L’Assemblée Nationale a voté la mort

La loi dite « sur l’aide à mou­rir » vient d’être adop­tée en pre­mière lec­ture par l’Assemblée Nationale.

La loi dite « sur l’aide à mou­rir » vient d’être adop­tée en pre­mière lec­ture par l’Assemblée Nationale par 305 voix contre 199 et 57 abs­ten­tions. Comme pour toutes les lois socié­tales, les mots sont vidés de leur sens pour mieux faire pas­ser la pilule… de mort. On a appe­lé mariage ce qui n’en était pas un et l’euthanasie comme le sui­cide assis­té sont pudi­que­ment deve­nus une simple « aide à mou­rir ». Ce sinistre pro­jet avait pris la porte en juin 2024 à l’occasion de la dis­so­lu­tion de l’Assemblée natio­nale et il com­pre­nait, dans le même texte de loi, « l’aide à mou­rir » et la pro­mo­tion des soins pal­lia­tifs. L’association de ces deux pro­jets anti­no­miques dans une même loi vou­lait nous faire croire qu’il s’agissait des deux faces de la même médaille. Et cela obli­geait ceux qui vou­laient les soins pal­lia­tifs d’accepter l’euthanasie. Pourtant ces deux volets sont bien dif­fé­rents. Les soins pal­lia­tifs consistent à accom­pa­gner le patient en phase ter­mi­nale jusqu’au bout du voyage de la vie en essayant de l’aider et le sou­la­ger « non seule­ment de ses dou­leurs phy­siques et psy­chiques mais éga­le­ment sur le plan social et spi­ri­tuel » comme l’indique la charte de la socié­té fran­çaise d’accompagnement et de soins pal­lia­tifs (SFAP). L’euthanasie, même cachée der­rière l’« aide à mou­rir », consiste à l’abandonner sous cou­vert d’humanisme et autres « bons sen­ti­ments ». Le pre­mier ministre actuel, François Bayrou, qui se dit catho­lique, a mol­le­ment traî­né les pieds mais n’a pas pu résis­ter à la force du lob­by pro eutha­na­sie mené par Olivier Falorni, le dépu­té rap­por­teur de la loi. Il n’a pu obte­nir qu’une conces­sion d’intérêt sym­bo­lique à savoir le décou­plage des deux ver­sants eutha­na­sie et soins pal­lia­tifs en deux lois différentes.

Critères d’éligibilité

Voyons ce que recouvrent aujourd’hui les termes de cette loi et les cri­tères d’éligibilité du deman­deur. Le patient (peut-​on encore uti­li­ser ce mot qui d’ordinaire désigne une per­sonne à qui l’on va appor­ter un soin ?) doit être majeur, de natio­na­li­té fran­çaise et rési­der de façon stable et régu­lière en France. 

Il doit être atteint d’une « affec­tion grave et incu­rable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pro­nos­tic vital, en phase avan­cée » ou « ter­mi­nale ». Cela signi­fie que l’on est entré « dans un pro­ces­sus irré­ver­sible mar­qué par l’aggravation de l’état de san­té de la per­sonne malade et qui affecte sa qua­li­té de vie ». De nom­breux com­men­taires se sont éle­vés contre le carac­tère rela­ti­ve­ment flou de ces défi­ni­tions. Le pro­blème ne se pose pas seule­ment là. Il se trouve plu­tôt dans la bas­cule anthro­po­lo­gique que consti­tue à nou­veau la trans­gres­sion de l’interdit « Tu ne tue­ras pas ». Pour ce qui est des lignes rouges et des bar­rières infran­chis­sables on a vu ce que cela vou­lait dire depuis 50 ans avec l’évolution de la légis­la­tion sur l’interruption de gros­sesse qui est pas­sée d’une excep­tion à la règle du res­pect de la vie à un droit fon­da­men­tal ins­crit dans la Constitution. Les bar­rières sont peut-​être infran­chis­sables mais il suf­fit juste de pous­ser un peu pour les déplacer.

Bascule anthropologique

Le malade doit éga­le­ment pré­sen­ter une « souf­france phy­sique et psy­cho­lo­gique constante » qui est « soit réfrac­taire au trai­te­ment, soit insup­por­table selon la per­sonne » lorsqu’elle a « choi­si de ne pas rece­voir ou d’arrêter » un trai­te­ment. Une souf­france psy­cho­lo­gique seule n’est pas suf­fi­sante pour « béné­fi­cier » de « l’aide à mou­rir » pré­cise le texte. Cette condi­tion appelle deux com­men­taires : le pre­mier concerne la licéi­té morale de l’arrêt des trai­te­ments lorsque ces der­niers deviennent pénibles et qu’il n’y a pas d’espoir de gué­ri­son. L’arrêt d’une obs­ti­na­tion dérai­son­nable même s’il fait perdre quelques jours d’une fin de vie dou­lou­reuse n’est en aucun cas assi­mi­lable à une eutha­na­sie[1]. La deuxième remarque concerne les souf­frances phy­siques ou psy­cho­lo­giques réfrac­taires au trai­te­ment. Les méde­cins de soins pal­lia­tifs nous disent tous que lorsque la prise en charge d’un patient pré­sen­tant des grandes souf­frances morales et psy­cho­lo­giques est faite cor­rec­te­ment, la quasi-​totalité des demandes d’euthanasie dis­pa­raissent. Il est éga­le­ment impor­tant de sou­li­gner qu’il y a aujourd’hui beau­coup de moyens effi­caces pour faire dis­pa­raître les dou­leurs et rendre un cer­tain confort au patient. Il est cepen­dant des cas où c’est impos­sible. Une séda­tion pro­por­tion­née peut alors tout à fait être pro­po­sée au patient « mais après que ce der­nier ait pu satis­faire à ses devoirs moraux graves tant maté­riels que spi­ri­tuels »[2]. Par contre il ne faut pas perdre de vue que la séda­tion pro­fonde jusqu’au décès pro­po­sé par la loi Clays Leonetti est déjà une eutha­na­sie hypo­crite car elle asso­cie un arrêt des soins de base que sont l’hydratation et l’alimentation et une séda­tion d’emblée pro­fonde qui n’est pas tou­jours indis­pen­sable. La confé­rence des évêques de France (CEF) l’a un peu peu oublié en « s’inquiétant pro­fon­dé­ment » du vote de la nou­velle loi et en se rac­cro­chant à la loi Claeys-​Léonetti qui n’était pour­tant que le pré­lude de la loi actuelle. Jean-​Marie le Méné, pré­sident de la fon­da­tion Jérôme Lejeune, le rap­pe­lait dans une tri­bune du jour­nal La Croix le 13 avril 2022.

Derniers cri­tères d’éligibilité : « Être apte à mani­fes­ter sa volon­té de façon libre et éclai­rée ». Une per­sonne dont le dis­cer­ne­ment est « gra­ve­ment alté­ré » ne peut être éli­gible (pour le moment…). Là encore c’est le prin­cipe d’autonomie sou­vent reven­di­qué dans la bioé­thique moderne qui l’emporte et qui per­met à cer­tains d’aller reven­di­quer le droit de se sup­pri­mer. Nous ne sommes pour­tant qu’usufruitiers de notre vie. Le 24 février 1957[3], Pie XII rap­pe­lait ce prin­cipe : « Dieu seul est maître de la vie et de l’existence. L’homme n’est donc pas maître ni pos­ses­seur mais seule­ment usu­frui­tier de son corps et de son existence. »

Procédure

Quelle est la pro­cé­dure ? La demande doit être faite expres­sé­ment à un méde­cin qui a une quin­zaine de jours pour se pro­non­cer et noti­fier sa déci­sion. Il peut convo­quer un spé­cia­liste ayant accès au dos­sier médi­cal du patient et un pro­fes­sion­nel de san­té impli­qué dans le trai­te­ment en cours mais c’est à lui que revient la déci­sion finale qui devra être rédi­gée et moti­vée. Le texte pré­voit éga­le­ment que l’auto admi­nis­tra­tion de la sub­stance légale reste la règle (cela cor­res­pond à ce que l’on appelle le sui­cide assis­té) mais, si le patient n’est pas en mesure de le faire, l’administration pour­ra être réa­li­sée par un méde­cin ou par un infir­mier. Signalons, c’est impor­tant, que pour le moment il existe une clause de conscience spé­ci­fique pour les pro­fes­sion­nels de san­té leur per­met­tant de refu­ser de réa­li­ser ce geste. Cette clause n’existera pro­ba­ble­ment pas pour les phar­ma­ciens, comme c’est déjà le cas actuel­le­ment pour les pro­duits abor­tifs, car ils ne sont pas consi­dé­rés comme des « auxi­liaires médi­caux ». Un amen­de­ment à la loi qui vient d’être votée, a ins­tau­ré un « délit d’entrave à l’aide à mou­rir » visant à sanc­tion­ner le fait d’empêcher une per­sonne de s’informer sur cette loi ou d’en « béné­fi­cier ». C’est un point qui a sus­ci­té des débats par­mi les pro­fes­sion­nels de san­té car son appli­ca­tion zélée pour­rait faire sanc­tion­ner ceux qui pro­posent des soins pal­lia­tifs aux can­di­dats au sui­cide médi­ca­li­sé. François Bayrou, qui est un peu mal à l’aise avec cette loi, a signi­fié son désac­cord avec ce délit d’entrave. Un amen­de­ment symé­trique pro­po­sant un délit d’incitation à l’euthanasie a été bien enten­du refu­sé. Il semble que, pour nos dépu­tés, c’est plus grave d’empêcher de tuer que d’y inciter.

La qua­li­té d’une civi­li­sa­tion se mesure au res­pect qu’elle porte au plus faible de ses membres. 

Jérôme Lejeune

Aujourd’hui cette loi repose sur le volon­ta­riat de la future vic­time. Qu’en sera-​t-​il demain ? On peut craindre une évo­lu­tion rapide des choses comme cela s’est vu pour la loi Veil de 1975 mais éga­le­ment plus récem­ment dans les autres pays qui ont légi­fé­ré sur l’euthanasie comme la Belgique et le Canada. Rappelons que la loi Claeys-​Leonetti de 2016 a ins­tau­ré la notion de direc­tives anti­ci­pées oppo­sables aux méde­cins, per­met­tant à une per­sonne majeure d’exprimer sa volon­té sur sa fin de vie. Même si l’on peut contes­ter cette notion de direc­tives anti­ci­pées qui repose sur la « sacro-​sainte » notion d’autonomie il paraît quand même rai­son­nable de l’utiliser pour indi­quer que l’on refuse l’euthanasie et pour expri­mer éga­le­ment le sou­hait d’une séda­tion qui, si elle est néces­saire, reste pro­por­tion­née et non pas sys­té­ma­ti­que­ment « pro­fonde jusqu’au décès ».

Considérations économiques

Signalons quand même que la loi sur les soins pal­lia­tifs qui a été votée en même temps a été adop­tée à l’unanimité. Mais on peut s’interroger sur ce que l’on peut en espé­rer dans ce contexte. Les textes pré­cé­dents sur ce sujet n’ont pas tenu leurs pro­messes. Une rai­son est simple : les soins pal­lia­tifs c’est beau­coup plus oné­reux que l’euthanasie. Des études éco­no­miques sont parues à ce sujet notam­ment au Canada et on com­prend tout à fait l’enthousiasme des mutuelles com­plé­men­taires, notam­ment de la mutuelle géné­rale de l’éducation natio­nale (MGEN), en faveur de l’euthanasie. Les gens âgés coûtent cher et plus par­ti­cu­liè­re­ment pen­dant la der­nière année de leur vie. Les caisses de retraite ne doivent pas non plus voir cette loi d’un mau­vais œil. On sup­prime les futurs coti­sants par l’interruption de gros­sesse… Il faut donc sup­pri­mer les allo­ca­taires des pen­sions de vieillesse pour équi­li­brer le bud­get ! Je crois que l’on peut appe­ler cela un sui­cide démographique.

Un grand pas vient donc d’être fran­chi en direc­tion de la léga­li­sa­tion de l’euthanasie. Mais le par­cours légis­la­tif n’est pas encore ter­mi­né. L’examen de cette loi par le Sénat devrait se faire au début de l’automne. La chambre haute est un peu plus conser­va­trice que l’Assemblée natio­nale. On peut espé­rer, sans trop rêver quand même, que le texte ne soit pas voté au moins en l’état. Certains séna­teurs ont expri­mé des avis diver­gents mais on ne sait pas encore ce qui sor­ti­ra du vote final. L’objectif du gou­ver­ne­ment est quand même de faire adop­ter la loi avant la fin du quin­quen­nat. En cas d’enlisement l’hypothèse d’un réfé­ren­dum n’est pas tota­le­ment exclue.

L’interdit de tuer reste un fon­de­ment des socié­tés civi­li­sées. Lors des débats par­le­men­taires le dépu­té Charles Sitzenstuhl a décla­ré : « Moi j’avais cru com­prendre que quand on est plu­tôt de gauche, c’est quand même la voca­tion pre­mière de pro­té­ger les faibles, de pro­té­ger les vul­né­rables […] vous avez voté à l’instant un amen­de­ment qui visait à faire sau­ter une pro­tec­tion des per­sonnes qui ont un pro­blème de dis­cer­ne­ment, cela ne vous posait aucune dif­fi­cul­té… » Le pro­fes­seur Lejeune lui a répon­du il y a long­temps : « La qua­li­té d’une civi­li­sa­tion se mesure au res­pect qu’elle porte au plus faible de ses membres ». C’était vrai en 1975, ça l’est tou­jours en 2025.

Docteur Philippe de Geofroy

Notes de bas de page
  1. Pie XII, Discours sur les pro­blèmes de la réani­ma­tion du 24 novembre 1957[]
  2. Pie XII, Discours du 24 février 1957[]
  3. Congrès des chi­rur­giens[]

Cahiers Saint Raphaël

Association catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé