Q : Monseigneur, comment réagissez-vous au Motu proprio Summorum Pontificum tant attendu ? Quelles sont les réactions des autres évêques et des prêtres de la FSSPX ?
R : Puisque je reviens à peine de voyage, je n’ai pas entendu grand chose. Je n’ai donc pas pu voir les réactions des prêtres jusqu’à présent.
Toutefois, je sais qu’au moins trois des quatre évêques sont satisfaits du Motu proprio. Le quatrième l’est probablement aussi, mais je ne puis vous le confirmer puisqu’il ne m’a toujours pas fait part de ses impressions.
J’insisterai sur deux choses ; sur le Motu proprio lui-même : il est très clair qu’il permet – et cela de façon beaucoup plus large que ce à quoi nous nous attendions– la célébration de la messe tridentine et de toutes les liturgies précédentes, c’est-à-dire non seulement la messe, mais aussi le bréviaire et le rituel.
Je pense que cette date et ce Motu proprio sont des événements historiques significatifs dans l’histoire de l’Église et de l’après-concile Vatican II. Il faut en prendre bonne note. Je crois que c’est très important.
Toutefois, cela ne veut pas dire que tout est parfait, surtout quand nous regardons le Motu proprio à travers la lettre [aux évêques]. Cette lettre demeure, si j’ose dire, le langage habituel du Vatican. C’est assez regrettable.
Il y a des choses intéressantes dans cette lettre, comme le passage où le pape dit qu’il agit là pour des raisons de réconciliation à l’intérieur même de l’Église ; ce qui veut dire que nous ne sommes pas hors de l’Eglise. C’est très intéressant.
Néanmoins, cette lettre doit être comprise comme une lettre à portée politique qui représente certainement la pensée personnelle de Benoît XVI, bien qu’elle ait des passages malheureux, surtout lorsqu’il insiste sur la nécessité de reconnaître la valeur et la sainteté de la nouvelle messe. Il veut jouer sur les deux tableaux à la fois. Et les évêques modernes qui sont progressistes sauteront sur l’occasion immédiatement pour tenter de démanteler le Motu proprio.
Q : Puisque la première condition préalable est maintenant acquise pour le bien de l’Église – la libéralisation de la messe traditionnelle – qu’envisagez-vous quant à la levée du décret d’excommunication contre les évêques de la FSSPX ? Avez-vous été en contact avec la Commission pontificale Ecclesia Dei depuis janvier 2007 ?
R : Je n’ai eu aucune conversation, discussion ou relation avec eux. Cela d’une part. Et d’autre part, du côté de Rome, pour autant que je sache, ils considèrent la levée des décrets d’excommunication moins difficile à faire que le Motu proprio. C’est la seule réponse que je puis vous faire.
Q : Monseigneur, cela est assez surprenant. Quelle indication avez-vous du Saint-Siège à ce sujet ?
R : Ce sont les mots mêmes du cardinal Castrillón [dans la lettre jointe] quand il m’a fait parvenir le Motu proprio [une semaine avant la publication de Summorum Pontificum]. C’était le premier contact entre le cardinal et moi depuis le 15 novembre 2005.
Q : Croyez-vous que le Saint-Siège attende un geste ou une lettre de la part de la FSSPX demandant la levée des excommunications avant qu’ils ne considèrent quelle qu’action que ce soit ?
R : Je n’en sais rien (rires). Action publique ou non, peu m’importe. Il est certain qu’après cela [la libéralisation du rite traditionnel], ils s’attendront à certains contacts. Mais notre ligne demeure très claire, alors il ne faut pas trop s’attendre à des surprises.
Q : Pour mettre les choses au clair, Monseigneur, dans la lettre du cardinal Castrillón que vous avez reçue une semaine avant la publication du Motu proprio, le bon cardinal indiquait-il qu’il s’attendait à un suivi de la part de la Fraternité ?
R : Non. Il n’y avait que des attentes très générales sur le fait que cela conduirait à la réconciliation, ce qui peut se comprendre de plusieurs manières.
Q : Ce matin, 10 juillet 2007, la Congrégation pour la doctrine de la foi ( CDF ) a publié un document qui définit le fameux « subsistit in » et les développements doctrinaux qui en découlent pour l’ecclésiologie. Ce document est intitulé « De certains aspects de la doctrine sur l’Église ». Les médias ont réagi comme si deux bombes nucléaires avaient explosé. En trois jours, la libéralisation de la messe traditionnelle le 7 juillet, et aujourd’hui la réaffirmation que l’Église catholique est la seule vraie Église, que les Églises orthodoxes et les communautés ecclésiales protestantes présentent des déficiences. Il semble que ce dernier document veuille tenter de clarifier certaines considérations théologiques liées à des passages ambigus de documents clés de Vatican II. Quelle est votre réaction ?
R : Ma réaction ? Dans notre déclaration à propos du Motu proprio, nous avons souligné que certains passages confus de la « Lettre aux évêques » allaient nécessiter des discussions théologiques sérieuses. Ce document, qui nous dit qu’un cercle est un carré, renforce ce sentiment.
Vous avez là une parfaite illustration de ce que nous répétons depuis six ans : que Rome demeure dans la confusion doctrinale parce qu’on ne semble guère s’y préoccuper du principe de non-contradiction. Ce document n’éclaircit rien, mais on nous y assure encore une fois que « oui » veut dire « non ».
Q : Pourriez-vous nous donner un exemple, Monseigneur ?
R : Bien sûr. Un tel exemple serait précisément la question posée par le document romain à propos du « subsistit in ». La question est : Pourquoi utiliser l’expression « subsistit in » et non pas « est » ? Vous lisez la réponse et vous ne pouvez rien conclure. Ils disent que c’est « est » et qu’il y a identité entre l’Église du Christ et l’Église catholique et qu’il n’y a pas de changement de doctrine. Mais la phrase suivante est précisément un changement de doctrine. Alors … C’est une contradiction. Dans son sermon à Écône, Mgr Williamson soulignait que Rome dit que deux et deux font quatre, mais que parfois cela fait aussi cinq. Ce document en est une parfaite illustration.
Le seul élément positif est que les protestants n’ont plus le droit au titre d’Église. Bon ! En plus, c’est une confirmation de ce que nous disons. Mais sur le fond, ce texte tente de nous faire croire qu’il n’y a pas de contradiction entre les doctrines de l’Église passée et celles de Vatican II. Et nous insistons en disant que Vatican II n’est pas en harmonie, et même enseigne des erreurs contraires à l’enseignement traditionnel, surtout en matière d’œcuménisme. Et ici vous retrouvez les deux : l’enseignement passé et celui de Vatican II.
Q : Deux sociétés sacerdotales – récemment l’Institut du Bon Pasteur en France et auparavant l’administration apostolique des prêtres de Saint-Jean-Marie-Vianney de Mgr Fernando Rifan – se sont réconciliées avec le Saint-Siège. Rome a permis à ces groupes de traditionalistes de s’en tenir aux formes exprimant la foi catholique en usage avant Vatican II tout en acceptant Vatican II comme concile œcuménique réel et valide. De plus, il leur est permis une étude théologique constructive sur les possibles ambiguïtés des documents conciliaires. Qu’est-ce qui empêche la FSSPX d’en faire autant ?
R : Ce texte confirme tous nos reproches contre les ambiguïtés de Vatican II et des documents postérieurs. C’est là un superbe exemple d’ambiguïté et sans doute n’est-on jamais allé aussi loin dans l’exercice qui consiste à marier ce qui ne pouvait pas l’être, en prétendant que ne pas prendre position, c’est avoir une position claire.
Donc, la nécessité d’avoir des discussions doctrinales avant d’en arriver à un accord pratique est une fois de plus manifeste à partir de ce nouveau document. C’est une illustration remarquable du besoin et de l’importance de traiter de ces questions avant d’aller plus loin.
Q : Mgr Lefebvre a signé les 16 documents de Vatican II. Après le concile, il a été très critique sur ces documents ; il a même fait parvenir au Saint-Siège desdubia demandant des éclaircissements sur la liberté religieuse. Toutefois, Mgr Lefebvre n’a jamais rejeté tous les document du Deuxième concile du Vatican.
R : Nous non plus. Il ne s’agit pas d’accepter ou de rejeter. Les questions qui se posent sont : « Ces documents sont-ils bons ? Nourrissent-ils la foi ? Sont-ils utiles à la survie de l’Église ou non ? »
Et plus le temps passe, plus nous voyons des ambiguïtés dans ce concile – qui, à un certain moment, semblait pouvoir être correctement interprété en accord avec la Tradition, nonobstant les erreurs manifestes –, mais plus le temps passe et plus cela apparaît comme une tâche impossible.
Q : Monseigneur, croyez-vous que la destruction de l’Église tient à ce que les document n’ont pas été appliqués à la lettre ou plutôt parce qu’il y avait de possibles erreurs ou des ambiguïtés dans les documents eux-mêmes ?
R : Je vous dirai que ce ne sont pas tous les documents qui sont pleins d’ambiguïtés, mais la plupart d’entre eux. Et plus nous les étudions, plus nous voyons que ces ambiguïtés tiennent à la lettre même de ces documents.
Des ambiguïtés, cela signifie qu’il existe au moins deux façons de comprendre ces documents et de les interpréter. Pour un document censé émaner de la plus haute autorité de l’Église – un concile œcuménique – cela est terriblement dommageable. C’est une terrible tragédie. Ces ambiguïtés, vous les trouverez presque partout dans ces documents. En plus des trois erreurs majeures de l’œcuménisme, de la liberté religieuse et de la collégialité, il y a des ambiguïtés partout.
Cela n’est pas un esprit catholique. C’est cet esprit moderne et progressiste qui a été en partie condamné par Benoît XVI, mais qui a par le fait même été en partie approuvé par lui. Nous tournons en rond. Et je le répète, ce document [« De certains aspects de la doctrine sur l’Église »] est un exemple parfait d’ambiguïtés et de déclarations contradictoires.
Q : Dans un entretien du 8 juillet 2007 accordé à Il Giornale, le cardinal Castrillón a mentionné spécifiquement la FSSPX en disant : « Avec ce Motu proprio, la porte est largement ouverte pour que la Fraternité Saint-Pie X soit en communion complète. Si après cet acte le retour n’a pas lieu, je ne comprendrai pas. Je tiens à souligner que le document pontifical n’a pas été fait à l’intention des seuls lefebvristes, mais bien plutôt parce que le pape est convaincu du besoin de souligner qu’il y a continuité avec la tradition et que l’Église ne procède pas par ruptures. L’ancienne messe n’a jamais été abolie ou interdite. » Quelle est votre réaction ?
R : Ce Motu proprio est certainement un pas dans notre direction. Sans doute Rome désire-t-elle donner suite à notre premier préalable. Cela est bien. Est-ce suffisant pour dire : « Maintenant, il n’y a plus de problème » ? Eh Bien ! Regardez simplement le texte de la Congrégation pour la doctrine de la foi publié aujourd’hui et vous avez la réponse.
Écoutez, c’est un pas dans la bonne direction, mais cela ne veut pas dire que tous les problèmes sont maintenant résolus. Certainement pas.
Q : Ces deux dernières années, lors de plusieurs entretiens accordés à des médias aussi bien laïcs que catholiques, le cardinal Castrillón a répété que la FSSPX n’était pas formellement schismatique, mais pour plusieurs catholiques, cela semble hélas être tombé dans des oreilles de sourds. À votre avis, qu’est-ce qui motive une telle attitude ?
R : Cela montre que Rome veut mettre fin à cette division apparente dans l’Église. C’est une pierre dans leur jardin parce que Rome désire l’unité. Ils réalisent tout cet œcuménisme pour arriver à l’unité, mais il y a une division apparente, manifeste, en interne, dans l’Église ! Comment pouvez-vous prétendre réussir à faire l’unité avec des gens qui sont à l’extérieur, quand vous ne pouvez même pas la faire avec ceux qui sont à l’intérieur ? C’est une contradiction.
Ainsi, pendant qu’ils s’escriment à faire de l’œcuménisme, il est de leur devoir de mettre fin à ces divisions internes. Maintenant, le problème tient à ce que les moyens utilisés sont trop superficiels. C’est parfait s’ils veulent utiliser ces moyens, mais cela ne mettra pas fin aux causes de la division.
Q : Monseigneur, qu’entendez-vous par « superficiels » ?
R : Si vous dites : « Signons une entente », cela est superficiel. Signer un simple bout de papier est superficiel.
Si vous dites : « Entendons-nous sur une formule acceptable par les deux parties, mais chacun continuera à penser comme bon lui semble », cela est superficiel. La vraie entente, c’est quand vous êtes d’accord sur la vérité. Ce n’est pas superficiel.
Q : Certains dans l’Église affirment que la FSSPX est en situation de schisme ; que répondez-vous aux questions suivantes : « Quand donc 6 000 schismatiques ont-ils prié à Rome pendant le jubilé de l’an 2 000 ? Quand donc jusqu’à présent des schismatiques ont-ils envoyé un bouquet spirituel de 2,5 millions de chapelets au Saint Père ? »
R : Et nous avons un argument encore meilleur dans la lettre du pape jointe au Motu proprio sur la messe, où le Saint-Père affirme qu’il s’agit d’une affaire interne à l’Église catholique. Dans l’Église, donc.
Cela dit clairement qu’il n’est pas question de schisme. Il s’agit d’une dispute interne qui appelle une réconciliation à l’intérieur de l’Église. Ce sont donc les paroles mêmes du « patron ». Notre pape dit que ce n’est pas un schisme.
Q : Pourtant certains catholiques, entichés de la nouvelle ecclésiologie de la communion « partielle » et « entière » (jamais ils ne considèreraient les protestants comme des schismatiques ou des hérétiques, mais bien plutôt comme des « frères séparés »), sont les premiers à traiter la FSSPX de schismatique et à prétendre qu’elle est hors de l’Église. De manière assez inconsistante, ils utilisent alors pour ce faire l’ecclésiologie préconciliaire du « dans » ou du « hors » de l’Église. N’y a‑t-il pas là comme une ironie ? Votre avis Monseigneur ?
R : Exactement. Pour notre part, nous utilisons toujours l’ancienne formule.
Q : Dans le récent document de la Congrégation de la foi sur la doctrine de l’Église, en réponse à la question à propos de l’usage adéquat du terme ‘Église’ pour les Orthodoxes, en se basant sur le décret du concile Vatican II sur l’œcuménisme, on peut lire ce qui suit : « Ainsi donc, par la célébration de l’Eucharistie du Seigneur en chaque Église particulière, l’Église de Dieu s’édifie et grandit ». Considérant combien ce texte est explicitement positif et encouragent à propos de la célébration de l’eucharistie (et par extension, pour les autres sacrements) par les schismatiques orientaux, qui ne sont pas en communion complète avec le Saint-Siège, et qui n’acceptent ni la morale ni tous les dogmes de la foi catholique, n’est-il pas ironique de constater que tant d’évêques, de prêtres, de laïcs n’étendront pas la même attitude positive et charitable à « la célébration de l’Eucharistie du Seigneur », quand elle est offerte par des prêtres qui sont à l’intérieur de l’Église et qui ont sa foi et sa morale ? Pouvez-vous imaginer une majorité de catholiques adhérant fidèlement à l’énoncé suivant : « Ainsi donc, par la célébration de l’Eucharistie du Seigneur en chaque chapelle de la FSSPX, l’Église de Dieu s’édifie et grandit » ? N’est-ce pas paradoxal ?
R : Bien sûr. Vous pouvez dire que c’est là un argument ad hominem. Laissez-moi le formuler très précisément. Nous pouvons facilement affirmer que dans la Fraternité, nous avons la célébration de l’eucharistie. Nous avons la succession apostolique. Alors, selon l’extrait que vous citez, nous contribuons à l’édification et à la grandeur de l’Église de Dieu. Assurément.
Nous sommes dans l’Église catholique, point c’est tout ! Nous n’avons jamais prétendu être une entité indépendante [autrement dit, une « Église » séparée comme les « orthodoxes »].
Q : Un dernier commentaire ?
R : Je crois que tous ces documents ne devraient jamais être lus dans une sorte d’absolu. Ils doivent être replacés dans leur contexte. Et le contexte actuel, c’est que nous avons toujours sur les bras une tragédie et une crise majeure dans l’Église.
Ce qui signifie que même à propos d’un événement qui tend vers le bien de l’Église – comme ce document sur la messe–, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que soudainement tout soit parfait. Il ne faut pas se faire d’illusions.
Aussi lorsque nous saluons cet acte courageux du pape à l’heure présente, ce n’est qu’un premier pas. Cela ne signifie pas que le combat ou la crise sont terminés. Il est très important de voir comment ce document sera appliqué dans la réalité. Maintenant qu’il a été dit que la messe n’a jamais été abrogée et que tout prêtre a le droit de la dire, cela sera-t-il possible ? En termes pratiques, qui veillera sur cette liberté et assurera une libre célébration de la messe tridentine ? Ce sera très intéressant. Comment réagiront les évêques ?
Je crois que tout cela est très important pour l’avenir. Si je puis me permettre – et c’est capital -, cette forme de croisade du rosaire que nous avons lancée et qui semble donner de bons fruits doit être poursuivie.
Propos recueillis par Brian Mershon