Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs. |
La lettre-choc d’un prêtre ayant charge d’âmes. Des pénitents de plus en plus rares et qui se repentent de moins en moins. Les effets contre-productifs d’une « porte » trop grande ouverte.
ROME, le 9 janvier 2016 – L’attention a été attirée, à la fin de l’année, par les données que la préfecture de la maison pontificale a fournies à propos des personnes présentes aux audiences publiques du pape François en 2015. Leur nombre a en effet diminué presque de moitié par rapport à l’année précédente :
Pour les audiences générales du mercredi, ces personnes, qui étaient 1 199 000 en 2014, n’étaient plus que 704 100 en 2015. Tandis que, pour les Angélus du dimanche, on est passé de 3 040 000 personnes à 1 585 000.
Ce qui n’empêche pas que la popularité du pape François reste très élevée. Mais les indicateurs de cette popularité ne permettent pas de dire quel est le niveau de pratique religieuse réelle qui y correspond.
À propos de cette question, il existe d’autres indications qui sont beaucoup plus révélatrices. Par exemple les données officielles publiées chaque année par l’ISTAT [équivalent italien de l’INSEE] qui concernent la vie quotidienne d’un gigantesque échantillon de citoyens italiens, composé de quelque 24 000 familles, représentant un total d’environ 54 000 individus, qui résident dans 850 villes, grandes ou petites.
Dans le dernier relevé annuel qui ait été publié, celui qui traite de l’année 2014, il est indiqué le « pourcentage de personnes âgées de plus de 6 ans qui se rendent dans un lieu de culte au moins une fois par semaine » a été de 28,8 %.
Le fait que plus d’un quart des Italiens entre dans une église au moins une fois par semaine peut être considéré comme remarquable, en soi et par rapport à d’autres pays. Mais si l’on compare ce chiffre à ceux qui ont été publiés pour les années précédentes, on constate là encore une nette baisse.
En effet, au cours des sept années du pontificat de Benoît XVI, ce même indicateur a été, en Italie, constamment supérieur à 30 %, puisqu’il s’est élevé, en moyenne, à environ 32–33 %. C’est-à-dire à un chiffre nettement plus élevé qu’en 2014, qui est la première année complète de pontificat de François, celle où la popularité de celui-ci est parvenue à son plus haut niveau.
La lettre que l’on peut lire ci-dessous tient compte de ces indicateurs statistiques. Mais elle évalue « l’effet François » sur la vie religieuse avec le regard plus proche et plus direct d’un pasteur d’âmes et d’un confesseur. Celui-ci écrit qu’il a constaté, pendant l’actuel pontificat, non seulement une nouvelle baisse du nombre de personnes qui ont recours à la confession sacramentelle, mais également une diminution de la « qualité » des confessions elles-mêmes. Une diminution qui ne paraît pas sans liens avec l’utilisation de certaines formules du pape Jorge Mario Bergoglio qui ont connu un énorme succès médiatique.
L’auteur de la lettre est un ecclésiastique et en même temps un spécialiste scientifique de haut niveau qui exerce des activités d’enseignement en Italie et à l’étranger, tout en consacrant également beaucoup de temps et d’énergie à la pastorale.
Ses appréciations sont le reflet de celles d’un nombre croissant de prêtres de paroisses, qui – de manière confidentielle – ne manquent pas de signaler à leurs évêques respectifs des préoccupations semblables.
Pour sa part « www.chiesa » assure également la confidentialité à l’auteur de la lettre, trop exposé aux mesures de rétorsion prévisibles d’un « new establishment » ecclésiastique – comme il l’appelle – dont le respect conformiste envers le présent pontificat est l’un des défauts les plus pernicieux.
Une confidentialité qui rend possible cette « parrhésie » ou liberté de parole tellement encouragée par le pape François lui-même, qui pendant un synode veut que l’on sache « ce qui » est dit en assemblée, mais pas « qui » le dit.
Sandro Magister
Sources : www.chiesa/Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
La lettre choc d’un confesseur : « Qui êtes-vous pour me juger ? »
Cher Magister,
Beaucoup de choses ont été écrites à propos de l’impact du pontificat du pape François « ad intra » et « ad extra Ecclesiæ » en ce qui concerne d’une part le renouvellement de la vie spirituelle des fidèles et de leur participation communautaire à la vie de l’Église, et d’autre part le retour souhaité à la pratique évangélique et sacramentelle des personnes qui s’en étaient éloignées au cours des dernières décennies. Et cette question a été examinée sous divers angles : théologiques, anthropologiques, historiques, sociologiques, culturels, communicationnels et politiques. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’ajouter quoi que ce soit d’autre à ce sujet, en particulier parce que beaucoup de ces informations et de ces considérations doivent encore être « digérées » à travers une réflexion critique et apaisée.
Cependant il y a une question qui reste ouverte – et en partie en suspens : l’identification d’un indicateur spirituel et pastoral fiable qui permette de mesurer l’impact d’un changement de personnalité, de discipline ou d’enseignement sur les âmes et sur le peuple de Dieu.
J’en suis conscient. Les « âmes » et le « peuple de Dieu » sont aujourd’hui deux catégories théologiques et ecclésiales à l’abandon, en particulier dans les interventions du pape actuel et de son « new establishment ». Mais elles font tout de même partie, jusqu’à preuve du contraire, de la foi catholique confirmée par le concile Vatican II lui-même. Et le fait de les négliger porte en lui le risque, pas du tout imaginaire, d’échanger la « salus animarum » contre les « vota aliquorum » et le « bonum populi Dei » contre le « popularis consensus ». Je traduis : la santé des âmes contre les désirs de certaines personnes et le bien du peuple de Dieu contre la popularité.
Je laisse aux experts en sociologie des religions, en communication publique de la foi et en politique ecclésiastique toutes les considérations relatives à deux points particuliers. Le premier de ces points est la participation en masse des fidèles et des non-croyants aux événements publics où le Saint-Père est présent (audiences générales, Angélus, célébrations liturgiques, etc.), pour laquelle les données statistiques officielles, fournies par la préfecture de la maison pontificale, font apparaître une nette diminution entre la première et la troisième année du pontificat du pape François. Le second point est la signification éventuelle de ces chiffres au point de vue de la conversion à l’Évangile et de l’adhésion au message « urbi et orbi » du souverain pontife à propos d’un « nouveau printemps » de l’Église, caractérisé par des « portes » grandes ouvertes à tous avec facilité (mais, si je me souviens bien, l’Évangile de Luc parle d’une « porte étroite » par laquelle il faut « s’efforcer » de passer, en se donnant du mal, et du « grand nombre de gens qui chercheront à entrer, mais qui n’y parviendront pas »).
En revanche je souhaite communiquer simplement mon expérience – les faits comme ils se produisent au jour le jour dans le travail pastoral de périphérie, de telle sorte que « contra factum non valet illatio » – de prêtre qui, après avoir accompli le ministère que son évêque lui a principalement confié, consacre le temps et l’énergie qui lui restent à l’œuvre de réconciliation sacramentelle. Je suis convaincu que la miséricorde de Dieu passe surtout, de manière ordinaire et toujours accessible, par la discrétion de l’étroite fenêtre grillagée d’un confessionnal obscur et non pas en franchissant les grandes portes de l’Année Sainte, à la lumière des éclairages des basiliques et sous les regards de tout le monde. (L’Année Sainte a un mérite différent : elle permet d’obtenir la rémission, devant Dieu, de la peine temporelle encourue pour nos péchés au cas où ceux-ci seraient déjà remis, quant à la faute, dans le sacrement de pénitence, qui reste l’instrument premier et fondamental de la miséricorde de Dieu envers nous pécheurs, après le baptême).
Voilà les faits. Depuis l’ouverture de l’Année Sainte voulue par le pape François et à l’occasion des fêtes de Noël 2015 – comme depuis que Jorge Mario Bergoglio est assis sur la chaire de Pierre – le nombre de fidèles qui se sont rendus au confessionnal n’a pas augmenté, ni en temps normal, ni dans les périodes de fêtes. La tendance à une diminution progressive et rapide de la fréquence du recours à la réconciliation sacramentelle qui a caractérisé les dernières décennies n’a pas été arrêtée. Bien au contraire : jamais comme au moment des récentes fêtes de Noël les confessionnaux de mon église n’ont été autant désertés.
J’ai cherché à me consoler face à cette triste constatation en imaginant que les basiliques associées à l’Année Sainte à Rome ou dans d’autres villes, ou bien les sanctuaires et les couvents, avaient attiré un nombre de pénitents plus élevés que d’habitude. Mais quelques coups de téléphone à des confrères qui confessent habituellement dans ces endroits (je les appelais pour leur adresser mes vœux, comme je le fais chaque année) ont confirmé ce que j’avais constaté : les files de pénitents n’étaient pas longues du tout, où que ce soit, moins encore que lors des festivités des années précédentes.
Et l’on entend de moins en moins souvent parler de conversions mémorables de brebis égarées depuis de nombreuses années, qui reviennent à la bergerie du Bon Pasteur par l’entremise des « serviteurs inutiles » de sa miséricorde que nous sommes, nous autres prêtres. Lorsque cela se produit – très rarement – il n’y a pas plus de référence, explicite ou implicite, à la personne ou à la parole du pape actuel qu’il n’y en avait, dans le passé, pour ses prédécesseurs (combien de jeunes, revenant des Journées Mondiales de la Jeunesse, concrétisaient leur intention de se confesser régulièrement !).
Ayant des doutes quant à la valeur des chiffres, parce que même le salut d’une seule âme a une valeur infinie aux yeux de Dieu, j’ai repensé à la « qualité » des confessions que j’avais entendues et j’ai demandé – dans le respect du secret de la confession à propos de l’identité du pénitent – des informations à quelques confrères ayant une longue expérience de la confession. Le tableau qui en résulte n’est certainement pas réjouissant, que ce soit en ce qui concerne la conscience que le fidèle a de son péché, ou en ce qui concerne sa connaissance des conditions à remplir pour accéder au pardon de Dieu (dans ce cas aussi, je sais que le terme « pardon » est en train de céder le pas à « miséricorde » et qu’il risque de finir prochainement au grenier, mais à quel coût théologique, spirituel et pastoral ?).
Voici deux exemples, entre mille.
Un homme d’âge moyen, à qui j’avais demandé, avec discrétion et délicatesse, s’il s’était repenti d’une longue série de péchés graves contre le septième commandement « tu ne voleras pas », dont il s’était accusé avec une certaine légèreté et presque en plaisantant à propos des circonstances certainement pas atténuantes qui avaient accompagné les faits, m’a répondu en citant une phrase du pape François : « La miséricorde ne connaît pas de limites » et en manifestant son étonnement que je lui aie rappelé la nécessité du repentir et de la ferme intention d’éviter, à l’avenir, de retomber dans le même péché : « Ce que j’ai fait, je l’ai fait. Ce que je vais faire, c’est moi qui en déciderai quand je serai sorti d’ici. Mon opinion à propos de ce que j’ai fait, c’est une affaire entre moi et Dieu. Je suis ici uniquement pour avoir ce qui est accordé à tout le monde au moins le jour de Noël : pouvoir communier à la messe de minuit ! » Et il a conclu en paraphrasant la formule, désormais célèbre, du pape François : « Qui êtes-vous pour me juger ? ».
Une jeune femme, à qui j’avais proposé, comme acte de pénitence lié à l’absolution sacramentelle d’un grave péché qu’elle avait commis contre le cinquième commandement « tu ne tueras pas », une prière à genoux devant le Saint Sacrement qui était exposé sur l’autel de l’église et un acte de charité matérielle envers un pauvre, dans la mesure de ses possibilités, m’a répondu avec irritation que le pape avait déclaré, quelques jours plus tôt, que « personne ne doit nous demander quoi que ce soit en échange de la miséricorde de Dieu, parce qu’elle est gratuite ». Elle a ajouté qu’elle n’avait pas le temps de rester à l’église pour prier (elle devait « courir au centre de la ville pour effectuer ses achats de Noël »), et pas d’argent à donner aux pauvres (« qui, de toute façon, n’en ont pas besoin, parce qu’ils en ont plus que nous »).
Il est évident que certains messages, tout au moins tels qu’ils sont reçus du pape et perçus par les croyants, risquent facilement d’être mal compris, de donner lieu à des équivoques, et donc ils ne contribuent pas à l’acquisition par les fidèles d’une conscience claire et droite en ce qui concerne leurs péchés et les conditions de leur rémission dans le sacrement de la réconciliation. N’en déplaise à Mgr Dario Viganò, préfet du secrétariat pour la communication du Saint-Siège, la « marche en zigzag » parmi les concepts sans jamais s’arrêter à en préciser un – qu’il considère comme une qualité du « style de communication du pape François », capable de « le rendre irrésistible » pour l’auditeur moderne – présente quelques inconvénients spirituels et pastoraux, non négligeables s’ils ont à voir avec la grâce et les sacrements, qui constituent le trésor de l’Église.
Je m’arrête ici, afin de ne pas abuser de la patience avec laquelle vous me lisez. Je n’ai pas la prétention de proposer, en tant que thermomètre de la foi et de la vie ecclésiale, la quantité ou la qualité des confessions et, de manière plus générale, de la fréquentation des sacrements par les fidèles, ni d’en faire un paramètre exclusif pour l’évaluation d’un pontificat ou de l’état de santé de l’Église. Ce ne serait pas juste et cela ferait perdre de vue d’autres dimensions de la vie selon l’Évangile et de la mission ecclésiale.
Cependant nous ne devrions pas non plus négliger de prendre en considération certains signaux préoccupants qui proviennent des Églises de « périphérie », comme de celles du « centre ».
Ils n’avaient pas complètement tort, ces évêques qui, au moins jusqu’au concile Vatican II et, dans bien des cas, également après, demandaient avant tout aux curés de leur diocèse, lors de leurs visites épiscopales, combien de confessions et combien de communions avaient lieu chaque année, pour calculer la proportion par rapport au nombre de baptisés confiés à leurs soins.
Et ils n’avaient pas non plus tort, les papes qui, dans le passé, se faisaient indiquer par chaque évêque venu en visite « ad limina apostolorum » le nombre total de sacrements qui avaient été administrés dans son diocèse.
Ces évêques et ces papes tiraient simplement, de la médecine des âmes et du véhicule de la grâce sanctifiante, d’utiles indications quant à l’état du soin des âmes et de la sainteté du peuple de Dieu.
Ils ne disposaient certainement pas de tout l’appareil institutionnel, communicationnel, technologique et organisationnel qui a été rendu possible par la sociologie religieuse et aussi par la presse et les moyens audiovisuels, mais ils avaient pour eux l’humble certitude que ce n’est pas en caressant les modes culturelles et anthropologiques de son époque que l’on sauve les âmes, ni en courant après la vague des (res)sentiments et des revendications individuelles et sociales à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Église que l’on dirige le peuple de Dieu sur le chemin de la sainteté.
Merci de votre attention et cordiales salutations, « ad maiorem Dei gloriam ».
[Lettre signée]
Sources : www.chiesa/Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.