1. « Le pape », a récemment déclaré Mgr Pozzo, « attend que la Fraternité Saint-Pie‑X décide d’entrer dans l’Eglise » [1]. Les choses sont donc claires : pour Mgr Pozzo et pour le pape, la Fraternité Saint-Pie X ne fait pas encore partie de l’Eglise. Le Vatican a d’ailleurs tiré les conséquences pratiques de cette manière de voir, puisque, à l’occasion du pèlerinage qu’elles ont accompli à Rome, du 9 au 14 février dernier, 200 religieuses de la Congrégation des Dominicaines enseignantes du Saint Nom de Jésus (Fanjeaux), accompagnées de leurs 950 élèves et d’une centaine de professeurs et parents, se sont vu refuser l’accès aux églises pour la célébration de la messe catholique, le motif invoqué étant que celle-ci serait célébrée par les prêtres de la Fraternité Saint Pie X. Nous en prenons acte. Ce fait soulève deux questions, qui sont liées.
2. La réponse à la première saute aux yeux, et, à vrai dire, depuis longtemps. Si l’on tient compte en effet de cette déclaration du représentant du Vatican, on comprend tout de suite quel sens il faut donner aux différentes démarches qui, depuis l’automne 2009, mettent en relations la Fraternité Saint-Pie X et le Saint Siège, et auxquelles préside justement Mgr Pozzo, en sa qualité de secrétaire de la Commission Ecclesia Dei. Dans l’esprit de Rome, ces démarches ont pour but que la Fraternité se décide à « entrer dans l’Eglise », ou plus exactement qu’elle prenne les moyens « d’atteindre la pleine réconciliation et la pleine communion avec le Siège apostolique » [2]. Et ces moyens, nous les connaissons. Ils n’ont pas varié depuis quarante ans. Rome exige toujours que nous acceptions les réformes doctrinales et disciplinaires accomplies par le dernier Concile : les principes doctrinaux de la liberté religieuse, de l’œcuménisme, et de la collégialité ; la nouvelle discipline liturgique de la messe et des sacrements ; la nouvelle discipline du Code de 1983. Alors que pour la Fraternité, il s’agit d’éclairer les esprits qui, à Rome, sont imbus de ces nouveautés, contraires à la Tradition de l’Eglise. Nous pourrions transposer ici, au niveau plus modeste de la Fraternité, ce que saint Augustin disait déjà de Notre Seigneur, et qui peut d’ailleurs se dire en parlant du témoignage auquel tout catholique est appelé : Non tacuit vitia eorum, ut ipsa potius eis displicerent, non medicus a quo sanabantur [3].
3. La deuxième question nous intéresse directement ici. Dans l’esprit des autorités romaines actuelles, que signifie « entrer dans l’Eglise » ? Et qu’est-ce que l’Eglise ? Remarquons-le d’ailleurs au passage : Mgr Pozzo ne dit pas que la Fraternité doit se décider à « entrer à nouveau », à « rentrer » ou à « revenir » dans l’Eglise ; il dit précisément : « entrer », ce qui suppose, en bonne logique, que la Fraternité n’a jamais fait partie de l’Eglise. Une pareille conclusion est évidemment contraire aux faits historiques les plus avérés, puisque la Fraternité a obtenu de Son Excellence Mgr Charrière une reconnaissance canonique en bonne et due forme, précisément le 1er novembre 1970, date de sa naissance au sein de la sainte Eglise. Cependant, il y a là une piste, qui doit nous mettre sur la voie de ce que l’on est bien obligé d’appeler une « nouvelle » ecclésiologie. Ecclésiologie nouvelle, peut-être, mais certainement rien moins que catholique.
4. La nouvelle définition de l’Eglise apparaît surtout dans les textes où, à Vatican II et depuis, les papes justifient la pratique de l’œcuménisme. Car cette pratique présuppose une conception nouvelle de l’Eglise. Jean-Paul II a défini l’œcuménisme par son but : « L’œcuménisme vise précisément à faire progresser la communion partielle existant entre les chrétiens, pour arriver à la pleine communion dans la vérité et la charité (Ut unum sint, n° 14). Et le Concile affirmait déjà la réalité de cette « communion partielle, bien qu’imparfaite ». : « En effet, ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême, se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique » (, n° 3). Or, nous allons le montrer, la réalité même de cette communion partielle et imparfaite équivaut à une notion de l’Eglise qui ne correspond plus à celle que Dieu nous a révélée et que le magistère de l’Eglise nous a transmise jusqu’ici.
5. En effet, de quelle « communion » s’agit-il ? L’Eglise est-elle précisément, en tant que telle, une communion ? Et qu’est-ce qu’une « communion » ? Le Grand Catéchisme de saint Pie X [4] enseigne que « le mot Eglise veut dire convocation ou réunion de personnes nombreuses » et il ajoute que « nous avons été appelés à l’Eglise de Jésus-Christ par une grâce particulière de Dieu, afin qu’avec la lumière de la foi et par l’observation de la loi divine nous lui rendions le culte qui lui est dû et nous parvenions à la vie éternelle ». Le mot « Eglise » désigne donc l’appel divin des créatures douées de raison en vue de l’unité d’une fin commune. Or, l’appel de Dieu définit une relation ayant pour termes d’une part Dieu et de l’autre les hommes qui sont appelés, de la même manière que le gouvernement divin implique une relation entre Dieu qui gouverne et les créatures douées d’intelligence qui sont gouvernées [5]. Si l’on envisage l’appel du côté de Dieu, l’Eglise doit s’entendre dans un sens très large comme une seule action divine qui appelle tous les hommes et même tous les anges, depuis Abel jusqu’au dernier des élus, en les rattachant au Christ d’une manière ou d’une autre [6]. Si l’on envisage l’appel du côté des hommes, l’Eglise doit s’entendre en différents sens stricts, et désigne autant d’actions divines différentes par lesquelles Dieu rattache les hommes au Christ.
6. Cela a lieu de quatre manières différentes. Premièrement, Dieu appelle ici-bas quelques hommes (les juifs) à professer socialement la foi dans le Messie à venir moyennant des expressions figurées et un culte charnel : en ce sens, l’appel divin correspond à la synagogue de l’Ancien Testament. Deuxièmement, Dieu appelle ici-bas tous les hommes à professer socialement la foi dans le Christ Rédempteur déjà venu, moyennant l’expression non plus figurée mais accomplie de la pleine vérité et un culte spirituel, sous la direction d’une hiérarchie définitivement établie : en ce sens, l’appel divin correspond à la société visible de l’Eglise militante. Troisièmement, Dieu appelle quelques hommes (les justes) à mériter le salut éternel, par la foi formée, c’est à dire par la foi accompagnée de la charité : en ce sens, l’appel divin correspond à la communion invisible des saints. Quatrièmement, Dieu appelle quelques hommes (les bienheureux) à obtenir le salut éternel et à jouir de la vision béatifique dans la gloire du ciel : en ce sens, l’appel divin correspond à l’Eglise triomphante.
7. Le mot « Eglise » peut donc s’entendre en quatre sens différents selon qu’il désigne autant d’ordres formellement distincts : premièrement et deuxièmement, un ordre de relations juridiques fondé sur la profession extérieure et publique de la foi dans la dépendance d’une autorité sociale (temporaire dans l’Ancien Testament ou définitive dans le Nouveau) ; troisièmement, un ordre de relations de mérite surnaturel, fondé sur la charité et l’état de grâce sanctifiante ; quatrièmement, un ordre de béatitude surnaturelle, fondé sur la vision et la gloire. C’est à la lumière de cette distinction que doit se comprendre l’enseignement du Grand Catéchisme de saint Pie X : il n’y a pas plusieurs Eglises mais différentes parties d’une seule et même Eglise, selon que les hommes sont unis au Christ soit par la profession sociale de la foi dans l’état de voie, soit par la vision béatifique dans l’état de terme, soit par la charité dans l’état de voie et de terme. La profession sociale définit l’Eglise comme une société tandis que la charité et la vision béatifique la définissent comme une communion. Si la société est une réalité visible et externe, la communion est une réalité invisible et interne. Et l’on n’appartient pas de la même manière à une société visible ou à une communion invisible. Tout comme celui du verbe « appartenir », le sens du verbe « entrer dans » sera donc très différent selon que l’on parle de l’Eglise comme d’une société ou comme d’une communion.
8. Or, du moins à première vue, les textes dont nous avons fait état ci-dessus, en notre n° 4, ne font pas la distinction pourtant requise entre : a) d’une part ce qui serait une communion visible et externe et qui équivaudrait donc à une société, fondée comme telle sur la profession de foi, c’est à dire sur l’acte extérieur et social de la vertu de foi et b) d’autre part une communion invisible et interne, fondée sur l’état de grâce, sur la vertu de la foi ou de la charité, ainsi que sur leurs actes intérieurs et individuels.
9. La société, ou la communion visible et externe, n’admet pas de degrés : elle est parfaite, seulement dans l’unique Eglise catholique ou elle n’est pas. Il s’agit en l’espèce de la communion des membres de l’Eglise. Elle repose sur le triple lien, social et canonique, de l’unité de la profession de la foi catholique, de la réception des sacrements et de la soumission aux mêmes pasteurs. Pie XII l’enseigne clairement dans Mystici corporis : « « Mais seuls sont réellement à compter comme membres de l’Eglise ceux qui ont reçu le baptême de régénération et professent la vraie foi, qui d’autre part ne se sont pas pour leur malheur séparés de l’ensemble du Corps, ou n’en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l’autorité légitime. « Tous, en effet », dit l’Apôtre, » nous avons été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps, soit juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit hommes libres » [7]. Par conséquent, comme dans l’assemblée véritable des fidèles il n’y a qu’un seul corps, un seul Esprit, un seul Seigneur et un seul baptême, ainsi ne peut-il y avoir qu’une seule foi ; et celui qui refuse d’écouter l’Eglise, doit être considéré d’après l’ordre du Seigneur, comme un païen et un publicain. Et ceux qui sont divisés pour des raisons de foi ou de gouvernement, ne peuvent vivre dans ce même corps ni par conséquent de ce même Esprit divin » [8]. En parfaite cohérence avec ce principe, Pie XII déclare ensuite que les apostats, les hérétiques et les schismatiques ne sont pas membres de l’Eglise, en faisant la distinction d’avec les autres pécheurs, qui, eux, restent dans l’Eglise, pourvu qu’ils professent la foi catholique et restent soumis aux pasteurs légitimes : « Car toute faute, même un péché grave, n’a pas de soi pour résultat – comme le schisme, l’hérésie, ou l’apostasie – de séparer l’homme du corps de l’Eglise » [9].
10. A la différence de la société, la communion invisible et interne admet des degrés : elle peut être plus ou moins parfaite. C’est en effet une communion mystique, qui repose sur le lien spirituel de la grâce sanctifiante et de la charité théologale. Or, ce lien rassemble non seulement les membres de l’Eglise qui sont en état de grâce, mais aussi tous ceux qui, tout en restant encore hors de l’Eglise, dans l’ignorance invincible de celle-ci, peuvent bénéficier de l’action intérieure du Saint Esprit et être ordonnés au Corps mystique du Rédempteur. Pie XII le dit encore dans Mystici corporis : l’encyclique enseigne que beaucoup d’hommes n’appartiennent pas réellement à l’Eglise visible mais lui sont tout de même ordonnés par un vœu et un désir inconscient. « Pour ceux-là même qui n’appartiennent pas à l’organisme visible de l’Église […] Nous les avons confiés à la protection et à la conduite du Seigneur […] car, même si, par un certain désir et souhait inconscient, ils se trouvent ordonnés au corps mystique du rédempteur, ils sont privés de tant et de si grands secours et faveurs célestes, dont on ne peut jouir que dans l’Église catholique » [10]. Comme l’a souligné à juste titre un éminent ecclésiologue, « au lieu de dire que ces chrétiens dissidents et séparés font partie de l’Eglise ou du Corps mystique par le vœu, ainsi que les théologiens avaient jusqu’ici pris l’habitude de le dire parfois, Pie XII s’abstient de recourir à cette formule et lui substitue cette autre, qui est plus générale, en disant que ces chrétiens sont ordonnés par un vœu inconscient » [11]. L’appartenance à l’Eglise ne coïncide donc pas avec l’appartenance à la communion mystique de charité.
11. Le tout premier schéma sur l’Eglise, préparé en vue du concile Vatican II, sous la direction du cardinal Ottaviani, faisait clairement cette distinction, dans le chapitre 2 consacré à la question des membres de l’Eglise [12]. Le § 2 parle des membres de l’Eglise et de la communion visible et externe. Il y est précisé que « ceux-là seuls doivent être considérés comme réellement membres de l’Eglise qui sont unis dans sa structure visible, comprenant son chef, et où le Christ gouverne l’Eglise par l’intermédiaire de son vicaire : ce sont donc ceux qui ont été purifiés par le bain de la régénération, professent la vraie foi catholique, reconnaissent l’autorité de l’Eglise et n’ont pas été totalement séparés de la structure visible du Corps mystique à cause de délits très graves ». Le § 3 parle de « tous ceux qui, en ne professant ni la vraie foi ni l’unité de la communion avec la Pontife romain, en ont le désir même inconscient ». Il est dit que, même avec ceux-là, « la pieuse Mère Eglise se sait unie pour de multiples raisons ». Mais il est bien précisé que cette union n’est pas celle d’une communion visible et externe, même imparfaite ; c’est « un certain lien dans le Saint Esprit, lequel opère par ses dons et ses grâces dans le Corps mystique lui-même, mais par sa vertu, sans exclure la grâce sanctifiante, agit aussi en dehors de ce Corps, pour que les frères séparés, selon la manière établie par le Christ, y soient incorporés ». Il est encore précisé que « l’Eglise ne cesse de prier pour que les frères séparés […] s’efforcent de quitter cet état dans lequel, pour obtenir le salut éternel, ils manquent de si nombreux et de si importants bienfaits et aides célestes, dont ne peuvent jouir que ceux qui sont réellement membres de l’Eglise ».
12. Par conséquent, s’il y a une communion, celle-ci a lieu non entre les sectes chrétiennes non catholiques et l’Eglise (comme de société à société) mais entre certains membres de ces sectes et l’Eglise catholique, entre certains non-membres et certains membres de l’Eglise. Le propos de Vatican II introduit ici au moins une confusion. Les enseignements de ce nouveau magistère, lorsqu’ils affirment la réalité d’une communion imparfaite et partielle, mais néanmoins réelle, entre les communautés chrétiennes non catholiques et l’Eglise, ne font pas la distinction entre le point de vue des sociétés prises comme telles et celui des individus. Ou encore entre les individus pris comme membres d’un organisme visible et les individus pris comme bénéficiant de l’action du Saint Esprit. La même ambiguïté se retrouve encore dans le passage suivant : « De même, chez nos frères séparés s’accomplissent beaucoup d’actions sacrées de la religion chrétienne qui, de manières différentes selon la situation diverse de chaque Église ou communauté, peuvent certainement produire effectivement la vie de grâce, et l’on doit reconnaître qu’elles donnent accès à la communion du salut » (Unitatis redintegratio, n° 3). La vie de la grâce peut certes être produite en raison de l’action du Saint Esprit qui agit directement sur une âme, malgré la communauté séparée dont elle fait partie et qui représente comme telle un obstacle à cette action. Mais la vie de la grâce ne peut être produite dans et par la communauté séparée en tant que telle.
13. Cependant, si on l’examine plus en détail, le propos de Vatican II n’est pas seulement ambigu. Il est clairement opposé à la vérité catholique. Jugeons en effet sur pièces.
14. Le pape Jean-Paul II explique en ces termes ce qui rend possible cette communion réelle, quoique partielle et imparfaite, au niveau externe et visible, entre l’Eglise catholique et les communautés chrétiennes séparées : « En dehors des limites de la communauté catholique, il n’y pas un vide ecclésial. De nombreux éléments de grande valeur (eximia) qui, dans l’Eglise catholique, s’intègrent dans la plénitude des moyens de salut et des dons de grâce qui font l’Eglise, se trouvent aussi dans les autres Communautés chrétiennes » (Ut unum sint, n° 13) ; « Par la grâce de Dieu, ce qui appartient à la structure de l’Eglise du Christ n’a pourtant pas été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales. En effet, les éléments de sanctification et de vérité présents dans les autres Communautés chrétiennes, à des degrés différents dans les unes et les autres, constituent la base objective de la communion qui existe, même imparfaitement, entre elles et l’Eglise catholique. Dans la mesure où ces éléments se trouvent dans les autres Communautés chrétiennes, il y a une présence active de l’unique Eglise du Christ en elles. C’est pourquoi le Concile Vatican II parle d’une communion réelle, même si elle est imparfaite. La constitution Lumen gentium souligne que l’Eglise catholique « se sait unie pour plusieurs raisons » avec ces Communautés, par une certaine et réelle union, dans l’Esprit Saint » (, n° 11).
15. Cet enseignement de Jean-Paul II ne fait que reprendre l’idée déjà présente dans les textes de Vatican II : « Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique » (, n° 8) ; « De plus, parmi les éléments ou les biens par l’ensemble desquels l’Église se construit et est vivifiée, plusieurs et même beaucoup, et de grande valeur, peuvent exister en dehors des limites visibles de l’Église catholique : la Parole de Dieu écrite, la vie de grâce, la foi, l’espérance et la charité, d’autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d’autres éléments visibles. Tout cela, qui provient du Christ et conduit à lui, appartient de droit à l’unique Église du Christ » (Unitatis redintegratio, n° 3).
16. Le Concile va même jusqu’à reconnaître une valeur salutaire aux communautés séparées prises en tant que telles, comme si le saint Esprit n’agissait pas seulement de manière directe sur les âmes égarées dans le schisme ou l’hérésie, mais utilisait la médiation de ces sociétés objectivement et juridiquement schismatiques et hérétiques : « Ces Églises et communautés séparées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique » (, n° 3). Cette affirmation lève l’ambiguïté signalée précédemment (cf notre n° 12) dans un sens contraire à la doctrine catholique, rappelée par le schéma du cardinal Ottaviani : elle affirme en effet que la communion imparfaite et partielle a lieu au niveau visible et externe et comme entre les sectes chrétiennes non catholiques, prises en tant que telles, et l’Eglise (ou comme de société à société). Cette affirmation contient une erreur contraire à la doctrine catholique de toujours. En effet, une communauté religieuse en tant que séparée de l’Eglise (ou en tant que secte) ne peut être utilisée par le Saint Esprit comme moyen de salut, puisque son état de séparation est un état de résistance au Saint Esprit. Celui-ci ne peut qu’agir directement sur les âmes (non sur la communauté). Enfin, comment est-il possible que la vertu salvatrice de ces communautés séparées puisse dériver de la plénitude de grâce et de vérité confiée à l’Eglise catholique ? En effet, l’unique et indispensable dispensateur de grâce et de vérité est le Souverain Pontife, Successeur de saint Pierre et vicaire du Christ ; et celui-ci n’est autre que l’évêque de Rome, chef visible de l’Eglise catholique. Or, les communautés séparées sont en tant que telles constituées par le refus du primat de l’évêque de Rome. C’est pourquoi, aucune vertu salvatrice ne saurait dériver en elles de la plénitude de grâce et de vérité confiée à l’Eglise catholique.
17. Ces enseignements nient, sur le pan même de l’institution sociale et visible, l’identité stricte et adéquate qui existe entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique (rappelée par Pie XII dans Mystici corporis et Humani generis), puisque la présence et l’action de l’Eglise du Christ auraient lieu en dehors des limites visibles de l’Eglise catholique. Moyennant quoi, l’Eglise est d’abord et avant tout redéfinie comme l’Eglise « du Christ », distincte de l’Eglise catholique. L’action et la présence de l’Eglise du Christ dans les communautés chrétiennes non catholique est la raison précise pour laquelle ces communautés sont en communion réelle, quoique partielle et imparfaite, avec l’Eglise catholique. Tout se passe comme si la réalité même désignée par le mot « Eglise » admettait des degrés, du plus ou du moins, du parfait ou de l’imparfait, dans la ligne même d’une communion extérieure et visible.
18. Mais pour que cela fût, il faudrait que tout ce qui peut se rencontrer en fait de vérité révélée ou de sacrements, même valides, dans les communautés chrétiennes non catholiques, pût représenter des éléments « par l’ensemble desquels l’Église se construit et est vivifiée » et porter par soi-même « à l’unité catholique ». Et pour que cela fût possible, il faudrait que ces vérités et ces sacrements fussent reçus de l’unique autorité divinement instituée par Dieu, celle du pape, évêque de Rome. Or, par définition, les communautés chrétiennes non catholiques refusent de recevoir ces vérités et ces sacrements de la main du vicaire du Christ. Par définition et en tant que telles, elles ne sont pas bâties sur l’unique pierre, sur laquelle le Christ a voulu édifier son Eglise. Elles on rejeté en effet cette unique pierre d’angle. Et donc, elles ne peuvent pas retenir comme des éléments appartenant en propre à l’Eglise ni les sacrements, même valides, ni la sainte Ecriture, ni les vérités révélées. Elles ne le peuvent pas, du simple fait qu’elle en usent d’une manière qui n’est pas celle voulue par le Christ, c’est à dire d’une manière qui rejette la dépendance nécessaire vis-à-vis du gouvernement et du magistère hiérarchiques de l’unique vicaire du Christ, l’évêque de Rome.
19. En réalité, l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique sont absolument unes et identiques, car l’Eglise du Christ est celle que gouverne le vicaire du Christ, chef de l’Eglise catholique et évêque de Rome, successeur de saint Pierre. C’est pourquoi, il ne saurait y avoir en dehors de l’Eglise catholique des éléments de vérité et de sanctification propres à l’Eglise du Christ. Tout ce qui peut se rencontrer en fait de vérités révélées ou de sacrements, même valides, dans les communautés chrétiennes non catholiques, ne saurait représenter des éléments « par l’ensemble desquels l’Église se construit et est vivifiée » ni porter par soi-même « à l’unité catholique ». Car tout cela se trouve en opposition avec le principe même de l’unité de l’Eglise, qui est le pape.
20. « Entrer dans l’Eglise » ? Pour ce faire, il suffit, dit Pie XII, d’avoir reçu un baptême valide, de professer la foi catholique et de reconnaître l’autorité des pasteurs légitimes. La Fraternité Saint Pie X réalise cette triple condition. Elle fait donc partie de l’Eglise. Mgr Pozzo estime que non, du fait que la Fraternité refuse ce qui, selon lui, doit faire partie de la profession de la foi catholique : la liberté religieuse, l’œcuménisme, la collégialité, la nouvelle messe et le nouveau droit canonique. Mais tout cela s’oppose à la foi catholique. Et tout cela présuppose aussi que l’autorité du vicaire du Christ n’est pas un élément essentiellement requis à la définition de l’Eglise. Ce présupposé se retrouve à profusion dans les textes du magistère postconciliaire. Le plus représentatif d’entre eux est celui du n° 17 de la Lettre Communionis notio, de la sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi, en date du 28 mai 1992. C’est un passage auquel feront écho la Déclaration Dominus Jesus de 2000 et les Réponses sur le Subsistit de 2007. On retrouve à chaque fois la même idée selon laquelle « l’Église une, sainte, catholique et apostolique est vraiment présente dans toute célébration valide de l’eucharistie ». Benoît XVI énonce d’ailleurs le même principe dans l’Exhortation Sacramentum caritatis de 2007, lorsqu’il affirme que « l’eucharistie est constitutive de l’être et de l’agir de l’Église » [13]. Cette idée en amène une autre. Si la communion de l’Église trouve son centre dans la célébration valide de l’eucharistie, alors « cette communion existe spécialement avec les églises orientales orthodoxes qui, bien que séparées du Siège de Pierre, […] méritent le titre d’églises particulières. En effet, par la célébration de l’eucharistie du Seigneur dans ces églises particulières, l’Église de Dieu s’édifie et grandit » [14]. On s’empresse aussitôt de préciser que « puisque la communion avec l’Église universelle, représentée par le Successeur de Pierre, n’est pas un complément extérieur à l’Église particulière, mais un de ses éléments constitutifs internes, la situation de ces vénérables communautés chrétiennes implique aussi une blessure de leur condition d’église particulière ». Mais le principe de base reste posé : la communion de l’Église résulte d’abord et avant tout de la célébration valide de l’eucharistie. L’absence de la primauté du successeur de Pierre a simplement pour effet une blessure, qui rend la communion moins parfaite. Cette absence n’a pas pour effet une mort, qui viendrait anéantir on ne peut plus radicalement l’unité de l’Église.
21. Et c’est justement pour demeurer dans l’Eglise que la Fraternité n’accepte pas un tel présupposé. La Fraternité refuse ces enseignements nouveaux, parce qu’elle y voit la négation pratique de la primauté du vicaire du Christ. La Fraternité répond donc à Mgr Pozzo qu’elle entend rester fidèle au principe même de la papauté, qui fait partie de la définition de l’Eglise et dont les textes du concile voudraient nous apprendre à nous moquer. Mais on ne se moque pas de Dieu. Ni de son vicaire. La « pleine communion » souhaitée par le secrétaire d’Ecclesia Dei est un leurre et une imposture, elle s’inscrit dans une ecclésiologie étrangère au dogme catholique.
Nous n’en voulons pour rien au monde, car on ne se moque pas de Dieu ni de son Eglise.
C’est pourquoi, tant que ces idées, contraires à la foi catholique, feront l’objet de l’exigence du pape et de son représentant, la Fraternité ne pourra s’y résoudre.
Abbé Jean-Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : Article paru dans le Courrier de Rome d’avril 2015, n° 386 (576).
- Propos parus dans l’Agence de presse I.Media et relatés par le journal La Croix, le 20 mars 2015.[↩]
- Entretien paru dans Famille chrétienne du 20 octobre 2014.[↩]
- « Il n’a pas gardé le silence sur leurs vices, afin de leur inspirer l’horreur de ces vices, et non la haine du médecin qui les guérissait » – Saint Augustin, Commentaire sur le Psaume 63, verset 3. Ce passage figure dans la liturgie du Vendredi Saint, à l’office des Matines dont il constitue la 2e leçon.[↩]
- Grand Catéchisme de saint Pie X, 1re partie (Explication du Credo), sur l’article 9, § 5, Itinéraires n° 116 (septembre-octobre 1967), p. 120. Référence abrégée en KTX.[↩]
- Cf saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1a pars, question 108, article 1, corpus.[↩]
- C’est le sens qui est retenu par saint Thomas dans la Somme théologique, à la question 8 de la tertia pars, question qui traite précisément de la grâce capitale du Christ et considère donc les choses du point de vue du Christ, chef de « l’Eglise », laquelle sera entendue en des sens très différents.[↩]
- 1 Cor, 12/13.[↩]
- Pie XII, « Encyclique Mystici corporis du 29 juin 1943 » dans Les Enseignements Pontificaux de Solesmes, L’Eglise, t. 2, n° 1022.[↩]
- Pie XII, ibidem, n° 1023.[↩]
- Pie XII, ibidem, n° 1104[↩]
- Timothée Zapelena, sj, Le Corps et l’âme de l’Eglise d’après le magistère et la théologie, Courrier de Rome, 2013, n° 37, p. 38.[↩]
- Acta concilii Vaticani secundi, series II, vol. III, pars I, p. 139–140.[↩]
- Benoît XVI, Exhortation postsynodale Sacramentum caritatis du 22 février 2007, n° 15 : « L’Eucharistie est donc constitutive de l’être et de l’agir de l’Église. C’est pourquoi l’Antiquité chrétienne désignait par la même expression, Corpus Christi, le corps né de la Vierge Marie, le Corps eucharistique et le Corps ecclésial du Christ. Cette donnée bien présente dans la tradition nous aide à faire grandir en nous la conscience du caractère inséparable du Christ et de l’Église. Le Seigneur Jésus, en s’offrant lui-même pour nous en sacrifice, a annoncé à l’avance dans ce don, de manière efficace, le mystère de l’Église. Il est significatif que la deuxième prière eucharistique, en invoquant le Paraclet, formule en ces termes la prière pour l’unité de l’Église : « Qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps ». Ce passage fait bien comprendre comment la res du Sacrement de l’Eucharistie est l’unité des fidèles dans la communion ecclésiale. L’Eucharistie se montre ainsi à la racine de l’Église comme mystère de communion (cf. la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, 3a pars, question 80, article 4) ». L’Église serait donc le Corps du Christ par analogie d’attribution avec l’eucharistie. Mais nous devons nier le double présupposé, qui est censé autoriser cette analogie. En effet, dans le passage cité par le pape, saint Thomas enseigne précisément que l’eucharistie est le simple signe et non le signe efficace, c’est-à-dire à la fois signe et cause efficiente, de l’Église. Et d’autre part, saint Thomas entend ici par « Église » la communion invisible de la grâce et de la charité, non la société visible et hiérarchique.[↩]
- Communionis notio, n° 17.[↩]