Comment envisagez-vous votre rôle au sein de la Commission Ecclesia Dei ?
La fonction du secrétaire de la Commission pontificale Ecclesia Dei est décrite pour l’essentiel dans le motu proprio Ecclesiæ unitatem : le secrétaire aide le cardinal président à diriger et guider la Commission. Celle-ci ayant son propre organigramme, le secrétaire aide le président dans la direction du personnel et dans le soin des affaires générales de la Commission.
Avez-vous été étonné ou surpris d’être nommé secrétaire de cette Commission ?
Ce fut une belle et joyeuse surprise d’apprendre la nouvelle de ma nomination par le Saint-Père. Vers lui vont ma profonde gratitude et mon obéissance inconditionnelle. Je lui suis lié également par une affection toute intérieure, du fait de notre longue collaboration au sein de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, à l’époque où celui qui était encore le cardinal Ratzinger en était préfet. Envers le cardinal William Levada, élu président de la Commission pontificale, avec lequel j’ai collaboré au dicastère pour la Doctrine de la foi de 2005 à 2009, je suis également reconnaissant pour la confiance et l’estime que j’ai toujours perçues de sa part à mon égard. J’ai toujours manifesté intérêt et sensibilité spirituelle pour la liturgie grégorienne, de même que je suis sensible – cela ne date pas d’aujourd’hui – aux problèmes et aux controverses théologiques liés à l’interprétation du concile Vatican II et à la nécessité de rétablir et de renforcer la tradition et l’identité catholiques dans notre civilisation.
Le fait que la Commission soit désormais rattachée à la Congrégation pour la Doctrine de la foi change-t-il profondément quelque chose quant à sa mission ?
La spécificité de la structure de la Commission pontificale Ecclesia Dei, à la lumière du motu proprio Ecclesiæ unitatem de juillet 2009, vient du fait qu’elle est étroitement liée à la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Le cardinal président est le cardinal préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et ses membres sont les cardinaux et archevêques membres de la même Congrégation. Je dirai que la Commission pontificale, d’une part, a été renforcée, d’autre part, qu’elle a vu augmenter les obligations qui lui sont assignées.
Le rôle de la Commission se limite-t-il désormais à traiter de la question des négociations avec la Fraternité Saint-Pie X ? Et dans ce cas que deviennent les instituts Ecclesia Dei ?
Les devoirs que la Commission pontificale Ecclesia Dei a reçus, tout d’abord du motu proprio de Jean-Paul II de 1988, et par la suite intégrés par le motu proprio de Benoît XVI Summorum pontificum, demeurent inchangés. Les compétences de la Commission en ce qui regarde l’application des dispositions du motu proprio Summorum pontificum concernant la forme antique du rite romain sont pleinement confirmées. De la même façon est confirmée, en vertu des facultés attribuées à la Commission par les Souverains Pontifes, la mission d’exercer au nom du Saint-Siège l’autorité sur divers Instituts et Communautés religieuses érigés par cette même Commission qui ont pour rite la forme extraordinaire de la liturgie romaine et pratiquent les traditions précédentes de la vie religieuse. À cela est venue s’ajouter, avec le motu proprio Ecclesiæ unitatem, la charge de traiter les questions doctrinales relatives aux difficultés qui subsistent encore avec la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X pour rejoindre la pleine communion.
Comment évaluez-vous l’application du motu proprio Summorum pontificum aujourd’hui dans le monde, en Europe et particulièrement en France ?
De façon générale il me semble qu’à deux ans de la publication de Summorum pontificum la situation est plutôt diversifiée. Généraliser ou simplifier serait ici injuste. Peut-être en France et dans la zone centre-nord de l’Europe les problèmes sont-ils plus aigus, mais dans une période transitoire, des réactions d’ordre psychologique et des interrogations sont bien compréhensibles. Les difficultés de répondre aux exigences des fidèles qui demandent la célébration de la sainte messe dans la forme extraordinaire sont dues parfois à des attitudes d’hostilité ou à des préjugés, d’autres fois à des obstacles d’ordre pratique, comme l’insuffisance du clergé, la difficulté de trouver des prêtres capables de célébrer dignement selon le rite ancien. En outre, on a peine à voir comment harmoniser la pastorale et la catéchèse de la célébration des sacrements dans le rite ancien avec la pastorale et la catéchèse ordinaires des paroisses. Il est clair que les évêques et les prêtres sont exhortés à bien accueillir les légitimes exigences des fidèles, selon les normes établies par le motu proprio, puisqu’il ne s’agit pas d’une concession faite aux fidèles, mais d’un droit des fidèles de pouvoir accéder à la liturgie grégorienne.
D’autre part, il est évident qu’il faut être réalistes et opérer avec le doigté nécessaire, parce qu’il s’agit aussi de faire œuvre de formation et d’éducation dans la perspective introduite par le pape Benoît XVI avec Summorum pontificum. On est invité à considérer les deux formes (de la liturgie) comme deux usages de l’unique rite liturgique, et donc de ne pas les voir en opposition, mais au contraire comme expressions de l’unité substantielle de la liturgie. Nous sommes tous appelés à recevoir la forma mentis sur laquelle est fondé le motu proprio : étant toujours prioritaire la continuité de l’histoire de foi de l’Église (lex credendi et lex orandi). Le renouveau du concile Vatican II est à comprendre en continuité avec la grande tradition doctrinale de l’Église. Dans l’histoire de la liturgie, il y a croissance et développement intérieurs, mais il faut repousser toute rupture ou discontinuité avec le passé. Le patrimoine et le trésor spirituel de la richesse liturgique inclus dans la forme antique du missel romain, rendus visibles de façon spéciale dans l’usage antique du rite, ne doivent pas rester en marge de la vie ecclésiale, mais doivent être justement promus et appréciés dans les diocèses et les diverses réalités ecclésiales.
Beaucoup de demandes de messes célébrées selon la forme extraordinaire ne semblent pas pouvoir déboucher en raison d’un refus des curés ou des Ordinaires. Y a‑t-il un recours possible auprès de votre Commission ?
La procédure indiquée par le motu proprio doit être respectée. Les fidèles doivent tout d’abord s’adresser au curé et, s’il y a des difficultés, à l’évêque. C’est seulement dans le cas où surgiraient des objections ou des empêchements de la part de l’évêque pour l’application du motu proprio, que les fidèles pourraient se tourner vers la Commission pontificale Ecclesia Dei ; d’ailleurs l’évêque lui-même peut s’adresser à la Commission au sujet des difficultés qui surgiraient pour divers motifs, afin que la Commission puisse offrir son aide et ses suggestions. Il faut cependant bien préciser que la façon de procéder de la Commission est institutionnelle, comme pour tout autre organisme de la Curie romaine. Les interlocuteurs de la Commission sont les ordinaires, évêques et supérieurs religieux. Les fidèles qui le jugent opportun peuvent envoyer des informations et signaler d’éventuels problèmes et difficultés à la Commission pontificale, laquelle se réserve de son côté le soin d’examiner et de décider si et de quelle façon il faut procéder, en contact avec l’ordinaire du lieu.
Un document d’interprétation du motu proprio avait été annoncé voici plusieurs mois. Paraîtra-t-il prochainement ?
À l’article 11 du motu proprio on dit entre autres que « cette Commission a la forme, les charges et les normes que le Pontife Romain voudra lui attribuer ». Une instruction devrait suivre opportunément pour préciser certains aspects concernant la compétence de la Commission pontificale et l’application de quelques dispositions normatives. Le projet est à l’étude.
D’une manière plus générale, votre travail s’insère-t-il dans le cadre éventuel d’une « réforme de la réforme » ?
L’idée d’une « réforme de la réforme liturgique » a été suggérée à plusieurs reprises par celui qui était alors le cardinal Ratzinger. Si je me souviens bien, il ajoutait que cette réforme ne serait pas le résultat d’un travail de bureau d’une Commission d’experts, mais qu’elle demanderait une maturation dans la vie et la réalité ecclésiale tout entière.
Je pense qu’au point où on en est arrivé, il est essentiel d’agir dans la ligne qu’indiquait le Saint-Père dans la lettre de présentation du motu proprio sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970, à savoir que « les deux formes de l’usage du rite romain peuvent s’enrichir mutuellement » et que « ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église, et de leur donner leur juste place ». C’est ainsi que s’est exprimé le Saint-Père. Promouvoir cette ligne signifie alors contribuer effectivement à cette maturation dans la vie et dans la conscience liturgique qui pourrait porter, dans un avenir pas trop lointain, à une « réforme de la réforme ». Ce qui est essentiel aujourd’hui pour récupérer le sens profond de la liturgie catholique, dans les deux usages du missel romain, c’est le caractère sacré de l’action liturgique, le caractère central du prêtre comme médiateur entre Dieu et le peuple chrétien, le caractère sacrificiel de la sainte messe, comme dimension primordiale de laquelle dérive la dimension de communion.
Étrangement la Commission chargée de l’application du motu proprio Summorum pontificum a gardé son nom dû au précédent motu proprio. Y a‑t-il une raison à cette permanence ?
Je suis d’avis que la raison se trouve dans la continuité substantielle de cette institution, en tenant compte de l’opportunité de sa mise à jour, et des nécessaires intégrations dues aux contingences du moment historique ecclésial.
Recueilli par Philippe Maxence