Synode : une défaite pour tous, à commencer par la morale catholique, R. de Mattei

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.


Professeur Roberto de Mattei

Au terme du XIV Synode sur la famille, tout le monde semble avoir gagné. Le Pape François a gagné, parce qu’il a réus­si à trou­ver un texte de com­pro­mis entre des posi­tions oppo­sées ; les pro­gres­sistes ont gagné parce que le texte approu­vé admet à l’Eucharistie les divor­cés rema­riés ; les conser­va­teurs éga­le­ment, parce que le docu­ment ne contient pas de réfé­rence expli­cite à la com­mu­nion pour les divor­cés et rejette la « mariage homo­sexuel » et la théo­rie du genre.

Pour mieux com­prendre le dérou­le­ment des faits, il faut par­tir du soir du 22 octobre, quand a été remis aux Pères Synodaux le rap­port final éla­bo­ré par une com­mis­sion ad hoc sur la base des amen­de­ments (modi) appor­tés à l’Instrumentum labo­ris, pro­po­sés par les groupes de tra­vail répar­tis par langues (cir­cu­li minores).

À la grande sur­prise des Pères Synodaux le texte qui leur a été remis jeu­di soir était seule­ment en langue ita­lienne, avec inter­dic­tion abso­lue de le com­mu­ni­quer non seule­ment à la presse, mais aus­si aux 51 audi­teurs et aux autres par­ti­ci­pants de l’assemblée. Le texte ne tenait aucun compte des 1 355 amen­de­ments pro­po­sés au cours des trois semaines pré­cé­dentes et repro­po­sait en sub­stance le plan de l’Instrumentum labo­ris, y com­pris les para­graphes qui avaient sus­ci­té en séance les plus fortes cri­tiques : ceux qui por­taient sur l’homosexualité et sur les divor­cés rema­riés. La dis­cus­sion était fixée pour le len­de­main matin, avec la pos­si­bi­li­té de pré­pa­rer de nou­veaux amen­de­ments seule­ment dans la nui­tée, sur un texte pré­sen­té dans une langue mai­tri­sée uni­que­ment par une par­tie des pères Synodaux. Mais le matin du 24 octobre, le pape François, qui a tou­jours sui­vi avec atten­tion les tra­vaux, s’est trou­vé face à un refus inat­ten­du du docu­ment rédi­gé par la com­mis­sion. Il y avait bien 51 pères Synodaux qui inter­ve­naient dans le débat, dont la majo­ri­té était oppo­sée au texte approu­vé par le Saint Père. Parmi eux les car­di­naux Marc Ouellet, Préfet de la Congrégation pour les Evêques ; Angelo Bagnasco, Président de la Conférence Episcopale ita­lienne ; Jorge Liberato Urosa Savino, Archevêque de Caracas ; Carlo Caffarra, Archevêque de Bologne ; et les évêques Joseph Edward Kurtz, Président de la Conférence Épiscopale amé­ri­caine ; Zbigņevs Gadecki, Président de la Conférence Episcopale polo­naise ; Henryk Hoser, Archevêque-​Evêque de Warszawa-​Praga ; Ignace Stankevics, Archevêque de Riga ; Tadeusz Kondrusiewicz, Archevêque de Minsk-​Mohilev ; Stanisław Bessi Dogbo, évêque de Katiola (Côte d’Ivoire) d’Avorio); Hlib Borys Sviatoslav Lonchyna, Évêque de Holy Family of London des Ukrainiens Bizantins et tant d’autres, tous expri­mant, avec des tons dif­fé­rents, leur désac­cord sur le texte.

Ce docu­ment ne pou­vait certes pas être pré­sen­té à nou­veau le len­de­main en séance, avec le risque de ne satis­faire qu’une mino­ri­té et de pro­duire une frac­ture impor­tante. On pou­vait trou­ver un com­pro­mis en sui­vant la voie tra­cée par les théo­lo­giens du « Germanicus », le cercle dont fai­sait par­tie le car­di­nal Kasper, icône du pro­gres­sisme, et le car­di­nal Müller, pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Entre ven­dre­di après-​midi et same­di matin, la com­mis­sion rééla­bo­rait un nou­veau texte, qui fut lu en séance le matin du same­di 24, puis voté dans l’après-midi, obte­nant pour cha­cun des 94 para­graphes la majo­ri­té qua­li­fiée des deux tiers, qui sur 265 pères Synodaux pré­sents ras­sem­blait 177 voix.

Au cours du brie­fing de same­di, le car­di­nal Schönborn en avait anti­ci­pé la conclu­sion pour ce qui concerne le point le plus dis­cu­té, celui qui traite des divor­cés rema­riés : « On en parle, on en parle avec grande atten­tion, mais le mot-​clé est « dis­cer­ne­ment », et je vous invite tous à pen­ser qu’il n’y a pas un côté blanc et un côté noir, un simple oui ou non. Il faut dis­cer­ner et c’est pré­ci­sé­ment ce que dit saint Jean-​Paul II dans Familiaris consor­tio : l’obligation d’exercer un dis­cer­ne­ment parce que les situa­tions sont diverses et l’exigence de ce dis­cer­ne­ment, le pape François, en bon jésuite, l’a apprise dès sa jeu­nesse : le dis­cer­ne­ment, c’est cher­cher à com­prendre quelle est la situa­tion de tel couple ou de telle per­sonne ».

Discernement et inté­gra­tion est le titre des numé­ros 84, 85 et 86. Le para­graphe le plus contro­ver­sé, le no 85, qui intro­duit l’ouverture envers les divor­cés rema­riés et la pos­si­bi­li­té pour eux de s’approcher des sacre­ments – tout en ne men­tion­nant pas expli­ci­te­ment la com­mu­nion – à été approu­vé par 178 voix pour, 80 contre et 7 abs­ten­tions. Une seule voix de plus par rap­port au quo­ta des deux tiers.

L’image du pape François n’en sort pas ren­for­cée, mais ter­nie et affai­blie au terme de l’assemblée des évêques. Le docu­ment qu’il avait approu­vé a été de fait ouver­te­ment reje­té par la majo­ri­té des Pères Synodaux, le 23 octobre au matin, qui fut sa « jour­née noire ». Le dis­cours de conclu­sion du pape Bergoglio n’a expri­mé aucun enthou­siasme pour la Relatio finale, mais un nou­veau blâme contre les Pères Synodaux qui avaient défen­du les posi­tions tra­di­tion­nelles. C’est pour­quoi, a décla­ré notam­ment le pape same­di soir, conclure ce Synode « signi­fie encore avoir mis à nu les cœurs fer­més qui sou­vent se cachent jusque der­rière les ensei­gne­ments de l’Église ou der­rière les bonnes inten­tions pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quel­que­fois avec supé­rio­ri­té et super­fi­cia­li­té, les cas dif­fi­ciles et les familles bles­sées. (…) Cela signi­fie avoir cher­ché à ouvrir les hori­zons pour dépas­sertoute her­mé­neu­tique de conspi­ra­tion ou fer­me­ture de pers­pec­tive pour défendre et pour répandre la liber­té des enfants de Dieu, pour trans­mettre la beau­té de la Nouveauté chré­tienne, quel­que­fois recou­verte par la rouille d’un lan­gage archaïque ou sim­ple­ment incom­pré­hen­sible ». Des mots durs, qui expriment l’amertume et l’insatisfaction : cer­tai­ne­ment pas ceux d’un vainqueur.

Les pro­gres­sistes aus­si ont été défaits, parce que non seule­ment toute réfé­rence posi­tive à l’homosexualité a été reti­rée, mais aus­si l’ouverture aux divor­cés rema­riés est beau­coup moins expli­cite que ce qu’ils avaient vou­lu. Mais les conser­va­teurs ne peuvent pas chan­ter vic­toire. Si 80 Pères syno­daux, un tiers de l’Assemblée, a voté contre le para­graphe 85, cela signi­fie qu’il n’était pas satis­fai­sant. Le fait que ce para­graphe soit pas­sé à une voix près ne sup­prime pas le poi­son qu’il contient.

Selon la Relatio finale, la par­ti­ci­pa­tion des divor­cés rema­riés à la vie ecclé­siale peut s’exprimer dans « dif­fé­rents ser­vices » : il faut pour cela « dis­cer­ner les­quelles des diverses formes d’exclusion pra­ti­quées actuel­le­ment dans les domaines litur­gique, pas­to­ral, édu­ca­tif et ins­ti­tu­tion­nel peuvent être sur­mon­tées. Non seule­ment ils ne doivent pas se sen­tir excom­mu­niés, mais ils peuvent vivre et mûrir comme membres vivants de l’Église » (§84) ; « Le par­cours d’accompagnement et de dis­cer­ne­ment oriente ces fidèles vers la prise de conscience de leur situa­tion devant Dieu. L’entretien avec le prêtre, dans le for interne, contri­bue à la for­ma­tion d’un juge­ment cor­rect sur ce qui entrave la pos­si­bi­li­té d’une plus grande par­ti­ci­pa­tion à la vie l’Eglise et sur les mesures qui peuvent la favo­ri­ser et la faire gran­dir » (§86).

Mais que signi­fie être « membres vivants de l’Eglise », sinon se trou­ver en état de grâce et rece­voir la Sainte Communion ? Et la « par­ti­ci­pa­tion plus com­plète à la vie de l’Eglise » n’inclut-elle pas, pour un laïc, la par­ti­ci­pa­tion au sacre­ment de l’Eucharistie ? Il est dit que les formes d’exclusion actuel­le­ment pra­ti­qués dans les domaines litur­gique, pas­to­ral, édu­ca­tif et ins­ti­tu­tion­nel, peuvent être sur­mon­tées, « au cas par cas », sui­vant une « via dis­cre­tio­nis ». L’exclusion de la com­mu­nion sacra­men­telle peut-​elle être sur­mon­tée ? Le texte ne l’affirme pas, mais il ne l’exclut pas. La porte n’est pas grande ouverte, mais entrou­verte, et donc on ne peut nier qu’elle est ouverte.

La Relatio n’affirme pas le droit des divor­cés rema­riés à rece­voir la com­mu­nion (et donc le droit à l’adultère), mais refuse à l’Eglise le droit de défi­nir publi­que­ment comme adul­tère la situa­tion des divor­cés rema­riés, lais­sant la res­pon­sa­bi­li­té de l’évaluation à la conscience des pas­teurs et des divor­cés rema­riés eux-​mêmes. Pour reprendre le lan­gage de Dignitatis Humanae, il ne s’agit pas d’un droit « affir­ma­tif » à l’adultère, mais d’un droit « néga­tif » à ne pas être empê­ché de l’exercer, autre­ment dit d’un droit à « l’immunité contre toute coer­ci­tion en matière morale ». Comme dans Dignitatis Humanae, la dis­tinc­tion fon­da­men­tale entre le « for interne », qui concerne le salut éter­nel des croyant indi­vi­duels, et le « for externe » rela­tif au bien public de la com­mu­nau­té des fidèles, est annu­lée. La com­mu­nion, en effet, n’est pas seule­ment un acte indi­vi­duel, mais un acte public accom­pli devant la com­mu­nau­té des fidèles. L’Eglise, sans entrer dans le for interne, a tou­jours inter­dit la com­mu­nion des divor­cés rema­riés, parce qu’il s’agit d’un péché public, com­mis au for externe. La loi morale est absor­bée par la conscience qui devient un nou­veau lieu, non seule­ment théo­lo­gique et moral, mais cano­nique. La Relatiofinale s’intègre bien à cet égard aux deux motu pro­prio de François, dont l’historien de l’école de Bologne a sou­li­gné l’importance dans le Corriere del­la Sera du 23 octobre : « En ren­dant aux évêques le juge­ment sur la nul­li­té, Bergoglio n’a pas chan­gé le sta­tut des divor­cés, mais il posé un acte de réforme de la papau­té énorme et silen­cieux ».

L’attribution à l’évêque dio­cé­sain de la facul­té, en tant que juge unique, d’instruire comme il l’entend un pro­cès bref et d’arriver à la sen­tence, est ana­logue à l’attribution à l’évêque du dis­cer­ne­ment sur la condi­tion morale des divor­cés rema­riés. Si l’évêque local estime que le par­cours de crois­sance spi­ri­tuelle et d’approfondissement d’une per­sonne vivant dans une nou­velle union est ache­vé, celle-​ci pour­ra rece­voir la com­mu­nion. Le dis­cours du Pape François le 17 octobre au Synode indique dans la « décen­tra­li­sa­tion » la pro­jec­tion ecclé­sio­lo­gique de la morale « au cas par cas ». Le pape a ensuite affir­mé le 24 octobre qu’ « au-​delà des ques­tions dog­ma­tiques bien défi­nies par le Magistère de l’Église – nous avons vu aus­si que ce qui semble nor­mal pour un évêque d’un conti­nent, peut se révé­ler étrange, presque comme un scan­dale, pour l’évêque d’un autre conti­nent ; ce qui est consi­dé­ré vio­la­tion d’un droit dans une socié­té, peut être rete­nu comme évident et intan­gible dans une autre ; ce qui pour cer­tains est liber­té de conscience, pour d’autres peut être seule­ment confu­sion. En réa­li­té, les cultures sont très diverses entre elles et tout prin­cipe géné­ral a besoin d’être incul­tu­ré, s’il veut être obser­vé et appli­qué ».

La morale de l’inculturation, qui est celle du « au cas par cas » rela­ti­vise et dis­sout la loi morale, qui par défi­ni­tion est abso­lue et uni­ver­selle. Il n’y a ni bonne inten­tion ni cir­cons­tance atté­nuante qui puissent trans­for­mer un acte bon en mau­vais ou vice ver­sa. La morale catho­lique n’admet pas d’exceptions : elle est abso­lue et uni­ver­selle, ou n’est pas une loi morale. Les médias n’ont alors pas tort quand ils pré­sentent la Relatio finale par ce titre : « L’interdiction abso­lue de la com­mu­nion pour les divor­cés rema­riés tombe ».

En conclu­sion, nous nous trou­vons face à un docu­ment ambi­gu et contra­dic­toire qui per­met à cha­cun de chan­ter vic­toire, même si per­sonne n’a gagné. Tous ont été défaits, à com­men­cer par la morale catho­lique qui sort pro­fon­dé­ment humi­liée par le Synode sur la famille clô­tu­ré le 24 octobre.

Professeur Roberto de Mattei

Sources : Correspondance Européenne – Traduction Marie Perrin