Analyse : le Concile Vatican II est-​il indiscutable ? DICI

Image d'archive de l'ouverture du Concile Vatican II

Résumé : A cette ques­tion, les évêques fran­çais ont répon­du dans une décla­ra­tion du Conseil per­ma­nent de la Conférence épis­co­pale, en date du 28 jan­vier : « En aucun cas le concile Vatican II ne sera négociable »…

A cette ques­tion, les évêques fran­çais ont répon­du dans une décla­ra­tion du Conseil per­ma­nent de la Conférence épis­co­pale, en date du 28 jan­vier : « En aucun cas le concile Vatican II ne sera négo­ciable ». Alors que le décret romain du 21 jan­vier par­lait d’« entre­tiens néces­saires » sur des « ques­tions encore ouvertes » ! La note de la Secrétairerie d’Etat du 4 février, pour sa part, décla­rait : « La condi­tion indis­pen­sable pour une future recon­nais­sance de la Fraternité Saint-​Pie X est la pleine recon­nais­sance du Concile Vatican II et du Magistère des Papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-​Paul Ier, Jean-​Paul II et de Benoît XVI lui-​même », tout en réaf­fir­mant pour­tant ce que disait le décret du 21 jan­vier : « Le Saint-​Siège ne man­que­ra pas, selon les moda­li­tés rete­nues oppor­tunes, d’approfondir avec les inté­res­sés les ques­tions encore ouvertes, afin de pou­voir par­ve­nir à une solu­tion pleine et satis­fai­sante des pro­blèmes qui ont été à l’origine de cette frac­ture douloureuse ».

Depuis lors, les jour­na­listes, tou­jours prompts à pro­po­ser des rac­cour­cis hâtifs, se sont appuyés sur un entre­tien accor­dé par Mgr Bernard Fellay au quo­ti­dien suisse Le Courrier du 26 février, pour conclure : « La Fraternité Saint-​Pie X n’est pas prête à recon­naître Vatican II ». Cette phrase qui fait le titre de l’article, bien qu’elle soit entre guille­mets, ne se trouve pas dans les réponses du Supérieur géné­ral. Peu importe ! Elle est reprise conscien­cieu­se­ment par les agences et les jour­naux fran­çais qui voient même dans la publi­ca­tion par Fideliter de la lettre des quatre évêques de la Fraternité Saint-​Pie X au Saint-​Père, en date du 29 jan­vier, la confir­ma­tion d’un rai­dis­se­ment ! L’Agence France Presse titre ses dépêches ain­si : « La Fraternité Pie X (inté­griste) pas prête à recon­naître Vatican II (Fellay) » pour l’entretien paru dans Le Courrier (AFP, Genève, 27 février 2009) et « Les quatre évêques inté­gristes ne sont pas prêts à accep­ter Vatican II » pour la lettre du 29 jan­vier (AFP – Paris, 1er mars 2009). Le Monde du 1er mars reprend : « Les quatre évêques inté­gristes dont l’excommunication a été levée n’acceptent pas Vatican II » ; et La Croix du 2 mars enchaîne : « Les évêques lefeb­vristes expriment au pape leur refus de Vatican II ».

Au jour­na­liste du Courrier, Mgr Fellay n’avait fait que rap­pe­ler la ligne de conduite constante de la Fraternité Saint-​Pie X depuis 2000 : pas de sta­tut cano­nique avant les entre­tiens doc­tri­naux qui doivent pré­ci­sé­ment por­ter sur les textes conci­liaires qui font dif­fi­cul­té. Le Supérieur géné­ral décla­rait exac­te­ment : « Le Vatican a recon­nu la néces­si­té d’entretiens préa­lables afin de trai­ter des ques­tions de fond pro­ve­nant jus­te­ment du Concile Vatican II. Faire de la recon­nais­sance du concile une condi­tion préa­lable, c’est mettre la char­rue avant les bœufs ».

Le pro­blème vient de ce que la Note de la Secrétairerie d’Etat du 4 février déclare que la future recon­nais­sance de la Fraternité Saint-​Pie X est condi­tion­née par la pleine recon­nais­sance de Vatican II et du magis­tère des papes depuis le concile, tout en affir­mant, à la suite du Décret du 21 jan­vier, la volon­té du Saint-​Siège « d’approfondir avec les inté­res­sés les ques­tions encore ouvertes ». Là, deux ques­tions se posent :

1. Les entre­tiens que le Décret qua­li­fie même de « néces­saires », ne doivent-​ils pas por­ter sur le concile ? En ce cas, on se demande quel sera leur objet.

2. Le Concile Vatican II qui s’est vou­lu « pas­to­ral » est-​il deve­nu un dogme indis­cu­table ? Et dans cette hypo­thèse, les évêques de France ont rai­son : « En aucun cas le Concile Vatican II ne sera négociable ».

Plutôt que de cher­cher à répondre à ces ques­tions avec les argu­ments expo­sés par la Fraternité Saint-​Pie X depuis de nom­breuses années, nous vou­lons aujourd’hui ouvrir nos colonnes à un reli­gieux ita­lien atta­ché au concile et fervent par­ti­san de l’« her­mé­neu­tique de la conti­nui­té » déve­lop­pée par Benoît XVI dans son dis­cours à la curie en décembre 2005. Il s’agit du Père Giovanni Scalese, des Clercs régu­liers de Saint-​Paul, qui après avoir ensei­gné à Bologne et à Florence, se trouve actuel­le­ment mis­sion­naire en Asie. Sur son site quer​cu​la​nus​.blog​spot​.com, il consa­crait une étude, en juin 2008 – bien avant le décret du 21 jan­vier der­nier -, à la ques­tion du concile et de son « esprit ».

Ce texte fait preuve d’une hon­nê­te­té intel­lec­tuelle et d’un sens des dis­tinc­tions à opé­rer très rares aujourd’hui. Il prouve, si besoin en était, que la Fraternité n’est pas seule à se poser des ques­tions sur les fruits du concile, sur sa valeur et son inter­pré­ta­tion. Voici quelques extraits de cette étude, les inter­titres et les sou­li­gne­ments sont de la rédac­tion de DICI.

Les fruits du concile

« Ce fut une pieuse illu­sion de pen­ser qu’il suf­fi­sait d’un concile pour réno­ver l’Église. Au contraire, il sem­ble­rait que les effets du Concile aient été oppo­sés à ceux espé­rés : la réforme litur­gique a ren­du les églises désertes ; le renou­vel­le­ment des caté­chèses a répan­du l’ignorance reli­gieuse ; la réforme de la for­ma­tion sacer­do­tale a vidé les sémi­naires ; la moder­ni­sa­tion de la vie reli­gieuse met en dan­ger l’existence de beau­coup d’instituts ; l’ouverture de l’Église au monde, au lieu de favo­ri­ser la conver­sion du monde, a signi­fié la « mon­da­ni­sa­tion » de l’Église elle-​même. Il est vrai que nous devons consi­dé­rer ces choses avec un cer­tain déta­che­ment et avec un sens his­to­rique : l’Église a affron­té dans le pas­sé bien d’autres dif­fi­cul­tés et elle les a tou­jours heu­reu­se­ment dépassées.

C’est pour­quoi, si nous croyons, il n’y a pas de quoi s’inquiéter tant que ça. Mais un fait est cer­tain : nous atten­dions la « nou­velle Pentecôte », et il est venu la Semaine Sainte ; nous atten­dions le « prin­temps de l’Esprit », et sont arri­vées les brouillards de l’automne. » – Mgr Fellay disait dans son entre­tien au Courrier : « Ces acquis (de Vatican II) sont de pures pertes : les fruits du concile ont été de vider les sémi­naires, les novi­ciats et les églises. Des mil­liers de prêtres ont aban­don­né leur sacer­doce et des mil­lions de fidèles ont ces­sé de pra­ti­quer ou se sont tour­nés vers les sectes. La croyance des fidèles a été déna­tu­rée. Vraiment, ce sont de drôles d’acquis ! »

Un concile pastoral

« Vatican II a été convo­qué et s’est pré­sen­té lui-​même comme « Concile pas­to­ral ». Que je sache, c’était la pre­mière fois dans l’histoire de l’Église qu’était convo­qué un Concile pas­to­ral. Tout au plus, il y avait eu des conciles dis­ci­pli­naires, qui, comme par hasard avaient tous connu de reten­tis­sants échecs (comme cela se pro­dui­sit pour le Concile Latran V, qui peu avant le Concile de Trente avait ten­té en vain de réfor­mer l’Église de l’époque) ; mais des conciles pas­to­raux, jamais. Habituellement les conciles étaient convo­qués pour défi­nir la doc­trine en laquelle croire ; cette fois par contre cela était exclu ex pro­fes­so : « Le but prin­ci­pal de ce Concile n’est pas la dis­cus­sion de tel ou tel thème de la doc­trine fon­da­men­tale de l’Église… Pour cela, il n’y a pas besoin de Concile… Il est néces­saire que cette doc­trine cer­taine et immuable, qui doit être fidè­le­ment res­pec­tée, soit appro­fon­die et pré­sen­tée de sorte qu’elle réponde aux exi­gences de notre temps… On devra recou­rir à une manière de pré­sen­ter les choses qui cor­res­ponde le mieux à un ensei­gne­ment de carac­tère sur­tout pas­to­ral » (Jean XXIII, Discours d’ouverture du Concile, 11 octobre 1962).

« Donc, le pro­blème n’était pas de défi­nir la doc­trine (puisque déjà défi­nie), mais de trou­ver une nou­velle manière de la pré­sen­ter. Objectif plus que légi­time pour l’Église, qui n’a pas seule­ment le devoir de défi­nir et gar­der la véri­té, mais aus­si celui de la répandre.

Mais on pour­rait objec­ter encore une fois, en employant les paroles mêmes du Pontife : Pour cela, fallait-​il un Concile ? Ne réalisait-​on pas que, s’agissant non pas de ques­tions doc­tri­nales, mais seule­ment de stra­té­gies pas­to­rales, on cou­rait le risque de faire un effort immense, des­ti­né à être très vite dépas­sé par le cours des évé­ne­ments ? Ne se rendait-​on pas compte qu’en fai­sant ain­si, on don­nait à ce Concile un carac­tère réso­lu­ment contin­gent, lié au carac­tère tran­si­toire de ce moment his­to­rique ? Personne ne peut igno­rer que le monde d’aujourd’hui est tota­le­ment dif­fé­rent de celui d’il y a qua­rante ans. Pouvons-​nous consi­dé­rer comme encore actuelle dans le monde d’aujourd’hui, mar­qué par le désen­chan­te­ment, sinon le pes­si­misme et par le déses­poir, la Constitution Gaudium et spes, avec son opti­misme naïf ? » – Dès lors, affir­mer qu’en aucun cas « le concile ne sera négo­ciable », n’est-ce pas impo­ser dog­ma­ti­que­ment à l’Eglise une « stra­té­gie pas­to­rale » aujourd’hui caduque ?

Comment interpréter le Concile ?

« Le Concile doit être inter­pré­té à la lumière de la tra­di­tion inin­ter­rom­pue de l’Église. Rien à redire à cela. A moins d’indiquer d’autres cri­tères d’herméneutique.

« Premier par­mi tous, jus­te­ment, la consi­dé­ra­tion du carac­tère spé­ci­fique du Concile : si nous vou­lons inter­pré­ter cor­rec­te­ment Vatican II, nous devons tou­jours nous rap­pe­ler qu’il s’agit, comme nous le disions, d’un Concile pas­to­ral : cela signi­fie qu’il a un carac­tère contin­gent, lié aux condi­tions de l’Église et du monde du temps dans lequel il s’est dérou­lé. Nous ne pou­vons pas abso­lu­ti­ser Vatican II. Et au contraire, c’est exac­te­ment ce qui s’est pas­sé : ce qu’il avait vou­lu être, et avait effec­ti­ve­ment été, un Concile pas­to­ral (et donc avec toutes les limites que cela com­por­tait), à un cer­tain point est deve­nu plus contrai­gnant qu’un Concile dog­ma­tique.

On pou­vait mettre en dis­cus­sion tous les dogmes de la foi catho­lique, mais gare à mettre Vatican II en dis­cus­sion. Un exemple de cette absur­di­té : la récon­ci­lia­tion avec les lefeb­vristes à ce jour est subor­don­née à une accep­ta­tion incon­di­tion­nelle du Concile. Mais ne se rend-​on pas compte de l’absurdité ? Dans le dia­logue œcu­mé­nique, on s’efforce jus­te­ment de déter­mi­ner l’essentiel sur lequel nous pou­vons tous nous retrou­ver d’accord (in neces­sa­riis uni­tas), négli­geant les diver­si­tés acci­den­telles (in dubiis liber­tas) ; à l’intérieur de l’Église catho­lique ce qui nous unit ne serait plus la même foi, mais l’acceptation d’un Concile qui s’était lui-​même défi­ni comme pas­to­ral ! » – Sans com­men­taires.

Revenir à la lettre du concile

« Il ne s’agit pas ici de cri­mi­na­li­ser qui que ce soit, encore moins le pauvre Paul VI, qui fit tout pour s’opposer aux inter­pré­ta­tions extré­mistes du Concile. Mais tel était mal­heu­reu­se­ment le cli­mat ; tous en furent d’une cer­taine façon conta­mi­nés et, peut-​être en toute bonne foi, ils furent ame­nés à se déta­cher de la lettre de ce Concile.

« L’« esprit du Concile » a été comme un poi­son qui a péné­tré l’Église dans toutes ses fibres. Si main­te­nant nous vou­lons assai­nir l’Église, nous ne devons pas annu­ler le Concile, mais le libé­rer du pré­ten­du « esprit du Concile ». Quel est l’antidote ? Revenir à la lettre du Concile, dans laquelle s’exprime le vrai esprit du Concile, qui est aus­si l’esprit de la tra­di­tion inin­ter­rom­pue de l’Église. (…)

« Par consé­quent, pour autant qu’il soit légi­time de dis­cu­ter sur le Concile, nous devons admettre que, si on veut trou­ver un point d’équilibre entre les dif­fé­rentes « âmes » de l’Église, on ne le trou­ve­ra pro­ba­ble­ment que dans la lettre du Concile lui-​même, fruit des efforts des pères conci­liaires, de la sage média­tion de Paul VI et, sur­tout, de l’assistance de l’Esprit Saint. » – Ici nous diver­geons. Le Père Scalese consi­dère, avec Benoît XVI, qu’un retour à la lettre du concile ser­vi­rait de contre­poi­son à l’« esprit du Concile », esprit de rup­ture s’écartant d’une lettre en conti­nui­té avec la Tradition. Il nous semble que la lettre du Concile fut trop sou­vent le fruit d’un com­pro­mis entre pro­gres­sistes et tra­di­tio­na­listes pour n’être pas elle-​même com­pro­mise, c’est-à-dire au moins équi­voque. Et sur cette ques­tion, il peut et il doit y avoir place pour des « entre­tiens nécessaires » !