Mgr Guido Pozzo et la FSSPX – Rien de bien nouveau

1. Dans un récent entre­tien du 25 février der­nier (publié par l’Agence de presse Zénit), Mgr Guido Pozzo, secré­taire de la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei revient encore une fois sur la ques­tion des rap­ports entre la Fraternité Saint-​Pie X et le Saint Siège. Y aurait-​il quelque chose de fon­da­men­ta­le­ment nou­veau, depuis un an ?

2. En 2015, fai­sant déjà le point sur l’é­tat de nos rela­tions avec le Vatican [1], Mgr Pozzo décla­rait que le but de ces rela­tions serait que la Fraternité puisse « atteindre la pleine com­mu­nion avec le Siège apos­to­lique ». Un an plus tard, en 2016, il affirme encore que « les membres de la FSSPX sont catho­liques dans le che­min vers la pleine com­mu­nion avec le Saint-​Siège ». Sur ce point, le dis­cours n’a donc pas chan­gé. Le but visé par le Vatican reste le même. But mal­heu­reu­se­ment inac­cep­table. Comme nous l’é­cri­vions en effet il y a un an, la « pleine com­mu­nion » sou­hai­tée par le secré­taire d’Ecclesia Dei est un leurre et une impos­ture, car elle s’ins­crit dans une ecclé­sio­lo­gie étran­gère au dogme catho­lique. Dans l’es­prit de Mgr Pozzo, les rela­tions, aus­si bien doc­tri­nales et diplo­ma­tiques, telles qu’elles sont menées par Rome, obéissent à un pré­sup­po­sé que nous ne sau­rions admettre. Car c’est le pré­sup­po­sé de la nou­velle ecclé­sio­lo­gie. Or, il n’est pas ques­tion pour nous d’une com­mu­nion à géo­mé­trie variable. Le but que nous visons à tra­vers tous ces échanges n’est pas de nous situer dans une quel­conque « pleine com­mu­nion » avec le Saint Siège. Car on est ou on n’est pas catho­lique – et donc en com­mu­nion ou non avec le Pape, et donc dans l’Église ou non – selon que l’on réa­lise ou non la triple condi­tion rap­pe­lée par Pie XII dans Mystici cor­po­ris et qui est d’a­voir reçu un bap­tême valide, de pro­fes­ser la foi catho­lique et de recon­naître l’au­to­ri­té des pas­teurs légi­times. La Fraternité Saint-​Pie X réa­lise cette triple condi­tion. Elle est donc catho­lique, elle est donc en com­mu­nion avec le Pape et elle fait donc par­tie de l’Église. Il ne sau­rait y avoir de com­mu­nion pleine ou par­tielle, par­faite ou impar­faite. Si seule­ment l’une des trois condi­tions énu­mé­rées par Pie XII manque, l’on n’est plus catho­lique, l’on n’est plus en com­mu­nion avec le Pape et l’on n’est plus dans l’Église. « Nous n’a­vons jamais mis en cause notre pleine com­mu­nion, mais l’ad­jec­tif « pleine » nous le balayons, en disant tout sim­ple­ment : ” »nous sommes en com­mu­nion » selon le terme clas­sique uti­li­sé dans l’Église ; nous sommes catho­liques ; si nous sommes catho­liques nous sommes en com­mu­nion, parce que la rup­ture de com­mu­nion c’est le schisme pré­ci­sé­ment » [2].

3. Au nom du pré­sup­po­sé de Vatican II, conte­nu dans la consti­tu­tion Lumen gen­tium, avec le prin­cipe du Subsistit énon­cé au n° 8, Mgr Pozzo estime qu’il y aurait une com­mu­nion impar­faite et non pleine, à côté d’une com­mu­nion par­faite et pleine. Et la Fraternité serait, tou­jours selon lui, dans une com­mu­nion encore impar­faite avec le Pape. Autant dire que le terme même de « com­mu­nion », qui est cen­sé ser­vir de point de repère au dia­logue, est équi­voque, puisque Mg Pozzo l’en­tend dans un autre sens que nous, dans un sens dif­fé­rent de celui rap­pe­lé par Pie XII, dans un sens oppo­sé à celui qu’ont ensei­gné tous les Papes, durant deux mille ans de Tradition catho­lique. Ce sens oppo­sé est celui d’un lati­tu­di­na­risme sub­ti­le­ment renou­ve­lé, qui en vient à nier, de manière très sour­noise, le dogme « Hors de l’Église point de salut ». La Congrégation pour la Doctrine de la Foi en a don­né l’ex­pres­sion dénuée de toute ambi­guï­té, avec les Responsa de 2007, qui donnent l’in­ter­pré­ta­tion authen­tique du Subsistit. Pour ce faire, il lui suf­fit de reve­nir aux deux pas­sages clés du Concile. « Cette Église comme socié­té consti­tuée et orga­ni­sée en ce monde, c’est dans l’Église catho­lique qu’elle sub­siste, gou­ver­née par le suc­ces­seur de Pierre et les évêques qui sont en com­mu­nion avec lui, bien que des élé­ments nom­breux de sanc­ti­fi­ca­tion et de véri­té se trouvent hors de sa sphère, élé­ments qui, appar­te­nant pro­pre­ment par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-​mêmes à l’u­ni­té catho­lique » (Lumen gen­tium, n° 8) ; « De plus, par­mi les élé­ments ou les biens par l’en­semble des­quels l’Église se construit et est vivi­fiée, plu­sieurs et même beau­coup, et de grande valeur, peuvent exis­ter en dehors des limites visibles de l’Église catho­lique : la Parole de Dieu écrite, la vie de grâce, la foi, l’es­pé­rance et la cha­ri­té, d’autres dons inté­rieurs du Saint-​Esprit et d’autres élé­ments visibles. Tout cela, qui pro­vient du Christ et conduit à lui, appar­tient de droit à l’u­nique Église du Christ » (Unitatis redin­te­gra­tio, n° 3). Le Concile va même jus­qu’à recon­naître une valeur salu­taire aux com­mu­nau­tés sépa­rées prises en tant que telles, comme si le Saint-​Esprit n’a­gis­sait pas seule­ment de manière directe sur les âmes éga­rées dans le schisme ou l’hé­ré­sie, mais uti­li­sait la média­tion de ces socié­tés objec­ti­ve­ment et juri­di­que­ment schis­ma­tiques et héré­tiques : « Ces Églises et com­mu­nau­tés sépa­rées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de défi­ciences, ne sont nul­le­ment dépour­vues de signi­fi­ca­tion et de valeur dans le mys­tère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se ser­vir d’elles comme de moyens de salut, dont la ver­tu dérive de la plé­ni­tude de grâce et de véri­té qui a été confiée à l’Église catho­lique » (Unitatis redin­te­gra­tio, n° 3). Cette affir­ma­tion contient une erreur contraire à la doc­trine catho­lique de tou­jours. En effet, une com­mu­nau­té reli­gieuse en tant que sépa­rée de l’Église (ou en tant que secte) ne peut être uti­li­sée par le Saint-​Esprit comme moyen de salut, puisque son état de sépa­ra­tion est un état de résis­tance au Saint-​Esprit. Celui-​ci ne peut qu’a­gir direc­te­ment sur les âmes (non sur la com­mu­nau­té). Quant à la Fraternité, elle est dans l’Église catho­lique, iden­tique à l’Église du Christ, et elle entend y res­ter. « Ce qui est impor­tant, c’est de res­ter dans l’Église… dans l’Église, c’est-​à-​dire dans la foi catho­lique de tou­jours et dans le vrai sacer­doce, et dans la véri­table messe, et dans les véri­tables sacre­ments, dans le caté­chisme de tou­jours, avec la Bible de tou­jours. C’est cela qui nous inté­resse. C’est cela qui est l’Église [3]. »

4. Mgr Pozzo affirme aus­si : « Souvent, dans les dis­cus­sions avec la FSSPX, l’op­po­si­tion n’est pas au Concile, mais à l’es­prit du Concile, qui uti­lise cer­taines expres­sions ou for­mu­la­tions des docu­ments conci­liaires pour ouvrir la voie à des inter­pré­ta­tions et des posi­tions qui sont éloi­gnées de la vraie pen­sée conci­liaire et qui par­fois abusent d’elle. » Le secré­taire d’Ecclesia Dei est en effet convain­cu que le Concile serait conforme en tous points à la doc­trine catho­lique. Il y aurait, selon lui, une dis­tinc­tion, qu’il regarde comme « fon­da­men­tale et abso­lu­ment déci­sive » entre « le mens ou la docen­di inten­tio de Vatican II », telle que « la montrent les Actes offi­ciels du Concile » et ce qu’il vou­drait dési­gner comme « le « para-​concile », à savoir l’en­semble de lignes direc­trices théo­lo­giques et atti­tudes pra­tiques, qui ont accom­pa­gné le cours du Concile lui-​même, avec la pré­ten­tion ensuite de se cou­vrir de son nom, et qui se confondent sou­vent avec la vraie pen­sée du Concile dans l’es­prit du public, grâce à l’in­fluence des mass médias ». Nous en reve­nons tou­jours à la même expli­ca­tion, héri­tée par Mgr Pozzo du Discours de 2005. Le Pape Benoît XVI y dénonce une « her­mé­neu­tique de la rup­ture », qui aurait défi­gu­ré le vrai visage du Concile et empê­ché sa récep­tion. La solu­tion serait de reve­nir à une her­mé­neu­tique « du renou­veau dans la conti­nui­té ». La fameuse dis­tinc­tion entre les deux her­mé­neu­tiques, la bonne et la mau­vaise, n’est que l’a­bou­tis­se­ment d’une réflexion menée pen­dant près de vingt ans par le car­di­nal Ratzinger : les Entretiens sur la foi de 1984, puis le dis­cours adres­sé à la Conférence épis­co­pale chi­lienne en 1988 déve­loppent déjà la même idée, d’a­près laquelle les ensei­gne­ments de Vatican II, étant conformes à la Tradition de l’Église, ne seraient pas à réfor­mer ; il fau­drait seule­ment en révi­ser l’ap­pli­ca­tion (ou la « récep­tion ») en met­tant un terme à de simples abus. Car, pen­sait déjà le futur Benoît XVI en 1984, « de nom­breuses pré­sen­ta­tions donnent l’im­pres­sion qu’a­vec Vatican II tout ait chan­gé et que ce qui l’a pré­cé­dé n’a plus de valeur ».

5. Or, cette expli­ca­tion ne résiste pas à un exa­men tant soit peu sérieux des textes du Concile. La doc­trine tra­di­tion­nelle de l’Église a en effet été gra­ve­ment mise en cause depuis le der­nier Concile, en rai­son des ensei­gne­ments même de Vatican II. Ainsi que le démontre l’ar­ticle de novembre 1988 du Courrier de Rome – qui titrait : « Le car­di­nal Ratzinger démontre l’é­tat de néces­si­té dans l’Église » – « cer­tains textes du Concile sont réel­le­ment sépa­rés de la Tradition et ne peuvent en aucun cas être conci­liés avec elle. Ce n’est pas seule­ment que, comme le pense le car­di­nal Ratzinger, « de nom­breuses pré­sen­ta­tions donnent l’im­pres­sion qu’a­vec Vatican II tout ait chan­gé et que ce qui l’a pré­cé­dé n’a plus de valeur ». Non. Il existe des textes du Concile qui ont consti­tué un chan­ge­ment par rap­port à ce qui pré­cé­dait et qui néces­sitent par consé­quent un choix : ou Vatican II ou la Tradition. Des textes comme Nostra ætate pour les reli­gions non chré­tiennes, Unitatis redin­te­gra­tio pour l’œ­cu­mé­nisme, Dignitatis humanæ sur la liber­té reli­gieuse conduisent effec­ti­ve­ment et avec rai­son à se deman­der, comme le fait le car­di­nal Ratzinger « si l’Église d’au­jourd’­hui est réel­le­ment celle d’hier ou si on l’a rem­pla­cée par une autre sans même se don­ner la peine d’en aver­tir les catho­liques » » (page 4).

6. Le constat de Mgr Pozzo s’ins­crit donc en faux, face à la réa­li­té his­to­rique de ce que furent les dis­cus­sions doc­tri­nales, menées lors des années 2009–2011. Un seul exemple suf­fit à le démon­trer, et c’est jus­te­ment celui qu’al­lègue le secré­taire d’Ecclesia Dei : « Ainsi en ce qui concerne la cri­tique lefeb­vriste sur la liber­té reli­gieuse, au fond de la dis­cus­sion me semble que la posi­tion de la FSSPX se carac­té­rise par la défense de la doc­trine catho­lique tra­di­tion­nelle contre la laï­ci­té agnos­tique de l’État et contre la laï­ci­té et le rela­ti­visme idéo­lo­gique et non pas contre le droit qu’a la per­sonne de ne pas être for­cée ou empê­chée, obs­truée par l’État dans l’exer­cice de sa pro­fes­sion de foi reli­gieuse. » Toutes les objec­tions que la Fraternité a pu faire et fait encore valoir auprès du Saint-​Siège portent pour­tant sur ce point très pré­cis : nous contes­tons ce fameux droit à la liber­té reli­gieuse, droit pré­ten­du « néga­tif » à ne pas être empê­ché par les pou­voirs civils de pro­fes­ser la foi reli­gieuse de son choix et nous le contes­tons parce qu’il est condam­né par Grégoire XVI dans Mirari vos et Pie IX dans Quanta cura. Le pro­pos de Mgr Pozzo semble donc ici ne tenir ici aucun compte de la posi­tion de la Fraternité Saint Pie X [4], aucun compte de ce qui a été pour­tant dit et répé­té, tant par écrit que par oral, lors des dis­cus­sions doc­tri­nales de 2009–2011.

Les archives de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi devraient être là pour en faire foi. Mgr Pozzo dit encore : « Les cri­tiques concernent plu­tôt les décla­ra­tions ou les indi­ca­tions concer­nant le renou­vel­le­ment de la pas­to­rale dans les rela­tions œcu­mé­niques avec les autres reli­gions, et cer­taines ques­tions d’ordre pru­den­tiel dans la rela­tion de l’Église et de la socié­té, l’Église et de l’État. » Nous avons le regret, là encore, de devoir rap­pe­ler au secré­taire d’Ecclesia Dei qu’il n’en est abso­lu­ment rien : à l’in­verse de ce qu’il déclare, les cri­tiques de la Fraternité portent sur les prin­cipes mêmes de l’œ­cu­mé­nisme, prin­cipes d’ordre doc­tri­nal et pas seule­ment pas­to­ral, prin­cipes qui abou­tissent à don­ner de l’Église une nou­velle défi­ni­tion, contraire à l’ec­clé­sio­lo­gie tra­di­tion­nelle. Les cri­tiques de la Fraternité portent sur le prin­cipe même de la liber­té reli­gieuse for­mu­lé dans le n° 2 de la décla­ra­tion Dignitatis humanæ et sur le prin­cipe même de l’au­to­no­mie du tem­po­rel, for­mu­lé dans le n° 36 de la consti­tu­tion Gaudium et spes. De tels prin­cipes faux sont d’ordre doc­tri­nal et pas seule­ment pru­den­tiel [5]. Ils abou­tissent à don­ner une nou­velle défi­ni­tion de l’ordre social chré­tien, contraire à la doc­trine tra­di­tion­nelle. Il suf­fit pour s’en convaincre de relire les dif­fé­rentes inter­ven­tions faites par Mgr Lefebvre lors du concile Vatican II et réunies dans le livre J’accuse le Concile.

7. On peut voir, à tra­vers ces exemples, que l’op­po­si­tion de la Fraternité ne porte pas seule­ment à une her­mé­neu­tique de la rup­ture et à un esprit du Concile, dis­tinct de sa lettre. La Fraternité ne conteste pas seule­ment « des inter­pré­ta­tions et des posi­tions qui sont éloi­gnées de la vraie pen­sée conci­liaire et qui par­fois abusent d’elle ». Nous avons dit et répé­té, durant ces deux années de dis­cus­sions, que nos objec­tions por­taient d’a­bord très pré­ci­sé­ment sur les textes mêmes du Concile, indé­pen­dam­ment des diverses inter­pré­ta­tions sub­sé­quentes non auto­ri­sées, et indé­pen­dam­ment aus­si de tous les abus aux­quels la lettre de Vatican II a pu ser­vir de pré­texte. À la suite de Mgr Lefebvre, la Fraternité accuse donc tou­jours le Concile. « J’accuse le Concile » disait en effet l’an­cien arche­vêque de Dakar, « me semble la réponse néces­saire au J’excuse le Concile du car­di­nal Ratzinger. Je m’ex­plique : je sou­tiens et je vais le prou­ver que la crise de l’Église se ramène essen­tiel­le­ment aux réformes post-​conciliaires éma­nant des auto­ri­tés les plus offi­cielles de l’Église et en appli­ca­tion de la doc­trine et des direc­tives de Vatican II. Rien donc de mar­gi­nal ni de sou­ter­rain dans les causes essen­tielles du désastre post-​conciliaire » [6]. Car de fait, « c’est dès le Concile que l’Église ou du moins les hommes d’Église occu­pant les postes clés ont pris une orien­ta­tion net­te­ment oppo­sée à la Tradition, soit au magis­tère offi­ciel de l’Église » [7]. Il se peut que Mgr Pozzo nour­risse l’es­poir que notre oppo­si­tion se limite au fameux « para-​concile » des médias et des théo­lo­giens. Mais cet espoir est vain car l’a­na­lyse sur laquelle il vou­drait s’ap­puyer ne cor­res­pond nul­le­ment à la réa­li­té. Même si nous le regret­tons pour lui, nous ne pou­vons tra­ves­tir ni les faits ni notre propre pen­sée. Nous ne pou­vons pas excu­ser le Concile avec lui. Nous l’ac­cu­sons, parce qu’il le faut, pour le bien de toute l’Église. Et la séré­ni­té des échanges que nous enten­dons conti­nuer à mener avec Rome est d’ailleurs à ce prix.

8. En effet, et c’est là le troi­sième aspect de sa réflexion, Mgr Pozzo sou­ligne l’im­por­tance que revêt aus­si à ses yeux « le déve­lop­pe­ment d’un cli­mat de confiance et de res­pect mutuel, qui doit être la base d’un pro­ces­sus de rap­pro­che­ment ». Sans doute : à la suite de son fon­da­teur, la Fraternité Saint Pie X a tou­jours vou­lu faire por­ter son appré­cia­tion cri­tique sur les dif­fé­rents points du Concile qui posent de graves pro­blèmes à la conscience des catho­liques. Nous accu­sons le Concile, non des per­sonnes. Cependant, la suite du pro­pos de Mgr Pozzo laisse de côté une dis­tinc­tion impor­tante. « Il faut sur­mon­ter », ajoute-​t-​il, « la méfiance et les rai­deurs qui sont com­pré­hen­sibles après tant d’an­nées de frac­ture, mais qui peuvent être pro­gres­si­ve­ment dis­si­pées si les chan­ge­ments d’at­ti­tude mutuelle et si les dif­fé­rences ne sont pas consi­dé­rées comme des murs insur­mon­tables, mais comme des points de dis­cus­sion qui méritent d’être appro­fon­dis et réglés, dans une cla­ri­fi­ca­tion utile à toute l’Église. » La méfiance que nous nour­ris­sons porte pré­ci­sé­ment sur les textes du Concile, et elle est par­fai­te­ment jus­ti­fiée, là où se trouvent les équi­voques et les ambi­guï­tés, qui sont au prin­cipe de la crise dont pâtit la sainte Église depuis main­te­nant un demi-​siècle. Cette méfiance-​là ne pour­ra être dis­si­pée que par un retour entier à l’ex­pres­sion claire et nette de la doc­trine catho­lique. Si les dif­fé­rences aux­quelles Mgr Pozzo fait allu­sion sont celles qui existent entre la Tradition catho­lique et les nou­veau­tés contraires intro­duites par Vatican II, elles repré­sentent bel et bien des « murs insur­mon­tables », et la « cla­ri­fi­ca­tion utile à toute l’Église » devra consis­ter à aban­don­ner ces nou­veau­tés mor­ti­fères pour reve­nir à la Tradition constante de l’Église. Il n’y a pas seule­ment des « points de dis­cus­sion », il y a sur­tout, comme Mgr Pozzo le recon­naît lui-​même, des « points de diver­gence ». L’approfondissement de ces points ne peut pas consis­ter pour nous à mettre en évi­dence leur impos­sible conti­nui­té avec la doc­trine ensei­gnée depuis tou­jours par le magis­tère de l’Église. Il ne peut consis­ter qu’à mettre en évi­dence la rup­ture intro­duite par le Concile, dans les textes mêmes de Vatican II, et que Mgr Pozzo, à la suite de Benoît XVI et du Discours de 2005, vou­drait impu­ter au fameux « para-​concile ». De l’a­veu même du car­di­nal Ratzinger, la consti­tu­tion pas­to­rale Gaudium et spes, véri­table tes­ta­ment du Concile, doit être com­prise comme un « contre-​Syllabus » [8]: qu’est-​ce alors, sinon une rupture ?

9. C’est pour­quoi, lorsque Mgr Pozzo pré­co­nise de « pas­ser d’une posi­tion de confron­ta­tion polé­mique et anta­go­niste, à une posi­tion d’é­coute et de res­pect mutuel, d’es­time et de confiance », il nous paraît néces­saire d’é­lu­ci­der une impor­tante dis­tinc­tion. S’il s’a­git des per­sonnes, il est clair que la Fraternité ne nour­rit aucune ani­mo­si­té vis-​à-​vis de qui­conque. Mais ce sont les idées qui mènent le monde, et qui déter­minent les choix faits par les per­sonnes. Et s’a­gis­sant des idées, il est indé­niable que nous ne pou­vons ni res­pec­ter, ni esti­mer celles de Vatican II, ni leur témoi­gner aucune confiance, là où elles révèlent un pro­fond et réel « anta­go­nisme » vis-​à-​vis de la doc­trine catho­lique de tou­jours. Et si la « polé­mique », au sens noble du terme uti­li­sé par les anciens apo­lo­gètes, consiste à dévoi­ler et à com­battre l’er­reur pour faire triom­pher la véri­té, alors oui, les nou­veau­tés intro­duites par le Concile appellent de notre part « une confron­ta­tion polé­mique et anta­go­niste ». Mais cela découle du fait, trop évident, que Vatican II fut « le déchaî­ne­ment des forces du mal pour la ruine de l’Église » [9].

Si la pre­mière qua­li­té d’une « posi­tion d’é­coute » est la fran­chise et la clar­té, c’est bien celle-​là que nous vou­lons. C’est pour­quoi, disons-​nous à Rome, « si vous nous vou­lez, nous sommes ain­si, il faut que vous nous connais­siez, que vous ne nous disiez pas ensuite que nous vous avons caché quelque chose. Nous sommes ain­si et c’est comme cela que nous res­te­rons. Nous res­te­rons comme nous sommes, pour­quoi ? Ce n’est pas une volon­té propre, ce n’est pas que nous pen­sions que nous sommes les meilleurs, c’est l’Église qui a ensei­gné ces choses, qui a exi­gé ces choses, il n’y a pas seule­ment la foi, il y a aus­si toute une dis­ci­pline qui est en par­fait accord avec cette foi, et c’est cela qui a fait le tré­sor de l’Église, qui a fait les saints dans le pas­sé, et cela, nous ne sommes pas prêts à le lâcher » [10]. Et cela n’est pas nou­veau, car cela fut notre atti­tude constante : « Ce qui nous inté­resse d’a­bord, c’est de main­te­nir la foi catho­lique. C’est cela notre com­bat. Alors la ques­tion cano­nique, pure­ment exté­rieure, publique dans l’Église, est secon­daire. […] D’être recon­nus publi­que­ment, cela est secon­daire. Alors il ne faut pas recher­cher le secon­daire en per­dant ce qui est pri­maire, ce qui est le pre­mier objet de notre com­bat [11]

10. Pour finir, Mgr Pozzo rap­pelle les dis­tinc­tions que nous connais­sons déjà, pour les avoir ren­con­trées sous sa plume. Distinctions qui n’é­clairent mal­heu­reu­se­ment pas grand-​chose. Bien sûr, « dans le Concile Vatican II il y a des docu­ments doc­tri­naux, qui ont l’in­ten­tion de faire repro­po­ser la véri­té déjà défi­nie de la foi ou de la véri­té de la doc­trine catho­lique (par exemple, la Constitution dog­ma­tique Dei Verbum, la Constitution dog­ma­tique Lumen gen­tium), et il y a des docu­ments qui ont l’in­ten­tion de pro­po­ser des orien­ta­tions ou des lignes direc­trices pour l’ac­tion pra­tique, qui est, pour la vie pas­to­rale comme une appli­ca­tion de la doc­trine (la décla­ra­tion Nostra ætate, le décret Unitatis redin­te­gra­tio, la décla­ra­tion Dignitatis humanæ) ». Bien sûr aus­si, « l’adhé­sion aux ensei­gne­ments du Magistère varie selon le degré d’au­to­ri­té et de la véri­té de leur propre caté­go­rie de docu­ments du Magistère ». Bien sûr. Mais Mgr Pozzo ne dit pas pour autant que l’adhé­sion glo­bale aux ensei­gne­ments du Concile sera épar­gnée à la Fraternité Saint Pie X. Et jus­te­ment, la ques­tion que nous posons est de savoir si, pour être éche­lon­née, selon la nature doc­tri­nale ou dis­ci­pli­naire des ensei­gne­ments, et pour être gra­duée, selon le degré d’au­to­ri­té avec lequel le Magistère les engage, l’adhé­sion à tous ces textes du Concile s’a­vé­re­ra néces­saire et inévi­table. Si oui, nous ne pou­vons nous y résoudre. Car, pour nous en tenir à ces deux docu­ments répu­tés d’ordre doc­tri­nal, Lumen gen­tium contient le prin­cipe empoi­son­né de la nou­velle ecclé­sio­lo­gie œcu­mé­niste, avec le « Subsistit », et Dei Verbum ren­ferme la nou­velle théo­lo­gie de la Tradition vivante. Et si l’adhé­sion à ces textes ne s’a­vère pas néces­saire, il convien­drait d’ex­pli­quer pour­quoi : cela devrait conduire le Saint-​Siège à recon­naître tôt ou tard que la rup­ture tant déplo­rée par le pape Benoît XVI ne se situe pas seule­ment au niveau d’un hypo­thé­tique « para-concile ».

La Miséricorde que les fidèles catho­liques sont en droit d’at­tendre du pape François n’est autre que celle de la véri­té, entière et inamis­sible [Note de LPL : en théo­lo­gie inamis­sible se dit de ce qui ne peut pas se perdre, ne peut pas être reti­ré] : véri­té incom­pa­tible avec les erreurs et les équi­voques dis­sé­mi­nées dans les textes du Concile et dans les réformes qui s’en sont ensuivies.

À un pape si friant d’é­co­lo­gie, oserions-​nous rap­pe­ler, à l’oc­ca­sion de ce qu’il consi­dère comme le Jubilé des cin­quante ans de Vatican II, quelles sont les attri­bu­tions d’un bon jar­di­nier ? Ce sont celles d’un homme qui com­mence par arra­cher les mau­vaises herbes, avant de replan­ter la future mois­son. « Ecce dedi ver­ba mea in ore tuo ; ecce consti­tui te hodie super gentes et super regna, ut evel­las et des­truas, ut aedi­fices et plantes 77. »

Abbé Jean-​Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, pro­fes­seur d’ec­clé­sio­lo­gie au Séminaire International Saint-​Pie X d’Ecône.

Sources : Le Courrier de Rome n° 587 d’a­vril 2016

Notes de bas de page
  1. Propos parus dans l’Agence de presse I. Media et rela­tés par le jour­nal La Croix, le 20 mars 2015. Pour une ana­lyse de ces pro­pos, le lec­teur pour­ra se repor­ter au Courrier de Rome d’a­vril 2015, à l’ar­ticle inti­tu­lé « Entrer dans l’Église », p. 4–8 (consul­table sur le site www​.cour​rier​de​rome​.org).[]
  2. MGR FELLAY, « Entretien du 4 mars 2016 ».[]
  3. Mgr Lefebvre, Conférence spi­ri­tuelle à Écône, le 21 décembre 1984 (Cospec 112). []
  4. Le lec­teur pour­ra se repor­ter aux études de MGR LEFEBVRE, Ils L’ont décou­ron­né ; Dubia sur la liber­té reli­gieuse, ain­si qu’aux numé­ros de : février 2008 ; juillet-​août 2008 ; juin 2011 ; sep­tembre 2012 ; décembre 2012 ; juin 2013 ; décembre 2013 ; mars 2014 ; octobre 2014 du Courrier de Rome (consul­tables sur le site www​.cour​rier​de​rome​.org.) []
  5. Le n° 9 de Dignitatis humanæ affirme que « la doc­trine de la liber­té a ses racines dans la Révélation divine ».[]
  6. MGR LEFEBVRE, Ils L’ont décou­ron­né, cha­pitre XXXII, Fideliter, 1987, p. 233.[]
  7. MGR LEFEBVRE, J’accuse le Concile, « Notes à pro­pos du titre », p 9. []
  8. Les Principes de la théo­lo­gie catho­lique. Esquisse et maté­riaux, Téqui, 1982, p. 424–425. []
  9. MGR LEFEBVRE, « Le Concile ou le triomphe du libé­ra­lisme » dans Fideliter n° 59 (septembre-​octobre 1987), p. 33.[]
  10. MGR FELLAY, « Entretien du 4 mars 2016 ».[]
  11. MGR LEFEBVRE, Conférence spi­ri­tuelle à Écône, le 21 décembre 1984 (Cospec 112).[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.