Fideliter 213 - Le 30 juin 1988 :
soleil sur le Valais, Côme de Prévigny
Le vingt-cinquième
anniversaire des consécrations
épiscopales de 1988, évoqué
par le supérieur de district
dans l'éditorial de ce numéro,
demande d'abord que l'on
revive, avec le souvenir, ce
moment historique et de grâce.
Comme chaque année, les fanions aux couleurs
de la Suisse et du Valais flottent sur les
flancs des montagnes valaisannes. Le son
des trompettes et de l'orgue met fin aux discussions
des fidèles venus des quatre coins du monde, tandis
que la longue procession des clercs et religieux
s'ébranle depuis l'angle de l'antique maison des chanoines
du Grand Saint-Bernard. Mais si la chaleur
qui baigne habituellement la vallée rhodanienne est
bien au rendez-vous, les yeux, très nombreux cette
année-là, se tournent tous avec curiosité vers ces
quatre lévites qui vont devenir dans quelques instants
successeurs des Apôtres. On appréhende, on
scrute. Avec amusement déjà, on compare… Et on
rend grâces ! Derrière le silence du cérémonial qui,
soudainement, s'impose à la foule ce 30 juin 1988,
se joue un drame. C'est celui d'une Église que deux
prélats octogénaires sauvent in extremis. C'est aussi
une sérénité qui gagne les coeurs, celle du devoir
accompli. Ce jour-là, l'ancien délégué de Pie XII a
bel et bien transmis tout ce qu'il avait reçu.
L'émotion d'une année chargée
Les mois se sont succédé. Les journaux ont titré tantôt
sur l'espoir d'un dialogue qui se renouait, tantôt
sur une rupture qu'ils qualifiaient chaque jour d'irrémédiable.
La visite du cardinal Gagnon, à l'automne
1987, a été faite d'espoirs et de déceptions : espoir
de savoir la Tradition reconnue, désir ardent que le rapport du visiteur romain proclame
enfin la vérité. Puis leur succédèrent la
déception de ne pas voir paraître le cardinal
à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, la
tristesse de s'apercevoir avec le temps que
les conclusions du cardinal se perdaient
dans les bureaux du Vatican. Début mai
1988, on apprenait que Mgr Lefebvre
avait finalement conclu, seul, un protocole
d'accord avec Rome. Et, dans la
même solitude, il avait dénoncé le fameux
protocole le lendemain. En ce 30 juin
1988, c'est toute cette émotion d'un calendrier
accéléré depuis un an qui se relâche.
Le fondateur de la Fraternité n'aura rien
épargné à son corps affaibli pour pérenniser
le trésor de la Tradition et pour parvenir
à un arrangement viable. En vain, il
préside au dernier sauvetage.
Marcel Lefebvre avait tout sauvegardé :
la messe qu'il avait apprise et enseignée
à ses prêtres, le catéchisme que ses valeureux
confrères ne se lassaient pas d'enseigner,
le sacerdoce qu'il avait maintes et
maintes fois conféré au cours de journées
d'ordinations mémorables. Il ne lui restait
qu'à transmettre la clef de voûte qui
devait permettre à cet ensemble de subsister
: l'épiscopat. Si cet office est nécessaire,
c'est qu'il permet de bénéficier de prêtres
qui eux-mêmes dispensent les sacrements.
Mais en procédant à des sacres proscrits,
Mgr Lefebvre ne faisait que parachever
ce qu'il avait fait chaque année en ordonnant
: de manières diverses, il sauvait le
sacerdoce catholique. Certes la peine officielle
infligée aux consécrateurs illégaux
était impressionnante. Elle eut raison de
la patience de ceux qui avaient pourtant
jadis soutenu des ordinations, lesquelles
n'étaient pas moins irrégulières aux
yeux des légalistes. Qu'importe, l'ancien
broussard du Gabon en avait vu d'autres.
Toute l'existence de la Fraternité a été parsemée
de défections, tantôt initiées par
ceux qui accusaient leur supérieur de sombrer
dans le schisme et de s'opposer au
pape, tantôt par ceux qui criaient au libéralisme
et qui se retournaient contre celui
à qui ils devaient tout parce qu'ils le soupçonnaient
de faire le lit d'une Rome qu'ils
déclaraient apostate. « Qu'il en tombe
mille à ta gauche, dix mille à ta droite, dit
le psaume, toi, tu ne seras pas atteint (1).»
Une heure grave
Le 30 juin 1988 demeure un moment
grave car nul n'ignore les douloureuses
peines qui vont pleuvoir des autorités.
L'attitude gênée de dom Gérard Calvet laisse déjà imaginer la peine que causera
la distance prise par des compagnons
de route, notamment par un brillant
monastère, fleuron du mouvement traditionnel.
Certains esprits font mine de ne rien transparaître. Ils n'en appréhendent
pas moins intérieurement les déchirements
qui vont avoir lieu au sein des
familles. Parmi les prêtres, les dissensions
qui semblent poindre au séminaire allemand
ne sont un secret pour personne.
Et comme pour couronner de manière
théâtrale cette montée au calvaire, la
Mercedes noire de la nonciature qui
vient se présenter à la porte d'Écône, tard
dans la soirée du 29 juin, repart vide. À
Rome, on dira que Mgr Lefebvre n'a pas
saisi la main tendue. Mais dans les rangs
de la Fraternité, on regrettera avec peine
que ceux qui ont charge de confirmer
leurs frères dans la foi n'aient pas perçu
les dangers de l'aggiornamento.
Au cours des mois précédents,
Mgr Lefebvre a vécu tous ces dilemmes
dans sa chair. « Pendant plus d'un an,
il se levait la nuit pour prier, devant le
saint sacrement, pendant une heure au
moins, de minuit à une heure, pour avoir
les lumières du bon Dieu, pour savoir (2). »
Au directeur du séminaire, il confiait que,
pendant des mois, il vivait avec un cercle
de fer autour de la tête (3), véritable couronne
d'épines propitiatoire qui devait lui
attirer les grâces pour poser le bon choix.
Mais au début du mois de juin, une fois
qu'il a pris la ferme décision de procéder
aux sacres, le métal s'est soudain rompu
autour de son front et il a fini par disparaître.
« Il souffrait de devoir sacrer des
évêques contre l'avis de Rome. Il en devenait
malade, il ne dormait pratiquement
pas la nuit. Il était resté au moins dix
jours sans dormir. Je le voyais fatigué. Je lui demandais : "Qu'est-ce qu'il y a ?" "Je
ne peux pas dormir, je ne sais pas ce qu'il
faut faire." Il priait le Saint Esprit pour
être éclairé. Alors après [les sacres], c'était
terminé. Il était dans la paix, la sérénité
totale, complète, il était heureux. Mais
jusque-là, jusqu'à ce qu'il ait décidé, il a
passé des mois terribles (4) » rapporte son
chauffeur. « Il m'avait demandé ce que
j'en pensais », raconte mère Anne-Marie
Simoulin, la fondatrice des dominicaines
enseignantes de Fanjeaux. « Je n'étais pas
d'accord. Et puis quand j'ai compris que
c'était vraiment le seul moyen de sauvegarde
de la foi, j'étais tout à fait d'accord.
Et le soir des sacres, il m'a convoquée, et
il m'a dit : "Ma mère, je suis dans une paix
incroyable, je suis sûr que j'ai fait ce que le
bon Dieu voulait (5) !"»
La joie du devoir accompli
Cette journée du 30 juin 1988 est en
même temps marquée par la sérénité.
Quand Mgr Lefebvre sort au petit matin,
il apparaît comme il est chaque jour : paisible,
ne manifestant ni crainte excessive
ni excitation particulière. Ses mots
sont toujours mesurés et son moral ne
semble pas altéré. Depuis quelques jours
déjà, il a pris sa décision et il sait qu'il ne
peut pas se dérober là où Dieu l'attend (6).
Quelques jours auparavant, une véritable
joie l'avait gagné en accueillant Mgr de
Castro Mayer. Dans sa solitude, le prélat
se trouvait conforté par le concours de
cet ami de trente ans. À travers lui, c'était
l'esprit du Coetus internationalis Patrum qui venait se joindre à l'oeuvre de survie.
C'était cette génération, clairsemée
mais encore bien présente, des évêques
nommés sous Pie XII qui apportait son
soutien à cette cérémonie historique.
L'évêque de Campos déclara le jour des
consécrations épiscopales : « On me
dit : "Monseigneur, si vous allez à Écône,
vous faites un péché mortel." Et moi, j'ai
répondu : "Si je n'étais pas venu à Écône,
j'aurais commis un péché mortel (7)."»
Avec le joyeux affairement de la journée,
le cérémonial des évêques apporte
de véritables grâces d'apaisement dans
les coeurs. Pendant des années, la messe
a été suspendue à la vie d'un archevêque.
Les séminaristes étaient chaque jour soucieux
des aléas de la vie d'un missionnaire
en retraite. Désormais le monde
traditionnel va vivre de l'appel d'air que
constitue l'apostolat des évêques de la
Fraternité Saint-Pie X. Jusqu'à 1988, les
communautés régularisées par Rome
échouaient toujours au bout de quelques
mois. Le séminaire Mater Ecclesiæ avait
fermé aussi rapidement qu'il était né.
L'abbaye Saint-Joseph de Clairval était à
peine érigée qu'elle devait déjà s'adapter
à la réforme liturgique. Si des communautés
ont ensuite pu bénéficier durablement
du missel tridentin, c'est à la faveur
des sacres du 30 juin 1988. Et sans échafauder
outre mesure des plans relevant
de l'imagination, on se demande ce qui
resterait des autorisations consenties en
faveur de la messe traditionnelle si cet
épiscopat traditionnel sans intermittence
venait à disparaître.
Le temps s'est écoulé. Un quart de
siècle a passé. Et déjà, une nouvelle génération
s'est levée. Ne faiblissons pas. Ne
nous engouffrons pas dans la facilité, ni
dans une usure confortable, ni dans une
crispation amère, mais gardons l'espérance.
Lors d'un numéro spécial pour
les dix ans des sacres, c'est une invitation
semblable que proposait l'abbé Pierre-
Marie Laurençon, supérieur du district
de France à l'époque, pour conclure son
éditorial de Fideliter : « Bien au-dessus
de ces deux sentiments humains
de tristesse et de joie, notre âme vibre
d'une espérance surnaturelle inaltérée
en l'Église une, sainte, catholique, apostolique
et romaine. Oui, malgré les obscurcissements
passagers, nous savons que les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Oui, malgré le libéralisme installé
au plus haut niveau de la hiérarchie,
nous confessons que c'est à Pierre que le
Seigneur a remis les clefs du Royaume
des Cieux. Oui, "nous adhérons de tout
notre coeur, de toute notre âme à la Rome
catholique, gardienne de la foi catholique
et des traditions nécessaires au maintien
de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse
de sagesse et de vérité 8." »
Côme de Prévigny
Notes
1 - Ps 91, 7.
2 - Entretien avec l'abbé Emmanuel du Chalard, 1er juin 2011.
3 - Entretien avec l'abbé Alain Lorans, 1er mai 2013.
4 - Entretien avec Rémy Borgeat, chauffeur de Mgr Lefebvre, 12 mai 2011.
5 - Entretien avec mère Anne-Marie Simoulin, 11 février 2011.
6 - Entretien avec l'abbé Alain Lorans, 1er mai 2013.
7 - Abbé Paul Aulagnier, La Tradition sans peur, éd. Servir, 2000, p. 193.
8 - Fideliter n° 123, mai-juin 1988, p. 2.
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