Histoire et présentation du texte
Le texte de ce décret est composé d’un préambule, suivi de six chapitres et d’une conclusion. Les chapitres ont pour titre : 1° les principes doctrinaux ; 2° l’œuvre missionnaire elle-même ; 3° les Églises particulières ; 4° les missionnaires ; 5° l’organisation de l’activité missionnaire ; 6° la coopération.
Préparation
Dès la phase préparatoire du concile, une commission nommée « De Missionibus » avait été érigée pour examiner les problèmes et réformes liés aux missions. Le but était de donner un véritable élan à l’évangélisation des peuples païens. Le président de cette commission était le cardinal Gregorio Petro Agagianian. De nombreux travaux et réunions aboutirent, à la fin de l’année 1961, à la rédaction d’un schéma préparatoire d’un décret sur les missions.
Ce texte comprenait un préambule et sept chapitres [1]. Après examen de la Commission centrale préparatoire, en mars et mai 1962, seuls furent retenus le prologue et les chapitres 1 et 7, qui traitaient plus spécifiquement de l’activité missionnaire.
Pendant le Concile, avant discussion
Cependant, ce schéma préparatoire souffrit de nombreuses révisions dues aux aléas du Concile. On se souvient surtout qu’en janvier 1964, à l’intersession, la Commission de coordination avait décidé la réduction de sept schémas [2], dont celui-ci, sous la forme de simples propositions destinées à être votées sans discussion.
À la suite de cette décision, le texte fut totalement refondu (ce fut la cinquième mouture !) et ne consistait plus qu’en une introduction, treize propositions puis une brève conclusion. Approuvé par la Commission de coordination puis par le pape, ce texte fut envoyé vers la mi-juillet aux Pères conciliaires afin d’en recevoir les avis pour discussion en session.
Dans l’Aula
Les discussions dans l’assemblée furent à l’ordre du jour des 6 et 7 novembre 1964. Le premier jour, le pape Paul VI vint en personne recommander chaleureusement le texte. Puis il quitta l’aula. Même si toutes les interventions prévues n’ont pas pu être entendues, les critiques allèrent bon train malgré l’intervention papale. Le schéma était jugé trop général et trop court, pas assez complet compte tenu des difficultés actuelles. C’est pourquoi la commission proposa rapidement de refaire entièrement le schéma en le transformant en un véritable texte d’un prologue et de cinq chapitres.
Le nouveau texte fut examiné lors de la quatrième session entre les 8 et 13 octobre 1965. Le total des interventions tint en plus de 500 pages que la commission prit en compte pour ajouter au texte les dernières modifications. La nouvelle mouture fut discutée les 10 et 11 novembre puis le vote final eut lieu le 30 novembre. Le décret fut promulgué le 7 décembre par le pape.
Analyse du texte
Il faut dire en premier lieu que ce texte est un heureux aboutissement. C’est la première fois qu’un concile émet un document sur les missions. Certes, le premier concile du Vatican avait bien prévu de discuter le sujet, mais on sait comment le fléau de la guerre a interrompu ce concile inachevé.
La première lecture du texte apparaît satisfaisante. Le mot même de mission est replacé dans son cadre théologique et trinitaire. Car la mission est un envoi. Et les premières missions sont les envois du Fils et du Saint-Esprit dans le monde. Ce mystère trinitaire est d’ailleurs tout à la fois le secret de Dieu et celui de notre salut. Toutes les missions de l’Eglise sont en directe dépendance des missions trinitaires.
Partant, le rôle missionnaire d’apporter le salut aux hommes est réaffirmé dans la dépendance de l’œuvre de Notre- Seigneur. « Afin que le Royaume de Dieu [soit] annoncé et instauré dans le monde entier [3]. » « L’Église est appelée à sauver et à rénover toute créature, afin que tout soit restauré dans le Christ [4]. »« Ce qui a été une fois proclamé par le Seigneur doit être proclamé et répandu jusqu’aux extrémités de la terre [5]. »
Parmi les moyens recommandés, on appréciera grandement de lire que la vie contemplative doit tenir une très haute place. « La vie contemplative, relevant du développement complet de la présence de l’Église, doit être instaurée partout dans les jeunes Églises [6]. »On se souviendra comment Mgr Lefebvre, alors missionnaire en Afrique, tenait à suivre cette directive déjà donnée par le pape Pie XII [7].
De même, le chapitre 4, consacré aux missionnaires, développe de très bonnes idées quant à la formation spirituelle et aux qualités et dispositions d’âme requises chez les missionnaires. « Annonçant l’Évangile parmi les nations, il doit faire connaître avec assurance le mystère du Christ, dont il est l’ambassadeur, de telle manière qu’en lui il ait l’audace de parler comme il le faut (cf. Ep 6, 19 sv. ; Ac 4, 31) sans rougir du scandale de la Croix. Suivant les traces de son Maître qui était doux et humble de cœur, il doit montrer que son joug est doux et son fardeau léger (Mt 11, 29 sv.) Par une vie véritablement évangélique, par une grande constance, par la longanimité, par la douceur, par une charité non feinte (cf. 2 Co 6, 4 sv.), il doit rendre témoignage à son Seigneur et même, si c’est nécessaire, jusqu’à l’effusion du sang. Il obtiendra de Dieu courage et force pour reconnaître que, dans les multiples tribulations et la très profonde pauvreté qu’il expérimente, se trouve une abondance de joie (cf. 2 Co 8, 2). Il doit être persuadé que l’obéissance est la vertu spécifique du ministre du Christ, qui a racheté le genre humain par son obéissance [8].»
Un esprit qui demeure
Cependant, ces bons rappels ne doivent pas masquer la réalité d’un texte entièrement imbibé des principes modernes et modernistes que l’on retrouve dans les textes précédents du concile. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas que, sur les 96 notes de ce document, 45 (soit presque la moitié) fassent référence aux schémas déjà votés et publiés par ce funeste concile, notamment Lumen Gentium [9].
On retrouve alors la définition de l’Église sacrement, c’est-à-dire signe et cause de l’union des âmes, dès la première phrase : « Envoyée par Dieu aux nations pour être « le sacrement universel du salut », l’Église [10] » Et plus loin, « le Seigneur fonda son Église comme sacrement du salut [11].»
De cette Église communion, résulte l’importance donnée au Peuple de Dieu et au laïcat. « L’Église n’est pas fondée vraiment, elle ne vit pas pleinement, elle n’est pas le signe parfait du Christ parmi les hommes si un laïcat authentique n’existe pas et ne travaille pas avec la hiérarchie. » « Par conséquent faut-il, dès la fondation d’une Église, apporter une très grande attention à constituer un laïcat chrétien qui atteigne sa maturité [12].»
De là, et par un glissement subtil, la doctrine de Gaudium et Spes [13] se trouve inoculée, notamment par l’expression ambiguë du salut du genre humain. Car on ne sait plus tellement si c’est l’instauration d’un gouvernement terrestre qui est en jeu ou la cité céleste qu’il faut conquérir. « Le devoir de leurs successeurs [des Apôtres] est de perpétuer cette œuvre, afin que [ ] le royaume de Dieu soit annoncé et instauré dans le monde entier [14]. » « L’Église, sel de la terre et lumière du monde (cf. Mt 5, 13–14), est appelée de façon plus pressante à sauver et à rénover toute créature, afin que tout soit restauré dans le Christ, et qu’en lui les hommes constituent une seule famille et un seul Peuple de Dieu. » « C’est pourquoi tous les fils de l’Église doivent avoir une vive conscience de leur responsabilité à l’égard du monde [15].»
Chaos doctrinal
Cette confusion des termes est symptomatique d’une erreur fondamentale du concile Vatican II : l’absence de distinction entre nature et « surnature » [16]. Cette ambiguïté engendre une espèce de confusion des ordres pourtant distincts, confusion qui d’une part relativise le rôle des vertus théologales et d’autre part exalte l’importance donnée à la nature humaine.
D’ailleurs, une lecture attentive du décret fait apparaître que le mot « surnaturel » (et les mots de la même famille d’ailleurs) n’apparaît jamais. Si le mot « Ciel » n’est énoncé que deux fois, et qui plus est en citation, l’adjectif « céleste » ne s’y trouve pas. Pas une fois les termes de rédemption, ni de rachat, ni de messe. Certes, une fois on évoque l’immolation, à propos de l’immolation de soi [17]. Deux fois aussi le vocable « croix » pour dire que le missionnaire ne doit pas en rougir [18]. Deux fois aussi le mot « sacrifice » [19] et une fois le mot « passion » [20]. Il faut bien avouer que c’est un peu court, en somme
On se demande bien alors quels sont les grands moyens d’évangélisation, quand on sait que les premiers missionnaires avaient à cœur de planter la croix partout où ils passaient, à l’instar de saint Paul qui disait : « Car je n’ai pas jugé savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. » En réalité, si toutes ces notions (ainsi que les réalités qui leur correspondent) sont largement estompées, c’est pour laisser libre cours à une autre idée chère à ce concile : l’oecuménisme.
Ce nivellement entre baptisés apparaît très clairement dans le présent décret, au point même que le texte appelle à une véritable collaboration. « La division des chrétiens, en effet, nuit à la cause très sacrée de l’annonce de l’Évangile à toute créature, et pour beaucoup elle ferme l’accès à la foi. Ainsi de par la nécessité de la mission, tous les baptisés sont appelés à s’assembler en un seul troupeau, afin de pouvoir ainsi de façon unanime rendre témoignage du Christ leur Seigneur devant les nations. S’ils sont encore incapables de donner le témoignage d’une foi unique, il faut au moins qu’ils soient animés par une estime et une charité réciproques [21]. » « Les chrétiens doivent donc travailler, en collaboration avec tous les autres [22]. »
« L’esprit œcuménique doit aussi être nourri parmi les néophytes, qui doivent reconnaître honnêtement que des frères qui croient au Christ sont des disciples du Christ, régénérés par le baptême, ayant part à de nombreux biens du Peuple de Dieu. Autant que le permettent les situations religieuses, une action œcuménique doit être menée de telle sorte que, étant bannie toute apparence d’indifférentisme, de confusionnisme ou d’odieuse rivalité, les catholiques collaborent avec les frères séparés, selon les dispositions du décret sur l’œcuménisme, dans une commune profession de foi en Dieu et en Jésus- Christ devant les nations, dans la mesure du possible, et dans la coopération en matière sociale et technique, culturelle et religieuse ; qu’ils collaborent surtout à la cause du Christ leur Seigneur commun : que son nom les unisse [23] ! »
« Ils [les enfants] doivent être éduqués dans un esprit d’œcuménisme et préparés comme il convient au dialogue fraternel avec les non-chrétiens [24].»
Ces passages, qui ne sont pas exhaustifs, se passent, hélas, de commentaires. Terminons simplement par l’un des derniers paragraphes : « Avec les autres chrétiens, avec les non-chrétiens, particulièrement avec les membres des associations internationales, ils doivent collaborer fraternellement, ayant toujours devant les yeux que « la construction de la cité terrestre doit être fondée sur le Seigneur et orientée vers lui [25] ». »
Tout y est dit En bref, dans ce texte, le bon côtoie le mauvais. Hélas, plus qu’une juxtaposition, il s’agit d’une fusion. Les bonnes notions, les idées catholiques sont noyées dans un esprit, dans un corps de doctrine moderniste qui les rend irrécupérables. Cela n’a rien d’étonnant, d’ailleurs, quand on connaît les experts de ce décret : Josef Ratzinger et Yves Congar qui « furent invités à préparer les bases théologiques du schéma [26]. » Même le père Karl Rahner, pourtant si critique, s’était prononcé avec enthousiasme en faveur du texte [27].
Lors des débats sur ce décret, le cardinal Franz König avait demandé que tous les chrétiens sachent considérer les religions non chrétiennes et les voir pour ainsi dire de l’intérieur, pour en discerner les valeurs positives qui, dans le dessein de Dieu, sont une préparation et une voie de salut [28]. La mission devient alors une prise de conscience. Car selon cette doctrine, tout homme est chrétien, mais ne le sait pas
Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
- Les sept chapitres étaient ainsi intitulés : régime des missions ; discipline du clergé ; les religieux ; les sacrements et la sainte liturgie ; discipline du peuple chrétien ; études des ecclésiastiques ; coopération missionnaire.[↩]
- Il s’agit des schémas sur les Églises orientales, les missions, les prêtres, les religieux, les séminaires, les écoles catholiques et le mariage.[↩]
- Ad Gentes, n° 1.[↩]
- Ibid.[↩]
- Ad Gentes, n° 3.[↩]
- Ad Gentes, n° 18.[↩]
- S.E. Mgr Bernard Tissier de Mallerais, Marcel Lefebvre, une vie, Clovis, 2002, p. 243.[↩]
- Ad Gentes, n° 24.[↩]
- Cf. Fideliter n° 215 (septembre-octobre 2013).[↩]
- Ad Gentes, n° 1.[↩]
- Ad Gentes, n° 5.[↩]
- Ad Gentes, n° 21.[↩]
- Cf. Fideliter n° 234 (novembre-décembre 2016).[↩]
- Ad Gentes, n° 1.[↩]
- Ad Gentes, n° 36.[↩]
- Cf. Fideliter n° 234 (novembre-décembre 2016).[↩]
- Ad Gentes, n° 5.[↩]
- Ad Gentes, n° 1 et 24.[↩]
- Ad Gentes, n° 15 et 25.[↩]
- Ad Gentes, n° 5.[↩]
- Ad Gentes, n° 6.[↩]
- Ad Gentes, n° 12.[↩]
- Ad Gentes, n° 15.[↩]
- Ad Gentes, n° 16.[↩]
- Ad Gentes, n° 41.[↩]
- Ralph Wiltgen s.v.d., Le Rhin se jette dans le Tibre, DMM, 5e édition, p. 253.[↩]
- Ibid., p 254.[↩]
- Cf. Antoine Wenger, Vatican II, Chronique de la quatrième session, Centurion, 1966, p. 290.[↩]