Ce principe très simple…

Crédit photo : Pascal Deloche / Godong

Si « ce qu’un pape a fait un autre peut le défaire », alors com­ment expli­quer qu’en vingt siècles d’Eglise, aucun Souverain Pontife n’ait fait, pour bou­le­ver­ser la Messe, ce qu’a osé faire le Pape Paul VI ?

Article paru dans la revue Itinéraires n° 168 de décembre 1972

La Documentation catho­lique s’est mise en devoir, en publiant un pré­ten­du « état de la ques­tion » sur le Novus Ordo Missae, de défendre « les gens simples » contre qui nous « jetons le trouble » dans leur cœur par le refus des nou­velles messes de Paul VI. Donc pour ras­su­rer les bonnes âmes que nous avons trou­blées, ces mes­sieurs nous rap­pellent « ce prin­cipe très simple : ce que le Pape a fait, le Pape peut le défaire ».[1] Par consé­quent, laissent-​ils entendre, si la pro­mul­ga­tion de l’Ordo Missae codi­fié par saint Pie V a été légi­time et s’est impo­sée, la démo­li­tion de ce même Ordo Missae par Paul VI n’est pas moins légi­time et s’im­pose tout autant, car c’est « très simple » : ce qu’un Pape a fait un autre peut le défaire.

Eh ! bien, si ce prin­cipe est si simple, si notam­ment il est d’une appli­ca­tion sans limite, s’il n’est pas conte­nu dans les bornes strictes de la tra­di­tion, – la tra­di­tion qui pro­tège l’es­sence des Sacrements et la met en lumière, – alors, que la Documentation catho­lique tache de nous expli­quer pour­quoi, en vingt siècles de papau­té, nul Pape n’a­vait encore fait au sujet de la Messe ce que Paul VI a osé faire.

Oui, pour­quoi depuis la fin des per­sé­cu­tions romaines aucun des Souverains Pontifes qui avaient, je sup­pose, non moins de pou­voir que Paul VI, n’a-​t-​il son­gé à intro­duire les muta­tions sui­vantes dans l’Ordo de la Sainte Messe :

  1. mise en cir­cu­la­tion de trois nou­velles prières dites eucha­ris­tiques, et tel­le­ment eucha­ris­tiques en effet qu’elles sont uti­li­sées par les pas­teurs qui n’ont pas la foi dans l’Eucharistie ;
  2. sup­pres­sion en pra­tique de la langue latine, même pour les paroles de la consé­cra­tion et pour le Canon ;
  3. bou­le­ver­se­ment fon­cier de tout le tem­po­ral et tout le sanc­to­ral, au point qu’il n’existe même plus de quatre-temps ;
  4. raré­fac­tion extrême et qua­si totale des gestes qui sont signi­fi­ca­tifs du sacri­fice et de la pré­sence réelle ;
  5. trans­for­ma­tion tel­le­ment pro­fonde du rite de la com­mu­nion que le corps et le sang du Seigneur sont dis­tri­bués par de simples laïcs, et même par des femmes et des filles, exac­te­ment comme si tous ces gens-​là étaient prêtres ou diacres ?

Si le prin­cipe : « ce qu’un Pape a fait un autre peut le défaire » est aus­si simple que ces mes­sieurs nous le disent, si le Pape peut tout, non sans doute en matière de foi et de morale, mais en tout cas dans la dis­ci­pline des sacre­ments, com­ment expli­quer alors qu’en vingt siècles d’Eglise, aucun Souverain Pontife n’ait fait, pour bou­le­ver­ser la Messe, ce qu’a osé faire le Pape de maintenant ?

Ce qu’un pape a éta­bli un autre peut le ren­ver­ser : ce prin­cipe en matière de dogme et de morale n’est jamais vrai ; en matière de dis­ci­pline, il n’est vrai que dans une zone res­treinte. Et, qu’il s’a­gisse de dogme et de morale ou bien de dis­ci­pline, lorsque le chan­ge­ment est de type moder­niste ce prin­cipe alors n’est jamais vrai, car les chan­ge­ments de ce type sont révo­lu­tion­naires et tout orien­tés à détruire l’Eglise. Je rap­pelle une fois de plus que les chan­ge­ments de type moder­niste pré­sentent les quatre carac­tères que voici :

  1. les auto­ri­tés offi­cielles n’exercent plus, mal­gré les appa­rences, le gou­ver­ne­ment effec­tif, mais elles servent de paravent et de cau­tion aux auto­ri­tés paral­lèles, ano­nymes et occultes ; c’est essen­tiel­le­ment le sys­tème de la démo­cra­tie moderne ;
  2. les chan­ge­ments, du fait qu’ils sont des­ti­nés à détruire de l’in­té­rieur la foi et les sacre­ments, pro­cèdent d’une manière mas­quée et se déguisent sous de faux pré­textes, comme le retour aux sources, la meilleure par­ti­ci­pa­tion, une com­mo­di­té plus grande ;
  3. en matière de dogme ces chan­ge­ments pro­cèdent non par néga­tion mais par ré-interprétation ;
  4. quand il s’a­git de rites sacra­men­tels, on ne rejette pas ouver­te­ment matière et forme, ministre et sujet, mais par mani­pu­la­tion du for­mu­laire, trans­for­ma­tion des céré­mo­nies, mul­ti­pli­ca­tion illi­mi­tée des variantes et des excep­tions on fait tant et si bien que, au bout de quelques années, on abou­tit au doute uni­ver­sel ; on ne sait plus au juste où est la matière et la forme, qui est le ministre et qui le sujet.

Que l’on regarde de près et que l’on juge à leurs fruits les bou­le­ver­se­ments litur­giques, jamais inter­rom­pus durant les neufs ans du pré­sent pon­ti­fi­cat, et que l’on nous prouve qu’ils ne sont pas de type moderniste.

C’est parce qu’ils ont été obli­gés d’a­bou­tir, après exa­men de la situa­tion actuelle, à cette conclu­sion déso­lante que des prêtres dociles, qui recon­naissent volon­tiers le pou­voir du Pape sur la litur­gie, – mais un pou­voir limi­té, – se sont réso­lus cepen­dant à refu­ser les messes nou­velles de Paul VI. Le sen­ti­ment filial de ces prêtres à l’é­gard du Vicaire du Christ est pro­fond et demeure intact. Mais leur déter­mi­na­tion est irré­duc­tible. Car faire des chan­ge­ments de type moder­niste en n’im­porte quel domaine, et a for­tio­ri dans la Sainte Messe, cela n’ap­par­tient pas au pou­voir du Pape, d’au­cun Pape. Tout chré­tien sait cela pour peu que sa foi soit éclai­rée. Et lors­qu’un Pape com­met des abus de pou­voir dans l’ordre reli­gieux tout chré­tien sait éga­le­ment qu’il doit sur­mon­ter ce scan­dale ; le moyen est de s’en tenir à la tra­di­tion en redou­blant de prière et de ferveur.

Source : Revue Itinéraires n° 168 de décembre 1972

Notes de bas de page
  1. Documentation catho­lique 6 au 20 août 1972, page 733.[]

O.P.

Le père Roger-​Thomas Calmel (1914–1975) est un domi­ni­cain fran­çais, phi­lo­sophe tho­miste, qui a appor­té une immense contri­bu­tion à la lutte pour la Tradition catho­lique à tra­vers ses écrits et ses confé­rences. Son influence la plus impor­tante fût auprès des sœurs domi­ni­caines ensei­gnantes de Brignoles et de Fanjeaux.