Cardinal Ratzinger au Chemin de Croix du Colisée : la barque de Pierre prend l’eau de toute part – 25 mars 2005


(1) Voir la IXe station

PRÉSENTATION

Le leit­mo­tiv de ce Chemin de Croix est mis en lumière dès le début, dans la prière ini­tiale, et de nou­veau à la qua­tor­zième sta­tion. C’est la parole pro­non­cée par le Christ le Dimanche des Rameaux, par laquelle – immé­dia­te­ment après son entrée à Jérusalem – il répond à la ques­tion de quelques Grecs qui vou­laient le voir : « Si le grain de blé tom­bé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beau­coup de fruit » (Jn 12, 24). Le Seigneur inter­prète ain­si tout son par­cours ter­restre comme le par­cours du grain de blé qui par­vient à por­ter du fruit seule­ment à tra­vers la mort. Il inter­prète sa vie ter­restre, sa mort et sa résur­rec­tion dans la pers­pec­tive de l’Eucharistie, dans laquelle est résu­mé tout son mys­tère. Puisqu’il a vécu sa mort comme une offrande de lui-​même, comme un acte d’a­mour, son corps a été trans­for­mé dans la nou­velle vie de la résur­rec­tion. Voilà pour­quoi, lui, le Verbe incar­né, est désor­mais deve­nu pour nous une nour­ri­ture qui conduit à la vraie vie, à la vie éter­nelle. Le Verbe éter­nel – la force créa­trice de la vie – est des­cen­du du ciel, deve­nant ain­si la vraie manne, le pain qui se com­mu­nique à l’homme, dans la foi et dans le sacre­ment. De cette manière, le Chemin de Croix devient un che­min qui conduit jus­qu’au cœur du mys­tère eucha­ris­tique : la pié­té popu­laire et la pié­té sacra­men­telle de l’Église se lient et se fondent. La prière du Chemin de Croix peut se com­prendre comme un che­min qui conduit à la com­mu­nion spi­ri­tuelle pro­fonde avec Jésus, sans laquelle la com­mu­nion sacra­men­telle res­te­rait vide. Le Chemin de Croix appa­raît comme un che­min « mys­ta­go­gique ».

À cette vision s’op­pose une com­pré­hen­sion pure­ment sen­ti­men­tale du Chemin de Croix, risque dont le Seigneur aver­tit les femmes de Jérusalem qui pleurent sur lui (cf. hui­tième sta­tion). Le simple sen­ti­ment ne suf­fit pas ; le Chemin de Croix doit être une école de foi, de la foi qui, de par sa nature, « agit par la cha­ri­té » (Ga 5, 6). Cependant, cela ne signi­fie pas que le sen­ti­ment doit être exclu. Pour les Pères, le pre­mier défaut des païens est leur manque de cœur ; aus­si reprennent-​ils la vision d’Ézéchiel, qui com­mu­nique au peuple d’Israël la pro­messe que Dieu fait d’en­le­ver de leur poi­trine le cœur de pierre et de leur don­ner un cœur de chair (cf. Ez 11, 19). Le Chemin de croix nous montre un Dieu qui par­tage lui-​même les souf­frances des hommes, dont l’a­mour ne demeure pas impas­sible et dis­tant, un Dieu qui des­cend par­mi nous, jus­qu’à la mort sur la croix (cf. Ph 2, 8). Le Dieu qui par­tage nos souf­frances, le Dieu fait homme pour por­ter notre croix, veut trans­for­mer notre cœur de pierre et nous appe­ler à par­ta­ger les souf­frances d’au­trui. Il veut nous don­ner un « cœur de chair » qui ne reste pas impas­sible devant les souf­frances d’au­trui. Il se laisse au contraire tou­cher et nous conduit à l’a­mour qui gué­rit et qui vient en aide. Cela nous ren­voie aux paroles de Jésus sur le grain de blé par les­quelles il trans­forme la for­mule fon­da­men­tale de l’exis­tence chré­tienne : « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éter­nelle » (Jn 12, 25 ; cf. Mt 16, 25 ; Mc 8, 35 ; Lc 9, 24 ; 17, 33 : « Qui cher­che­ra à conser­ver sa vie la per­dra. Et qui la per­dra la sau­ve­gar­de­ra »). Cela nous explique aus­si ce que signi­fie la phrase qui pré­cède ces paroles cen­trales de son mes­sage dans les Évangiles synop­tiques : « Si quel­qu’un veut mar­cher der­rière moi, qu’il renonce à lui-​même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive » (Mt 16, 24). Par ces mots, il offre lui-​même l’in­ter­pré­ta­tion du « Chemin de Croix », il nous enseigne com­ment nous devons le prier et le suivre : le Chemin de Croix est le che­min du renie­ment de soi, c’est-​à-​dire le che­min de l’a­mour véri­table. Sur ce che­min il nous a pré­cé­dés ; c’est ce che­min que veut nous ensei­gner la prière du Chemin de Croix. Et cela nous ramène encore au grain de blé qui doit mou­rir, à l’Eucharistie, dans laquelle se rend conti­nuel­le­ment pré­sent au milieu de nous le fruit de la mort et de la résur­rec­tion de Jésus. En elle, il marche avec nous, comme autre­fois avec les dis­ciples d’Emmaüs, se fai­sant tou­jours de nou­veau notre contemporain.

PRIÈRE INITIALE

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Amen.

Seigneur Jésus-​Christ, pour nous tu as accep­té de deve­nir comme le grain de blé qui tombe en terre et qui meurt pour don­ner beau­coup de fruit (cf. Jn 12, 24). Tu nous invites à te suivre sur ce che­min quand tu dis : « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éter­nelle » (Jn 12, 25). Nous, cepen­dant, nous sommes atta­chés à notre vie. Nous ne vou­lons pas l’a­ban­don­ner, mais la gar­der tota­le­ment pour nous-​mêmes. Nous vou­lons la pos­sé­der, non l’of­frir. Mais tu nous pré­cèdes et tu nous montres que c’est seule­ment en don­nant notre vie que nous pou­vons la sau­ver. Alors que nous t’ac­com­pa­gnons sur le Chemin de Croix, tu veux nous conduire à prendre le che­min du grain de blé, le che­min d’une fécon­di­té qui par­vient jus­qu’à l’é­ter­ni­té. La croix – l’of­frande de nous-​mêmes – nous pèse beau­coup. Mais sur ton Chemin de Croix tu as por­té aus­si ma croix, et tu ne l’as pas por­tée en un quel­conque moment du pas­sé, car ton amour est contem­po­rain à mon exis­tence. Tu la portes aujourd’­hui avec moi et pour moi, et, de manière admi­rable, tu veux que moi aus­si, aujourd’­hui, comme jadis Simon de Cyrène, je porte avec toi ta croix et, t’ac­com­pa­gnant, je me mette avec toi au ser­vice de la rédemp­tion du monde. Aide-​moi, afin que mon Chemin de Croix ne soit pas sim­ple­ment le pieux sen­ti­ment d’un ins­tant. Aide-​nous non seule­ment à t’ac­com­pa­gner par de nobles pen­sées, mais à mar­cher sur ton che­min avec le cœur, plus encore avec les pas concrets de notre vie quo­ti­dienne. Aide-​nous pour que nous mar­chions avec tout nous-​mêmes sur le Chemin de Croix, et que nous demeu­rions à jamais sur ton che­min. Libère-​nous de la peur de la croix, de la peur face à la déri­sion des autres, de la peur que notre vie puisse nous échap­per si nous ne sai­sis­sons pas tout ce qu’elle offre. Aide-​nous à démas­quer les ten­ta­tions qui nous pro­mettent la vie, mais dont les consé­quences nous laissent, en fin de compte, sans but et déçus. Aide-​nous à ne pas nous faire les maîtres de la vie, mais à la don­ner. En t’ac­com­pa­gnant sur le che­min du grain de blé, aide-​nous à trou­ver, « en per­dant notre vie », le che­min de l’a­mour, le che­min qui nous pro­cure véri­ta­ble­ment la vie, la vie en abon­dance (cf. Jn 10, 10). 

PREMIÈRE STATION – Jésus est condamné à mort

Adoramus te, Christe, et bene­di­ci­mus tibi.
Quia per sanc­tam cru­cem tuam rede­mis­ti mundum.

Pilate reprit : « Que ferai-​je donc de Jésus, celui qu’on appelle le Messie ? ». Ils répon­dirent tous : « Qu’on le cru­ci­fie ! ». Il pour­sui­vit : « Quel mal a‑t-​il donc fait ? ». Ils criaient encore plus fort : « Qu’on le cru­ci­fie ! ». Il leur relâ­cha donc Barabbas ; quant à Jésus, il le fit fla­gel­ler, et le leur livra pour qu’il soit cru­ci­fié (Mt, 27, 22–23.26).

Méditation. Le Juge du monde, qui revien­dra un jour pour nous juger, est là, anéan­ti, désho­no­ré et sans défense face au juge de la terre. Pilate n’est pas tota­le­ment mau­vais. Il sait que ce condam­né est inno­cent ; il cherche le moyen de le libé­rer. Mais Pilate est indé­cis. Et en défi­ni­tive, sur le droit, il fait pré­va­loir sa posi­tion, il se fait pré­va­loir lui-​même. Et les hommes qui voci­fèrent et demandent la mort de Jésus ne sont pas non plus tota­le­ment mau­vais. Beaucoup par­mi eux, le jour de la Pentecôte, seront « remués jus­qu’au fond d’eux-​mêmes » (Ac 2, 37), quand Pierre leur dira : « Jésus de Nazareth – cet homme dont Dieu avait fait connaître la mis­sion -… vous l’a­vez fait mou­rir en le fai­sant clouer à la croix par la main des païens… » (Ac 2, 22 ss). Mais en cet ins­tant, ils subissent l’in­fluence de la foule. Ils voci­fèrent parce que les autres voci­fèrent, et ils voci­fèrent comme les autres. Et ain­si, la jus­tice est pié­ti­née par lâche­té, par fai­blesse, par peur du dik­tat de la men­ta­li­té domi­nante. La voix ténue de la conscience est étouf­fée par les voci­fé­ra­tions de la foule. L’indécision, le res­pect humain confèrent leur force au mal.

Prière. Seigneur, tu as été condam­né à mort car la peur du regard des autres a étouf­fé la voix de la conscience. Tout au long de l’his­toire, il en a tou­jours été ain­si, des inno­cents ont été mal­trai­tés, condam­nés et tués. Combien de fois n’avons-​nous pas, nous aus­si, pré­fé­ré le suc­cès à la véri­té, notre répu­ta­tion à la jus­tice ! Donne force, dans notre vie, à la voix ténue de la conscience, à ta voix. Regarde-​moi comme tu as regar­dé Pierre après le renie­ment. Fais en sorte que ton regard pénètre nos âmes et indique à notre vie la direc­tion. À ceux qui ont voci­fé­ré contre toi le Vendredi saint, tu as don­né l’é­mo­tion du cœur et la conver­sion au jour de la Pentecôte. Et ain­si, tu nous as don­né à tous l’es­pé­rance. Donne-​nous aus­si, tou­jours de nou­veau, la grâce de la conversion.

Acclamations. Pater nos­ter, qui es in cælis…
Stabat mater dolo­ro­sa iux­ta cru­cem lacri­mo­sa, dum pen­de­bat Filius.
(Debout, la Mère dou­lou­reuse près de la Croix était en larmes devant son Fils sus­pen­du).

DEUXIÈME STATION – Jésus est chargé de la Croix 

Adoramus te, Christe…

Alors les sol­dats du gou­ver­neur emme­nèrent Jésus dans le pré­toire et ras­sem­blèrent autour de lui toute la garde. Ils lui enle­vèrent ses vête­ments et le cou­vrirent d’un man­teau rouge. Puis, avec des épines, ils tres­sèrent une cou­ronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’a­ge­nouillaient en lui disant : « Salut, roi des Juifs ! ». Et, cra­chant sur lui, ils prirent le roseau, et ils le frap­paient à la tête. Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enle­vèrent le man­teau, lui remirent ses vête­ments, et l’emmenèrent pour le cru­ci­fier (Mt 27, 27–31).

Méditation. Jésus, condam­né comme pré­ten­du roi, tu es raillé, mais dans la déri­sion appa­raît cruel­le­ment la véri­té. Combien de fois les insignes du pou­voir por­tés par les puis­sants de ce monde ne sont-​ils pas une insulte à la véri­té, à la jus­tice et à la digni­té de l’homme ! Combien de fois leurs céré­mo­nies et leurs grands dis­cours ne sont en véri­té rien d’autre que de pom­peux men­songes, une cari­ca­ture de la tâche qui est la leur : se mettre au ser­vice du bien ! Jésus, celui dont on se moque et qui porte la cou­ronne de la souf­france, est pour cela pré­ci­sé­ment le vrai roi. Son sceptre est jus­tice (cf. Ps 45, 7). Le prix de la jus­tice est souf­france en ce monde : lui, le vrai roi, ne règne pas par la vio­lence, mais par l’a­mour dont il souffre pour nous et avec nous. Il porte la croix sur lui, notre croix, le poids de l’homme, le poids du monde. C’est ain­si qu’il nous pré­cède et qu’il nous montre com­ment trou­ver le che­min de la vraie vie.

Prière. Seigneur, tu t’es lais­sé tour­ner en déri­sion et outra­ger. Aide-​nous à ne pas nous joindre à ceux qui se moquent de celui qui souffre et de celui qui est faible. Aide-​nous à recon­naître ton visage en ceux qui sont humi­liés et mis à l’é­cart. Aide-​nous à ne pas nous décou­ra­ger devant les moque­ries du monde, quand l’o­béis­sance à ta volon­té est tour­née en déri­sion. Tu as por­té la croix et tu nous as invi­tés à te suivre sur ce che­min (cf. Mt 10, 38). Aide-​nous à accep­ter la croix, à ne pas la fuir, à ne pas nous lamen­ter et à ne pas lais­ser nos cœurs être abat­tus devant les peines de la vie. Aide-​nous à par­cou­rir le che­min de l’a­mour et, obéis­sant à ses exi­gences, à atteindre la vraie joie.

Acclamations. Pater nos­ter
Cuius ani­mam gemen­tem, contri­sta­tam et dolen­tem per­tran­si­vit gla­dius.
(Dans son âme qui gémis­sait, toute bri­sée, endo­lo­rie, le glaive était enfoncé).

Adoramus te, Christe…

Pourtant, c’é­taient nos souf­frances qu’il por­tait, nos dou­leurs dont il était char­gé. Et nous, nous pen­sions qu’il était châ­tié, frap­pé par Dieu, humi­lié. Or, c’est à cause de nos fautes qu’il a été trans­per­cé, c’est par nos péchés qu’il a été broyé. Le châ­ti­ment qui nous obtient la paix est tom­bé sur lui, et c’est par ses bles­sures que nous sommes gué­ris. Nous étions tous errants comme des bre­bis, cha­cun sui­vait son propre che­min. Mais le Seigneur a fait retom­ber sur lui nos fautes à nous tous (Is 53, 4–6).

Méditation. L’homme est tom­bé et tombe tou­jours de nou­veau : com­bien de fois n’est-​il que la cari­ca­ture de lui-​même, et non plus l’i­mage de Dieu, tour­nant ain­si en déri­sion le Créateur ? N’est-​il pas l’i­mage de l’homme par excel­lence celui qui, des­cen­dant de Jérusalem à Jéricho, fut atta­qué par les bri­gands qui le dépouillèrent et le lais­sèrent à moi­tié mort, ensan­glan­té au bord du che­min ! La chute de Jésus sous la croix n’est pas seule­ment la chute de l’homme Jésus déjà épui­sé par la fla­gel­la­tion. Ici appa­raît quelque chose de plus pro­fond, comme dit Paul dans la lettre aux Philippiens : « Lui qui était dans la condi­tion de Dieu, il n’a pas jugé bon de reven­di­quer son droit d’être trai­té à l’é­gal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-​même en pre­nant la condi­tion de ser­vi­teur. Devenu sem­blable aux hommes… il s’est abais­sé lui-​même en deve­nant obéis­sant jus­qu’à mou­rir, et à mou­rir sur une croix » (Ph 2, 6–8). Dans la chute de Jésus sous le poids de la croix, appa­raît tout son par­cours : son abais­se­ment volon­taire pour ôter notre orgueil. Et en même temps appa­raît la nature de notre orgueil : l’ar­ro­gance avec laquelle nous vou­lons nous éman­ci­per de Dieu et n’être rien d’autre que nous-​mêmes, l’ar­ro­gance avec laquelle nous croyons ne pas avoir besoin de l’a­mour éter­nel, mais avec laquelle nous vou­lons maî­tri­ser notre vie tout seuls. Dans cette rébel­lion contre la véri­té, dans cette ten­ta­tive d’être nous-​mêmes des dieux, d’être créa­teurs et juges de nous-​mêmes, nous tom­bons et nous finis­sons par nous détruire nous-​mêmes. L’abaissement de Jésus est le dépas­se­ment de notre orgueil : par son abais­se­ment, il nous relève. Laissons-​le nous rele­ver. Dépouillons-​nous de notre auto­suf­fi­sance, de notre envie erro­née d’au­to­no­mie et, au contraire, appre­nons de lui, de lui qui s’est abais­sé, à trou­ver notre véri­table gran­deur, en nous abais­sant et en nous tour­nant vers Dieu et vers nos frères humiliés. 

Prière. Seigneur Jésus, le poids de la croix t’a fait tom­ber à terre. Le poids de notre péché, le poids de notre orgueil t’a ter­ras­sé. Mais ta chute n’est pas le signe d’un des­tin hos­tile, elle n’est pas la pure et simple fai­blesse de celui qui est outra­gé. Tu as vou­lu venir à nous, nous qui, en rai­son de notre orgueil, gisons à terre. L’orgueil qui nous fait pen­ser que nous avons la capa­ci­té de pro­duire l’homme a contri­bué à ce que les hommes soient deve­nus une sorte de mar­chan­dise, pou­vant s’a­che­ter et se vendre, tel un réser­voir de maté­riaux pour nos expé­ri­men­ta­tions, grâce aux­quelles nous espé­rons vaincre la mort par nous-​mêmes, alors qu’en véri­té, nous ne fai­sons rien d’autre qu’­hu­mi­lier tou­jours plus pro­fon­dé­ment la digni­té de l’homme. Seigneur, aide-​nous parce que nous sommes tom­bés. Aide-​nous à aban­don­ner notre orgueil des­truc­teur, en appre­nant, par ton humi­li­té, à nous rele­ver de nouveau.

Acclamations. Pater nos­ter
O quam tris­tis et afflic­ta fuit illa bene­dic­ta mater Unigeniti ! (Qu’elle était triste et affli­gée, la Mère entre toutes bénie, la Mère du Fils unique !).

QUATRIÈME STATION – Jésus rencontre sa Mère

Adoramus te, Christe…

Syméon les bénit, puis il dit à Marie, sa mère : Vois, ton fils qui est là pro­vo­que­ra la chute et le relè­ve­ment de beau­coup en Israël. Il sera un signe de divi­sion. – Et toi-​même, ton cœur sera trans­per­cé par une épée. – Ainsi seront dévoi­lées les pen­sées secrètes d’un grand nombre. Sa mère gar­dait dans son cœur tous ces évé­ne­ments (Lc 2, 34–35.51).

Méditation. Sur le Chemin de Croix de Jésus, se trouve aus­si Marie, sa Mère. Durant la vie publique de son fils, elle avait dû se tenir à l’é­cart, pour faire place à la nou­velle famille de Jésus, à la famille nais­sante de ses dis­ciples. Elle avait éga­le­ment dû entendre ses paroles : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ?… Celui qui fait la volon­té de mon Père qui est aux cieux, celui-​là est pour moi un frère, une soeur et une mère » (Mt 12, 48–50). On voit à pré­sent qu’elle est la Mère de Jésus, non seule­ment dans son corps, mais dans son cœur. Avant même de l’a­voir conçu dans son corps, elle l’a­vait conçu dans son cœur, grâce à son obéis­sance. Il lui avait été dit : « Voici que tu vas conce­voir et enfan­ter un fils… Il sera grand… ; le Seigneur Dieu lui don­ne­ra le trône de David son père » (Lc 1, 31 ss). Pourtant, peu après, elle avait enten­du de la bouche du vieux Syméon d’autres mots : « Et toi-​même, ton cœur sera trans­per­cé par une épée » (Lc 2, 35). Elle se sera ain­si rap­pe­lé les paroles des pro­phètes, des paroles sem­blables à celles-​ci : « Maltraité, il s’hu­mi­lie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’a­bat­toir » (Is 53, 7). À pré­sent tout deve­nait réa­li­té. Dans son cœur, elle avait tou­jours conser­vé la parole que l’ange lui avait dite quand tout avait com­men­cé : « Sois sans crainte, Marie » (Lc 1, 30). Les dis­ciples se sont enfuis, elle, non. Elle reste là, avec son cou­rage de mère, avec sa fidé­li­té de mère, avec sa bon­té de mère et avec sa foi, qui résiste dans l’obs­cu­ri­té : « Heureuse celle qui a cru » (Lc 1, 45). « Mais le Fils de l’homme, quand il vien­dra, trouvera-​t-​il la foi sur terre ? » (Lc 18, 8). Oui, à ce moment-​là, Il le sait : il trou­ve­ra la foi. En cette heure-​là, c’est sa grande consolation.

Prière. Sainte Marie, Mère du Seigneur, tu es res­tée fidèle quand les dis­ciples se sont enfuis. De même que tu as cru quand l’ange t’a annon­cé l’in­croyable – que tu allais deve­nir la mère du Très-​Haut -, de même, tu as cru à l’heure de sa plus grande humi­lia­tion. Ainsi, à l’heure de la croix, à l’heure de la nuit la plus sombre du monde, tu es deve­nue Mère des croyants, Mère de l’Église. Nous te prions : apprends-​nous à croire et aide-​nous afin que notre foi devienne cou­rage de ser­vir et geste d’un amour qui vient en aide et qui sait par­ta­ger la souffrance.

Acclamations. Pater nos­ter.
Quæ mære­bat et dole­bat, pia mater, cum vide­bat Nati poe­nas incli­ti.
(Qu’elle avait mal, qu’elle souf­frait la tendre Mère, en contem­plant son divin Fils tourmenté !).

CINQUIÈME STATION – Jésus est aidé par le Cyrénéen à porter sa croix

Adoramus te, Christe…

En sor­tant, ils trou­vèrent un nom­mé Simon, ori­gi­naire de Cyrène, et ils le réqui­si­tion­nèrent pour por­ter la croix. Alors Jésus dit à ses dis­ciples : « Si quel­qu’un veut mar­cher der­rière moi, qu’il renonce à lui-​même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 27, 32 ; 16, 24).

Méditation. Simon de Cyrène rentre du tra­vail, il est sur le che­min du retour chez lui, quand il croise ce triste cor­tège de condam­nés -, spec­tacle sans doute habi­tuel pour lui. Les sol­dats usent de leur droit de coer­ci­tion et mettent la croix sur lui, robuste homme de la cam­pagne. Quelle gêne a‑t-​il dû éprou­ver en se trou­vant sou­dain mêlé au des­tin de ces condam­nés ! Il fait ce qu’il doit faire, avec cer­tai­ne­ment beau­coup de répu­gnance. Toutefois, l’é­van­gé­liste Marc nomme éga­le­ment ses fils qui étaient connus pour être chré­tiens et membres de la com­mu­nau­té (Mc 15, 21). De cette ren­contre invo­lon­taire est née la foi. En accom­pa­gnant Jésus et en par­ta­geant le poids de sa croix, le Cyrénéen a com­pris que mar­cher avec ce Crucifié et l’as­sis­ter était une grâce. Le mys­tère de Jésus souf­frant et muet a tou­ché son cœur. Jésus, dont seul l’a­mour divin pou­vait et peut rache­ter l’hu­ma­ni­té entière, veut que nous par­ta­gions sa croix, pour com­plé­ter ce qui manque encore à ses souf­frances (Col 1, 24). Chaque fois qu’a­vec bon­té nous allons à la ren­contre de celui qui souffre, de celui qui est per­sé­cu­té et faible, en par­ta­geant sa souf­france, nous aidons Jésus à por­ter sa propre croix. Ainsi nous obte­nons le salut et nous pou­vons nous-​mêmes coopé­rer au salut du monde.

Prière. Seigneur, tu as ouvert les yeux et le cœur de Simon de Cyrène, lui don­nant, par le par­tage de ta croix, la grâce de la foi. Aide-​nous à venir en aide à notre pro­chain qui souffre, même si cet appel est contraire à nos pro­jets et à nos pen­chants. Donne-​nous de recon­naître que par­ta­ger la croix des autres, et faire l’ex­pé­rience qu’ain­si nous mar­chons avec toi, est une grâce. Donne-​nous de recon­naître avec joie que c’est pré­ci­sé­ment en par­ta­geant ta souf­france et les souf­frances de ce monde que nous deve­nons ser­vi­teurs du salut, et qu’ain­si nous pou­vons contri­buer à construire ton corps, l’Église.

Acclamations. Pater nos­ter
Quis est homo qui non fle­ret, matrem Christi si vide­ret in tan­to sup­pli­cio ?
(Quel est celui qui sans pleu­rer pour­rait voir la Mère du Christ dans un sup­plice pareil ?)

SIXIÈME STATION – Véronique essuie le visage de Jésus 

Adoramus te, Christe…

Il n’é­tait ni beau ni brillant pour atti­rer nos regards, son exté­rieur n’a­vait rien pour nous plaire. Il était mépri­sé, aban­don­né de tous, homme de dou­leurs, fami­lier de la souf­france, sem­blable aux lépreux dont on se détourne ; et nous l’a­vons mépri­sé, comp­té pour rien (Is 53, 2–3).

Mon cœur m’a redit ta parole : « Cherchez ma face ». C’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face. N’écarte pas ton ser­vi­teur avec colère, tu restes mon secours. Ne me laisse pas, ne m’a­ban­donne pas, Dieu, mon salut (Ps 26 [27], 8–9) !

Méditation. « C’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face » (Ps 26 [27], 8–9). Véronique – Bérénice, selon la tra­di­tion grecque – incarne cette aspi­ra­tion qui est com­mune à tous les hommes pieux de l’Ancien Testament, cette aspi­ra­tion de tous les croyants à voir le visage de Dieu. Sur le che­min de croix de Jésus, au début, elle ne rend d’a­bord qu’un ser­vice de bon­té fémi­nine : elle offre un linge à Jésus. Elle ne se laisse ni gagner par la bru­ta­li­té des sol­dats, ni immo­bi­li­ser par la peur des dis­ciples. Elle est l’i­mage de la femme éprise de bon­té qui, dans le désar­roi et l’obs­cu­ri­té des cœurs, garde le cou­rage de la bon­té, et ne per­met pas que son cœur s’obs­cur­cisse. « Heureux les cœurs purs – avait dit le Seigneur dans le Discours sur la mon­tagne -, ils ver­ront Dieu ! » (Mt 5, 8). Au début, Véronique voit seule­ment un visage mal­trai­té et mar­qué par la souf­france. Mais l’acte d’a­mour imprime dans son cœur la véri­table image de Jésus : sur son visage humain, cou­vert de sang et de bles­sures, elle voit le visage de Dieu et de sa bon­té, qui nous accom­pagne aus­si dans la souf­france la plus pro­fonde. C’est seule­ment avec le cœur que nous pou­vons voir Jésus. Seul l’a­mour nous rend capables de voir et nous rend purs. Seul l’a­mour nous fait recon­naître Dieu, qui est l’a­mour même.

Prière. Seigneur, donne-​nous l’in­quié­tude du cœur qui cherche ton visage. Protège-​nous de l’obs­cur­cis­se­ment du cœur qui ne voit que l’ap­pa­rence des choses. Donne-​nous la sin­cé­ri­té et la pure­té qui nous rendent capables de voir ta pré­sence dans le monde. Quand nous n’a­vons pas la capa­ci­té de faire de grandes choses, donne-​nous le cou­rage d’une humble bon­té. Imprime ton visage dans nos cœurs, afin que nous puis­sions te ren­con­trer et mon­trer au monde ton image.

Acclamations. Pater nos­ter
Pro pec­ca­tis suæ gen­tis vidit Iesum in tor­men­tis, et fla­gel­lis sub­di­tum.
(Pour les péchés de tout son peuple elle le vit dans ses tour­ments subis­sant les coups de fouet).

SEPTIÈME STATION – Jésus tombe pour la deuxième fois 

Adoramus te, Christe…

Je suis l’homme qui a connu la misère, sous la verge de sa fureur. C’est moi qu’il a conduit et fait mar­cher dans les ténèbres et sans lumière. Il a bar­ré mes che­mins avec des pierres de taille, obs­trué mes sen­tiers. Il a bri­sé mes dents avec du gra­vier, il m’a nour­ri de cendre (Lm 3, 1–2.9.16).

Méditation. La tra­di­tion de la triple chute de Jésus et du poids de la croix rap­pelle la chute d’Adam – le fait que nous soyons des êtres humains déchus – et le mys­tère de la par­ti­ci­pa­tion de Jésus à notre chute. Au cours de l’his­toire, la chute de l’homme prend des formes tou­jours nou­velles. Dans sa pre­mière Lettre, saint Jean parle d’une triple chute de l’homme : les dési­rs de la chair, les dési­rs des yeux et l’or­gueil de la richesse. C’est ain­si que, sur l’arrière-​fond des vices de son temps, avec tous ses excès et toutes ses per­ver­sions, il inter­prète la chute de l’homme et de l’hu­ma­ni­té. Cependant nous pou­vons pen­ser aus­si, dans l’his­toire plus récente, que les chré­tiens, en se détour­nant de la foi, ont aban­don­né le Seigneur : les grandes idéo­lo­gies, comme la bana­li­sa­tion de l’homme qui ne croit plus à rien et qui se laisse sim­ple­ment aller, ont construit un nou­veau paga­nisme, un paga­nisme plus mau­vais, qui, en vou­lant mettre défi­ni­ti­ve­ment Dieu à part, a fini par se débar­ras­ser de l’homme. L’homme gît ain­si dans la cendre. Le Seigneur porte ce poids, il tombe et il tombe, pour pou­voir venir jus­qu’à nous ; il nous regarde afin que notre cœur se réveille ; il tombe pour nous relever.

Prière. Seigneur Jésus-​Christ, tu as por­té notre poids et tu conti­nues à nous por­ter. C’est notre poids qui te fait tom­ber. Mais que ce soit toi qui nous relèves, car seuls nous n’ar­ri­vons pas à nous lever de la cendre ! Libère-​nous de la puis­sance de la concu­pis­cence. À la place d’un cœur de pierre, donne-​nous à nou­veau un cœur de chair, un cœur capable de voir. Détruis le pou­voir des idéo­lo­gies, afin que les hommes recon­naissent qu’elles sont tis­sées de men­songes. Ne per­mets pas que le mur du maté­ria­lisme devienne insur­mon­table. Fais-​nous per­ce­voir à nou­veau ta pré­sence. Rends-​nous sobres et atten­tifs pour pou­voir résis­ter aux forces du mal et aide-​nous à recon­naître les besoins inté­rieurs et exté­rieurs des autres, à les sou­te­nir. Relève-​nous, afin que nous puis­sions rele­ver les autres. Donne-​nous l’es­pé­rance au milieu de toute obs­cu­ri­té, afin que nous puis­sions deve­nir por­teurs d’es­pé­rance pour le monde.

Acclamations. Pater nos­ter
Quis non pos­set contris­ta­ri, piam matrem contem­pla­ri, dolen­tem cum Filio ?
(Qui pour­rait sans souf­frir comme elle contem­pler la pieuse Mère dou­lou­reuse avec son Fils ?)

HUITIÈME STATION – Jésus rencontre les femmes de Jérusalem qui pleurent sur lui 

Adoramus te, Christe…

Il se retour­na et leur dit : « Femmes de Jérusalem, ne pleu­rez pas sur moi ! Pleurez sur vous-​mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : « Heureuses les femmes sté­riles, celles qui n’ont pas enfan­té, celles qui n’ont pas allai­té ! ». Alors on dira aux mon­tagnes : « Tombez sur nous », et aux col­lines : « Cachez-​nous ». Car si l’on traite ain­si l’arbre vert, que devien­dra l’arbre sec ? » (Lc 23, 28–31).

Méditation. Écouter Jésus alors qu’il fait des reproches aux femmes de Jérusalem qui le suivent et qui pleurent sur lui nous fait réflé­chir. Comment le com­prendre ? Ne s’agit-​il pas de reproches adres­sés à une pié­té pure­ment sen­ti­men­tale, qui ne devient pas conver­sion et foi vécue ? Il ne sert à rien de pleu­rer sur les souf­frances de ce monde, avec des paroles et par des sen­ti­ments, alors que notre vie conti­nue tou­jours égale à elle-​même. C’est pour­quoi le Seigneur nous aver­tit du dan­ger dans lequel nous sommes nous-​mêmes. Il nous montre la gra­vi­té du péché et la gra­vi­té du juge­ment. Malgré tous nos dis­cours effrayés devant le mal et la souf­france des inno­cents, ne sommes-​nous pas trop enclins à bana­li­ser le mys­tère du mal ? En défi­ni­tive, de l’i­mage de Dieu et de Jésus, nous ne rete­nons peut-​être que l’as­pect doux et aimable, alors que nous avons éva­cué tran­quille­ment l’as­pect du juge­ment ? Nous nous deman­dons si Dieu peut encore prendre notre fai­blesse au tra­gique. Car nous ne sommes que des hommes ! Mais en regar­dant les souf­frances du Fils, nous voyons toute la gra­vi­té du péché, nous voyons com­ment il doit être expié jus­qu’à la fin pour pou­voir être vain­cu. Le mal ne peut pas conti­nuer à être bana­li­sé devant l’i­mage du Seigneur qui souffre. À nous aus­si, le Seigneur déclare : Ne pleu­rez pas sur moi, pleu­rez sur vous-​mêmes… car si l’on traite ain­si l’arbre vert, que devien­dra l’arbre sec ?

Prière. Aux femmes qui pleurent, tu as par­lé, Seigneur, de la péni­tence, du jour du Jugement, lorsque nous nous trou­ve­rons en pré­sence de ta face, la face du Juge du monde. Tu nous appelles à sor­tir de la bana­li­sa­tion du mal dans laquelle nous nous com­plai­sons, de manière à pou­voir conti­nuer notre vie tran­quille. Tu nous montres la gra­vi­té de notre res­pon­sa­bi­li­té, le dan­ger d’être trou­vés cou­pables et sté­riles au jour du Jugement. Aide-​nous à ne pas nous conten­ter de mar­cher à côté de toi, ou d’of­frir seule­ment des paroles de com­pas­sion. Convertis-​nous et donne-​nous une vie nou­velle ; ne per­mets pas que, en défi­ni­tive, nous res­tions là comme un arbre sec, mais fais que nous deve­nions des sar­ments vivants en toi, la vraie vigne, et que nous por­tions du fruit pour la vie éter­nelle (cf. Jn 15, 1–10).

Accamations. Pater nos­ter
Tui Nati vul­ne­ra­ti, tam digna­ti pro me pati, poe­nas mecum divide.
(Ton enfant n’é­tait que bles­sures, lui qui dai­gna souf­frir pour moi ; donne-​moi part à ses peines).

NEUVIÈME STATION – Jésus tombe pour la troisième fois

Adoramus te, Christe…

Il est bon pour l’homme de por­ter le joug dès sa jeu­nesse, que soli­taire et silen­cieux, il s’as­seye quand le Seigneur l’im­pose sur lui, qu’il mette sa bouche dans la pous­sière : peut-​être y a‑t-​il de l’es­poir ! Qu’il tende la joue à qui le frappe, qu’il se ras­sa­sie d’op­probres ! Car le Seigneur ne rejette pas les humains pour tou­jours : s’il a affli­gé, il prend pitié selon sa grande bon­té (Lm 3, 27–32).

Méditation. Que peut nous dire la troi­sième chute de Jésus sous le poids de la croix ? Peut-​être nous fait-​elle pen­ser plus géné­ra­le­ment à la chute de l’homme, au fait que beau­coup s’é­loignent du Christ, dans une dérive vers un sécu­la­risme sans Dieu. Mais ne devons-​nous pas pen­ser éga­le­ment à ce que le Christ doit souf­frir dans son Église elle-​même ? Combien de fois abusons-​nous du Saint-​Sacrement de sa pré­sence, dans quel cœur vide et mau­vais entre-​t-​il sou­vent ! Combien de fois ne célébrons-​nous que nous-​mêmes, et ne prenons-​nous même pas conscience de sa pré­sence ! Combien de fois sa Parole est-​elle défor­mée et gal­vau­dée ! Quel manque de foi dans de très nom­breuses théo­ries, com­bien de paroles creuses ! Que de souillures dans l’Église, et par­ti­cu­liè­re­ment par­mi ceux qui, dans le sacer­doce, devraient lui appar­te­nir tota­le­ment ! Combien d’or­gueil et d’au­to­suf­fi­sance ! Que de manques d’at­ten­tion au sacre­ment de la récon­ci­lia­tion, où le Christ nous attend pour nous rele­ver de nos chutes ! Tout cela est pré­sent dans sa pas­sion. La tra­hi­son des dis­ciples, la récep­tion indigne de son Corps et de son Sang sont cer­tai­ne­ment les plus grandes souf­frances du Rédempteur, celles qui lui trans­percent le cœur. Il ne nous reste plus qu’à lui adres­ser, du plus pro­fond de notre âme, ce cri : Kyrie, elei­son – Seigneur, sauve-​nous (cf. Mt 8, 25).

Prière. Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à cou­ler, une barque qui prend l’eau de toute part. Et dans ton champ, nous voyons plus d’i­vraie que de bon grain. Les vête­ments et le visage si sales de ton Église nous effraient. Mais c’est nous-​mêmes qui les salis­sons ! C’est nous-​mêmes qui te tra­his­sons chaque fois, après toutes nos belles paroles et nos beaux gestes. Prends pitié de ton Église : en elle aus­si, Adam chute tou­jours de nou­veau. Par notre chute, nous te traî­nons à terre, et Satan s’en réjouit, parce qu’il espère que tu ne pour­ras plus te rele­ver de cette chute ; il espère que toi, ayant été entraî­né dans la chute de ton Église, tu res­te­ras à terre, vain­cu. Mais toi, tu te relè­ve­ras. Tu t’es rele­vé, tu es res­sus­ci­té et tu peux aus­si nous rele­ver. Sauve ton Église et sanctifie-​la. Sauve-​nous tous et sanctifie-nous.

Acclamations. Pater nos­ter
Eia, mater, fons amo­ris, me sen­tire vim dolo­ris fac, ut tecum lugeam.
(Daigne, ô Mère, source d’a­mour, me faire éprou­ver tes souf­frances pour que je pleure avec toi).

DIXIÈME STATION – Jésus est dépouillé de ses vêtements 

Adoramus te, Christe…

Arrivés à l’en­droit appe­lé Golgotha, c’est-​à-​dire : Lieu-​du-​Crâne, ou Calvaire, ils don­nèrent à boire à Jésus du vin mêlé de fiel ; il en goû­ta, mais ne vou­lut pas boire. Après l’a­voir cru­ci­fié, ils se par­ta­gèrent ses vête­ments en tirant au sort ; et ils res­taient là, assis, à le gar­der (Mt 27, 33.36).

Méditation. Jésus est dépouillé de ses vête­ments. Le vête­ment donne à l’homme sa posi­tion sociale ; il lui donne sa place dans la socié­té, il le fait être quel­qu’un. Être dépouillé en public signi­fie, pour Jésus, n’être plus per­sonne, n’être rien d’autre qu’un exclu, mépri­sé de tous. Le moment du dépouille­ment nous rap­pelle aus­si l’ex­clu­sion du para­dis : la splen­deur de Dieu a dis­pa­ru en l’homme qui main­te­nant se trouve là, nu et expo­sé, dénu­dé et hon­teux. De cette manière, Jésus assume encore une fois la situa­tion de l’homme pécheur. Ce Jésus dépouillé nous rap­pelle le fait que, tous, nous avons per­du notre « pre­mier vête­ment », c’est-​à-​dire la splen­deur de Dieu. Sous la croix les sol­dats tirent au sort pour se par­ta­ger ses pauvres biens, ses vête­ments. Les évan­gé­listes en font le récit avec des paroles du Psaume 22, ver­set 19 et ils nous disent ain­si ce que Jésus dira aux dis­ciples d’Emmaüs : tout est arri­vé « selon les Écritures ». Ici, rien n’est pure coïn­ci­dence, tout ce qui arrive est conte­nu dans la Parole de Dieu et vou­lu par son des­sein divin. Le Seigneur fait l’ex­pé­rience de toutes les sta­tions et de tous les degrés de la per­di­tion humaine, et cha­cun de ces degrés est, avec toute son amer­tume, une étape de la Rédemption : c’est ain­si qu’il ramène au ber­cail la bre­bis per­due. Rappelons-​nous aus­si que Jean déclare que l’ob­jet du tirage au sort était la tunique de Jésus « tis­sée tout d’une pièce, de haut en bas » (19, 23). Nous pou­vons y voir une allu­sion au vête­ment du grand prêtre, qui était « tis­sé d’une seule pièce », sans cou­ture (Flavius Josèphe, Les Antiquités juives, III, 161). Lui, le Crucifié, il est en effet le véri­table grand prêtre.

Prière. Seigneur Jésus, tu as été dépouillé de tes vête­ments, expo­sé au déshon­neur, exclu de la socié­té. Tu t’es char­gé du déshon­neur d’Adam, et tu l’as gué­ri. Tu t’es char­gé des souf­frances et des besoins des pauvres, ceux qui sont exclus du monde. Mais c’est ain­si que s’ac­com­plit la parole des pro­phètes. C’est ain­si que tu donnes sens à ce qui semble pri­vé de sens. C’est ain­si que tu nous fais recon­naître que ton Père te tient dans ses mains, comme nous-​mêmes et le monde. Donne-​nous un pro­fond res­pect de l’homme à tous les stades de son exis­tence et dans toutes les situa­tions où nous le ren­con­trons. Donne-​nous le vête­ment de lumière de ta grâce.

Acclamations. Pater nos­ter
Fac ut ardeat cor meum in aman­do Christum Deum, ut sibi com­pla­ceam.
(Fais qu’en mon cœur brûle un grand feu pour mieux aimer le Christ mon Dieu et que je puisse lui plaire).

ONZIÈME STATION – Jésus est cloué sur la Croix 

Adora­mus te, Christe…

Au-​dessus de sa tête on ins­cri­vit le motif de sa condam­na­tion : « Celui-​ci est Jésus, le roi des Juifs ». En même temps, on cru­ci­fie avec lui deux ban­dits, l’un à droite et l’autre à gauche. Les pas­sants l’in­ju­riaient en hochant la tête : « Toi qui détruis le Temple et le rebâ­tis en trois jours, sauve-​toi toi-​même, si tu es le Fils de Dieu, et des­cends de la croix ! ». De même, les chefs des prêtres se moquaient de lui avec les scribes et les anciens, en disant : « Il en a sau­vé d’autres, et il ne peut pas se sau­ver lui-​même ! C’est le roi d’Israël : qu’il des­cende main­te­nant de la croix et nous croi­rons en lui ! » (Mt 27, 37–42).

Méditation. Jésus est cloué sur la croix. Le lin­ceul de Turin nous per­met de nous faire une idée de l’in­croyable cruau­té de ce pro­cé­dé. Jésus ne boit pas le breu­vage anes­thé­siant qu’on lui offre : consciem­ment, il prend sur lui toute la souf­france de la cru­ci­fixion. Tout son corps est tour­men­té ; ain­si les paroles du Psaume se véri­fient : « Et moi, je suis un ver, pas un homme, raillé par les gens, reje­té par le peuple » (Ps 21 [22], 7). « Il était mépri­sé… sem­blable au lépreux dont on se détourne… Pourtant c’é­taient nos souf­frances qu’il por­tait, nos dou­leurs dont il était char­gé » (Is 53, 3 ss). Arrêtons-​nous devant cette image de dou­leur, devant le Fils de Dieu souf­frant. Regardons vers lui dans les moments où nous sommes pré­somp­tueux et por­tés à la jouis­sance, pour apprendre à res­pec­ter les limites et à voir la super­fi­cia­li­té de tous les biens pure­ment maté­riels. Regardons vers lui dans les moments de cala­mi­té et d’an­goisse, pour recon­naître que c’est alors que nous sommes proches de Dieu. Cherchons à recon­naître son visage dans ceux que nous avons ten­dance à mépri­ser. Devant le Seigneur condam­né, qui ne veut pas se ser­vir de son pou­voir pour des­cendre de la croix, mais qui sup­porte plu­tôt la souf­france de la croix jus­qu’au bout, peut affleu­rer encore une autre pen­sée. Ignace d’Antioche, lui-​même enchaî­né à cause de sa foi dans le Seigneur, fait l’é­loge des chré­tiens de Smyrne pour leur foi inébran­lable : ils étaient comme cloués par la chair et le sang à la croix du Seigneur Jésus-​Christ (1, 1). Laissons-​nous clouer à lui, en ne cédant à aucune ten­ta­tion de nous éloi­gner et de nous lais­ser aller aux raille­ries qui vou­draient nous inci­ter à le faire.

Prière. Seigneur Jésus-​Christ, tu t’es fait clouer sur la croix, accep­tant la ter­rible cruau­té de cette souf­france, la des­truc­tion de ton corps et de ta digni­té. Tu t’es fait clouer, tu as souf­fert sans fuir et sans accep­ter de com­pro­mis. Aide-​nous à ne pas fuir devant ce que nous sommes appe­lés à accom­plir. Aide-​nous à nous lais­ser lier étroi­te­ment à toi. Aide-​nous à démas­quer la fausse liber­té qui veut nous éloi­gner de toi. Aide-​nous à accep­ter ta liber­té liée et à trou­ver, dans ce lien étroit avec toi, la vraie liberté.

Acclamations. Pater nos­ter
Sancta mater, istud agas, Crucifixi fige pla­gas cor­di meo valide.
(Ô sainte Mère, daigne donc gra­ver les plaies du Crucifié pro­fon­dé­ment dans mon cœur).

DOUZIÈME STATION – Jésus meurt sur la Croix 

Adora­mus te, Christe…

Pilate avait rédi­gé un écri­teau qu’il fit pla­cer sur la croix, avec cette ins­crip­tion : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ». Comme on avait cru­ci­fié Jésus dans un endroit proche de la ville, beau­coup de Juifs lurent cet écri­teau, qui était libel­lé en hébreu, en latin et en grec (Jn 19, 19–20).

À par­tir de midi, l’obs­cu­ri­té se fit sur toute la terre jus­qu’à trois heures. Vers trois heures, Jésus cria d’une voix forte : « Eli, Eli, lama sabac­ta­ni ? », ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pour­quoi m’as-​tu aban­don­né ? ». Quelques-​uns de ceux qui étaient là disaient en l’en­ten­dant : « Le voi­là qui appelle le pro­phète Élie ! ». Aussitôt l’un d’eux cou­rut prendre une éponge qu’il trem­pa dans une bois­son vinai­grée ; il la mit au bout d’un roseau, et il lui don­nait à boire. Les autres lui dirent : « Attends ! nous ver­rons bien si Élie va venir le sau­ver ». Mais Jésus, pous­sant de nou­veau un grand cri, ren­dit l’esprit. 

À la vue du trem­ble­ment de terre et de tous ces évé­ne­ments, le cen­tu­rion et ceux qui, avec lui, gar­daient Jésus, furent sai­si d’une grande frayeur et dirent : « Vraiment, celui-​ci était le Fils de Dieu ! » (Mt 27, 45–50.54).

Méditation. Sur la croix de Jésus, dans les deux langues du monde de cette époque, le grec et le latin, et dans la langue du peuple élu, l’hé­breu, une ins­crip­tion expri­mant qui il est : le Roi des Juifs, le Fils pro­mis à David. Pilate, juge injuste, est deve­nu pro­phète mal­gré lui. Devant l’o­pi­nion publique mon­diale, la royau­té de Jésus est pro­cla­mée. Jésus lui-​même n’a­vait pas accep­té le titre de Messie, car il pou­vait évo­quer une idée erro­née et pure­ment humaine du pou­voir et du salut. Maintenant, le titre peut être écrit là, publi­que­ment au-​dessus du Crucifié. C’est ain­si qu’il est vrai­ment le roi du monde. Il est main­te­nant vrai­ment « éle­vé ». Dans sa des­cente, il est mon­té. Voici qu’il a radi­ca­le­ment accom­pli le com­man­de­ment de l’a­mour, il a accom­pli l’of­frande de lui-​même, et c’est ain­si qu’il est la mani­fes­ta­tion du Dieu véri­table, de ce Dieu qui est l’a­mour. Désormais, nous savons qui est Dieu. Désormais, nous savons en quoi consiste la royau­té véri­table. Jésus prie avec les paroles du Psaume 21, qui com­mence ain­si : « Mon Dieu, mon Dieu, pour­quoi m’as-​tu aban­don­né ? » (21[22], 2). Il prend sur lui toute la souf­france d’Israël, la souf­france de l’hu­ma­ni­té tout entière, le drame de l’obs­cu­ri­té de Dieu, et il per­met aus­si à Dieu de se mani­fes­ter là où il sem­ble­rait être défi­ni­ti­ve­ment mis en échec et absent. La croix de Jésus est un évé­ne­ment cos­mique. Le monde s’obs­cur­cit, quand le Fils de Dieu subit la mort. La terre tremble. Et auprès de la croix com­mence l’Église des païens. Le Centurion romain recon­naît, il com­prend que Jésus est le Fils de Dieu. De la croix, il triomphe, tou­jours de nouveau.

Prière. Seigneur Jésus-​Christ, à l’heure de ta mort, le soleil s’é­clip­sa. Sans cesse, tu es à nou­veau cloué sur la croix. En cette heure de l’his­toire pré­ci­sé­ment, nous vivons dans l’obs­cu­ri­té de Dieu. À cause de l’im­mense souf­france et de la méchan­ce­té des hommes, le visage de Dieu, ton visage, appa­raît obs­cur­ci, mécon­nais­sable. Mais c’est jus­te­ment sur la croix que tu t’es fait recon­naître. Précisément parce que tu es celui qui souffre et qui aime, tu es celui qui est éle­vé. C’est de là que tu as triom­phé. En cette heure d’obs­cu­ri­té et de trouble, aide-​nous à recon­naître ton visage. Aide-​nous à croire en toi et à te suivre spé­cia­le­ment dans les heures d’obs­cu­ri­té et de détresse. En cette heure, montre-​toi encore au monde. Fais que ton salut lui soit manifesté.

Acclamations. Pater nos­ter
Vidit suum dul­cem Natum, morien­tem deso­la­tum, cum emi­sit spi­ri­tum.
(Elle vit son enfant très cher mou­rir dans la déso­la­tion. Alors qu’il ren­dait l’esprit !).

TREIZIÈME STATION – Jésus est descendu de la Croix et remis à sa Mère

Adoramus te, Christe…

Le cen­tu­rion et ceux qui, avec lui, gar­daient Jésus furent sai­sis d’une grande frayeur et dirent : « Vraiment, celui-​ci était le Fils de Dieu ! » Il y avait là plu­sieurs femmes qui regar­daient à dis­tance : elles avaient sui­vi Jésus depuis la Galilée pour le ser­vir (Mt 27, 54–55).

Méditation. Jésus est mort, son cœur a été trans­per­cé par la lance du sol­dat et il en sor­tit aus­si­tôt du sang et de l’eau : image mys­té­rieuse du fleuve des sacre­ments du Baptême et de l’Eucharistie, par les­quels, à cause du cœur trans­per­cé du Seigneur, l’Église renaît sans cesse. On ne lui a pas bri­sé les jambes, comme aux deux autres cru­ci­fiés ; ain­si, il se mani­feste comme l’a­gneau pas­cal véri­table, dont aucun os ne doit être bri­sé (cf. Ex 12, 46). Et main­te­nant qu’il a tout sup­por­té, mal­gré tout le trouble qui agite les cœurs, mal­gré le pou­voir de la haine et des lâche­tés, voi­ci qu’il n’est pas demeu­ré seul. Il y a les fidèles. Auprès de la croix, il y avait aus­si Marie, sa Mère, Marie soeur de sa Mère, Marie de Magdala et le dis­ciple qu’il aimait. Et voi­ci qu’ar­rive un homme riche, Joseph d’Arimathie : ce riche trouve le moyen de pas­ser par le trou d’une aiguille, parce que Dieu lui en donne la grâce. Il ense­ve­lit Jésus dans son tom­beau neuf, dans un jar­din : à l’en­droit où Jésus est ense­ve­li, le cime­tière se trans­forme en un jar­din, le jar­din d’où Adam avait été chas­sé lors­qu’il s’é­tait déta­ché de la plé­ni­tude de la vie, lors­qu’il s’é­tait déta­ché de son Créateur. Le tom­beau dans le jar­din nous apprend que le pou­voir de la mort arrive à son terme. Voici que s’ap­proche aus­si un membre du Sanhédrin, Nicodème ; celui à qui Jésus avait annon­cé le mys­tère de la renais­sance par l’eau et l’Esprit. Même au sein du Sanhédrin, qui avait déci­dé sa mort, il y a quel­qu’un qui croit, quel­qu’un qui connaît et qui recon­naît Jésus après sa mort. Au-​delà de l’heure du grand deuil, des ténèbres épaisses et du déses­poir, demeure cepen­dant, mys­té­rieu­se­ment, la lumière de l’es­pé­rance. Le Dieu caché est cepen­dant le Dieu vivant et proche. Le Seigneur mort reste cepen­dant le Seigneur et notre Sauveur, même dans la nuit de la mort. L’Église de Jésus-​Christ, sa nou­velle famille, com­mence à se former.

Prière. Seigneur, tu es des­cen­du dans l’obs­cu­ri­té de la mort. Mais ton corps a été recueilli par de bonnes mains, il a été enve­lop­pé dans un lin­ceul imma­cu­lé (Mt 27, 59). La foi n’est pas com­plè­te­ment morte, le soleil n’est pas com­plè­te­ment obs­cur­ci. Comme il nous semble sou­vent que tu dors ! Et comme nous pou­vons faci­le­ment nous éloi­gner, nous les hommes, et nous dire à nous-​mêmes : Dieu est mort. Permets que, à l’heure de l’obs­cu­ri­té, nous soyons capables de recon­naître que toi tu es là. Ne nous aban­donne pas quand nous sommes ten­tés de perdre cou­rage. Aide-​nous à ne pas te lais­ser seul. Donne-​nous une fidé­li­té qui résiste au désar­roi et un amour qui sache t’ac­cueillir dans les moments de détresse extrême, comme le fit ta Mère, qui te reçut à nou­veau entre ses bras. Aide-​nous, aide les pauvres et les riches, les simples et les savants, à regar­der au-​delà des peurs et des pré­ju­gés. Rends-​nous capables de t’of­frir nos apti­tudes, notre cœur, notre temps, pour pré­pa­rer ain­si le jar­din où peut adve­nir la résurrection.

Acclamations. Pater nos­ter
Fac me tecum pie flere, Crucifixo condo­lere, donec ego vixe­ro.
(Que vrai­ment je pleure avec toi, qu’a­vec le Christ en Croix je souffre, cha­cun des jours de ma vie ! ).

QUATORZIÈME STATION – Jésus est mis au tombeau 

Adoramus te, Christe…

Prenant le corps, Joseph l’en­ve­lop­pa dans un lin­ceul neuf, et il le dépo­sa dans le tom­beau qu’il venait de se faire tailler dans le roc. Puis il rou­la une grande pierre à l’en­trée du tom­beau et s’en alla. Cependant Marie Madeleine et l’autre Marie étaient là, assises en face du tom­beau (Mt 27, 59–61).

Méditation. Jésus, objet de mépris et d’ou­trages, est dépo­sé, avec tous les hon­neurs, dans un tom­beau neuf. Nicodème apporte cent livres d’un mélange de myrrhe et d’a­loès, qui doit répandre un par­fum pré­cieux. Voici que dans l’of­frande du Fils se mani­feste, comme au moment de l’onc­tion de Béthanie, une déme­sure qui nous rap­pelle l’a­mour géné­reux de Dieu, la « sur­abon­dance de son amour ». Dieu s’offre géné­reu­se­ment lui-​même. Si la mesure de Dieu est la sur­abon­dance, pour nous aus­si rien ne devrait être trop, vis-​à-​vis de Dieu. C’est ce que Jésus lui-​même nous a appris dans le dis­cours sur la mon­tagne (cf. Mt 5, 20). Mais il faut aus­si nous sou­ve­nir des paroles de saint Paul sur Dieu qui, « par nous, répand en tous lieux le par­fum de sa connais­sance [du Christ]. Car nous sommes bien… la bonne odeur du Christ » (2 Co 2, 14 ss). Au milieu de la décom­po­si­tion des idéo­lo­gies, notre foi devrait être à nou­veau le par­fum qui nous remet sur le che­min de la vie. Au moment de la mise au tom­beau com­mence à s’ac­com­plir la parole de Jésus : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain tom­bé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beau­coup de fruit » (Jn 12, 24). Jésus est le grain de blé qui meurt. À par­tir du grain de blé mort com­mence la grande mul­ti­pli­ca­tion du pain qui dure jus­qu’à la fin du monde : c’est le pain de vie capable de ras­sa­sier l’hu­ma­ni­té tout entière et de lui don­ner la nour­ri­ture de manière sur­abon­dante : par la croix et la résur­rec­tion, le Verbe éter­nel de Dieu, qui, pour nous, s’est fait chair et s’est aus­si fait pain. Sur le tom­beau de Jésus, res­plen­dit le mys­tère de l’Eucharistie.

Prière. Seigneur Jésus-​Christ, par ta mise au tom­beau, tu as fais tienne la mort du grain de blé, tu es deve­nu le grain de blé mort qui donne beau­coup de fruit tout au long des temps, jus­qu’à l’é­ter­ni­té. Du tom­beau, res­plen­dit pour tous les temps la pro­messe du grain de blé, d’où pro­vient la manne véri­table, le pain de vie par lequel tu t’offres toi-​même à nous. Par l’Incarnation et la mort, la Parole éter­nelle est deve­nue la Parole proche : tu te mets entre nos mains et dans nos cœurs pour que ta Parole croisse en nous et donne du fruit. Tu te donnes toi-​même à tra­vers la mort du grain de blé, pour que, à notre tour, nous ayons le cou­rage de perdre notre vie pour la trou­ver et que, nous aus­si, nous ayons confiance en la pro­messe du grain de blé. Aide-​nous à aimer tou­jours davan­tage ton mys­tère eucha­ris­tique et à le véné­rer, à vivre vrai­ment de toi, Pain du ciel. Aide-​nous à deve­nir ta « bonne odeur », à rendre per­cep­tibles les traces de ta vie en ce monde. De même que le grain de blé se relève de terre, forme une tige puis un épi, de même, tu ne pou­vais res­ter dans le tom­beau : le tom­beau est vide, parce que lui – le Père – ne t’a pas « aban­don­né à la mort, et ta chair n’a pas connu la cor­rup­tion » (cf. Ac 2, 31 ; Ps 15, 10 LXX). Non, tu n’as pas connu la cor­rup­tion. Tu es res­sus­ci­té et, à la chair trans­for­mée, tu as ouvert un espace dans le cœur de Dieu. Fais que nous puis­sions nous réjouir de cette espé­rance et que nous puis­sions la por­ter joyeu­se­ment au monde, fais de nous des témoins de ta résurrection.

Acclamations. Pater nos­ter
Quando cor­pus morie­tur, fac ut animæ done­tur para­di­si glo­ria. Amen. 

(Au moment où mon corps mour­ra, fais qu’à mon âme soit don­née la gloire du Paradis. Amen).