Entretien exclusif de Mgr Fellay donné au District des USA

« Entretien accor­dé par Mgr Bernard Fellayau District des Etats-​Unis, le 2 février 2011, dans lequel sont abor­dées toutes les ques­tions tou­chant à la vie de l’Eglise et à celle de la Fraternité Saint-​Pie X. Aucun sujet n’a été esqui­vé, et nous remer­cions le Supérieur géné­ral d’avoir pris sur son temps pour répondre à nos questions

Nous offrons à nos lec­teurs la lec­ture de ce long docu­ment sur 2 jours au cours des­quels seront trai­tées les ques­tions suivantes :

Vendredi 18 février 2011
- I. LES ENTRETIENS DOCTRINAUX
– II. L’EFFET MOTU PROPRIO
– III. ASSISE 2011 

Lundi 21 février 2011
– IV. LA BEATIFICATION DE JEAN-​PAUL II ?
– V. LA FRATERNITE SAINT-​PIE X
– VI. L’EXPANSION DE LA FSSPX AUX USA
– VII. EN GUISE DE CONCLUSION
 »

I. LES ENTRETIENS DOCTRINAUX

Les repré­sen­tants de la FSSPX pour les dis­cus­sions doctrinales :
Mgr Alfonso de GALARRETA, entou­rés de MM. les abbés Jean-​Michel GLEIZE,
Benoît de JORNA et Patrick de LA ROCQUE, à la log­gia du Palais du Saint-Office. 

1. Monseigneur vous avez choi­si d’en­tre­prendre des dis­cus­sions doc­tri­nales avec Rome. Pourriez-​vous nous en rap­pe­ler le but ?
Il faut dis­tin­guer le but romain du nôtre. Rome a indi­qué qu’il exis­tait des pro­blèmes doc­tri­naux avec la Fraternité et qu’il fal­lait éclair­cir ces pro­blèmes avant une recon­nais­sance cano­nique, – pro­blèmes qui seraient mani­fes­te­ment de notre fait, s’a­gis­sant de l’ac­cep­ta­tion du Concile. Mais pour nous il s’a­git d’autre chose, nous sou­hai­tons dire à Rome ce que l’Église a tou­jours ensei­gné et, par là-​même, mani­fes­ter les contra­dic­tions qui existent entre cet ensei­gne­ment plu­ri­sé­cu­laire et ce qui se fait dans l’Eglise depuis le Concile. De notre côté, c’est le seul but que nous poursuivons.

2. Quelle est la nature de ces entre­tiens : négo­cia­tions, dis­cus­sions ou expo­si­tion de la doctrine ?
On ne peut pas par­ler de négo­cia­tions. Il ne s’a­git pas du tout de cela. Il y a d’une part une expo­si­tion de la doc­trine, et d’autre part une dis­cus­sion car nous avons effec­ti­ve­ment un inter­lo­cu­teur romain avec lequel nous dis­cu­tons sur des textes et sur la manière de les com­prendre. Mais on ne peut pas par­ler de négo­cia­tions, ni de recherche d’un com­pro­mis, car c’est une ques­tion de Foi.

3. Pouvez-​vous rap­pe­ler la méthode de tra­vail uti­li­sée ? Quels sont les thèmes qui ont déjà été abordés ?
La méthode de tra­vail est la méthode écrite : des textes sont rédi­gés sur les­quels s’appuiera l’entretien théo­lo­gique ulté­rieur. Plusieurs thèmes ont déjà été abor­dés. Mais je laisse pour l’instant cette ques­tion en sus­pens. Je peux vous dire sim­ple­ment que nous arri­vons au bout, car nous avons fait le tour des grandes ques­tions que pose le Concile.

4. Pouvez-​vous pré­sen­ter les inter­lo­cu­teurs romains ?
Ce sont des experts, c’est-​à-​dire des pro­fes­seurs de théo­lo­gie qui sont éga­le­ment consul­teurs de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. On peut dire des « pro­fes­sion­nels » de la théo­lo­gie. Il y a un Suisse, le Recteur de l’Angelicum, le père Morerod ; il y a un Jésuite, un peu plus âgé, le père Becker ; un membre de l’Opus Dei en la per­sonne de son Vicaire géné­ral, Mgr Ocariz Braña ; puis Mgr Ladaria Ferrer, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et enfin le modé­ra­teur, Mgr Guido Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei.

5. Y a‑t-​il une évo­lu­tion dans la pen­sée de nos inter­lo­cu­teurs depuis qu’ils ont lu les expo­sés des théo­lo­giens de la Fraternité ? 
Je ne pense pas qu’on puisse le dire.

6. Mgr de Galarreta, lors du ser­mon des ordi­na­tions à La Reja en décembre 2009, disait que Rome avait accep­té que le Magistère anté­rieur à Vatican II soit pris comme « unique cri­tère com­mun et pos­sible » dans ces entre­tiens. Y a‑t-​il un espoir que nos inter­lo­cu­teurs révisent Vatican II ou est-​ce impos­sible pour eux ? Vatican II est-​il vrai­ment une pierre d’achoppement ?
Je pense qu’il faut poser la ques­tion autre­ment. Par les dis­tinc­tions faites par le pape Benoît XVI dans son dis­cours de décembre 2005, on voit très bien qu’une cer­taine inter­pré­ta­tion du Concile n’est plus per­mise et donc, sans par­ler direc­te­ment d’une révi­sion du Concile, il y a mal­gré tout une cer­taine volon­té de révi­ser la manière de pré­sen­ter le Concile. La dis­tinc­tion peut sem­bler un peu sub­tile, mais c’est bien sur cette dis­tinc­tion que s’appuient ceux qui ne veulent pas tou­cher au Concile et qui recon­naissent néan­moins que, à cause d’un cer­tain nombre d’am­bi­guï­tés, il y a eu une ouver­ture en direc­tion de che­mins inter­dits, dont il faut rap­pe­ler qu’ils sont inter­dits. – Vatican II est-​il une pierre d’achoppement ? Pour nous, sans aucun doute, oui !

7. Pourquoi est-​il si dif­fi­cile pour eux d’admettre une contra­dic­tion entre Vatican II et le Magistère antérieur ?
La réponse est assez simple. A par­tir du moment où l’on recon­naît le prin­cipe selon lequel l’Église ne peut pas chan­ger, si on veut faire admettre Vatican II, on est obli­gé de dire que Vatican II n’a rien chan­gé non plus. C’est pour cela qu’ils n’ac­ceptent pas de recon­naître des contra­dic­tions entre Vatican II et le Magistère anté­rieur. Ils sont cepen­dant gênés pour expli­quer la nature du chan­ge­ment qui est bel et bien avéré.

8. Au-​delà du témoi­gnage de la Foi, est-​il impor­tant et avan­ta­geux pour la Fraternité de se rendre à Rome ? Est-​ce dan­ge­reux ? Pensez-​vous que cela puisse durer longtemps ?
Il très impor­tant que la Fraternité porte ce témoi­gnage, c’est même la rai­son de ces entre­tiens doc­tri­naux. Il s’agit vrai­ment de faire entendre à Rome la foi catho­lique et essayer – pour­quoi pas ? – de la faire entendre mieux encore dans toute l’Église.
Un dan­ger existe, c’est le dan­ger d’entretenir des illu­sions. On voit que cer­tains fidèles ont pu se ber­cer d’illu­sions. Mais les der­niers évé­ne­ments se sont char­gés de les dis­si­per. Je pense à l’an­nonce de la béa­ti­fi­ca­tion de Jean-​Paul II ou celle d’unnou­vel Assise dans la ligne des réunions inter­re­li­gieuses de 1986 et de 2002.

9. Le Pape suit-​il de près ces entre­tiens ? Les a‑t-​il déjà commentés ?
Je pense que oui, mais sans avoir de pré­ci­sions. – A‑t-​il com­men­té ces entre­tiens ? Il a dit lors de la réunion de ses col­la­bo­ra­teurs, cet été, à Castel Gandolfo, qu’il en était satis­fait. C’est tout.

10. Peut-​on dire que le Saint-​Père qui, depuis plus de 25 ans, a eu à trai­ter avec la Fraternité, se montre aujourd’hui plu­tôt plus favo­rable à son égard que dans le passé ?
Je n’en suis pas sûr. Oui et non. Je pense qu’en tant que pape, il a la charge de toute l’Église, le sou­ci de son uni­té, la crainte de voir se décla­rer un schisme. C’est lui-​même qui a dit que c’é­taient là les motifs qui le pous­saient à agir. Il est main­te­nant le chef visible de l’Eglise, c’est ce qui peut expli­quer pour­quoi il agit ain­si. Cela signifie-​t-​il qu’il mani­feste plus de com­pré­hen­sion vis-​à-​vis de la Fraternité ? Je crois qu’il a une cer­taine sym­pa­thie pour nous, mais avec des limites.

11. En résu­mé, que diriez-​vous de ces entre­tiens, aujourd’hui ?
S’il fal­lait les refaire, on les refe­rait. C’est très impor­tant. C’est capi­tal. Si on espère cor­ri­ger tout un mou­ve­ment de pen­sée, on ne peut pas se pas­ser de ces entretiens.

12. Depuis quelque temps, des voix ecclé­sias­tiques, comme celles de Monsignor Gherardini ou de Mgr Schneider, se font entendre qui émettent – à Rome même – de véri­tables cri­tiques sur les textes de Vatican II et non plus seule­ment sur leur inter­pré­ta­tion. Peut-​on espé­rer que ce mou­ve­ment s’amplifie et pénètre à l’intérieur du Vatican ?
Je ne dis pas qu’on peut l’espérer, mais qu’il faut l’espérer. Il faut vrai­ment espé­rer que ces débuts de cri­tiques – appelons-​les : objec­tives, sereines – se déve­loppent. Jusqu’ici on a tou­jours consi­dé­ré Vatican II comme un tabou, ce qui rend presque impos­sible la gué­ri­son de cette mala­die qu’est la crise dans l’Église. Il faut pou­voir par­ler des pro­blèmes et aller au fond des choses, sinon on n’ar­ri­ve­ra jamais à appli­quer les bons remèdes.

13. La Fraternité peut-​elle jouer un rôle impor­tant dans cette prise de conscience ? Comment ? Quel est le rôle des fidèles dans cet enjeu ?
Du côté de la Fraternité, oui, on peut jouer un rôle, pré­ci­sé­ment en pré­sen­tant ce que l’Église a tou­jours ensei­gné et en posant des objec­tions sur les nou­veau­tés conci­liaires. Le rôle des fidèles consiste à don­ner une preuve par l’ac­tion, car ils sont la preuve que la Tradition est vivable aujourd’­hui. Ce que l’Église a tou­jours deman­dé, la dis­ci­pline tra­di­tion­nelle est non seule­ment actuelle, mais réel­le­ment vivable aujourd’hui encore.

II. L’EFFET MOTU PROPRIO

Comment apprendre à célé­brer la messe dite de saint Pie V : voir ici

14. Monseigneur, pensez-​vous que le Motu Proprio, mal­gré ses défi­ciences, est un pas en faveur de la res­tau­ra­tion de la Tradition ?
C’est un pas capi­tal. C’est un pas qu’on peut dire essen­tiel, même si jus­qu’i­ci il n’a pra­ti­que­ment pas eu d’ef­fet, ou très peu, parce qu’il y a une oppo­si­tion mas­sive des évêques. Au niveau du droit, le fait d’a­voir recon­nu que l’an­cienne loi, celle de la messe tra­di­tion­nelle, n’a­vait jamais été abro­gée, est un pas capi­tal pour redon­ner sa place à la Tradition.

15. Concrètement, avez-​vous vu à tra­vers le monde d’importants chan­ge­ments de la part des évêques sur la messe tra­di­tion­nelle depuis le Motu Proprio ?
Non. Ici ou là, quelques-​uns obéissent au Pape, mais ils sont rares.

16. Qu’en est-​il des prêtres ?
Oui, je vois un grand inté­rêt de leur part, mais beau­coup d’entre eux sont per­sé­cu­tés. Il faut un cou­rage extra­or­di­naire pour oser sim­ple­ment appli­quer le Motu Proprio tel qu’il a été énon­cé. Oui, il y a des prêtres, de plus en plus, sur­tout dans les jeunes géné­ra­tions, qui s’intéressent à la messe tra­di­tion­nelle. C’est très consolant !

17. Y a‑t-​il des com­mu­nau­tés qui ont déci­dé d’adopter l’ancienne liturgie ?
Il y en a peut-​être plu­sieurs, mais il y en a une que l’on connaît, en Italie, celle des Franciscains de l’Immaculée, qui a déci­dé de reve­nir à l’an­cienne litur­gie. Pour la branche fémi­nine, c’est déjà fait. Pour les prêtres qui sont impli­qués dans la vie des dio­cèses, ce n’est pas tou­jours évident.

18. Que conseillez-​vous aux fidèles qui ont, depuis et grâce au Motu Proprio, une messe tra­di­tion­nelle plus près de chez eux que dans une cha­pelle de la Fraternité Saint-​Pie X ?
Ce que je conseille, c’est d’a­bord de deman­der conseil aux prêtres de la Fraternité, de ne pas aller à l’aveuglette à n’importe quelle messe tra­di­tion­nelle célé­brée près de chez soi. La messe est un tré­sor, mais il y a aus­si une manière de la dire et tout ce qui l’ac­com­pagne : le ser­mon, le caté­chisme, la façon de don­ner les sacre­ments… Toute messe tra­di­tion­nelle n’est pas néces­sai­re­ment accom­pa­gnée des condi­tions requises pour qu’elle porte tous ses fruits et qu’elle pro­tège l’âme des dan­gers de la crise actuelle. Donc, deman­dez d’abord conseil aux prêtres de la Fraternité.

19. La litur­gie n’est pas le fond de la crise dans l’Église. Pensez-​vous que le retour de la Liturgie est tou­jours le début d’un retour à l’intégrité de la Foi ?
La Messe tra­di­tion­nelle a une puis­sance de grâce abso­lu­ment extra­or­di­naire. On le voit dans l’ac­tion apos­to­lique, on le voit sur­tout chez les prêtres qui y reviennent, elle est vrai­ment l’an­ti­dote à la crise. Elle est réel­le­ment très puis­sante, à tous les niveaux, celui de la grâce, celui de la foi… Je pense que si on lais­sait une véri­table liber­té à l’an­cienne messe, l’Église pour­rait sor­tir assez vite de cette crise, mais cela pren­drait tout de même plu­sieurs années !

20. Depuis long­temps le Pape parle de « la réforme de la réforme ». Pensez-​vous qu’il sou­haite ten­ter de conci­lier la litur­gie ancienne avec la doc­trine de Vatican II, dans une réforme qui serait une voie moyenne ?
Écoutez, pour l’ins­tant, on n’en sait rien ! On sait qu’il veut cette réforme, mais jus­qu’où ira-​t-​elle ? Est-​ce qu’à la fin tout sera fon­du ensemble, « forme ordi­naire » et « forme extra­or­di­naire » ? Ce n’est pas ce qu’il y a dans le Motu Proprio qui demande que l’on dis­tingue bien les deux « formes » et qu’on ne les mélange pas : ce qui est très sage. Il faut attendre et voir ; pour l’ins­tant restons-​en à ce que disent les auto­ri­tés romaines.

III. ASSISE 2011

Le pre­mier scan­dale d’Assise orga­ni­sé par le pape Jean-​Paul II : voir ici

21. Le Saint-​Père a annon­cé la pro­chaine réunion d’Assise. Vous avez réagi dans votre ser­mon à Saint Nicolas le 9 jan­vier 2011 et vou­lu faire votre l’opposition qui fut celle de Mgr. Lefebvre lors de la pre­mière réunion, il y a 25 ans ? Pensez-​vous inter­ve­nir direc­te­ment auprès du Saint-Père ?
Si l’oc­ca­sion m’en est don­née et si elle peut por­ter du fruit, pour­quoi pas ?

22. Est-​ce si grave d’appeler les autres reli­gions à œuvrer pour la paix ?
Sous un aspect et seule­ment sous cet aspect, non. Appeler les autres reli­gions à œuvrer pour la paix – une paix civile –, il n’y a pas de pro­blème ; mais dans ce cas-​là, ce n’est pas au niveau reli­gieux, c’est au niveau civil. Ce n’est pas un acte de reli­gion, c’est tout sim­ple­ment un acte d’une socié­té reli­gieuse qui œuvre civi­le­ment en faveur de la paix. Ce n’est même pas la paix reli­gieuse qui est recher­chée, mais la paix civile entre les hommes.
En revanche, deman­der qu’à l’occasion de cette réunion des actes reli­gieux soient posés, c’est une absur­di­té parce qu’il y a une incom­pré­hen­sion radi­cale entre les reli­gions. Dans ces condi­tions, on ne voit pas ce que veut dire pré­tendre à la paix, alors qu’on n’est même pas d’ac­cord sur la nature de Dieu, sur le sens que l’on donne à la divi­ni­té. Vraiment on se demande com­ment on pour­rait abou­tir à quelque chose de sérieux.

23. On peut pen­ser que le Saint-​Père n’entend pas l’œcuménisme de la même manière que Jean-​Paul II. N’est-ce pas une dif­fé­rence de degré dans la même erreur ? 
Non, je crois qu’il l’en­tend de la même manière. Il dit bien : « C’est impos­sible de prier ensemble ». Mais il faut voir ce qu’il entend par là exac­te­ment. Il en a don­né une expli­ca­tion en 2003, dans un livre inti­tu­lé « La foi, la véri­té, la tolé­rance, la chré­tien­té et les reli­gions du monde ». Je trouve qu’il coupe les che­veux en quatre. Il essaie de jus­ti­fier Assise. On se demande bien com­ment cela sera pos­sible en octobre prochain.

24. Des intel­lec­tuels ita­liens ont mani­fes­té publi­que­ment leur inquié­tude sur les consé­quences d’une telle réunion. Connaissez-​vous d’autres réac­tions à l’intérieur de l’Église ?
Ils ont rai­son. Voyons-​nous d’autres réac­tions à l’in­té­rieur de l’Église ? Dans les milieux offi­ciels, non. Chez nous, évi­dem­ment oui.

25. Qu’en est-​il de la réac­tion des com­mu­nau­tés Ecclesia Dei ?
Il n’y en a pas, que je sache.

26. Comment expliquez-​vous que le Saint-​Père qui dénonce le rela­ti­visme en matière reli­gieuse et qui avait même refu­sé d’assister à la réunion d’Assise en 1986, puisse vou­loir com­mé­mo­rer une telle réunion en la réitérant ?
C’est un mys­tère pour moi. Je ne sais pas. Je pense qu’il subit peut-​être des pres­sions ou des influences. Probablement est-​il effrayé par les actes anti­chré­tiens, les vio­lences anti­ca­tho­liques : ces bombes en Egypte, en Irak. C’est peut-​être la rai­son qui l’a pous­sé à poser cet acte d’un nou­vel Assise, acte que je ne veux pas dire de déses­poir, mais acte posé en déses­poir de cause… Il essaie quelque chose quand même. Je ne serais pas éton­né si c’é­tait cela, mais je n’en sais rien de plus.

27. Y a‑t-​il une pos­si­bi­li­té que le Saint-​Père renonce à cette mani­fes­ta­tion interreligieuse ?
On ne sait pas trop bien com­ment elle sera orga­ni­sée. Il fau­dra voir. Je sup­pose qu’ils vont essayer d’en faire le mini­mum car, encore une fois, pour le Pape actuel, il est impos­sible que des groupes dif­fé­rents puissent prier ensemble alors qu’ils ne recon­naissent pas le même dieu. On se demande donc encore et tou­jours ce qu’ils vont pou­voir faire ensemble !

28. Que doivent faire les catho­liques face à cette annonce d’un Assise III ?
Prier pour que le Bon Dieu inter­vienne d’une manière ou d’une autre afin que cela ne se fasse pas, et dans tous les cas, com­men­cer déjà à réparer.

IV. LA BEATIFICATION DE JEAN-​PAUL II ?

Rome, le 14 mai 1999 : le pape Jean-​Paul II reçoit une délé­ga­tion ira­kienne com­po­sée de musul­mans – dont un imam – et de catholiques.

« À la fin de l’au­dience, le Pape s’est incli­né devant le livre saint musul­man, le Coran, pré­sen­tée par la délé­ga­tion, et il l’embrassa comme un signe de res­pect. La pho­to de ce geste a été pro­je­té à maintes reprises à la télé­vi­sion ira­quienne et elle démontre que le Pape n’a pas seule­ment conscience de la souf­france du peuple ira­kien, mais qu’il a éga­le­ment beau­coup de res­pect pour l’Islam (1) ».

(1) Témoignage du patriarche chal­déen catho­lique Raphaël pré­sent ce jour-​là dans la délégation.

29. L’annonce de la pro­chaine béa­ti­fi­ca­tion de Jean-​Paul II pose-​t-​elle un problème ?
Un pro­blème grave, celui d’un pon­ti­fi­cat qui a fait faire des bonds en avant dans le mau­vais sens, dans le sens du pro­gres­sisme et de tout ce qu’on appelle « l’es­prit de Vatican II ». C’est donc une consé­cra­tion non seule­ment de la per­sonne de Jean-​Paul II, mais aus­si du Concile et de tout l’es­prit qui l’a accompagné.

30. Y a‑t-​il un nou­veau concept de la sain­te­té depuis Vatican II ?
On peut le craindre ! C’est un concept de sain­te­té pour tous, de sain­te­té uni­ver­selle. Il n’est pas faux de dire qu’il y a un appel, une voca­tion à la sain­te­té pour tous les hommes ; mais ce qui est faux, c’est d’abaisser la sain­te­té à un niveau qui fait croire que tout le monde va au Ciel.

31. Comment de vrais miracles pourraient-​ils être per­mis par Dieu pour authen­ti­fier une fausse doc­trine, à l’occasion des mul­tiples béa­ti­fi­ca­tions et cano­ni­sa­tion faites ces der­nières décennies ?
C’est tout le pro­blème : est-​ce que ce sont des vrais miracles ? Est-​ce que ce sont des pro­diges ? Selon moi, il y a des doutes. Je suis très éton­né de la légè­re­té avec laquelle on traite ces choses-​là, pour autant que je puisse le savoir.

32. Si la cano­ni­sa­tion engage l’infaillibilité pon­ti­fi­cale, peut-​on refu­ser les nou­veaux saints cano­ni­sés par le pape ?
C’est vrai qu’il y a un pro­blème sur la ques­tion des cano­ni­sa­tions actuelles. Cependant on peut se deman­der s’il y a une véri­table volon­té d’en­ga­ger l’infaillibilité dans les termes uti­li­sés par le sou­ve­rain pon­tife. On a chan­gé ces termes pour la cano­ni­sa­tion, ils sont deve­nus beau­coup moins forts qu’auparavant. Je pense que cela va de pair avec la men­ta­li­té nou­velle qui ne veut pas défi­nir dog­ma­ti­que­ment en enga­geant l’in­failli­bi­li­té. Cependant recon­nais­sons qu’on reste là sur des pistes… Il n’y a pas de réponse satis­fai­sante, si ce n’est celle de l’intention de l’autorité suprême d’engager ou non son infaillibilité.

33. Peut-​on choi­sir par­mi les saints nou­vel­le­ment pro­po­sés à la véné­ra­tion des fidèles ? Qu’en est-​il du Padre Pio ?
Je pense qu’il ne faut pas choi­sir. Cependant, on peut tou­jours gar­der les cri­tères qui ont été uni­ver­sel­le­ment recon­nus dans le pas­sé, ain­si lors­qu’il y a une dévo­tion popu­laire mas­sive, comme pour le père Maximilien Kolbe ou pour le Padre Pio, cela ne devrait pas faire de dif­fi­cul­té. Mais encore une fois, ce ne sont là que des opi­nions, en l’absence d’un juge­ment magis­té­riel dog­ma­ti­que­ment énoncé.

34. Et Mgr Lefebvre, avez-​vous des exemples de grâces obte­nues par son intercession ?
Oui, on en connaît, et même pas mal. Mais je ne sais pas si elles sont vrai­ment de l’ordre du miracle, peut-​être pour l’une ou l’autre. Lorsqu’il s’agit de gué­ri­sons, on n’a pas, à ma connais­sance, tous les docu­ments médi­caux néces­saires. Beaucoup de grâces sont obte­nues par l’in­ter­ces­sion de Monseigneur, mais je ne m’é­tends pas plus.

V. LA FRATERNITÉ SAINT-​PIE X

Quelques sta­tis­tiques du déve­lop­pe­ment de la FSSPX dans le monde : voir ici 

35. La Fraternité vient de fêter un impor­tant anni­ver­saire. Comment pouvez-​vous résu­mer ces 40 années ?
Une his­toire enthou­sias­mante… des larmes, beau­coup, au milieu de grandes joies. Une des joies les plus grandes est celle de consta­ter à quel point le Bon Dieu nous per­met d’être asso­ciés à plu­sieurs des béa­ti­tudes qu’il a prê­chées dans le Sermon sur la mon­tagne, comme celle de pou­voir souf­frir pour Son Nom. Et à tra­vers toutes les vicis­si­tudes de la crise pré­sente, nous voyons que cette œuvre conti­nue de gran­dir – ce qui, humai­ne­ment, est proche de l’im­pos­sible. C’est bien la marque de Dieu sur l’œuvre de Mgr Lefebvre.

36. Y a‑t-​il un accrois­se­ment de voca­tions ? Et si oui, quelles en sont les causes ?
Je crois qu’il y a une grande sta­bi­li­té. J’aimerais voir plus de voca­tions. Je pense qu’il va fal­loir relan­cer les croi­sades de voca­tions. Le monde est très hos­tile en tant que tel à l’éclosion des voca­tions, c’est pour­quoi il faut essayer de recréer par­tout des cli­mats dans les­quels les voca­tions peuvent de nou­veau éclore. Car il y a bien des voca­tions, mais sou­vent elles n’ar­rivent pas à mûrir à cause de ce monde matérialiste.

37. Vous avez rela­té der­niè­re­ment, lors du Congrès Courrier de Rome, à Paris, une réunion d’une tren­taine de prêtres dio­cé­sains en Italie à laquelle vous avez assis­té. Qu’est-ce que les prêtres attendent aujourd’hui de la Fraternité ?
Ces prêtres nous demandent avant tout la doc­trine, ce qui est un signe excellent. S’ils sont chez nous, c’est bien sûr parce qu’ils veulent l’an­cienne messe, mais après la décou­verte de cette messe, ils veulent autre chose. Ils en veulent plus, parce qu’ils découvrent tout un monde qu’ils savent authen­tique. Ils ne doutent pas que là est la vraie reli­gion. Ils ont alors besoin de renou­ve­ler leurs connais­sances théo­lo­giques. Et ils ne se trompent pas, ils vont direc­te­ment à saint Thomas d’Aquin.

38. Ce mou­ve­ment de prêtres qui se tournent vers la Fraternité est-​il, à des degrés divers, le même dans tous les pays ? 
Il y a cer­tai­ne­ment des degrés divers et même des chiffres dif­fé­rents selon les pays. Mais on retrouve le même phé­no­mène un peu par­tout. Le prêtre, en géné­ral jeune, qui s’ap­proche de la messe tra­di­tion­nelle, qui découvre avec un grand enthou­siasme ce tré­sor, fait petit à petit un che­mi­ne­ment vers la Tradition qui le rend, à la fin, tout à fait traditionnel.

39. Avez-​vous l’espoir qu’un tel inté­rêt puisse aus­si atteindre cer­tains évêques, au point d’envisager une future collaboration ?
Nous avons déjà des contacts avec des évêques mais pour l’ins­tant tout est gelé, par les confé­rences épis­co­pales et les pres­sions alen­tour, mais il ne fait aucun doute que dans l’avenir il pour­ra y avoir une col­la­bo­ra­tion avec cer­tains évêques.

40. Etes-​vous prêt à ten­ter l’expérience de la Tradition avec un évêque, au niveau d’un diocèse ?
Ce n’est pas encore mûr, on n’en est pas encore là, mais je pense que cela va arri­ver. Ce sera dif­fi­cile, il fau­dra voir de près com­ment on pour­ra le réa­li­ser. Il sera indis­pen­sable que cela se fasse avec des évêques qui ont réel­le­ment com­pris la crise et qui veulent vrai­ment de nous.

41. Les fidèles sont de plus en plus nom­breux. Les cha­pelles se mul­ti­plient. L’état de néces­si­té est tou­jours pré­sent. Envisagez-​vous la consé­cra­tion d’autres évêques auxi­liaires pour la Fraternité ? Pensez-​vous que Rome puisse être favo­rable à des consé­cra­tions épis­co­pales dans la Tradition aujourd’hui ?
Pour moi, la réponse est très simple : il y aura ou il n’y aura pas d’é­vêques selon que les cir­cons­tances qui ont pré­va­lu à la pre­mière consé­cra­tion, se retrouvent ou pas.

VI. L’EXPANSION DE LA FSSPX AUX ETATS-UNIS

L’expansion de la FSSPX aux USA

42. Monseigneur, nous avons la joie de vous voir sou­vent aux États-​Unis. Vous aimez vous y rendre. Un commentaire ? 
Mon com­men­taire : j’aime toutes les âmes que le Bon Dieu nous confie, et il y en a pas mal aux États-​Unis. Voilà tout !

43. Avez-​vous déjà pu ren­con­trer le car­di­nal Burke ?
J’ai essayé de le voir plu­sieurs fois, mais je ne l’ai pas encore vu.

44. Les évêques aux États-​Unis ont été nom­breux à mani­fes­ter leur sou­tien à la Marche de la Vie, l’un d’entre eux est même inter­ve­nu éner­gi­que­ment contre un hôpi­tal qui favo­ri­sait l’avortement. Y a‑t-​il un espoir qu’ils com­prennent que la crise actuelle touche aus­si la Foi ? 
Je pense que, mal­heu­reu­se­ment, il faut dis­tin­guer chez les modernes les mœurs et la foi. On pour­ra ain­si trou­ver plus d’évêques encore sen­sibles aux pro­blèmes moraux que d’évêques atta­chés aux ques­tions de foi. Cependant on peut se dire que si quel­qu’un défend avec beau­coup de cou­rage la morale catho­lique, for­cé­ment il doit avoir la foi et sa foi en sera même ren­for­cée… C’est ce que j’espère, tout en recon­nais­sant qu’il y a quelques exceptions…

45. Les évêques amé­ri­cains veulent révi­ser ensemble les direc­tives don­nées par Jean-​Paul II pour les uni­ver­si­tés. Quelles devraient être, selon vous, les mesures urgentes à prendre pour faire des uni­ver­si­té actuelles, de véri­tables uni­ver­si­tés catholiques ? 
La mesure urgente, la pre­mière c’est le retour à la sco­las­tique. Il faut balayer ces phi­lo­so­phies modernes, reve­nir à la saine phi­lo­so­phie, la phi­lo­so­phie objec­tive, réa­liste. Saint Thomas – comme au début du XXe siècle – doit rede­ve­nir la norme. Autrefois les 24 thèses tho­mistes étaient obli­ga­toires. Il faut y reve­nir, c’est abso­lu­ment néces­saire. Et après cette res­tau­ra­tion phi­lo­so­phique, on pour­ra conti­nuer sur la même lan­cée en théologie.

46. Mgr Robert Vasa de Baker (OR) a récem­ment rap­pe­lé que les décla­ra­tions de la Conférence épis­co­pale ne pou­vaient obli­ger un évêque dans son dio­cèse. Est-​ce une remise en cause de la col­lé­gia­li­té pro­mue au Concile ? 
Sur cette ques­tion de la col­lé­gia­li­té, ce n’est pas seule­ment un évêque qui a par­lé. Le pape lui-​même, s’adressant à la Conférence épis­co­pale bré­si­lienne, a eu des paroles très fortes remet­tant à sa place le rôle de la Conférence épis­co­pale et insis­tant sur l’au­to­ri­té per­son­nelle des évêques et sur leurs rela­tions directes avec le Saint-Père.

47. Le Séminaire de Winona est le plus impor­tant en nombre de sémi­na­ristes ? Comment expliquez-​vous cela ?
Je pense que c’est dû tout sim­ple­ment à la géné­ro­si­té de ce pays qui faci­le­ment se laisse enthou­sias­mer par une bonne cause.

48. Que faire pour mul­ti­plier les voca­tions sacer­do­tales et religieuses ?
Prier, prier, prier ! Se sacri­fier aussi.

49. Quels sont les points forts du monde de la Tradition aux États-Unis ?
Je pense qu’il y a cette géné­ro­si­té dont je viens de par­ler, et aus­si les écoles. C’est vrai qu’il y a un nombre impor­tant de prêtres et qu’il en fau­drait davan­tage encore, mais je dirais sur­tout que les écoles sont indis­pen­sables. Il faut éga­le­ment encou­ra­ger l’aide aux familles tra­di­tion­nelles. Il faut qu’on mette sur pied un mou­ve­ment pour les familles, pour les sou­te­nir, pour les for­mer. C’est la cel­lule pre­mière de la socié­té. Elle est fon­da­men­tale dans l’ordre natu­rel et dans l’ordre surnaturel.

50. Qu’est-elle pour vous, Monseigneur, l’importance des écoles ?
Elle est capi­tale. C’est le futur. La jeu­nesse sera catho­lique, si elle a reçu une bonne for­ma­tion. Et pour cela, il nous faut des écoles catholiques.

51. Les familles nom­breuses, parce que géné­reuses, sont quel­que­fois réduites à faire l’école à la mai­son. Que recommandez-​vous à celles qui ont accès à de bonnes écoles ? 
Celles qui ont accès à de bonnes écoles, il ne faut pas qu’elles hésitent un ins­tant : qu’elles mettent leurs enfants dans ces écoles ! L’école à la mai­son ne rem­pla­ce­ra jamais une bonne école. S’il n’y a pas de bonne école, c’est évi­dem­ment autre chose.

52. Envisagez-​vous, Monseigneur, d’appeler à une autre croi­sade du Rosaire ? Que recommandez-​vous aux fidèles aujourd’hui ?
Oui ! La situa­tion du monde, la situa­tion de l’Église – on le voit bien – conti­nue d’être très sombre, même s’il y a des lueurs d’es­poir, et ces élé­ments angois­sants nous obligent plus que jamais à redou­bler d’in­ten­si­té dans la prière, dans le recours à la Sainte Vierge. Pour les fidèles d’au­jourd’­hui, ce qui est indis­pen­sable c’est la prière, la prière en famille, renou­ve­lée, fré­quente, accom­pa­gnée de ce qui forme l’âme chré­tienne, l’es­prit de sacrifice.

VII. EN GUISE DE CONCLUSION

53. Monseigneur, vous fête­rez l’année pro­chaine vos 30 années de sacer­doce, dont 18 ans à la tête de la Fraternité Saint-​Pie X. Quels furent les évé­ne­ments majeurs au cours de toutes ces années ? 
C’est tout un roman !… Biensûr, les sacres sont à citer en pre­mier ! Comme évé­ne­ments majeurs figurent aus­si la joie d’a­voir été auprès de Mgr Lefebvre, la joie d’a­voir été auprès de l’ab­bé Schmidberger, et d’a­voir beau­coup appris à leurs côtés ; la joie aus­si d’a­voir pu tra­vailler avec les autres évêques de la Fraternité, ain­si qu’avec tous nos prêtres dans un grand élan de zèle pour la Foi, pour le main­tien de l’Église catholique.

54. Un sou­hait pour les années qui viennent ?
Que l’Église retrouve ses rails ! C’est une image, mais c’est vrai­ment notre sou­hait. Et pour cela il faut que le triomphe du Cœur Immaculé de la Très Sainte Vierge arrive ! Nous en avons tant besoin !

Merci Monseigneur d’avoir bien vou­lu accep­ter de répondre à cet entretien.

Entretien recueilli au sémi­naire Saint-​Thomas de Winona (USA), le 2 février 2011, en la fête de la Présentation de Jésus et de la Purification de la Très Sainte Vierge.

Merci à M. l’abbé Arnaud Rostand, Supérieur du District des Etats-​Unis, et à ses col­la­bo­ra­teurs qui nous ont per­mis de publier cet entre­tien exclusif.

Egalement au Service d’information de la Maison géné­ra­lice et aux équipes rédac­tion­nelles amé­ri­caines, argen­tines et fran­çaises qui ont tra­duit et mis en forme les pro­pos de Mgr Bernard Fellay.

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.