Mgr Guido Pozzo : « Rome n’entend pas imposer une capitulation »

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

Les dis­cus­sions entre Rome et la Fraternité Saint-​Pie X se pour­suivent en vue d’une pleine récon­ci­lia­tion. Le point avec le secré­taire de la com­mis­sion pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei, en charge du dos­sier au Vatican, par Jean-​Marie Dumont de Famille Chrétienne.fr

Repères

2 juillet 2012 – Le car­di­nal Gerhard Ludwig Müller est nom­mé pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi.
13 mars 2013 – Le car­di­nal Jorge Mario Bergoglio est élu pape.
13 décembre 2013 – De pas­sage à Rome à l’oc­ca­sion d’une ren­contre avec les res­pon­sables de la com­mis­sion Ecclesia Dei, Mgr Bernard Fellay, le supé­rieur de la FSSPX, est briè­ve­ment pré­sen­té au pape François dans la salle à man­ger de la Maison Sainte-​Marthe. Le Saint Père lui demande de prier pour lui.
23 sep­tembre 2014 – Mgr Fellay ren­contre le car­di­nal Müller, en pré­sence de plu­sieurs per­sonnes dont Mgr Guido Pozzo.
03 octobre 2014 – Entretien avec Mgr Fellay après sa ren­contre avec le car­di­nal Müller.

Quel est l’état des rela­tions entre Rome et la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie‑X ?

Afin de favo­ri­ser le dépas­se­ment de toute frac­ture et divi­sion dans l’Église, et de gué­rir une bles­sure res­sen­tie de manière dou­lou­reuse dans la vie ecclé­siale, Benoît XVI, en 2009, a déci­dé de lever l’excommunication des évêques qui avaient été ordon­nés de manière illi­cite par Mgr Lefebvre en 1988. Par cette déci­sion, le pape enten­dait reti­rer une sanc­tion qui ren­dait diffi­cile l’ouverture d’un dia­logue constructif.

La remise de l’excommunication a été une mesure dis­ci­pli­naire prise pour libé­rer les per­sonnes de la cen­sure ecclé­sias­tique la plus grave. Mais les ­ques­tions doc­tri­nales demeurent et doivent être cla­ri­fiées. Tant qu’elles ne le sont pas, la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X (FSSPX) n’a pas de sta­tut cano­nique dans l’Église et ses ministres n’exercent pas de manière légi­time leur minis­tère ordon­né, comme l’in­dique la Lettre de Benoît XVI aux évêques de l’Église catho­lique du 10 mars 2009 (1).

C’est pré­ci­sé­ment pour dépas­ser les dif­fi­cul­tés de nature doc­tri­nale qui sub­sistent encore que le Saint-​Siège entre­tient des rap­ports et des dis­cus­sions avec la FSSPX, par le biais de la com­mis­sion pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei. Celle-​ci est étroi­te­ment liée à la Congrégation pour la doc­trine de la foi, puisque le pré­sident de la com­mis­sion est le pré­fet de la Congrégation lui-même.

Ces rela­tions et ces échanges se pour­suivent depuis l’élection du pape François. Ils aident à cla­ri­fier les posi­tions res­pec­tives sur les sujets contro­ver­sés, pour évi­ter les incom­pré­hen­sions et les mal­en­ten­dus, en main­te­nant vif l’espoir que les ­dif­fi­cul­tés empê­chant encore d’atteindre la pleine récon­ci­lia­tion et la pleine com­mu­nion avec le Siège apos­to­lique puissent être dépassées. 

Quels sont les sujets de désac­cord qui persistent ?

Les aspects contro­ver­sés concernent d’une part l’estimation de la situa­tion ecclé­siale dans la période pos­té­rieure au concile Vatican II et des causes qui ont pro­duit cer­tains remous théo­lo­giques et pas­to­raux dans la période de l’après-concile et, plus géné­ra­le­ment, dans le contexte de la modernité.

D’autre part, ils portent sur quelques points spé­ci­fiques rela­tifs à l’œcuménisme, au dia­logue avec les reli­gions du monde et à la ques­tion de la liber­té religieuse. 

Quelles sont les solu­tions juri­diques qui pour­raient être adop­tées pour la FSSPX en cas d’accord ?

Dans le cas d’une récon­ci­lia­tion com­plète, le sta­tut cano­nique pro­po­sé par le Saint-​Siège est celui d’une pré­la­ture per­son­nelle (2). Sur ce point, je crois qu’il n’y a pas de pro­blème de la part de la FSSPX. 

Les dis­cus­sions entre Rome et la Fraternité ont-​elles récem­ment repris, ou bien n’ont-elles jamais cessé ?

En réa­li­té, elles n’ont jamais ces­sé. L’interruption pro­vi­soire des ren­contres a sim­ple­ment été due à la nomi­na­tion d’un nou­veau pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi et à l’élection du nou­veau sou­ve­rain pon­tife en avril 2013. Le che­min du dia­logue a donc repris à l’automne 2013 avec une série de ren­contres infor­melles, jusqu’à l’entretien du 23 sep­tembre der­nier entre le car­di­nal Gerhard Müller, pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi, et le supé­rieur de la FSSPX, Mgr Bernard Fellay, entre­tien dont le com­mu­ni­qué de presse du Saint-​Siège a ren­du compte.

Est-​il envi­sa­geable de dis­so­cier accord juri­dique et dis­cus­sion doc­tri­nale ? De mettre en place une pré­la­ture per­son­nelle, tout en pour­sui­vant, sur le plus long terme, les dis­cus­sions sur les points théo­lo­giques controversés ?

En cohé­rence avec le motu pro­prio Ecclesiae Unitatem de Benoît XVI (NDLR de LPL : 2 juillet 2009), la Congrégation pour la doc­trine de la foi a tou­jours consi­dé­ré que le dépas­se­ment des pro­blèmes de nature doc­tri­nale était la condi­tion indis­pen­sable et néces­saire pour pou­voir pro­cé­der à la recon­nais­sance cano­nique de la Fraternité.

Je me per­mets cepen­dant de pré­ci­ser que le dépas­se­ment des dif­fi­cul­tés d’ordre doc­tri­nal ne signi­fie pas que les réserves ou les posi­tions de la FSSPX sur cer­tains aspects qui ne relèvent pas du domaine de la foi mais qui concernent des thèmes pas­to­raux ou d’enseignement pru­den­tiel du Magistère doivent être néces­sai­re­ment reti­rées ou annu­lées par la Fraternité. Le désir de pour­suivre la dis­cus­sion et l’approfondissement de tels sujets qui font dif­fi­cul­té à la FSSPX, en vue de pré­ci­sions et de cla­ri­fi­ca­tions ulté­rieures, non seule­ment est tou­jours pos­sible, mais – au moins à mon avis – sou­hai­table et à encou­ra­ger. On ne lui demande par consé­quent pas de renon­cer à cette exi­gence qu’elle mani­feste à l’égard d’un cer­tain nombre de thèmes.

Quel est alors le point « non négociable » ?

Ce qui est essen­tiel, ce à quoi on ne peut pas renon­cer, c’est l’adhésion à la Professio fidei (3) et au prin­cipe selon lequel c’est au seul magis­tère de l’Église qu’a été confiée par le Seigneur la facul­té d’interpréter authen­ti­que­ment, c’est-à-dire avec l’autorité du Christ, la parole de Dieu écrite et trans­mise. C’est la doc­trine catho­lique, rap­pe­lée par le concile Vatican II (Dei Verbum, 10), mais déjà expres­sé­ment ensei­gnée par Pie XII dans l’encyclique Humani gene­ris. Cela signi­fie que le Magistère, s’il n’est certes pas au-​dessus de l’Écriture et de la Tradition, est néan­moins l’instance authen­tique qui juge des inter­pré­ta­tions sur l’Écriture et la Tradition, de quelque part qu’elles émanent.

Par consé­quent, s’il existe dif­fé­rents degrés d’autorité et d’adhésion des fidèles à ses ensei­gne­ments – comme le déclare la consti­tu­tion dog­ma­tique Lumen gen­tium (25) du concile Vatican II –, nul ne peut se mettre au-​dessus du Magistère. Je pense et j’espère vive­ment que dans ce cadre doc­tri­nal que je viens d’évoquer, nous pour­rons trou­ver le point de conver­gence et d’entente com­mune, car ce sujet pré­cis est un point de doc­trine appar­te­nant à la foi catho­lique, et non à une légi­time dis­cus­sion théo­lo­gique ou à des cri­tères pastoraux.

Un point capi­tal, mais en même temps clai­re­ment délimité…

Il n’est pas vrai de dire que le Saint-​Siège entend impo­ser une capi­tu­la­tion à la FSSPX. Bien au contraire, il l’invite à se retrou­ver à ses côtés dans un même cadre de prin­cipes doc­tri­naux néces­saires pour garan­tir la même adhé­sion à la foi et à la doc­trine catho­lique sur le Magistère et la Tradition, en lais­sant dans le même temps au champ de l’étude et de l’approfondissement les réserves qu’elle a sou­le­vées sur cer­tains aspects et for­mu­la­tions des docu­ments du concile Vatican II, et sur cer­taines réformes dont il a été sui­vi, mais qui ne concernent pas des matières dog­ma­tiques ou doc­tri­na­le­ment indiscutables.

Il n’y a aucun doute sur le fait que les ensei­gne­ments de Vatican II ont un degré d’autorité et un carac­tère contrai­gnant extrê­me­ment variable en fonc­tion des textes. Ainsi, par exemple, les consti­tu­tions Lumen gen­tium sur l’Église et Dei Verbum sur la Révélation divine ont le carac­tère d’une décla­ra­tion doc­tri­nale, même s’il n’y a pas eu de défi­ni­tions dog­ma­tiques. Tandis que, pour leur part, les décla­ra­tions sur la liber­té reli­gieuse, sur les reli­gions non chré­tiennes, et le décret sur l’œcuménisme, ont un degré d’autorité et un carac­tère contrai­gnant dif­fé­rents et inférieurs.

Pensez-​vous que les dis­cus­sions puissent désor­mais abou­tir rapidement ?

Je ne pense pas qu’on puisse indi­quer dès à pré­sent une échéance pré­cise pour la conclu­sion du che­min entre­pris. L’engagement de notre part et, je sup­pose, de la part du supé­rieur de la FSSPX, consiste à pro­cé­der par étapes, sans rac­cour­cis impro­vi­sés, mais aus­si avec l’objectif clai­re­ment affi­ché de pro­mou­voir l’unité dans la cha­ri­té de l’Église uni­ver­selle gui­dée par le suc­ces­seur de Pierre. « Caritas urget nos ! » [« La cha­ri­té nous presse ! »], comme le déclare saint Paul.

Entretien avec Mgr Guido Pozzo réa­li­sé par Jean-​Marie Dumont 

Sources : Famille Chrétienne du 20 octobre 2014/

Notes

(1) Dans cette Lettre, Benoît XVI y expli­quait le sens de son geste et s’é­ton­nait de la levée de bou­cliers qu’il avait sus­ci­tée : « Parfois on a l’im­pres­sion que notre socié­té a besoin d’un groupe au moins, auquel ne réser­ver aucune tolé­rance ; contre lequel pou­voir tran­quille­ment se lan­cer avec haine. Et si quel­qu’un ose s’en rap­pro­cher – dans le cas pré­sent le pape –, il perd lui aus­si le droit à la tolé­rance et peut lui aus­si être trai­té avec haine sans crainte ni réserve ».
(2) Quel sta­tut pour la Fraternité ? En cas d’ac­cord avec Rome, la FSSPX pour­rait obte­nir le sta­tut de pré­la­ture per­son­nelle. Dans le droit de l’Église, il s’a­git d’une créa­tion assez récente. La seule qui existe actuel­le­ment, très connue, est l’Opus Dei. Prévue par le Code de droit canon (§ 294 à 297), elle per­met le regrou­pe­ment de prêtres et de diacres sous la direc­tion d’un pré­lat. Sa prin­ci­pale carac­té­ris­tique est l’ab­sence de lien à un ter­ri­toire, contrai­re­ment à la plu­part des dio­cèses : les prêtres de la pré­la­ture peuvent être répar­tis dans le monde entier. Les objec­tifs fixés par le droit canon pour la créa­tion de ces struc­tures sont suf­fi­sam­ment vastes pour pou­voir être appli­qués à des ini­tia­tives de nature variée : « pro­mou­voir une répar­ti­tion adap­tée des prêtres », « accom­plir des tâches pas­to­rales ou mis­sion­naires par­ti­cu­lières en faveur de diverses régions ou divers groupes sociaux»… Le pré­lat a le droit d’é­ri­ger un sémi­naire, d’in­car­di­ner des sémi­na­ristes et de les appe­ler aux ordres. Les rela­tions avec les évêques (mise à dis­po­si­tion de prêtres au ser­vice des dio­cèses, prises en charge de cer­taines acti­vi­tés au sein d’un dio­cèse) doivent être pré­ci­sées dans les sta­tuts ou dans le cadre d’ac­cords bila­té­raux. C’est ain­si qu’un prêtre rele­vant d’une pré­la­ture peut exer­cer son minis­tère dans un lieu de culte affec­té spé­ci­fi­que­ment à la pré­la­ture, ou se voir confier, en fonc­tion des déci­sions du pré­lat et des accords avec les évêques, une église parois­siale.
(3) Il s’a­git d’un texte d’une tren­taine de lignes que doivent pro­non­cer, à titre d’exemple, les nou­veaux car­di­naux ou évêques, les curés ou les pro­fes­seurs de sémi­naires à leur entrée en fonction.