Les Noces de Cana (10)

Duccio di Buoninsegna Le Christ accusé par les pharisiens

N’avez vous pas lu, dans les Saintes Écritures, qu’au com­men­ce­ment, le Créateur fit un homme et une femme, et dit : l’homme quit­te­ra son père et sa mère, pour s’attacher à son épouse, et ils ne seront plus deux, mais une seule chair…

Mt 19, 5

Notre Seigneur répon­dait sans détour à ces pha­ri­siens sour­nois qui venaient de lui demander

Est-​il per­mis à un homme de répu­dier sa femme pour quelque motif que ce ce soit ? 

Mt 19, 3

Notre Seigneur était venu pour tout rele­ver… alors, 

que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni ! 

Mt 19 ‚6

Il réta­blis­sait l’ordre de son Père.

Pourtant,

Moïse a pres­crit de dres­ser un acte de divorce et de répudier, 

Mt 19, 7

reprirent ses inter­lo­cu­teurs. En Lui oppo­sant Moïse, celui qui avait don­né la Loi au peuple, ils pié­geaient le Seigneur. 

Oui, répli­qua le Sauveur, c’est à cause de la dure­té de vos cœurs que Moïse vous y a auto­ri­sés, mais au com­men­ce­ment, il n’en fut jamais ainsi. 

Mt 19, 8

Puis Notre Seigneur s’affirmait plus grand que Moïse : Il était l’auteur de la Loi, et ce que Moïse ne pou­vait réa­li­ser, à savoir réta­blir l’ordre per­du par le péché, Il allait l’accomplir :

Pour moi, je vous le déclare, s’il peut être per­mis de ren­voyer sa femme en cas d’inconduite, c’est com­mettre l’adultère que d’en épou­ser une autre, et celui qui épouse une femme ren­voyée se rend adultère. 

Mt 19 ‚9

Impossible d’invoquer doré­na­vant les conces­sions tran­si­toires. Avec son auto­ri­té suprême de Fils de Dieu, Jésus les décla­rait péri­mées, caduques.

Il a été dit que l’homme peut don­ner un acte de répu­dia­tion, et moi je vous dis que ce ren­voi expose la femme à l’adultère, et si quelqu’un l’épouse, il est adultère. 

Mt 5 ‚32

Voici, je fais toutes choses nouvelles… 

Ap 21, 5

Ainsi le divin Maître réta­blis­sait le mariage dans son éclat et res­ti­tuait aux époux la gloire de la chas­te­té conju­gale. Mais ce que nous oublions peut-​être, c’est qu’Il fit plus. Il éle­va le mariage à la digni­té de sacre­ment, Il le sanctifia.

Le Sauveur ne sub­sti­tua pas quelque chose au contrat matri­mo­nial pri­mi­tif en inven­tant un rite qui consti­tue­rait le sacre­ment, comme il le fit dans le Baptême ou la Confirmation. C’est le contrat matri­mo­nial lui-​même, qui, par sa divine Volonté, allait confé­rer la grâce qu’Il vou­lait don­ner au mariage humain, si impor­tant pour l’Église, si impor­tant pour la Cité catho­lique. Impressionnante inter­ven­tion divine dans les affaires humaines, à tel point qu’aucun vrai mariage n’existera entre bap­ti­sés, sans être en même temps sacre­ment. À tel point encore que ce sont les époux et non le prêtre qui sont ministres de ce sacre­ment : ministre d’un sacre­ment… réa­li­té si éle­vée, qu’elle est bien dif­fi­cile à faire com­prendre aux futurs époux.

Pour mieux com­prendre la réa­li­té sur­na­tu­relle du mariage, on peut le com­pa­rer avec les autres sacre­ments. Comparaison d’autant plus légi­time, que lorsque saint Thomas affirme que le plus grand des sacre­ments est l’Eucharistie, parce qu’en lui se trouve conte­nu sub­stan­tiel­le­ment Jésus-​Christ lui-​même, le doc­teur angé­lique met en rela­tion les autres sacre­ments à l’Eucharistie. Les autres sacre­ments sont ordon­nés, soit à réa­li­ser l’Eucharistie comme l’ordre, soit à rendre digne, ou plus digne, de le rece­voir ain­si le bap­tême, la confir­ma­tion, la péni­tence, l’extrême-onction. Quant au mariage, il signi­fie l’Eucharistie.

Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église…

Ep 5, 25

Alors que le sacre­ment de l’Ordre imprime dans l’âme du prêtre un carac­tère indé­lé­bile qui le consacre pour l’éternité et sans par­tage à Dieu, le confi­gu­rant au Christ et lui confé­rant un pou­voir de sanc­ti­fi­ca­tion, le mariage n’imprime pas de carac­tère dans l’âme des époux. Cependant le mariage fait d’eux, au moment du contrat, les ins­tru­ments d’une grâce de sanc­ti­fi­ca­tion réci­proque, mais aus­si leur donne dans le lien sacré qui les unit, et qui pro­longe en quelque façon le sacre­ment et le per­pé­tue, un pou­voir per­ma­nent de s’aider à croître dans la grâce et la perfection.

Au moment où les fian­cés s’engagent devant Dieu et devant les hommes, ils reçoivent le pou­voir sur­na­tu­rel de se don­ner mutuel­le­ment une mesure nou­velle de grâce sanc­ti­fiante, avec l’augmentation cor­ré­la­tive des ver­tus et des dons infus ; à cela se joint encore un per­fec­tion­ne­ment de toutes les facul­tés et puis­sances qui entre­ront en jeu dans la vie conju­gale et fami­liale, et une grâce actuelle abon­dante. Enfin leur est don­né le droit à des secours spé­ciaux pro­por­tion­nés aux dif­fi­cul­tés qu’ils auront par la suite à surmonter.

Je suis le cep, vous êtes les sarments.

Jn 15, 5

Bien sûr ils ne sont pas ministres comme l’est le prêtre pour le culte par le carac­tère sacer­do­tal, mais ils sont véri­ta­ble­ment ministre de leur sacre­ment de mariage. Ils sont ministres parce qu’ils posent la matière du sacre­ment par le don réci­proque d’eux-mêmes en vue de la vie com­mune et de la for­ma­tion d’une famille chré­tienne. Ils sont ministres parce que ce sont les époux qui pro­noncent la forme de ce sacre­ment en expri­mant cha­cun le consen­te­ment qui accepte l’offrande de l’autre, le trans­fert à l’autre du droit sur son corps. Ils sont ministres, car en unis­sant la matière et la forme de ce sacre­ment, l’acte qu’ils posent devient signe sen­sible, signi­fi­ca­tif et effi­cace de la grâce. Alors le sacre­ment aug­mente en eux la grâce sanc­ti­fiante et leur donne la grâce sacramentelle.

Tout cela est, évi­dem­ment, lar­gesse divine décou­lant du tré­sor acquis par le Christ en sa Passion ; les époux ne sont que l’instrument, le canal, par lequel passe ce flot de richesses sur­na­tu­relles pour se déver­ser dans l’âme de l’autre conjoint, mais ils sont cet ins­tru­ment, ils sont les ministres de ce sacre­ment. Dignité très haute, qui dans sa plé­ni­tude n’est exer­cée qu’une seule fois, lors du oui sacra­men­tel.

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