(1) Voir la IXe station
PRÉSENTATION
Le leitmotiv de ce Chemin de Croix est mis en lumière dès le début, dans la prière initiale, et de nouveau à la quatorzième station. C’est la parole prononcée par le Christ le Dimanche des Rameaux, par laquelle – immédiatement après son entrée à Jérusalem – il répond à la question de quelques Grecs qui voulaient le voir : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Le Seigneur interprète ainsi tout son parcours terrestre comme le parcours du grain de blé qui parvient à porter du fruit seulement à travers la mort. Il interprète sa vie terrestre, sa mort et sa résurrection dans la perspective de l’Eucharistie, dans laquelle est résumé tout son mystère. Puisqu’il a vécu sa mort comme une offrande de lui-même, comme un acte d’amour, son corps a été transformé dans la nouvelle vie de la résurrection. Voilà pourquoi, lui, le Verbe incarné, est désormais devenu pour nous une nourriture qui conduit à la vraie vie, à la vie éternelle. Le Verbe éternel – la force créatrice de la vie – est descendu du ciel, devenant ainsi la vraie manne, le pain qui se communique à l’homme, dans la foi et dans le sacrement. De cette manière, le Chemin de Croix devient un chemin qui conduit jusqu’au cœur du mystère eucharistique : la piété populaire et la piété sacramentelle de l’Église se lient et se fondent. La prière du Chemin de Croix peut se comprendre comme un chemin qui conduit à la communion spirituelle profonde avec Jésus, sans laquelle la communion sacramentelle resterait vide. Le Chemin de Croix apparaît comme un chemin « mystagogique ».
À cette vision s’oppose une compréhension purement sentimentale du Chemin de Croix, risque dont le Seigneur avertit les femmes de Jérusalem qui pleurent sur lui (cf. huitième station). Le simple sentiment ne suffit pas ; le Chemin de Croix doit être une école de foi, de la foi qui, de par sa nature, « agit par la charité » (Ga 5, 6). Cependant, cela ne signifie pas que le sentiment doit être exclu. Pour les Pères, le premier défaut des païens est leur manque de cœur ; aussi reprennent-ils la vision d’Ézéchiel, qui communique au peuple d’Israël la promesse que Dieu fait d’enlever de leur poitrine le cœur de pierre et de leur donner un cœur de chair (cf. Ez 11, 19). Le Chemin de croix nous montre un Dieu qui partage lui-même les souffrances des hommes, dont l’amour ne demeure pas impassible et distant, un Dieu qui descend parmi nous, jusqu’à la mort sur la croix (cf. Ph 2, 8). Le Dieu qui partage nos souffrances, le Dieu fait homme pour porter notre croix, veut transformer notre cœur de pierre et nous appeler à partager les souffrances d’autrui. Il veut nous donner un « cœur de chair » qui ne reste pas impassible devant les souffrances d’autrui. Il se laisse au contraire toucher et nous conduit à l’amour qui guérit et qui vient en aide. Cela nous renvoie aux paroles de Jésus sur le grain de blé par lesquelles il transforme la formule fondamentale de l’existence chrétienne : « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle » (Jn 12, 25 ; cf. Mt 16, 25 ; Mc 8, 35 ; Lc 9, 24 ; 17, 33 : « Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra la sauvegardera »). Cela nous explique aussi ce que signifie la phrase qui précède ces paroles centrales de son message dans les Évangiles synoptiques : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive » (Mt 16, 24). Par ces mots, il offre lui-même l’interprétation du « Chemin de Croix », il nous enseigne comment nous devons le prier et le suivre : le Chemin de Croix est le chemin du reniement de soi, c’est-à-dire le chemin de l’amour véritable. Sur ce chemin il nous a précédés ; c’est ce chemin que veut nous enseigner la prière du Chemin de Croix. Et cela nous ramène encore au grain de blé qui doit mourir, à l’Eucharistie, dans laquelle se rend continuellement présent au milieu de nous le fruit de la mort et de la résurrection de Jésus. En elle, il marche avec nous, comme autrefois avec les disciples d’Emmaüs, se faisant toujours de nouveau notre contemporain.
PRIÈRE INITIALE
Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Amen.
Seigneur Jésus-Christ, pour nous tu as accepté de devenir comme le grain de blé qui tombe en terre et qui meurt pour donner beaucoup de fruit (cf. Jn 12, 24). Tu nous invites à te suivre sur ce chemin quand tu dis : « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle » (Jn 12, 25). Nous, cependant, nous sommes attachés à notre vie. Nous ne voulons pas l’abandonner, mais la garder totalement pour nous-mêmes. Nous voulons la posséder, non l’offrir. Mais tu nous précèdes et tu nous montres que c’est seulement en donnant notre vie que nous pouvons la sauver. Alors que nous t’accompagnons sur le Chemin de Croix, tu veux nous conduire à prendre le chemin du grain de blé, le chemin d’une fécondité qui parvient jusqu’à l’éternité. La croix – l’offrande de nous-mêmes – nous pèse beaucoup. Mais sur ton Chemin de Croix tu as porté aussi ma croix, et tu ne l’as pas portée en un quelconque moment du passé, car ton amour est contemporain à mon existence. Tu la portes aujourd’hui avec moi et pour moi, et, de manière admirable, tu veux que moi aussi, aujourd’hui, comme jadis Simon de Cyrène, je porte avec toi ta croix et, t’accompagnant, je me mette avec toi au service de la rédemption du monde. Aide-moi, afin que mon Chemin de Croix ne soit pas simplement le pieux sentiment d’un instant. Aide-nous non seulement à t’accompagner par de nobles pensées, mais à marcher sur ton chemin avec le cœur, plus encore avec les pas concrets de notre vie quotidienne. Aide-nous pour que nous marchions avec tout nous-mêmes sur le Chemin de Croix, et que nous demeurions à jamais sur ton chemin. Libère-nous de la peur de la croix, de la peur face à la dérision des autres, de la peur que notre vie puisse nous échapper si nous ne saisissons pas tout ce qu’elle offre. Aide-nous à démasquer les tentations qui nous promettent la vie, mais dont les conséquences nous laissent, en fin de compte, sans but et déçus. Aide-nous à ne pas nous faire les maîtres de la vie, mais à la donner. En t’accompagnant sur le chemin du grain de blé, aide-nous à trouver, « en perdant notre vie », le chemin de l’amour, le chemin qui nous procure véritablement la vie, la vie en abondance (cf. Jn 10, 10).
PREMIÈRE STATION – Jésus est condamné à mort
Adoramus te, Christe, et benedicimus tibi.
Quia per sanctam crucem tuam redemisti mundum.
Pilate reprit : « Que ferai-je donc de Jésus, celui qu’on appelle le Messie ? ». Ils répondirent tous : « Qu’on le crucifie ! ». Il poursuivit : « Quel mal a‑t-il donc fait ? ». Ils criaient encore plus fort : « Qu’on le crucifie ! ». Il leur relâcha donc Barabbas ; quant à Jésus, il le fit flageller, et le leur livra pour qu’il soit crucifié (Mt, 27, 22–23.26).
Méditation. Le Juge du monde, qui reviendra un jour pour nous juger, est là, anéanti, déshonoré et sans défense face au juge de la terre. Pilate n’est pas totalement mauvais. Il sait que ce condamné est innocent ; il cherche le moyen de le libérer. Mais Pilate est indécis. Et en définitive, sur le droit, il fait prévaloir sa position, il se fait prévaloir lui-même. Et les hommes qui vocifèrent et demandent la mort de Jésus ne sont pas non plus totalement mauvais. Beaucoup parmi eux, le jour de la Pentecôte, seront « remués jusqu’au fond d’eux-mêmes » (Ac 2, 37), quand Pierre leur dira : « Jésus de Nazareth – cet homme dont Dieu avait fait connaître la mission -… vous l’avez fait mourir en le faisant clouer à la croix par la main des païens… » (Ac 2, 22 ss). Mais en cet instant, ils subissent l’influence de la foule. Ils vocifèrent parce que les autres vocifèrent, et ils vocifèrent comme les autres. Et ainsi, la justice est piétinée par lâcheté, par faiblesse, par peur du diktat de la mentalité dominante. La voix ténue de la conscience est étouffée par les vociférations de la foule. L’indécision, le respect humain confèrent leur force au mal.
Prière. Seigneur, tu as été condamné à mort car la peur du regard des autres a étouffé la voix de la conscience. Tout au long de l’histoire, il en a toujours été ainsi, des innocents ont été maltraités, condamnés et tués. Combien de fois n’avons-nous pas, nous aussi, préféré le succès à la vérité, notre réputation à la justice ! Donne force, dans notre vie, à la voix ténue de la conscience, à ta voix. Regarde-moi comme tu as regardé Pierre après le reniement. Fais en sorte que ton regard pénètre nos âmes et indique à notre vie la direction. À ceux qui ont vociféré contre toi le Vendredi saint, tu as donné l’émotion du cœur et la conversion au jour de la Pentecôte. Et ainsi, tu nous as donné à tous l’espérance. Donne-nous aussi, toujours de nouveau, la grâce de la conversion.
Acclamations. Pater noster, qui es in cælis…
Stabat mater dolorosa iuxta crucem lacrimosa, dum pendebat Filius. (Debout, la Mère douloureuse près de la Croix était en larmes devant son Fils suspendu).
DEUXIÈME STATION – Jésus est chargé de la Croix
Adoramus te, Christe…
Alors les soldats du gouverneur emmenèrent Jésus dans le prétoire et rassemblèrent autour de lui toute la garde. Ils lui enlevèrent ses vêtements et le couvrirent d’un manteau rouge. Puis, avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’agenouillaient en lui disant : « Salut, roi des Juifs ! ». Et, crachant sur lui, ils prirent le roseau, et ils le frappaient à la tête. Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier (Mt 27, 27–31).
Méditation. Jésus, condamné comme prétendu roi, tu es raillé, mais dans la dérision apparaît cruellement la vérité. Combien de fois les insignes du pouvoir portés par les puissants de ce monde ne sont-ils pas une insulte à la vérité, à la justice et à la dignité de l’homme ! Combien de fois leurs cérémonies et leurs grands discours ne sont en vérité rien d’autre que de pompeux mensonges, une caricature de la tâche qui est la leur : se mettre au service du bien ! Jésus, celui dont on se moque et qui porte la couronne de la souffrance, est pour cela précisément le vrai roi. Son sceptre est justice (cf. Ps 45, 7). Le prix de la justice est souffrance en ce monde : lui, le vrai roi, ne règne pas par la violence, mais par l’amour dont il souffre pour nous et avec nous. Il porte la croix sur lui, notre croix, le poids de l’homme, le poids du monde. C’est ainsi qu’il nous précède et qu’il nous montre comment trouver le chemin de la vraie vie.
Prière. Seigneur, tu t’es laissé tourner en dérision et outrager. Aide-nous à ne pas nous joindre à ceux qui se moquent de celui qui souffre et de celui qui est faible. Aide-nous à reconnaître ton visage en ceux qui sont humiliés et mis à l’écart. Aide-nous à ne pas nous décourager devant les moqueries du monde, quand l’obéissance à ta volonté est tournée en dérision. Tu as porté la croix et tu nous as invités à te suivre sur ce chemin (cf. Mt 10, 38). Aide-nous à accepter la croix, à ne pas la fuir, à ne pas nous lamenter et à ne pas laisser nos cœurs être abattus devant les peines de la vie. Aide-nous à parcourir le chemin de l’amour et, obéissant à ses exigences, à atteindre la vraie joie.
Acclamations. Pater noster
Cuius animam gementem, contristatam et dolentem pertransivit gladius. (Dans son âme qui gémissait, toute brisée, endolorie, le glaive était enfoncé).
Adoramus te, Christe…
Pourtant, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était châtié, frappé par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos fautes qu’il a été transpercé, c’est par nos péchés qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous obtient la paix est tombé sur lui, et c’est par ses blessures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous (Is 53, 4–6).
Méditation. L’homme est tombé et tombe toujours de nouveau : combien de fois n’est-il que la caricature de lui-même, et non plus l’image de Dieu, tournant ainsi en dérision le Créateur ? N’est-il pas l’image de l’homme par excellence celui qui, descendant de Jérusalem à Jéricho, fut attaqué par les brigands qui le dépouillèrent et le laissèrent à moitié mort, ensanglanté au bord du chemin ! La chute de Jésus sous la croix n’est pas seulement la chute de l’homme Jésus déjà épuisé par la flagellation. Ici apparaît quelque chose de plus profond, comme dit Paul dans la lettre aux Philippiens : « Lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes… il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix » (Ph 2, 6–8). Dans la chute de Jésus sous le poids de la croix, apparaît tout son parcours : son abaissement volontaire pour ôter notre orgueil. Et en même temps apparaît la nature de notre orgueil : l’arrogance avec laquelle nous voulons nous émanciper de Dieu et n’être rien d’autre que nous-mêmes, l’arrogance avec laquelle nous croyons ne pas avoir besoin de l’amour éternel, mais avec laquelle nous voulons maîtriser notre vie tout seuls. Dans cette rébellion contre la vérité, dans cette tentative d’être nous-mêmes des dieux, d’être créateurs et juges de nous-mêmes, nous tombons et nous finissons par nous détruire nous-mêmes. L’abaissement de Jésus est le dépassement de notre orgueil : par son abaissement, il nous relève. Laissons-le nous relever. Dépouillons-nous de notre autosuffisance, de notre envie erronée d’autonomie et, au contraire, apprenons de lui, de lui qui s’est abaissé, à trouver notre véritable grandeur, en nous abaissant et en nous tournant vers Dieu et vers nos frères humiliés.
Prière. Seigneur Jésus, le poids de la croix t’a fait tomber à terre. Le poids de notre péché, le poids de notre orgueil t’a terrassé. Mais ta chute n’est pas le signe d’un destin hostile, elle n’est pas la pure et simple faiblesse de celui qui est outragé. Tu as voulu venir à nous, nous qui, en raison de notre orgueil, gisons à terre. L’orgueil qui nous fait penser que nous avons la capacité de produire l’homme a contribué à ce que les hommes soient devenus une sorte de marchandise, pouvant s’acheter et se vendre, tel un réservoir de matériaux pour nos expérimentations, grâce auxquelles nous espérons vaincre la mort par nous-mêmes, alors qu’en vérité, nous ne faisons rien d’autre qu’humilier toujours plus profondément la dignité de l’homme. Seigneur, aide-nous parce que nous sommes tombés. Aide-nous à abandonner notre orgueil destructeur, en apprenant, par ton humilité, à nous relever de nouveau.
Acclamations. Pater noster
O quam tristis et afflicta fuit illa benedicta mater Unigeniti ! (Qu’elle était triste et affligée, la Mère entre toutes bénie, la Mère du Fils unique !).
QUATRIÈME STATION – Jésus rencontre sa Mère
Adoramus te, Christe…
Syméon les bénit, puis il dit à Marie, sa mère : Vois, ton fils qui est là provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division. – Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée. – Ainsi seront dévoilées les pensées secrètes d’un grand nombre. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements (Lc 2, 34–35.51).
Méditation. Sur le Chemin de Croix de Jésus, se trouve aussi Marie, sa Mère. Durant la vie publique de son fils, elle avait dû se tenir à l’écart, pour faire place à la nouvelle famille de Jésus, à la famille naissante de ses disciples. Elle avait également dû entendre ses paroles : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ?… Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une soeur et une mère » (Mt 12, 48–50). On voit à présent qu’elle est la Mère de Jésus, non seulement dans son corps, mais dans son cœur. Avant même de l’avoir conçu dans son corps, elle l’avait conçu dans son cœur, grâce à son obéissance. Il lui avait été dit : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils… Il sera grand… ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père » (Lc 1, 31 ss). Pourtant, peu après, elle avait entendu de la bouche du vieux Syméon d’autres mots : « Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée » (Lc 2, 35). Elle se sera ainsi rappelé les paroles des prophètes, des paroles semblables à celles-ci : « Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir » (Is 53, 7). À présent tout devenait réalité. Dans son cœur, elle avait toujours conservé la parole que l’ange lui avait dite quand tout avait commencé : « Sois sans crainte, Marie » (Lc 1, 30). Les disciples se sont enfuis, elle, non. Elle reste là, avec son courage de mère, avec sa fidélité de mère, avec sa bonté de mère et avec sa foi, qui résiste dans l’obscurité : « Heureuse celle qui a cru » (Lc 1, 45). « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18, 8). Oui, à ce moment-là, Il le sait : il trouvera la foi. En cette heure-là, c’est sa grande consolation.
Prière. Sainte Marie, Mère du Seigneur, tu es restée fidèle quand les disciples se sont enfuis. De même que tu as cru quand l’ange t’a annoncé l’incroyable – que tu allais devenir la mère du Très-Haut -, de même, tu as cru à l’heure de sa plus grande humiliation. Ainsi, à l’heure de la croix, à l’heure de la nuit la plus sombre du monde, tu es devenue Mère des croyants, Mère de l’Église. Nous te prions : apprends-nous à croire et aide-nous afin que notre foi devienne courage de servir et geste d’un amour qui vient en aide et qui sait partager la souffrance.
Acclamations. Pater noster.
Quæ mærebat et dolebat, pia mater, cum videbat Nati poenas incliti. (Qu’elle avait mal, qu’elle souffrait la tendre Mère, en contemplant son divin Fils tourmenté !).
CINQUIÈME STATION – Jésus est aidé par le Cyrénéen à porter sa croix
Adoramus te, Christe…
En sortant, ils trouvèrent un nommé Simon, originaire de Cyrène, et ils le réquisitionnèrent pour porter la croix. Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 27, 32 ; 16, 24).
Méditation. Simon de Cyrène rentre du travail, il est sur le chemin du retour chez lui, quand il croise ce triste cortège de condamnés -, spectacle sans doute habituel pour lui. Les soldats usent de leur droit de coercition et mettent la croix sur lui, robuste homme de la campagne. Quelle gêne a‑t-il dû éprouver en se trouvant soudain mêlé au destin de ces condamnés ! Il fait ce qu’il doit faire, avec certainement beaucoup de répugnance. Toutefois, l’évangéliste Marc nomme également ses fils qui étaient connus pour être chrétiens et membres de la communauté (Mc 15, 21). De cette rencontre involontaire est née la foi. En accompagnant Jésus et en partageant le poids de sa croix, le Cyrénéen a compris que marcher avec ce Crucifié et l’assister était une grâce. Le mystère de Jésus souffrant et muet a touché son cœur. Jésus, dont seul l’amour divin pouvait et peut racheter l’humanité entière, veut que nous partagions sa croix, pour compléter ce qui manque encore à ses souffrances (Col 1, 24). Chaque fois qu’avec bonté nous allons à la rencontre de celui qui souffre, de celui qui est persécuté et faible, en partageant sa souffrance, nous aidons Jésus à porter sa propre croix. Ainsi nous obtenons le salut et nous pouvons nous-mêmes coopérer au salut du monde.
Prière. Seigneur, tu as ouvert les yeux et le cœur de Simon de Cyrène, lui donnant, par le partage de ta croix, la grâce de la foi. Aide-nous à venir en aide à notre prochain qui souffre, même si cet appel est contraire à nos projets et à nos penchants. Donne-nous de reconnaître que partager la croix des autres, et faire l’expérience qu’ainsi nous marchons avec toi, est une grâce. Donne-nous de reconnaître avec joie que c’est précisément en partageant ta souffrance et les souffrances de ce monde que nous devenons serviteurs du salut, et qu’ainsi nous pouvons contribuer à construire ton corps, l’Église.
Acclamations. Pater noster
Quis est homo qui non fleret, matrem Christi si videret in tanto supplicio ? (Quel est celui qui sans pleurer pourrait voir la Mère du Christ dans un supplice pareil ?)
SIXIÈME STATION – Véronique essuie le visage de Jésus
Adoramus te, Christe…
Il n’était ni beau ni brillant pour attirer nos regards, son extérieur n’avait rien pour nous plaire. Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable aux lépreux dont on se détourne ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien (Is 53, 2–3).
Mon cœur m’a redit ta parole : « Cherchez ma face ». C’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face. N’écarte pas ton serviteur avec colère, tu restes mon secours. Ne me laisse pas, ne m’abandonne pas, Dieu, mon salut (Ps 26 [27], 8–9) !
Méditation. « C’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face » (Ps 26 [27], 8–9). Véronique – Bérénice, selon la tradition grecque – incarne cette aspiration qui est commune à tous les hommes pieux de l’Ancien Testament, cette aspiration de tous les croyants à voir le visage de Dieu. Sur le chemin de croix de Jésus, au début, elle ne rend d’abord qu’un service de bonté féminine : elle offre un linge à Jésus. Elle ne se laisse ni gagner par la brutalité des soldats, ni immobiliser par la peur des disciples. Elle est l’image de la femme éprise de bonté qui, dans le désarroi et l’obscurité des cœurs, garde le courage de la bonté, et ne permet pas que son cœur s’obscurcisse. « Heureux les cœurs purs – avait dit le Seigneur dans le Discours sur la montagne -, ils verront Dieu ! » (Mt 5, 8). Au début, Véronique voit seulement un visage maltraité et marqué par la souffrance. Mais l’acte d’amour imprime dans son cœur la véritable image de Jésus : sur son visage humain, couvert de sang et de blessures, elle voit le visage de Dieu et de sa bonté, qui nous accompagne aussi dans la souffrance la plus profonde. C’est seulement avec le cœur que nous pouvons voir Jésus. Seul l’amour nous rend capables de voir et nous rend purs. Seul l’amour nous fait reconnaître Dieu, qui est l’amour même.
Prière. Seigneur, donne-nous l’inquiétude du cœur qui cherche ton visage. Protège-nous de l’obscurcissement du cœur qui ne voit que l’apparence des choses. Donne-nous la sincérité et la pureté qui nous rendent capables de voir ta présence dans le monde. Quand nous n’avons pas la capacité de faire de grandes choses, donne-nous le courage d’une humble bonté. Imprime ton visage dans nos cœurs, afin que nous puissions te rencontrer et montrer au monde ton image.
Acclamations. Pater noster
Pro peccatis suæ gentis vidit Iesum in tormentis, et flagellis subditum. (Pour les péchés de tout son peuple elle le vit dans ses tourments subissant les coups de fouet).
SEPTIÈME STATION – Jésus tombe pour la deuxième fois
Adoramus te, Christe…
Je suis l’homme qui a connu la misère, sous la verge de sa fureur. C’est moi qu’il a conduit et fait marcher dans les ténèbres et sans lumière. Il a barré mes chemins avec des pierres de taille, obstrué mes sentiers. Il a brisé mes dents avec du gravier, il m’a nourri de cendre (Lm 3, 1–2.9.16).
Méditation. La tradition de la triple chute de Jésus et du poids de la croix rappelle la chute d’Adam – le fait que nous soyons des êtres humains déchus – et le mystère de la participation de Jésus à notre chute. Au cours de l’histoire, la chute de l’homme prend des formes toujours nouvelles. Dans sa première Lettre, saint Jean parle d’une triple chute de l’homme : les désirs de la chair, les désirs des yeux et l’orgueil de la richesse. C’est ainsi que, sur l’arrière-fond des vices de son temps, avec tous ses excès et toutes ses perversions, il interprète la chute de l’homme et de l’humanité. Cependant nous pouvons penser aussi, dans l’histoire plus récente, que les chrétiens, en se détournant de la foi, ont abandonné le Seigneur : les grandes idéologies, comme la banalisation de l’homme qui ne croit plus à rien et qui se laisse simplement aller, ont construit un nouveau paganisme, un paganisme plus mauvais, qui, en voulant mettre définitivement Dieu à part, a fini par se débarrasser de l’homme. L’homme gît ainsi dans la cendre. Le Seigneur porte ce poids, il tombe et il tombe, pour pouvoir venir jusqu’à nous ; il nous regarde afin que notre cœur se réveille ; il tombe pour nous relever.
Prière. Seigneur Jésus-Christ, tu as porté notre poids et tu continues à nous porter. C’est notre poids qui te fait tomber. Mais que ce soit toi qui nous relèves, car seuls nous n’arrivons pas à nous lever de la cendre ! Libère-nous de la puissance de la concupiscence. À la place d’un cœur de pierre, donne-nous à nouveau un cœur de chair, un cœur capable de voir. Détruis le pouvoir des idéologies, afin que les hommes reconnaissent qu’elles sont tissées de mensonges. Ne permets pas que le mur du matérialisme devienne insurmontable. Fais-nous percevoir à nouveau ta présence. Rends-nous sobres et attentifs pour pouvoir résister aux forces du mal et aide-nous à reconnaître les besoins intérieurs et extérieurs des autres, à les soutenir. Relève-nous, afin que nous puissions relever les autres. Donne-nous l’espérance au milieu de toute obscurité, afin que nous puissions devenir porteurs d’espérance pour le monde.
Acclamations. Pater noster
Quis non posset contristari, piam matrem contemplari, dolentem cum Filio ? (Qui pourrait sans souffrir comme elle contempler la pieuse Mère douloureuse avec son Fils ?)
HUITIÈME STATION – Jésus rencontre les femmes de Jérusalem qui pleurent sur lui
Adoramus te, Christe…
Il se retourna et leur dit : « Femmes de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : « Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité ! ». Alors on dira aux montagnes : « Tombez sur nous », et aux collines : « Cachez-nous ». Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? » (Lc 23, 28–31).
Méditation. Écouter Jésus alors qu’il fait des reproches aux femmes de Jérusalem qui le suivent et qui pleurent sur lui nous fait réfléchir. Comment le comprendre ? Ne s’agit-il pas de reproches adressés à une piété purement sentimentale, qui ne devient pas conversion et foi vécue ? Il ne sert à rien de pleurer sur les souffrances de ce monde, avec des paroles et par des sentiments, alors que notre vie continue toujours égale à elle-même. C’est pourquoi le Seigneur nous avertit du danger dans lequel nous sommes nous-mêmes. Il nous montre la gravité du péché et la gravité du jugement. Malgré tous nos discours effrayés devant le mal et la souffrance des innocents, ne sommes-nous pas trop enclins à banaliser le mystère du mal ? En définitive, de l’image de Dieu et de Jésus, nous ne retenons peut-être que l’aspect doux et aimable, alors que nous avons évacué tranquillement l’aspect du jugement ? Nous nous demandons si Dieu peut encore prendre notre faiblesse au tragique. Car nous ne sommes que des hommes ! Mais en regardant les souffrances du Fils, nous voyons toute la gravité du péché, nous voyons comment il doit être expié jusqu’à la fin pour pouvoir être vaincu. Le mal ne peut pas continuer à être banalisé devant l’image du Seigneur qui souffre. À nous aussi, le Seigneur déclare : Ne pleurez pas sur moi, pleurez sur vous-mêmes… car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ?
Prière. Aux femmes qui pleurent, tu as parlé, Seigneur, de la pénitence, du jour du Jugement, lorsque nous nous trouverons en présence de ta face, la face du Juge du monde. Tu nous appelles à sortir de la banalisation du mal dans laquelle nous nous complaisons, de manière à pouvoir continuer notre vie tranquille. Tu nous montres la gravité de notre responsabilité, le danger d’être trouvés coupables et stériles au jour du Jugement. Aide-nous à ne pas nous contenter de marcher à côté de toi, ou d’offrir seulement des paroles de compassion. Convertis-nous et donne-nous une vie nouvelle ; ne permets pas que, en définitive, nous restions là comme un arbre sec, mais fais que nous devenions des sarments vivants en toi, la vraie vigne, et que nous portions du fruit pour la vie éternelle (cf. Jn 15, 1–10).
Accamations. Pater noster
Tui Nati vulnerati, tam dignati pro me pati, poenas mecum divide. (Ton enfant n’était que blessures, lui qui daigna souffrir pour moi ; donne-moi part à ses peines).
NEUVIÈME STATION – Jésus tombe pour la troisième fois
Adoramus te, Christe…
Il est bon pour l’homme de porter le joug dès sa jeunesse, que solitaire et silencieux, il s’asseye quand le Seigneur l’impose sur lui, qu’il mette sa bouche dans la poussière : peut-être y a‑t-il de l’espoir ! Qu’il tende la joue à qui le frappe, qu’il se rassasie d’opprobres ! Car le Seigneur ne rejette pas les humains pour toujours : s’il a affligé, il prend pitié selon sa grande bonté (Lm 3, 27–32).
Méditation. Que peut nous dire la troisième chute de Jésus sous le poids de la croix ? Peut-être nous fait-elle penser plus généralement à la chute de l’homme, au fait que beaucoup s’éloignent du Christ, dans une dérive vers un sécularisme sans Dieu. Mais ne devons-nous pas penser également à ce que le Christ doit souffrir dans son Église elle-même ? Combien de fois abusons-nous du Saint-Sacrement de sa présence, dans quel cœur vide et mauvais entre-t-il souvent ! Combien de fois ne célébrons-nous que nous-mêmes, et ne prenons-nous même pas conscience de sa présence ! Combien de fois sa Parole est-elle déformée et galvaudée ! Quel manque de foi dans de très nombreuses théories, combien de paroles creuses ! Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! Combien d’orgueil et d’autosuffisance ! Que de manques d’attention au sacrement de la réconciliation, où le Christ nous attend pour nous relever de nos chutes ! Tout cela est présent dans sa passion. La trahison des disciples, la réception indigne de son Corps et de son Sang sont certainement les plus grandes souffrances du Rédempteur, celles qui lui transpercent le cœur. Il ne nous reste plus qu’à lui adresser, du plus profond de notre âme, ce cri : Kyrie, eleison – Seigneur, sauve-nous (cf. Mt 8, 25).
Prière. Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part. Et dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Église nous effraient. Mais c’est nous-mêmes qui les salissons ! C’est nous-mêmes qui te trahissons chaque fois, après toutes nos belles paroles et nos beaux gestes. Prends pitié de ton Église : en elle aussi, Adam chute toujours de nouveau. Par notre chute, nous te traînons à terre, et Satan s’en réjouit, parce qu’il espère que tu ne pourras plus te relever de cette chute ; il espère que toi, ayant été entraîné dans la chute de ton Église, tu resteras à terre, vaincu. Mais toi, tu te relèveras. Tu t’es relevé, tu es ressuscité et tu peux aussi nous relever. Sauve ton Église et sanctifie-la. Sauve-nous tous et sanctifie-nous.
Acclamations. Pater noster
Eia, mater, fons amoris, me sentire vim doloris fac, ut tecum lugeam. (Daigne, ô Mère, source d’amour, me faire éprouver tes souffrances pour que je pleure avec toi).
DIXIÈME STATION – Jésus est dépouillé de ses vêtements
Adoramus te, Christe…
Arrivés à l’endroit appelé Golgotha, c’est-à-dire : Lieu-du-Crâne, ou Calvaire, ils donnèrent à boire à Jésus du vin mêlé de fiel ; il en goûta, mais ne voulut pas boire. Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort ; et ils restaient là, assis, à le garder (Mt 27, 33.36).
Méditation. Jésus est dépouillé de ses vêtements. Le vêtement donne à l’homme sa position sociale ; il lui donne sa place dans la société, il le fait être quelqu’un. Être dépouillé en public signifie, pour Jésus, n’être plus personne, n’être rien d’autre qu’un exclu, méprisé de tous. Le moment du dépouillement nous rappelle aussi l’exclusion du paradis : la splendeur de Dieu a disparu en l’homme qui maintenant se trouve là, nu et exposé, dénudé et honteux. De cette manière, Jésus assume encore une fois la situation de l’homme pécheur. Ce Jésus dépouillé nous rappelle le fait que, tous, nous avons perdu notre « premier vêtement », c’est-à-dire la splendeur de Dieu. Sous la croix les soldats tirent au sort pour se partager ses pauvres biens, ses vêtements. Les évangélistes en font le récit avec des paroles du Psaume 22, verset 19 et ils nous disent ainsi ce que Jésus dira aux disciples d’Emmaüs : tout est arrivé « selon les Écritures ». Ici, rien n’est pure coïncidence, tout ce qui arrive est contenu dans la Parole de Dieu et voulu par son dessein divin. Le Seigneur fait l’expérience de toutes les stations et de tous les degrés de la perdition humaine, et chacun de ces degrés est, avec toute son amertume, une étape de la Rédemption : c’est ainsi qu’il ramène au bercail la brebis perdue. Rappelons-nous aussi que Jean déclare que l’objet du tirage au sort était la tunique de Jésus « tissée tout d’une pièce, de haut en bas » (19, 23). Nous pouvons y voir une allusion au vêtement du grand prêtre, qui était « tissé d’une seule pièce », sans couture (Flavius Josèphe, Les Antiquités juives, III, 161). Lui, le Crucifié, il est en effet le véritable grand prêtre.
Prière. Seigneur Jésus, tu as été dépouillé de tes vêtements, exposé au déshonneur, exclu de la société. Tu t’es chargé du déshonneur d’Adam, et tu l’as guéri. Tu t’es chargé des souffrances et des besoins des pauvres, ceux qui sont exclus du monde. Mais c’est ainsi que s’accomplit la parole des prophètes. C’est ainsi que tu donnes sens à ce qui semble privé de sens. C’est ainsi que tu nous fais reconnaître que ton Père te tient dans ses mains, comme nous-mêmes et le monde. Donne-nous un profond respect de l’homme à tous les stades de son existence et dans toutes les situations où nous le rencontrons. Donne-nous le vêtement de lumière de ta grâce.
Acclamations. Pater noster
Fac ut ardeat cor meum in amando Christum Deum, ut sibi complaceam. (Fais qu’en mon cœur brûle un grand feu pour mieux aimer le Christ mon Dieu et que je puisse lui plaire).
ONZIÈME STATION – Jésus est cloué sur la Croix
Adoramus te, Christe…
Au-dessus de sa tête on inscrivit le motif de sa condamnation : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs ». En même temps, on crucifie avec lui deux bandits, l’un à droite et l’autre à gauche. Les passants l’injuriaient en hochant la tête : « Toi qui détruis le Temple et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! ». De même, les chefs des prêtres se moquaient de lui avec les scribes et les anciens, en disant : « Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! C’est le roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui ! » (Mt 27, 37–42).
Méditation. Jésus est cloué sur la croix. Le linceul de Turin nous permet de nous faire une idée de l’incroyable cruauté de ce procédé. Jésus ne boit pas le breuvage anesthésiant qu’on lui offre : consciemment, il prend sur lui toute la souffrance de la crucifixion. Tout son corps est tourmenté ; ainsi les paroles du Psaume se vérifient : « Et moi, je suis un ver, pas un homme, raillé par les gens, rejeté par le peuple » (Ps 21 [22], 7). « Il était méprisé… semblable au lépreux dont on se détourne… Pourtant c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé » (Is 53, 3 ss). Arrêtons-nous devant cette image de douleur, devant le Fils de Dieu souffrant. Regardons vers lui dans les moments où nous sommes présomptueux et portés à la jouissance, pour apprendre à respecter les limites et à voir la superficialité de tous les biens purement matériels. Regardons vers lui dans les moments de calamité et d’angoisse, pour reconnaître que c’est alors que nous sommes proches de Dieu. Cherchons à reconnaître son visage dans ceux que nous avons tendance à mépriser. Devant le Seigneur condamné, qui ne veut pas se servir de son pouvoir pour descendre de la croix, mais qui supporte plutôt la souffrance de la croix jusqu’au bout, peut affleurer encore une autre pensée. Ignace d’Antioche, lui-même enchaîné à cause de sa foi dans le Seigneur, fait l’éloge des chrétiens de Smyrne pour leur foi inébranlable : ils étaient comme cloués par la chair et le sang à la croix du Seigneur Jésus-Christ (1, 1). Laissons-nous clouer à lui, en ne cédant à aucune tentation de nous éloigner et de nous laisser aller aux railleries qui voudraient nous inciter à le faire.
Prière. Seigneur Jésus-Christ, tu t’es fait clouer sur la croix, acceptant la terrible cruauté de cette souffrance, la destruction de ton corps et de ta dignité. Tu t’es fait clouer, tu as souffert sans fuir et sans accepter de compromis. Aide-nous à ne pas fuir devant ce que nous sommes appelés à accomplir. Aide-nous à nous laisser lier étroitement à toi. Aide-nous à démasquer la fausse liberté qui veut nous éloigner de toi. Aide-nous à accepter ta liberté liée et à trouver, dans ce lien étroit avec toi, la vraie liberté.
Acclamations. Pater noster
Sancta mater, istud agas, Crucifixi fige plagas cordi meo valide. (Ô sainte Mère, daigne donc graver les plaies du Crucifié profondément dans mon cœur).
DOUZIÈME STATION – Jésus meurt sur la Croix
Adoramus te, Christe…
Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix, avec cette inscription : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ». Comme on avait crucifié Jésus dans un endroit proche de la ville, beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, qui était libellé en hébreu, en latin et en grec (Jn 19, 19–20).
À partir de midi, l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à trois heures. Vers trois heures, Jésus cria d’une voix forte : « Eli, Eli, lama sabactani ? », ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Quelques-uns de ceux qui étaient là disaient en l’entendant : « Le voilà qui appelle le prophète Élie ! ». Aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il trempa dans une boisson vinaigrée ; il la mit au bout d’un roseau, et il lui donnait à boire. Les autres lui dirent : « Attends ! nous verrons bien si Élie va venir le sauver ». Mais Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit.
À la vue du tremblement de terre et de tous ces événements, le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus, furent saisi d’une grande frayeur et dirent : « Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu ! » (Mt 27, 45–50.54).
Méditation. Sur la croix de Jésus, dans les deux langues du monde de cette époque, le grec et le latin, et dans la langue du peuple élu, l’hébreu, une inscription exprimant qui il est : le Roi des Juifs, le Fils promis à David. Pilate, juge injuste, est devenu prophète malgré lui. Devant l’opinion publique mondiale, la royauté de Jésus est proclamée. Jésus lui-même n’avait pas accepté le titre de Messie, car il pouvait évoquer une idée erronée et purement humaine du pouvoir et du salut. Maintenant, le titre peut être écrit là, publiquement au-dessus du Crucifié. C’est ainsi qu’il est vraiment le roi du monde. Il est maintenant vraiment « élevé ». Dans sa descente, il est monté. Voici qu’il a radicalement accompli le commandement de l’amour, il a accompli l’offrande de lui-même, et c’est ainsi qu’il est la manifestation du Dieu véritable, de ce Dieu qui est l’amour. Désormais, nous savons qui est Dieu. Désormais, nous savons en quoi consiste la royauté véritable. Jésus prie avec les paroles du Psaume 21, qui commence ainsi : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (21[22], 2). Il prend sur lui toute la souffrance d’Israël, la souffrance de l’humanité tout entière, le drame de l’obscurité de Dieu, et il permet aussi à Dieu de se manifester là où il semblerait être définitivement mis en échec et absent. La croix de Jésus est un événement cosmique. Le monde s’obscurcit, quand le Fils de Dieu subit la mort. La terre tremble. Et auprès de la croix commence l’Église des païens. Le Centurion romain reconnaît, il comprend que Jésus est le Fils de Dieu. De la croix, il triomphe, toujours de nouveau.
Prière. Seigneur Jésus-Christ, à l’heure de ta mort, le soleil s’éclipsa. Sans cesse, tu es à nouveau cloué sur la croix. En cette heure de l’histoire précisément, nous vivons dans l’obscurité de Dieu. À cause de l’immense souffrance et de la méchanceté des hommes, le visage de Dieu, ton visage, apparaît obscurci, méconnaissable. Mais c’est justement sur la croix que tu t’es fait reconnaître. Précisément parce que tu es celui qui souffre et qui aime, tu es celui qui est élevé. C’est de là que tu as triomphé. En cette heure d’obscurité et de trouble, aide-nous à reconnaître ton visage. Aide-nous à croire en toi et à te suivre spécialement dans les heures d’obscurité et de détresse. En cette heure, montre-toi encore au monde. Fais que ton salut lui soit manifesté.
Acclamations. Pater noster
Vidit suum dulcem Natum, morientem desolatum, cum emisit spiritum. (Elle vit son enfant très cher mourir dans la désolation. Alors qu’il rendait l’esprit !).
TREIZIÈME STATION – Jésus est descendu de la Croix et remis à sa Mère
Adoramus te, Christe…
Le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus furent saisis d’une grande frayeur et dirent : « Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu ! » Il y avait là plusieurs femmes qui regardaient à distance : elles avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le servir (Mt 27, 54–55).
Méditation. Jésus est mort, son cœur a été transpercé par la lance du soldat et il en sortit aussitôt du sang et de l’eau : image mystérieuse du fleuve des sacrements du Baptême et de l’Eucharistie, par lesquels, à cause du cœur transpercé du Seigneur, l’Église renaît sans cesse. On ne lui a pas brisé les jambes, comme aux deux autres crucifiés ; ainsi, il se manifeste comme l’agneau pascal véritable, dont aucun os ne doit être brisé (cf. Ex 12, 46). Et maintenant qu’il a tout supporté, malgré tout le trouble qui agite les cœurs, malgré le pouvoir de la haine et des lâchetés, voici qu’il n’est pas demeuré seul. Il y a les fidèles. Auprès de la croix, il y avait aussi Marie, sa Mère, Marie soeur de sa Mère, Marie de Magdala et le disciple qu’il aimait. Et voici qu’arrive un homme riche, Joseph d’Arimathie : ce riche trouve le moyen de passer par le trou d’une aiguille, parce que Dieu lui en donne la grâce. Il ensevelit Jésus dans son tombeau neuf, dans un jardin : à l’endroit où Jésus est enseveli, le cimetière se transforme en un jardin, le jardin d’où Adam avait été chassé lorsqu’il s’était détaché de la plénitude de la vie, lorsqu’il s’était détaché de son Créateur. Le tombeau dans le jardin nous apprend que le pouvoir de la mort arrive à son terme. Voici que s’approche aussi un membre du Sanhédrin, Nicodème ; celui à qui Jésus avait annoncé le mystère de la renaissance par l’eau et l’Esprit. Même au sein du Sanhédrin, qui avait décidé sa mort, il y a quelqu’un qui croit, quelqu’un qui connaît et qui reconnaît Jésus après sa mort. Au-delà de l’heure du grand deuil, des ténèbres épaisses et du désespoir, demeure cependant, mystérieusement, la lumière de l’espérance. Le Dieu caché est cependant le Dieu vivant et proche. Le Seigneur mort reste cependant le Seigneur et notre Sauveur, même dans la nuit de la mort. L’Église de Jésus-Christ, sa nouvelle famille, commence à se former.
Prière. Seigneur, tu es descendu dans l’obscurité de la mort. Mais ton corps a été recueilli par de bonnes mains, il a été enveloppé dans un linceul immaculé (Mt 27, 59). La foi n’est pas complètement morte, le soleil n’est pas complètement obscurci. Comme il nous semble souvent que tu dors ! Et comme nous pouvons facilement nous éloigner, nous les hommes, et nous dire à nous-mêmes : Dieu est mort. Permets que, à l’heure de l’obscurité, nous soyons capables de reconnaître que toi tu es là. Ne nous abandonne pas quand nous sommes tentés de perdre courage. Aide-nous à ne pas te laisser seul. Donne-nous une fidélité qui résiste au désarroi et un amour qui sache t’accueillir dans les moments de détresse extrême, comme le fit ta Mère, qui te reçut à nouveau entre ses bras. Aide-nous, aide les pauvres et les riches, les simples et les savants, à regarder au-delà des peurs et des préjugés. Rends-nous capables de t’offrir nos aptitudes, notre cœur, notre temps, pour préparer ainsi le jardin où peut advenir la résurrection.
Acclamations. Pater noster
Fac me tecum pie flere, Crucifixo condolere, donec ego vixero. (Que vraiment je pleure avec toi, qu’avec le Christ en Croix je souffre, chacun des jours de ma vie ! ).
QUATORZIÈME STATION – Jésus est mis au tombeau
Adoramus te, Christe…
Prenant le corps, Joseph l’enveloppa dans un linceul neuf, et il le déposa dans le tombeau qu’il venait de se faire tailler dans le roc. Puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla. Cependant Marie Madeleine et l’autre Marie étaient là, assises en face du tombeau (Mt 27, 59–61).
Méditation. Jésus, objet de mépris et d’outrages, est déposé, avec tous les honneurs, dans un tombeau neuf. Nicodème apporte cent livres d’un mélange de myrrhe et d’aloès, qui doit répandre un parfum précieux. Voici que dans l’offrande du Fils se manifeste, comme au moment de l’onction de Béthanie, une démesure qui nous rappelle l’amour généreux de Dieu, la « surabondance de son amour ». Dieu s’offre généreusement lui-même. Si la mesure de Dieu est la surabondance, pour nous aussi rien ne devrait être trop, vis-à-vis de Dieu. C’est ce que Jésus lui-même nous a appris dans le discours sur la montagne (cf. Mt 5, 20). Mais il faut aussi nous souvenir des paroles de saint Paul sur Dieu qui, « par nous, répand en tous lieux le parfum de sa connaissance [du Christ]. Car nous sommes bien… la bonne odeur du Christ » (2 Co 2, 14 ss). Au milieu de la décomposition des idéologies, notre foi devrait être à nouveau le parfum qui nous remet sur le chemin de la vie. Au moment de la mise au tombeau commence à s’accomplir la parole de Jésus : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Jésus est le grain de blé qui meurt. À partir du grain de blé mort commence la grande multiplication du pain qui dure jusqu’à la fin du monde : c’est le pain de vie capable de rassasier l’humanité tout entière et de lui donner la nourriture de manière surabondante : par la croix et la résurrection, le Verbe éternel de Dieu, qui, pour nous, s’est fait chair et s’est aussi fait pain. Sur le tombeau de Jésus, resplendit le mystère de l’Eucharistie.
Prière. Seigneur Jésus-Christ, par ta mise au tombeau, tu as fais tienne la mort du grain de blé, tu es devenu le grain de blé mort qui donne beaucoup de fruit tout au long des temps, jusqu’à l’éternité. Du tombeau, resplendit pour tous les temps la promesse du grain de blé, d’où provient la manne véritable, le pain de vie par lequel tu t’offres toi-même à nous. Par l’Incarnation et la mort, la Parole éternelle est devenue la Parole proche : tu te mets entre nos mains et dans nos cœurs pour que ta Parole croisse en nous et donne du fruit. Tu te donnes toi-même à travers la mort du grain de blé, pour que, à notre tour, nous ayons le courage de perdre notre vie pour la trouver et que, nous aussi, nous ayons confiance en la promesse du grain de blé. Aide-nous à aimer toujours davantage ton mystère eucharistique et à le vénérer, à vivre vraiment de toi, Pain du ciel. Aide-nous à devenir ta « bonne odeur », à rendre perceptibles les traces de ta vie en ce monde. De même que le grain de blé se relève de terre, forme une tige puis un épi, de même, tu ne pouvais rester dans le tombeau : le tombeau est vide, parce que lui – le Père – ne t’a pas « abandonné à la mort, et ta chair n’a pas connu la corruption » (cf. Ac 2, 31 ; Ps 15, 10 LXX). Non, tu n’as pas connu la corruption. Tu es ressuscité et, à la chair transformée, tu as ouvert un espace dans le cœur de Dieu. Fais que nous puissions nous réjouir de cette espérance et que nous puissions la porter joyeusement au monde, fais de nous des témoins de ta résurrection.
Acclamations. Pater noster
Quando corpus morietur, fac ut animæ donetur paradisi gloria. Amen.
(Au moment où mon corps mourra, fais qu’à mon âme soit donnée la gloire du Paradis. Amen).