12 septembre 1969

Lettre de Mgr de Castro Mayer au Pape Paul VI

Cinq mois après la pro­mul­ga­tion de la nou­velle messe par le décret du 6 avril 1969 (jour de Pâques), un évêque bré­si­lien affirme au pape Paul VI que celle-​ci est irre­ce­vable dans son diocèse.

Au prin­temps 1969, le pape Paul VI avait décré­té qu’une nou­velle messe serait ins­ti­tuée. Ce n’é­tait pas seule­ment un scan­dale en rai­son de son rap­pro­che­ment avec la concep­tion pro­tes­tante de la cène, c’é­tait aus­si une ten­ta­tive d’é­cra­ser le rite bimil­lé­naire de l’Eglise afin d’o­pé­rer son rem­pla­ce­ment. Lorsque Mgr de Castro Mayer, évêque de Campos (Brésil) reçu la lettre de pro­mul­ga­tion du nou­veau rite, il n’a pas dit un mot, mais a appe­lé sa voi­ture et un chauf­feur, puis a deman­dé à être conduit au sémi­naire dio­cé­sain, à l’ex­tré­mi­té nord du dio­cèse, à 150 km de Campos. Après la jour­née de route dans un silence angois­sé, il entra au sémi­naire, la lettre tou­jours en main, et, l’air pâle, ten­du et cho­qué, il la ten­dit au père José Possidente, direc­teur du sémi­naire. Et puis il a par­lé pour la pre­mière fois depuis qu’il a ouvert et lu la lettre : « Ce n’est pas pos­sible, ce n’est pas pos­sible ; je ne l’ac­cep­te­rai pas », et les larmes jaillirent de ses yeux. Une grande tris­tesse s’est empa­rée de l’é­vêque et, dans son âme, cette dou­leur, une dou­leur res­sen­tie par tous les fidèles qui ont connu et aimé la messe, n’est jamais pas­sée. Ce joug n’é­tait pas facile à por­ter ; ce far­deau n’é­tait pas léger. Mais cela ne chan­ge­rait pas son sens du devoir. On lui avait confié une tâche à accom­plir et il conti­nue­rait de le faire. Il devait pré­ser­ver la foi dans son dio­cèse et main­te­nant aus­si la messe. Il s’ar­ma des armes d’un évêque : mitre, crosse et anneau, signes d’au­to­ri­té qui lui étaient don­nés dans sa consé­cra­tion, et prit la plume. Cinq mois plus tard, le Pape Paul VI reçut à Rome la lettre suivante.

Lettre au Pape Paul VI – 12 septembre 1969

Très Saint Père,

Ayant exa­mi­né atten­ti­ve­ment le Novus Ordo Missae, qui doit entrer en vigueur le 30 novembre pro­chain, après avoir beau­coup prié et réflé­chi, j’ai jugé de mon devoir, comme prêtre et évêque, de pré­sen­ter à Votre Sainteté, mon angoisse de conscience, et for­mu­ler, avec la pitié et la confiance filiales que je dois au Vicaire de Jésus-​Christ, une supplique.

Le Novus Ordo Missae, tant par les omis­sions et chan­ge­ments intro­duits dans l’Ordinaire de la Messe, que par un grand nombre de ses normes géné­rales indi­quant le concept et la nature du nou­veau Missel, n’ex­prime pas, dans ses points essen­tiels, comme il le devrait, la Théologie du Saint Sacrifice Eucharistique, éta­blie par le Sacré Concile de Trente, dans sa ses­sion XXIIe. Fait, que le simple caté­chisme ne par­vient pas à contre­ba­lan­cer. En annexe, je joins les rai­sons qui, je le pense, jus­ti­fient cette conclusion.

Les rai­sons d’ordre pas­to­ral qui, éven­tuel­le­ment, pour­raient être invo­quées en faveur de la nou­velle struc­ture de la Messe, en pre­mier lieu, ne peuvent arri­ver à faire oublier les argu­ments d’ordre dog­ma­tique qui militent en sens contraire. De plus, ils ne paraissent pas consé­quents. Les chan­ge­ments qui ont pré­cé­dé et pré­pa­ré le Novus Ordo n’ont pas contri­bué à aug­men­ter la Foi et la pié­té des fidèles. Au contraire, ils nous ont lais­sés rem­plis d’appréhension, appré­hen­sion que le Novus Ordo a aug­men­tée. Par voie de consé­quence, a été favo­ri­sée l’i­dée qu’il n’y a rien d’immuable dans la Sainte Église, pas même le Très Saint Sacrifice de la Messe.

En outre, comme je le signale dans les annexes ci-​jointes, le Novus Ordo non seule­ment n’ins­pire pas la fer­veur, mais encore il exté­nue la foi dans les véri­tés cen­trales de la vie catho­lique, telle la pré­sence réelle de Jésus dans le Très Saint Sacrement, la réa­li­té du sacri­fice pro­pi­tia­toire, le sacer­doce hiérarchique.

J’accomplis ain­si un impé­rieux devoir de conscience, deman­dant hum­ble­ment et res­pec­tueu­se­ment à Votre Sainteté qu’Elle daigne, par un acte posi­tif qui éli­mine tout doute, nous auto­ri­ser à conti­nuer à user de l’Ordo Missae de S. Pie V, dont l’efficacité dans le déve­lop­pe­ment de la Sainte Église et l’accroissement de la fer­veur des prêtres et des fidèles, est rap­pe­lée, avec tant d’onc­tion, par Votre Sainteté.

Je suis sûr que la Bienveillance Paternelle de Votre Sainteté ne lais­se­ra pas d’é­loi­gner les per­plexi­tés que j’ai dans mon cœur de prêtre et d’évêque.

Prosterné aux pieds de Votre Sainteté, avec obéis­sance humble et pitié filial, j’im­plore la Bénédiction Apostolique.

Mgr de Castro Mayer, Campos le 12 sep­tembre 1969.

Qui est Mgr de Castro Mayer ?

Orphelin à 6 ans

Né en 1904 dans la ville de Campinas (état de São Paulo), fils d’un immi­gré alle­mand et d’une Brésilienne, il a eu une enfance très pauvre. Orphelin à l’âge de 6 ans, lui et ses onze frères n’ont héri­té qu’un seul bien pré­cieux : la foi catho­lique. Deux de ses sœurs sont deve­nues reli­gieuses et Antônio a rejoint le sémi­naire à l’âge de 12 ans. Élève brillant, il a été envoyé à Rome, à l’Université gré­go­rienne, où il a ter­mi­né ses études. Il fut ordon­né prêtre par le car­di­nal Basilio Pompilj en 1927 et, l’an­née sui­vante, il reçut le titre de doc­teur en théo­lo­gie de la même uni­ver­si­té. De retour au Brésil, il a été pro­fes­seur au sémi­naire archi­dio­cé­sain de São Paulo pen­dant 13 ans. En 1940, il est nom­mé cha­noine et tré­so­rier de la Cathédrale métro­po­li­taine de São Paulo et, l’an­née sui­vante, il devint vicaire géné­ral de l’archidiocèse.

Avec la mort de l’ar­che­vêque de São Paulo, Mgr José Gaspar D’Afonseca e Silva, dans un acci­dent d’a­vion à Rio de Janeiro en 1943, Carlos Carmelo de Vasconcelos Motta assume, l’an­née sui­vante, l’ar­chi­dio­cèse. Peu de temps après, de Castro Mayer est démis de ses fonc­tions et nom­mé curé de l’é­glise St Joseph du Bethlehem, dans un quar­tier très pauvre de la péri­phé­rie de São Paulo. Bien qu’on ne puisse que faire des conjec­tures sur l’évidente rétro­gra­da­tion de Mgr de Castro Mayer avec l’ar­ri­vée de Carlos Carmelo, on sait que celui-​ci a été le fon­da­teur de la Conférence natio­nale des évêques du Brésil (CNBB), laquelle, dans les décen­nies sui­vantes, devien­dra un grand adver­saire de Mgr de Castro Mayer et se révè­le­ra comme l’agent moteur du mar­xisme et du moder­nisme au Brésil.

Évêque de Campos dos Goytacazes

L’ostracisme de Dom. Antônio de Castro Mayer prend fin avec sa nomi­na­tion inat­ten­due, en mars 1948, comme évêque coad­ju­teur du dio­cèse de Campos dos Goytacazes, deve­nant son évêque titu­laire l’an­née sui­vante. La ville de Campos, à 300 km de Rio de Janeiro, avec alors 700 000 habi­tants et un impor­tant pôle pétro­chi­mique, n’é­tait cepen­dant pas un dio­cèse de pre­mier plan.

Il y a exer­cé son épis­co­pat de manière exem­plaire, en tant que père et pas­teur. Il avait la capa­ci­té de se dépla­cer par­mi ses fidèles et de se mêler à eux dans la vie de tous les jours sans en aucune manière dimi­nuer ou défi­gu­rer son auto­ri­té. Il a vécu la vie de son dio­cèse avec les fidèles dans tous ses aspects les plus ordi­naires, mais il a tou­jours conser­vé sa digni­té d’évêque.

La tempête approche

Anticipant la grande crise de l’Église, déjà infil­trée par tant de reli­gieux infi­dèles et leurs héré­sies, il écri­vit dans les années 1950 et 1960 des lettres pas­to­rales s’at­ta­quant au moder­nisme et au com­mu­nisme, qui ne fai­saient que lui accroître ses enne­mis – au Brésil et à Rome. Pendant le Concile Vatican II, il a aidé à fon­der et à diri­ger le groupe Coetus Internationalis Patrum, for­mé par plus de 250 pères conci­liaires, qui ont ten­té d’empêcher le Magistère et la Tradition de l’Église d’être anéan­tis par le par­ti moder­niste pen­dant les déli­bé­ra­tions conci­liaires. Le groupe a même recueilli les signa­tures de plus de 500 pères conci­liaires deman­dant au Saint-​Père une réfu­ta­tion expresse du com­mu­nisme, à laquelle il n’a jamais été répondu.

Le lion rugit

En 1973, le pape Paul VI lui ordon­na d’ex­pri­mer libre­ment son opi­nion, si en conscience il n’é­tait pas d’ac­cord avec les actes de l’ac­tuel Magistère ordi­naire de l’Église. Mgr Antônio de Castro Mayer écri­vit alors, en jan­vier 1974, la lettre sui­vante à Paul VI : « […] Au fil des années, a pris forme dans mon esprit la convic­tion que Vos actes offi­ciels n’ont pas, avec ceux des Pontifes qui Vous ont pré­cé­dés, cette conso­nance que j’ai vou­lu y voir de toute mon âme. Ce n’est pas, bien enten­du, d’actes assu­rés par le cha­risme de l’in­failli­bi­li­té. Ainsi, cette convic­tion qui est la mienne n’é­branle en rien ma croyance sans res­tric­tion dans les défi­ni­tions du Concile Vatican I.

Craignant d’a­bu­ser du temps pré­cieux du Vicaire du Christ, je m’ex­cuse de toute autre consi­dé­ra­tion et me borne à sou­mettre à l’at­ten­tion de Votre Sainteté trois études :

1. À pro­pos de « Octogésima Adveniens » ;

2. À pro­pos de la liber­té reli­gieuse ;

3. À pro­pos du nou­vel « Ordo Missae ». (Ce der­nier a été rédi­gé par l’a­vo­cat Arnaldo Vidigal Xavier da Silveira, dont je m’as­so­cie au conte­nu).

Il sera super­flu d’a­jou­ter que dans cette étape, comme dans d’autres de ma vie, j’ac­com­pli­rai, dans toute la mesure pres­crite par les lois de l’Église le devoir sacré d’o­béis­sance. Et dans cet esprit, avec le cœur d’un fils ardent et très dévoué du Pape et de la Sainte Église, j’ac­cueille­rai toute parole de Votre Sainteté sur ce maté­riel.

D’une manière par­ti­cu­lière, je prie Votre Sainteté de me décla­rer :

A. S’il y a une erreur dans la doc­trine expo­sée dans les trois études ci-​jointes ;

B. Si Vous voyez dans l’at­ti­tude prise dans les­dites études à l’é­gard des docu­ments du Magistère suprême quelque chose qui soit en désac­cord avec le res­pect que je lui dois en tant qu’évêque. […] »

Mgr de Castro Mayer n’a jamais reçu de réponse à cette lettre. Mais il a conti­nué à être le ber­ger de ses bre­bis. Et à célé­brer la messe tra­di­tion­nelle jus­qu’à sa retraite for­cée, à l’âge de 75 ans, en 1981. Ainsi, Campos était le seul dio­cèse au monde où la messe tra­di­tion­nelle latine conti­nuait à être célé­brée sans inter­rup­tion par tout son cler­gé mal­gré l’a­vè­ne­ment du « novus ordo ». Et, comme le père ne prend pas retraite de sa pater­ni­té, Mgr de Castro Mayer n’a pas non plus aban­don­né ses ouailles atta­chées à la messe de tou­jours après avoir été contraint de prendre sa retraite : il a fon­dé l’Union sacer­do­tale Saint-​Jean-​Marie-​Vianney, où il a accueilli la majo­ri­té des prêtres de son dio­cèse (336 d’entre eux !) et plus de 40 000 fidèles qui ont per­du leurs paroisses lorsque le nou­vel évêque qui a assu­mé le dio­cèse a déci­dé de mettre en œuvre Vatican II de force, éli­mi­nant tout ce qui rap­pe­lait la tra­di­tion catholique.

Mgr de Castro Mayer et Mgr Lefebvre

La plu­part des évêques bré­si­liens qui s’é­taient unis dans la défense de l’Église ont, au fil du temps, cédé, pré­fé­rant une obéis­sance fausse et confor­table à la défense de la véri­té catho­lique, et pro­vo­quant la des­truc­tion de la foi dans ce qui était alors plus grand pays catho­lique du monde, aujourd’­hui pâtu­rage pour les pen­te­cô­tistes, agnos­tiques et super­sti­tieux. Le seul sou­tien et ami fidèle a été l’é­vêque fran­çais Mgr Marcel Lefebvre, avec qui, après des appels répé­tés sans réponse au pape Jean-​Paul II afin d’or­don­ner des évêques res­pec­tueux de la tra­di­tion, et après la scan­da­leuse ren­contre œcu­mé­nique d’Assise en 1986, où l’on a vu le même mal­heu­reux pape embras­ser le Coran et intro­duire toutes sortes de divi­ni­tés païennes dans le Temple de Dieu, compte tenu de l’é­tat de néces­si­té de l’Église, ils ont ordon­né quatre évêques à Écône, en Suisse, le 30 juin 1988.

Ce qui était pré­sen­té autre­fois comme l’exa­gé­ra­tion d’une mino­ri­té devient de plus en plus évident avec les années : si l’on com­pare les effets du « prin­temps de Vatican II » avec ceux de la Tradition, le contraste est fla­grant. Le pape Benoît XVI a d’ailleurs reti­ré en 2009 toutes les excom­mu­ni­ca­tions injustes liées aux ordi­na­tions épis­co­pales à Écône, sans que les évêques impli­qués n’aient eu à expri­mer la moindre rétrac­ta­tion ou recon­nais­sance d’a­voir agi de manière erronée.

Aujourd’hui, grâce aux sacres épis­co­paux de 1988 accom­plis avec héroïsme par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer, la Tradition dis­pose d’é­vêques pour que le com­man­de­ment de Notre-​Seigneur à ses apôtres le soir du Jeudi Saint per­dure : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc 22, 19.)

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) et Mgr Antonio de Castro Mayer (1904–1991) : un même com­bat pour l’Eglise.

Diocèse de Campos

Antônio de Castro Mayer est un évêque bré­si­lien, né le à Campinas (État de São Paulo) et mort le à Campos (État de Rio de Janeiro). Il est connu prin­ci­pa­le­ment pour avoir comme évêque de Campos fait par­tie du Coetus Internationalis Patrum lors du concile Vatican II, pour avoir fon­dé l’Union Saint-​Jean-​Marie-​Vianney en 1982, et avoir été évêque co-​consécrateur lors des sacres épis­co­paux accom­plis le  à Ecône par Marcel Lefebvre.