Confusion entretenue sur la situation des divorcés remariés

En intro­duc­tion aux tra­vaux du Consistoire extra­or­di­naire des 20 et 21 février 2014, le car­di­nal Walter Kasper, ancien pré­sident du Conseil pon­ti­fi­cal pour la pro­mo­tion de l’u­ni­té des chré­tiens, a expo­sé les condi­tions d’un pos­sible accès à la com­mu­nion pour les couples divor­cés rema­riés. A l’is­sue de son inter­ven­tion à huis clos, devant 150 car­di­naux venus du monde entier, le direc­teur du Bureau de presse du Saint-​Siège a indi­qué que le dis­cours de près de deux heures du pré­lat alle­mand ne serait pas ren­du public. Le texte a cepen­dant été publié le 1er mars par le quo­ti­dien ita­lien Il Foglio.

Dans cet expo­sé, le car­di­nal Kasper a indi­qué qu’il « posait des ques­tions » et qu’il appar­tien­dra au Synode des évêques de « don­ner une réponse, en accord avec le pape ». Toutefois, au fil du dis­cours, ces ques­tions deviennent des pro­po­si­tions de solu­tion… et le car­di­nal en vient à énon­cer cinq condi­tions qui, selon lui, per­met­traient d’en­vi­sa­ger un accès à la com­mu­nion pour les divor­cés rema­riés, consi­dé­rant dans cette situa­tion le sacre­ment comme une « planche de salut », sur le modèle de ce que pou­vait pro­po­ser l’Eglise primitive.

Si le divor­cé remarié :

  1. Se repend de l’é­chec de son mariage ;
  2. A éclair­ci les obli­ga­tions de son pre­mier mariage, s’il est défi­ni­ti­ve­ment exclu qu’il retourne en arrière ;
  3. S’il ne peut aban­don­ner sans d’autres fautes les enga­ge­ments pris avec son nou­veau mariage civil ;
  4. S’il essaie cepen­dant de vivre au mieux son second mariage, dans la foi, et en édu­quant les enfants dans la foi ;
  5. S’il a le désir des sacre­ments comme source de force dans sa situation.

Le car­di­nal Kasper assure – faute de pou­voir ras­su­rer – qu’une telle solu­tion ne serait pas une « solu­tion géné­rale », « il ne s’a­gi­rait pas de l’ample route pour les masses, mais bien du che­min étroit de la par­tie pro­ba­ble­ment la plus petite des divor­cés rema­riés, véri­ta­ble­ment inté­res­sés à rece­voir les sacrements ».

Dans le cas des divor­cés rema­riés convain­cus de l’in­va­li­di­té de leur pre­mier mariage, le car­di­nal alle­mand remet en ques­tion la voie judi­ciaire comme « seul moyen pour résoudre le pro­blème » puisque les « tri­bu­naux ecclé­sias­tiques ne sont pas jure divi­no (de droit divin), mais se sont déve­lop­pés his­to­ri­que­ment », et pro­pose que l’é­vêque puisse confier la pro­cé­dure « à un prêtre avec une expé­rience spi­ri­tuelle et pas­to­rale, en tant que péni­ten­cier ou vicaire épis­co­pal ». Tout en ayant soin de pré­ci­ser que « cher­cher la solu­tion du pro­blème dans un élar­gis­se­ment géné­reux de la pro­cé­dure de nul­li­té du mariage serait une erreur » !

L’exposé tout en cir­con­vo­lu­tion du car­di­nal Kasper a été vive­ment appré­cié par le pape François qui en ouvrant la 2e jour­née du Consistoire, le 21 février, a décla­ré : « Hier, avant de m’en­dor­mir, mais non pas pour m’en­dor­mir, j’ai relu le tra­vail du car­di­nal Kasper et je vou­drais le remer­cier car j’y ai trou­vé une théo­lo­gie pro­fonde et une pen­sée sereine de la théo­lo­gie ». « J’ai aus­si trou­vé ce que saint Ignace nous disait, le sen­sus Ecclesiae, l’a­mour de notre mère l’Eglise, (…) cela s’ap­pelle faire de la théo­lo­gie à genoux ».

Moins impres­sion­né, le car­di­nal Gerhard Ludwig Müller, pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi, décla­rait le 25 février aux jour­na­listes que la doc­trine de l’Eglise sur la ques­tion des divor­cés rema­riés était claire et qu’il était impos­sible de la chan­ger. « Nous devons cher­cher de quelle façon déve­lop­per la pas­to­rale pour le mariage, mais pas uni­que­ment pour les per­sonnes divor­cées rema­riées », a sou­li­gné le haut pré­lat. Car, « on ne peut pas se foca­li­ser en per­ma­nence sur cette seule ques­tion, à savoir si elles peuvent ou non rece­voir la com­mu­nion ». Il ne faut pas oublier que « les pro­blèmes et les bles­sures sont le divorce, les enfants qui n’ont plus leurs parents et doivent vivre avec des per­sonnes qui ne sont pas leurs parents », a‑t-​il souligné.

Si de nou­velles voies peuvent être explo­rées, ce sera sans aller contre « la volon­té de Jésus », a indi­qué le car­di­nal Müller, rap­pe­lant l’im­por­tance de l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage. Ces nou­velles voies, a‑t-​il pré­ci­sé, doivent aller dans le sens d’un appro­fon­dis­se­ment de la doc­trine pour les fidèles. « Beaucoup ne la connaissent pas et pensent que le mariage est seule­ment une fête que l’on célèbre à l’é­glise, a‑t-​il pour­sui­vi, nous devons aider ces per­sonnes qui se trouvent dans une situa­tion très dif­fi­cile, mais si le mariage est indis­so­luble, il est impos­sible de le dissoudre ».

« Il n’y a pas de solu­tion, a‑t-​il ajou­té, car le dogme de l’Eglise n’est pas une théo­rie quel­conque faite par quelques théo­lo­giens, c’est la doc­trine de l’Eglise, rien de moins que la parole de Jésus-​Christ qui est très claire ». Et d’in­sis­ter : « Je ne peux pas chan­ger la doc­trine de l’Eglise ». Déplorant que la doc­trine de l’Eglise soit si mécon­nue : « On ne peut pas réduire la révé­la­tion et la parole de Jésus-​Christ parce que de nom­breux catho­liques ne connaissent pas la réa­li­té », a‑t-​il encore affirmé.

Le même jour, 25 février, dans un entre­tien accor­dé au site alle­mand katho​lish​.de, le car­di­nal Reinhard Marx, arche­vêque de Munich-​Freising en Allemagne et membre du Conseil des huit car­di­naux char­gés d’as­sis­ter le pape dans la réforme de la curie, a affir­mé qu”« aucune déci­sion n’a­vait encore été prise » sur l’ac­cès à la com­mu­nion pour les per­sonnes divor­cées rema­riées. « L’indissolubilité du mariage n’est pas un devoir moral pour l’homme mais une pro­messe » (sic), a décla­ré le car­di­nal alle­mand pour qui les sacre­ments ne sont pas des « ins­tru­ments dis­ci­pli­naires », mais des « moyens de gué­ri­son ». Dans le même entre­tien, le pré­lat a recon­nu que de « fortes oppo­si­tions » s’é­taient mani­fes­tées après le dis­cours du car­di­nal Kasper.

Le 1er mars sur le site Corrispondenza roma­na, le pro­fes­seur Roberto de Mattei a publié une ana­lyse du dis­cours du car­di­nal Kasper inti­tu­lée « La révo­lu­tion cultu­relle du car­di­nal Kasper », et il explique en quoi consiste cette révo­lu­tion : « La doc­trine ne change pas, la seule nou­veau­té concerne la pra­tique pas­to­rale. Le slo­gan, désor­mais répé­té depuis un an, d’une part ras­sure ces conser­va­teurs qui mesurent tout en termes de décla­ra­tions doc­tri­nales, d’autre part encou­rage les pro­gres­sistes qui attachent peu de valeur à la doc­trine, et confient tout à la pri­mau­té de la pra­tique ». En effet, pour­suit l’u­ni­ver­si­taire ita­lien : « Le point de départ du car­di­nal Kasper est la consta­ta­tion qu’entre la doc­trine de l’Eglise sur le mariage et la famille, et les convic­tions vécues par de nom­breux chré­tiens, il s’est créé un abîme ». La méthode à adop­ter, selon Kasper, pour­suit Roberto de Mattei, est celle sui­vie par le concile Vatican II sur la ques­tion de l’œ­cu­mé­nisme et la liber­té reli­gieuse : chan­ger la doc­trine, sans mon­trer qu’on la modi­fie. « Le Concile – affirme le pré­lat alle­mand – sans vio­ler la tra­di­tion dog­ma­tique contrai­gnante a ouvert des portes ». – Et « les fumées de Satan » s’y sont glissées…

Sources : apic/​imedia/​ilfoglio/​chiesa/​corrispondenzaromana – du 14/​03/​14