Lettre n° 70 de Mgr Bernard Fellay aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX de février 2007

Chers amis et bienfaiteurs,

epuis long­temps, nous dési­rons vous envoyer cette lettre pour vous don­ner des nou­velles de notre chère Fraternité. Nous avons dif­fé­ré son envoi car nous vou­lions vous expo­ser notre atti­tude après la publi­ca­tion du motu pro­prio annon­cé depuis quelques mois sur la per­mis­sion de la Messe de saint Pie V.

En effet, au mois d’octobre pen­dant que nous assem­blions notre bou­quet spi­ri­tuel pour obte­nir la libé­ra­tion de la sainte messe, tout sem­blait indi­quer une pro­chaine publi­ca­tion d’un motu pro­prio de Benoît XVI concer­nant cette question.

Mais il semble bien que les oppo­si­tions farouches de cer­tains épis­co­pats aient for­cé le Souverain Pontife à dif­fé­rer « un peu ».

Cet « un peu » est en train de deve­nir une durée indé­ter­mi­née, si bien que nous n’attendrons plus davan­tage pour vous don­ner quelques appré­cia­tions sur la situation.

Soyez tout d’abord vive­ment remer­ciés pour votre géné­reuse prière. Notre Chapitre s’était don­né pour but d’arriver à offrir un mil­lion de cha­pe­lets pour la fin du mois d’octobre. La mois­son fut abon­dante puisque nous avons fina­le­ment envoyé au pape un bou­quet spi­ri­tuel de deux mil­lions et demi de cha­pe­lets. Nous avons indi­qué dans notre lettre accom­pa­gnant le bou­quet que nous vou­lions mon­trer par cet acte concret notre volon­té de col­la­bo­rer à la recons­truc­tion de l’Eglise et de la Chrétienté. Il est évident pour nous que cette crise ter­rible qui afflige l’Eglise depuis le concile Vatican II ne se ter­mi­ne­ra pas sans un vaste effort et une très grande déter­mi­na­tion de la part de la hié­rar­chie, à com­men­cer pas le Vicaire du Christ. Car il s’agit en l’occurrence de vaincre non seule­ment la léthar­gie créée par une mau­vaise habi­tude, il s’agit de com­battre des erreurs et même des héré­sies, et d’autres atti­tudes tota­le­ment incom­pa­tibles avec la doc­trine de l’Eglise, Epouse du Christ et qui se sont incrus­tées dans le Corps mys­tique. On ne peut pas espé­rer de résul­tat heu­reux sans l’aide puis­sante du Ciel. C’est pour­quoi nous nous sommes tour­nés et nous nous tour­nons tou­jours vers Notre Dame et Notre Seigneur pour obte­nir un mieux dans l’Eglise.

Même si jusqu’ici le résul­tat atten­du n’est pas encore réa­li­sé, cepen­dant, en ce mois d’octobre nous avons été témoin d’une scène encore jamais vue dans ces der­nières décen­nies en ce qui concerne la messe de tou­jours. En effet, contrai­re­ment au slo­gan habi­tuel, qui attri­bue à la nos­tal­gie ou à une sen­si­bi­li­té par­ti­cu­lière l’attachement à la litur­gie latine ancienne, cette fois-​ci des argu­ments sérieux ont été évo­qués : la liber­té de la messe tri­den­tine pose des pro­blèmes doc­tri­naux, nous dit-​on ; cette messe met en dan­ger les acquis de Vatican II. Comment ne pas se réjouir de cette subite découverte ?

Si nous consi­dé­rons de près les argu­ments avan­cés cette fois-​ci, en par­ti­cu­lier dans l’épiscopat fran­çais, mais aus­si à Rome et en Allemagne, l’on s’aperçoit que les évêques ont en fait peur de cette messe. Même Rome prend un soin extrême pour ne pas désa­vouer la réforme de Paul VI lorsqu’elle esquisse la pos­si­bi­li­té d’un retour de l’ancienne Messe. La crainte des pro­gres­sistes est telle, qu’il faut jus­ti­fier à l’extrême et avec force argu­ments la per­mis­sion élar­gie de la Messe tri­den­tine. Certainement, cela explique aus­si pour­quoi jusqu’ici, nous n’avons reçu ni remer­cie­ment ni réponse, tant du Souverain Pontife que du Vatican.

De la situa­tion pré­sente, nous pou­vons et devons tirer des conclu­sions pour le futur, même si nous ne connais­sons pas encore la teneur exacte de ce fameux motu pro­prio.

1. Si nous consi­dé­rons com­ment les docu­ments romains de cette der­nière décen­nie ont été reçus par l’épiscopat et les fidèles, nous devons bien dire que ce qui domine est une très grande indif­fé­rence qui a ren­du pra­ti­que­ment inef­fi­caces les mesures que pré­co­ni­saient ces textes. Qu’il s’agisse de la place des laïcs dans la litur­gie ou plus récem­ment de pres­crip­tions litur­giques, qu’il s’agisse de la décla­ra­tion « Dominus Jesus » ou de la condam­na­tion de l’avortement et de l’euthanasie, force est de consta­ter que les docu­ments n’ont eu aucun effet réel. On peut dès à pré­sent se deman­der si le motu pro­prio ne connaî­tra pas le même sort.

2. Cependant, comme le docu­ment accorde une faveur plu­tôt qu’une res­tric­tion et que d’autre part il s’adresse à des per­sonnes qui y trouvent un grand inté­rêt, il se pour­rait bien que les attentes des fidèles et des prêtres tirent les hié­rar­chies de cer­tains pays de leur léthar­gie et les bous­culent dans leur résis­tance. C’est dans ce sens que cer­tains évêques évoquent le risque d’une anar­chie litur­gique dans leur dio­cèse. Lorsque l’on voit la mul­ti­pli­ci­té des formes qu’a prise dans le concret la nou­velle messe, on peut se deman­der d’où peut bien pro­ve­nir cette crainte de « divi­sion ». Bien au contraire, la litur­gie tra­di­tion­nelle s’est tou­jours mon­trée fac­teur d’unité, en par­ti­cu­lier par la langue sacrée du latin.

3. Il est fort peu pro­bable que ce motu pro­prio sera sui­vi d’une réac­tion de masse. Les prêtres et les fidèles qui dési­rent la litur­gie ancienne sont pro­por­tion­nel­le­ment peu nom­breux et les autres en ont per­du le goût et l’intérêt. Il fau­dra beau­coup d’efforts sérieux pour remettre à l’honneur dans toute l’Eglise le rite véné­rable et sacré qui a sanc­ti­fié des siècles et des siècles de chrétienté.

4. Ce sera plu­tôt un mou­ve­ment qui démar­re­ra len­te­ment, mais qui petit à petit pren­dra de la force, à mesure que l’on redé­cou­vri­ra les richesses et la beau­té de la litur­gie per­due. En effet, pour autant que l’on accorde à la messe tri­den­tine sim­ple­ment le droit d’exister (cette messe n’a jamais été sup­pri­mée !), elle s’imposera peu à peu, la nou­velle messe ne pou­vant riva­li­ser avec elle.

5. De toute façon, une per­mis­sion plus large de célé­brer l’ancienne messe est une béné­dic­tion pour l’Eglise. Certes la paru­tion de ce docu­ment pour­rait engen­drer « chez nous » une cer­taine confu­sion, dans le sens où cela pour­ra don­ner l’impression d’un rap­pro­che­ment entre l’Eglise offi­cielle et la Tradition. Il faut s’attendre de la part de Rome à un appel à l’unité renou­ve­lé à cette occa­sion. Pour la Fraternité, la libé­ra­li­sa­tion plus large de la sainte messe est une cause de réjouis­sance, un pas dans la direc­tion de la res­ti­tu­tion de la Tradition ; mais pour autant la méfiance de trente ans de défense et de com­bat contre « ceux qui devraient être nos pas­teurs » ne pour­ra pas être vain­cue si faci­le­ment. Il faut en effet consi­dé­rer que la nou­velle messe est bien davan­tage un effet qu’une cause de la crise qui fait souf­frir l’Eglise depuis bien­tôt qua­rante ans. En d’autres termes, notre situa­tion n’est qua­si­ment pas chan­gée par le retour de l’ancienne messe tant que celui-​ci n’est pas accom­pa­gné d’autres mesures de reprise en mains abso­lu­ment essentielles.

6. L’œcuménisme, le libé­ra­lisme et cet esprit du monde qui souille l’Epouse du Christ sont tou­jours les prin­cipes qui font vivre l’Eglise conci­liaire. Ces prin­cipes tuent l’Esprit de Dieu, l’esprit chré­tien. Il nous faut plus que jamais bien com­prendre les racines de la crise afin d’éviter de se jeter éper­du­ment dans la situa­tion nou­velle que pro­vo­que­rait la paru­tion du motu pro­prio. Il est indis­pen­sable, avant de son­ger à des mesures de régu­la­ri­sa­tion cano­nique glo­bales, de pas­ser par une dis­cus­sion de fond sur ces ques­tions. Nous espé­rons que Rome entende enfin notre demande de les faire pré­cé­der par ce que nous appe­lons des préa­lables, dont l’un d’eux pour­rait être réa­li­sé par le motu pro­prio. Pendant trente ans nous avons refu­sé de prendre le poi­son ; c’est à cause de cela que nous sommes reje­tés, et c’est encore la condi­tion (plus ou moins cachée) qu’impose Rome pour nous accep­ter. L’œcuménisme, la liber­té reli­gieuse et la col­lé­gia­li­té sont tou­jours les points incon­tour­nables sur les­quels nous buttons.

7. Jusqu’ici ce que nous venons de dire n’est que spé­cu­la­tion. Les cir­cons­tances concrètes, les dis­po­si­tions réelles du motu pro­prio deman­de­ront peut-​être d’autres précisions.

En abor­dant le Carême, sou­ve­nons nous que les dons du Ciel s’obtiennent par la prière et la péni­tence puri­fi­ca­trices. Que Dieu écoute plus volon­tiers la prière d’un cœur pur et qui s’humilie. Continuons donc notre croi­sade de prière, joignons‑y un peu de péni­tences volon­taires pour arra­cher au Ciel ce que les hommes d’Eglise ont tant de peine à don­ner à nos âmes. Même si Dieu semble ne pas écou­ter nos sup­pliques, ne nous décou­ra­geons pas. Il nous met à l’épreuve et veut nous faire gagner davan­tage de mérites encore.

En ce 1er dimanche de Carême

Le 25 février 2007

+ Bernard Fellay

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FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.