son conseil de déchirer le fameux texte de la Congrégation des religieux. Il a, à ce moment-là – ce que je viens de vous dire peut l’illustrer un petit peu – il a ajouté ceci : « Il faut, vous devez dire à vos prêtres et à vos fidèles, que ce n’est pas tout ce qui vient de Rome qui vient du pape ». Je lui ai répondu : « Mais ce n’est pas possible, comment voulez-vous que des prêtres, des fidèles recevant un texte de Rome puissent porter un tel jugement ? La réaction serait très simple : un texte me plaît, il vient du pape, il ne me plaît pas, il ne vient pas du pape. Cette attitude est d’ailleurs condamnée par saint Pie X.
Le Vatican, c’est la main du pape. Mais ces paroles de Mgr Pozzo contiennent un message, un message gravissime : le pape n’a pas le contrôle de sa maison. Cela veut dire que lorsque des choses nous arrivent de Rome effectivement, malheureusement, on pense immédiatement à l’autorité suprême, au Souverain Pontife, au pape. Eh bien non ! ça ne vient pas du pape.
Telle est la situation de l’Eglise. C’est ce que j’appelle une situation de contradiction, selon les cas plus ou moins marquée, cette fois-ci toutefois elle l’est moins. C’est une situation vraiment dure, très difficile. Comment naviguer dans ces vents contraires ?
Abbé Lorans
Monseigneur, puisqu’on sait que vous allez à Rome, le 14 septembre prochain, rencontrer le cardinal Levada, dans quelles dispositions y allez-vous ? Quel est votre état d’esprit ?
Mgr Fellay
Je me réfère un peu à ce qui s’est passé auparavant pour la levée des excommunications… Je ne sais pas si vous vous en souvenez mais cet été-là, en 2008, fut un peu chaud ; il y eut ce qu’on a appelé l’ultimatum. Je me rappelle un petit événement… On me remet un texte qui dit en substance ceci : « Si Mgr Fellay n’accepte pas les conditions très claires que nous allons lui imposer, ce sera très grave » Le cardinal Castrillón Hoyos déclarait même : « Jusqu’ici je disais que vous n’étiez pas schismatique ; si vous continuez, je ne le peux plus ». C’était vraiment très tendu. Je leur ai répondu : « Vous dites qu’il faut que je respecte les conditions, mais lesquelles ? » Ils se taisent. Silence. J’ai demandé à nouveau : « Vous dites qu’il y a des conditions, mais qu” attendez-vous de moi ? » A ce moment-là, le cardinal d’une voix très grave – c’était vraiment très solennel – a prononcé presque à mi-voix et lentement : « Si vraiment vous pensez en conscience que vous pouvez dire ces choses-là aux fidèles, eh bien ! dites-les ». Vous pouvez imaginer combien c’était haut en émotion !
J’ai déclaré à M. l’abbé Nély qui m’accompagnait, que j’étais frustré ; il m’affirma qu’il s’agissait vraiment d’un ultimatum. A ma demande, il est retourné le lendemain à la Commission Ecclesia Dei pour obtenir des précisions sur les fameuses conditions. Il leur a fallu une demi-heure pour rédiger en cinq points des conditions qui disaient tout et rien. Je devais ainsi promettre de pratiquer la charité ecclésiale. Qu’est-ce que cela veut dire ? Enfin, j’ai écrit un petit mot au pape, et l’ultimatum n’était plus à l’ordre du jour. Mais on ne peut pas dire que tout allait bien… Au mois de décembre suivant, les relations s’étant quelque peu détendues, j’ai écrit une lettre au cardinal pour reprendre contact.
Entre temps il y avait eu Lourdes. C’était aussi épique, voici brièvement une petite anecdote : nous avons pu utiliser la basilique pour notre pèlerinage, mais les évêques étaient interdits de messe par l’évêque du lieu. Trois jours avant le pèlerinage, j’ai parlé au téléphone avec le cardinal Castrillón à qui j’ai promis d’écrire une lettre ; au cours de la conversation il a abordé la question du pèlerinage : « J’ai su que vous faisiez un pèlerinage, ce sera magnifique, il y aura beaucoup de monde ». Je lui ai répondu : « C’est beau, en effet, mais il y a une fausse note ». – « Ah bon ! ». – « Oui, les évêques ne peuvent pas célébrer ». – « Des évêques censurés, hors de l’Eglise, c’est normal, on ne peut pas leur donner la permission de dire la messe ». – « Et les anglicans, ils ne sont pas excommuniés ? » – « Que voulez-vous dire ? ». – « Que les anglicans, eux, ont pu célébrer dans la basilique de Lourdes ». – « C’est vrai ? Avez-vous des documents ? On va s’occuper de ça ». Nous étions sur le départ pour Lourdes, j’ai vite glané sur Internet quelques petites choses pour les lui envoyer.
Dans les documents officiels de Lourdes, tout le programme était bien marqué ; pendant toute une semaine, ils étaient sept ‘évêques’ à concélébrer, sept ‘messes’ en présence du cardinal Kasper, tous les ministres étaient anglicans, et l’homélie par un anglican, je ne dis pas un évêque car les anglicans sont tous des laïcs, ce ne sont pas de vrais prêtres, encore moins de vrais évêques.
Ceci pour vous montrer le climat : d’un côté on cherche à nous anéantir et de l’autre on s’occupe de nous au point de déranger le pape un après-midi à cause de cette histoire de Lourdes. J’ai profité de la lettre que j’ai finalement écrite au cardinal Castrillón, au mois de décembre, pour lui rapporter les propos de l’évêque de Tarbes pour qui, si nous cessions de nous dire catholiques, nous pourrions alors célébrer la messe. Je lui expliquais : « Ainsi donc vous voulez qu’on sorte de l’Eglise pour qu’on puisse avoir les églises, cela ne tient pas debout ! » J’étais un peu sec.
Le 17 décembre, j’avais appris qu’il y avait une réunion à Rome dont le but était de réfléchir s’il ne fallait pas déclarer le schisme de la Fraternité, ou éventuellement excommunier Mgr Fellay au motif qu’il favorisait une attitude schismatique dans la Fraternité. J’ai envoyé ma lettre… Un mois plus tard, il n’y avait plus d’excommunication !
Bien sûr, il y avait notre croisade du Rosaire. Mais après la lettre que je leur avais envoyée, je pensais que ce ne serait pas de sitôt. En effet, le cardinal Castrillón m’a informé qu’il y avait eu deux réunions de cardinaux : une première où ils ont discuté des excommunications, la conclusion fut négative ; puis une deuxième dont la conclusion a été qu’ils pouvaient très bien reconnaître la Fraternité. Cela m’a été révélé plusieurs mois après…
Abbé Lorans
Monseigneur, vous nous montrez que les lignes de partage se déplacent quelque peu. Cette université d’été est consacrée à l’apologétique, est-ce que l’attitude des fidèles et des prêtres attachés à la tradition devrait à votre avis aussi changer ? Est-ce que c’est une période où il faut tenir compte précisément de la réalité qui nous est faite, et des situations qui nous sont données par la Providence ?
Mgr Fellay
Je pense qu’il faut garder une extrême prudence. Cette situation de contradiction forcément va susciter toutes sortes de bruits, de rumeurs dans tous les sens, voilà pourquoi il faut vraiment, si je puis parler ainsi, tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de parler, et j’ajouterais même : avant de croire quelque chose. Il faut regarder les faits, ne pas courir après les bruits si vous ne voulez pas « tourner en bourrique » !
Le cardinal Levada m’a invité le 14 septembre ainsi que les deux Assistants généraux. C’est quelque chose de nouveau. On dit qu’on a abordé tous les thèmes doctrinaux, qu’une réunion est maintenant nécessaire pour évaluer ces discussions théologiques et parler du futur. On dit qu’il y aura une proposition d’accord pratique, je n’en sais rien. Cela émane de partout : l’abbé Aulagnier dit qu’ils vont faire comme ça et que la Fraternité va refuser. Je n’en sais rien. Même Mgr Williamson en a parlé, je ne sais pas d’où il a reçu ses informations ; il paraît d’un porte-parole d’Ecclesia Dei… Qui est ce porte-parole ? Je n’en sais rien. Des bruits persistent, peut-être y aura-t-il du nouveau ? Il y a beaucoup de monde qui parle ; Rome ne dément pas mais je n’ai toujours rien reçu. On demeure dans l’expectative.
Si leur objectif reste toujours l’acceptation du concile par la Fraternité, les discussions ont été assez claires pour montrer que nous n’avons pas l’intention de nous engager dans cette voie. En 2005 déjà, après cinq heures de discussions au cours desquelles j’avais fait le tour et passé en revue toutes nos objections contre les erreurs, la situation de l’Eglise d’aujourd’hui, le Droit canon, je peux vous assurer que les échanges étaient tendus. Le cardinal Castrillón avait conclu : « Je ne peux pas dire que je sois d’accord avec tout ce que vous avez dit, mais vos propos montrent que vous n’êtes pas en dehors de l’Eglise. Ecrivez au pape pour lui demander d’enlever l’excommunication ».
J’ai compris alors que Rome était prête à faire un geste, sinon cette demande n’avait aucun sens. Ma réponse n’a pas été immédiate, car en fait, pour nous, il n’y a jamais eu d’excommunication. C’est pourquoi la lettre que j’ai écrite au pape ne demandait pas la levée mais l’annulation ou le retrait du décret, car celui-là, il existe. A ceux qui disent que j’ai demandé la levée de l’excommunication, je leur réponds que c’est faux. Le cardinal Castrillón m’a même écrit : « Vous demandez qu’on retire le décret, on va vous enlever l’excommunication ». C’est très clair, ils savent ce qu’ils disent.
Alors pour connaître l’exacte situation… Pour ma part, j’en suis à vous dire que ce qui va arriver demain, je ne le sais pas. Cela peut aller de la déclaration de schisme jusqu’à la reconnaissance de la Fraternité. Je ne veux pas spéculer. J’essaie de prévenir les situations, de réfléchir à ce qu’il faut faire dans tel ou tel cas de figure.
D’un côté, je préconise une extrême prudence, de ne pas courir après les bruits, d’en rester aux faits, au réel. Mon impression est que Rome se moque de ce qui est dit ; les paroles fusent dans tous les sens mais n’ont guère de valeur. Ne vous affolez pas. C’est un peu comme Notre-Seigneur, on vous dira il est ici, il est là, n’y allez pas, restez.
D’un autre côté, je retiens des discussions doctrinales qu’en soi elles n’apportent pas un grand bien dans l’immédiat, parce que c’est la rencontre de deux mentalités qui s’entrechoquent. J’en garde l’image d’un tournoi où deux chevaliers croisent le fer, s’élancent, mais passent à côté l’un de l’autre.
Ils ne peuvent en tout cas pas dire qu’on est d’accord. Si nous sommes d’accord sur un point, c’est que sur aucun point nous ne sommes d’accord ! Evidemment, si on parle de la Sainte Trinité on est d’accord… Mais le problème n’est pas là : quand on parle du concile, on parle de certains problèmes nouveaux, que nous appelons des erreurs.
Il y a ce bruit selon lequel on nous ferait des propositions. Mais à quelles conditions ? Y aura-t-il des conditions ? A mon point de vue, il serait invraisemblable qu’il n’y en ait pas. Certains disent que ce n’est pas possible, que jusqu’à présent ils ont toujours essayé de nous faire avaler le concile. Moi je ne sais pas. La seule chose que je dis, c’est : « on continue ». Nous avons nos principes, et le premier d’entre eux, c’est la Foi. A quoi servirait-il de recevoir un quelconque avantage ici-bas si on doit mettre en jeu la Foi ? c’est impossible. Et sans la Foi il est impossible de plaire à Dieu, donc notre choix est fait. D’abord la Foi, et à tout prix, elle passe même avant une reconnaissance par l’Eglise. Il faut avoir cette force.
Je voudrais dire une dernière chose : quelque chose bouge, et dans ce quelque chose qui bouge, il y a des âmes assoiffées, elles viennent de l’état désastreux de l’Eglise aujourd’hui, elles n’arrivent pas comme des âmes parfaites, mais il faut s’en occuper. Jusqu’ici nous avons eu une attitude de défense. Cependant il ne faut pas avoir peur d’introduire un élément d’attaque, un élément plus positif : aller vers les autres pour essayer de les gagner tout en faisant preuve de la plus grande prudence, car l’hostilité n’est pas finie. Imaginez que Rome nous reconnaisse tout à coup, j’ai de la peine à le croire, mais que se passerait-il alors ? Vous croyez que les progressistes vont changer vis-à-vis de nous ? Mais pas du tout ! D’une part ils vont continuer à nous rejeter comme ils l’ont toujours fait, ou ils vont essayer de nous faire avaler leur venin ; nous refuserons et le conflit repartira de plus belle, ne vous faites pas d’illusions. Si Rome nous reconnaissait, ce serait encore plus dur que maintenant. Maintenant, nous bénéficions d’une certaine liberté. Il faudra bien qu’un jour l’Eglise nous reconnaisse comme catholiques, mais ce ne sera pas facile.
De la part de Rome, il nous manque la clarté ; nous voudrions que Rome devienne de nouveau le phare de la vérité, mais c’est loin d’être le cas pour l’instant, c’est plus que flou… Pour notre part, fondamentalement nous ne changeons rien, nous continuons à nous axer sur la Foi, tout en étant prêts à aider les âmes qui souhaitent être aidées, même si elles ont des comportements qui laissent à désirer au départ. Il faut beaucoup de patience, de miséricorde tout en restant ferme, ce qui n’est pas facile ! Faisons attention à ne pas rejeter pour des raisons superficielles des âmes méritantes qui viendraient vers nous ; on ne veut pas n’importe qui, il ne faut surtout pas nous affaiblir, mais il faut être bon avec tout le monde. C’est une obligation aussi pour nous de grandir dans la vertu.
Il faut rester dans le domaine surnaturel. L’apologétique consiste dans la défense de la Foi, mais surtout au niveau de la raison, afin d’essayer de convaincre. Mais ce n’est pas suffisant. Pour convaincre, il faut que la grâce passe, et la grâce est surnaturelle. Pour convaincre il faut un acte du Bon Dieu, il faut donc prendre des moyens surnaturels. Pour nous, cela veut dire mener une vie chrétienne profonde, intense. C’est bien plus important que le combat simplement apologétique, mais cela ne veut pas dire qu’il faille négliger le premier, les deux sont nécessaires, mais c’est une question d’ordre
C’est pour cette raison que je me permets d’insister sur notre croisade. Les victoires que nous remportons sur la Rome moderniste, ce n’est pas à nous qu’il faut les attribuer, mais sans aucun doute à la Sainte Vierge et à nos croisades. C’est à la fin de chacune des croisades nous avons obtenu soit la messe, soit la levée des excommunication, chaque fois après nous être tournés vers la Sainte Vierge, et dans des situations considérées comme impossibles. Il ne faut pas seulement compter sur la Sainte Vierge mais encore se ranger sous sa bannière, la suivre. C’est son temps.
(Le style oral a été conservé)