Accès à la Constitution dogmatique Lumen Gentium
Historique
A la mi-novembre de la première session (1962), les Pères conciliaires reçurent un schéma De ecclésia composé de onze chapitres.
Une première orientation
La discussion dans l’aula commença le 1er décembre 1962 et se prolongea jusqu’au 7. Parmi les 78 intervenants lors de cette session, quelques uns furent remarqués. Le 4 décembre, le cardinal Suenens prit la parole et, rappelant le discours du pape du 11 septembre [1],demanda que ce schéma traitât de l’Église dans l’optique définie par le pape : le concile doit envisager l’Église dans son rapport avec le monde et la personne humaine, dans son dialogue avec les fidèles et les chrétiens non encore visiblement unis. Il fut applaudi !
Après cette intervention, Béa rappela la primauté naturelle et biblique du collège des évêques ; le lendemain, le cardinal Montini, hôte du pape et influent à la curie, soutint Suenens et insista sur la doctrine du collège des Apôtres. Le cardinal Lercaro parla dans le même sens. Ces hommes d’Église, même s’ils ne créent pas l’unanimité, suffisent à insuffler une orientation à la discussion.
En coulisse…
Entre les deux sessions, le texte est revu par une commission de coordination. Elle cherche à montrer le lien entre Vatican I et Vatican II en rappelant la doctrine de la primauté sous un éclairage plus pastoral et plus œcuménique ; la collégialité épiscopale est développée ; les contacts avec les frères séparés sont évoqués ; le rôle des laïcs dans l’Église est largement abordé.
Pendant ce temps, l’épiscopat allemand ne perd pas son temps ! Réuni à Munich les 5 et 6 février 1962 puis à Fulda en août, ils tracent leur ligne de conduite et de pensée pour la session suivante, et élaborent des textes.
Début de tempête
A l’ordre du jour de la deuxième session (30 septembre 1963), le texte De Ecclesia. De onze chapitres, il est passé à quatre. Les débats dureront jusqu’au 31 octobre. Ils tournent principalement autour de la collégialité et du pouvoir des évêques. Deux lignes apparaissent très clairement : les progressistes avec les cardinaux Frings et Döpfner d’une part, et les conservateurs avec les cardinaux Ruffini, Siri, et Nos Seigneurs Carli et de Proença Sigaud d’autre part. Ces discussions ont engendré une véritable ligne de démarcation entre deux courants de pensée radicalement opposés.
La bataille fait rage
Lorsque arrive la troisième session, le texte a été bien retravaillé par la commission de coordination dans le sens de la collégialité moderne. Un évêque de la curie, Mgr Staffa, s’en était plaint au pape, lequel n’avait pas réagi. Lorsque ce même évêque demandera la parole dans l’aula conciliaire, on la lui refusera !
Les discussions se poursuivent, toujours très houleuse. Le Cœtus, qui s’est constitué en réaction aux progressistes à l’inter-session, demande de nombreux modi dont la mouture proposée au vote ne tient même pas compte. On cherche à museler la résistance…
Il a fallu l’imprudence d’un libéral qui laissa s’égarer un papier sur lequel il précisait comment interpréter les passages ambigus après le concile. Ce papier parvient au pape qui s’effondre et pleure. Cet incident oblige le pape à réagir. Il fait rédiger et impose d’autorité la fameuse Nota prævia explicativa qui est ajoutée à la fin de la constitution. Pour les libéraux, c’est une véritable défaite.
La dernière roue du carrosse ?
Après le schéma sur l’Eglise, les Pères conciliaires devaient traiter du texte sur la Très Sainte Vierge. Cependant, entre les deux premières sessions, il avait été décidé (et les évêques du Rhin n’y étaient pas pour rien) de fondre ce schéma en un chapitre et de l’adjoindre à la constitution sur l’Église.
Cependant, même réduit, ce schéma déplaisait encore. Les théologiens progressistes, et particulièrement le père Rahner et l’abbé Ratzinger, s’opposaient à ce que l’on traitât des questions de la corédemption, de la médiation… En un mot, il fallait éviter de heurter protestants et orthodoxes. La théologie de la Vierge Marie ne devait pas être un obstacle à l’œcuménisme.
Les discussions furent agitées, et si le chapitre qui nous reste aujourd’hui n’est pas simplement un texte de compromis, il est certain en revanche que la théologie mariale n’a guère avancé au concile.
Présentation
Document phare, cette constitution marque un véritable tournant dans la doctrine catholique. Malgré la « défaite » des libéraux lors de la semaine noire au concile, ce texte véhicule déjà des idées révolutionnaires en matière d’ecclésiologie.
Un titre
Lumen gentium : le titre est à lui seul un programme ou du reste un indice. Il rappelle un message au monde entier de Jean XXIII daté du 11 septembre 1962. Le pape avait alors qualifié l’Église du Christ de lumière des nations. Certes, l’Église se doit d’être une lumière pour les nations en ce qu’elle leur apporte la foi et l’espérance du salut éternel par Jésus Christ. Mais dans l’esprit du pape, le discours a une autre teneur : l’Église doit s’ouvrir au monde et chercher à l’accueillir en son sein dans un dialogue. Fini donc des textes trop doctrinaux qui ferment la porte à ceux qui ne sont pas dans le sein de l’Église. L’optique est œcuménique.
Un plan
Le plan donne lui aussi une indication assez nette. Il est composé de huit parties :
- le mystère de l’Église ;
- le peuple de Dieu ;
- la constitution hiérarchique de l’Église et spécialement de l’épiscopat ;
- les laïcs ;
- la vocation universelle à la sainteté ;
- les religieux ;
- le caractère eschatologique de l’Église pérégrinante et son union avec l’Église céleste ;
- la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l’Église.
Des orientations
Il est significatif que le peuple de Dieu (chapitre 2) soit traité avant la hiérarchie. C’est précisément dans le chapitre 2 qu’est abordée la question d’un sacerdoce commun aux fidèles et aux prêtres, avant de parler du sacerdoce ministériel propre aux prêtres. La maladresse de ce plan apporte une équivoque théologique : quelle est la relation entre ces « deux » sacerdoces ? Lequel est premier ? Pour certains Pères conciliaires, c’est le sacerdoce commun des fidèles, de sorte que l’Église n’est plus d’abord une hiérarchie, mais devient l’unité d’un peuple (orientée d’ailleurs vers l’unité du genre humain) : les laïcs consacrent le monde à Dieu est-il dit au numéro 34. Ce n’est pas en vain que les évêques ont même demandé la participation des laïcs jusqu’au sein même de la curie romaine.
D’autre part, la vocation universelle à la sainteté est une réalité : le Bon Dieu appelle tous les hommes à la sainteté. Mais celle-ci n’est pas une affaire banale ou ordinaire. Elle nécessite l’héroïcité des vertus et particulièrement des vertus théologales. Or le texte gomme cette héroïcité. C’est tout l’aspect de sacrifice, de mortification et de vie intérieure qui s’effondre par là même. La sainteté devient quelque chose de commun. Conséquence : les canonisations seront de plus en plus nombreuses, sans pour autant proposer de véritables modèles…
Un esprit
Ce qui ressort de cette brève exposition, c’est un esprit libéral. Ce qui caractérise le libéral, c’est l’adaptation (et pour ce faire la déformation) des principes au goût du jour. Le terme clé qui résume ce texte, c’est l’égalité. Le sacerdoce commun amorce une égalité de tous les membres au détriment de la hiérarchie. Derrière, c’est l’esprit de la démocratie tel que l’autorité elle-même est atteinte par l’idée de la collégialité.
Analyse
Lumen Gentium est certainement le texte le plus long du concile et certainement pas le moins important. Cette étude se voulant brève et synthétique, nous en relèverons l’essentiel, lequel sera loin d’être exhaustif !
Un mystère !
Avec une constitution dite dogmatique, on est en droit d’attendre un vrai traité sur l’Église, à commencer par une définition claire et explicite, avec explication. Le chrétien qui connaît son catéchisme a alors la certitude qu’il retrouvera les termes familiers qu’il a appris : société de baptisés, hiérarchie, unité dans la foi…
La déception est bien cruelle lorsque la lecture du premier chapitre est achevée. C’est sur une note de flou, de vague que l’on reste. Dès le début, l’Église est définie comme sacrement [2]. Cette définition est toute nouvelle. Alors que le terme de sacrement est réservé aux réalités sensibles qui causent et produisent la grâce, avec ce texte, la terminologie change et crée la confusion.
Cette définition est reprise un peu plus loin et apporte une explicitation [3]. Pour faire simple, l’Église devient le signe (et la cause) de l’union à Dieu. Elle doit donc réaliser ici-bas comme signe, ce qu’elle veut produire comme cause. L’Église est donc essentiellement une union, un peuple, une assemblée qui vit en communion et se sauve dans la mesure où est réalisée sur terre cette communion ou unité [4].
L’Église est un royaume. Elle est un peuple messianique et rédempteur…
Une Église à dimensions variables ?
Dans la cadre de cette définition, il est une autre expression qui mérite d’être mentionnée tant elle est ambiguë. Il est écrit : « … C’est là l’unique Église du Christ, une, sainte, catholique, apostolique… Cette Église, constituée et organisée en ce monde comme une société, existe dans l’Église du Christ… » [5]
Nul besoin d’être qualifié pour comprendre que « subsister dans » ne signifie pas la même chose qu’ « être » l’Église catholique. Si le concile avait dit que l’Église du Christ est l’Église catholique, nous n’aurions rien à dire : c’est vrai. Mais dire que l’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique laisse entendre que l’Église catholique est plus large que l’Église du Christ. Cela laisse la place à d’autres entités au sein de l’Église catholique ; la porte est donc ouverte à l’œcuménisme… D’ailleurs, cette conclusion est vérifiée au n° 15 de cette constitution [6].
Le sacerdoce pour tous !
Citant saint Pierre au numéro 9 (« vous êtes une race choisi, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis… » [7] ) le texte développe la définition de l’Église comme peuple pour attribuer aux fidèles un certain sacerdoce [8].
C’est une expression nouvelle, certes déjà amorcée par le pape Pie XII dans Mediator Dei. Mais là où le pape expliquait très clairement qu’il s’agit pour les fidèles d’un sens métaphorique et impropre, d’un titre purement honorifique, le texte du concile sème l’ambiguïté et la confusion en n’apportant plus ces distinctions claires. C’est une ouverture à la participation active des laïcs dans la liturgie, et à leur importance au sein de l’Église (cf. ensuite le chapitre 4 de cette constitution).
Une aventure de collégiens ?
L’erreur la plus dangereuse parce qu’elle touche à la constitution de l’Église mais aussi la plus difficile se trouve dans le troisième chapitre. On la nomme collégialité [9].
Face à deux positions opposées (l’affirmation catholique d’une part de l’unicité du pouvoir suprême dans la personne du pape et l’affirmation hérétique d’autre part d’un pouvoir suprême qui appartient à l’assemblée des évêques dont le pape est le président) le concile apporte une nouvelle équivoque. Il affirme en effet que « l’ordre des évêques… est aussi, avec sa tête le Pontife Romain et jamais sans cette tête, le sujet du suprême et plein pouvoir dans l’Église » [10].
On se trouve ainsi avec une Église bicéphale : le pape d’un côté, le pape et les évêques de l’autre. De quoi paralyser l’autorité et introduire une forme de démocratie au sein de l’Église. Cette ambiguïté n’est hélas pas levée par la Nota explicativa prævia ajoutée par la suite. En effet, cette incise insérée par le pape empêche simplement d’introduire la collégialité comme seule détentrice du pouvoir, ce qui serait retomber dans l’hérésie de l’épiscopalisme. Mais elle n’affirme que le pape est l’unique détenteur du pouvoir suprême sur toute l’Église.
Pour en finir
La brièveté de cette étude nous a obligés à sélectionner quelques passages clés et à les exposer de façon sommaire. Mais cela suffit pour manifester le danger théologique et les erreurs pernicieuses qui s’y cachent. Ce texte n’est pas catholique tout simplement parce qu’il n’est ni traditionnel (nouvelle terminologie, nouvelles définitions, la constitution même de l’Église est attaquée) ni clair. Il faut bien le dire, c’est un avantage ! La doctrine qui n’est pas catholique n’est pas à purifier. Elle est à rejeter, tout simplement.
Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
- Ecclesia Christi lumen gentium, Message de Jean XXIII au monde entier, 11 septembre 1962, La Documentation Catholique, 1962, col. 1217–1222.[↩]
- « L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » Lumen Gentium, n° 1[↩]
- « Dieu a convoqué l’assemblée de ceux qui dans la foi regardent vers Jésus, auteur du salut et principe d’unité et de paix, et en a constitué l’Église , pour qu’elle soit pour tous et pour chacun le sacrement visible de cette unité salutaire. » Lumen Gentium, n° 9[↩]
- « Ce Peuple messianique a pour condition la dignité et la liberté des fils de Dieu Il a pour loi le commandement nouveau d’aimer Il a pour fin le Royaume de Dieu commencé sur la terre par Dieu lui-même et qui doit se dilater par la suite, jusqu’à ce que , à la fin des temps, il soit achevé par Dieu lui-même. » Lumen Gentium, n° 9 Les idées d’unité du genre humain et de mondialisme sont déjà contenues en germe.[↩]
- Lumen Gentium, n° 8. En latin : « Hæc ecclésia subsistit in ecclésia catholica. »[↩]
- « Avec ceux qui, baptisés, portent le nom de chrétiens, mais ne professent pas l’intégrité de la foi ou ne conservent pas l’unité de la communion sous le successeur de Pierre, l’Église se sait liée par plus d’un motif une sorte de véritable union dans l’Esprit Saint. » Lumen Gentium, n° 15[↩]
- I Petr. II, 9[↩]
- C’est tout le paragraphe 10 de cette constitution qu’il faudrait citer.[↩]
- Terme récent introduit par le père Congar.[↩]
- Lumen Gentium, n° 22[↩]