Dans une conférence de presse à Ecône le 15 juin 1988, Mgr Lefebvre expose aux journalistes les raisons pour lesquelles il est impossible de faire confiance aux autorités romaines dans les conditions de la crise de l’Eglise actuelle et pourquoi il est absolument nécessaire de procéder à des sacres épiscopaux.
Afin d’expliquer les sacres épiscopaux à venir pour le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre convoque les médias à Ecône. Le 15 juin, il tient une conférence de presse, à peine descendu de voiture, de retour d’un voyage. Le dossier de presse établi par le directeur du séminaire, l’abbé Alain Lorans, comporte une « déclaration publique du prélat » restée dans ses papiers depuis sa rédaction le 19 octobre… 1983 : « Pour sauvegarder le sacerdoce catholique qui continue l’Eglise et non une Eglise adultère, y lit-on, il faut des évêques catholiques. »
L’exposé terminé, les questions fusent dans la grande salle de classe où se pressent plus de cent journalistes.
- Le schisme va écarter de vous de nombreux fidèles…
- Eh bien ! nous verrons. Et même si cela dure dix ou vingt ans.
Mgr Lefebvre se prête à toutes les questions avec un calme, une complaisance qui stupéfie les reporters. Ce qui n’empêche pas l’un d’eux, très franc, de confier à un séminariste à la sortie : « Votre patron, je vais le descendre ! »
La conférence de presse audio
Transcription de la conférence
Nous nous sommes permis de vous inviter comme nous l’avions fait il y a maintenant treize ans en 1975, au moment des événements difficiles entre Rome et Écône et qui nous frappaient. Nous sommes de nouveau, on pourrait dire, à un été chaud.
Avant d’en arriver tout de suite aux événements de ces derniers jours et des jours prochains, je voudrais d’abord vous faire un petit exposé afin que vous compreniez mieux la situation, et que dans les compte rendus que vous écrirez dans les journaux, vous puissiez faire, autant que possible, des rapports objectifs.
Il faut placer les événements qui se passent aujourd’hui et qui vont se passer demain – particulièrement la consécration épiscopale de quatre jeunes évêques le 30 juin – dans le contexte de nos difficultés avec Rome, non seulement depuis 1970, depuis la fondation d’Écône, mais depuis le Concile.
Au Concile, moi-même et un certain nombre d’évêques nous avons lutté contre le modernisme et contre les erreurs que nous estimions inadmissibles et incompatibles avec la foi catholique. Le problème de fond, c’est cela. C’est une opposition formelle, profonde, radicale, contre les idées modernes et modernistes qui sont passées à travers le Concile.
Vous me direz, mais qu’est-ce que vous entendez par là ? Eh bien je vais vous citer quelques sujets de ce modernisme. Ce sont par exemple l’acceptation des Droits de l’homme de 1789.
C’est le droit commun dans la société civile, de toutes les religions c’est-à-dire le principe de la laïcité de l’État.
C’est l’œcuménisme ou l’association de toutes les religions. C’est Assise, c’est Kyoto, ce sont les visites à la Synagogue, au Temple protestant ; et dans l’Église c’est la collégialité, avec les synodes, les conférences épiscopales, le changement de la liturgie, le changement de la catéchèse, l’augmentation de la participation des laïcs et des femmes dans les domaines religieux. Vous en avez parlé dans vos journaux, vous connaissez bien ces choses-là puisque tout cela a paru à l’occasion des synodes de Rome. C’est la négation du passé de l’Église. Il y a un combat qui est mené dans l’Église pour faire disparaître le passé, la Tradition de l’Église. Cette persécution continuelle contre ceux qui veulent demeurer catholiques, comme l’étaient les papes avant Vatican Il. Voilà notre position. Nous continuons ce que les papes ont enseigné et ont fait avant Vatican II. Nous nous opposons à ce qu’ont fait les papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II actuellement, parce qu’ils ont accompli une rupture avec leurs prédécesseurs. Nous préférons la tradition de l’Église à l’œuvre de quelques rares papes qui s’opposent à leurs prédécesseurs.
Cependant nous avons voulu garder le contact avec Rome, au cours de ces années, depuis 1976, au moment où nous avons reçu la suspens a divinis, parce que nous continuions à faire des ordinations sacerdotales. Nous avons voulu garder le contact avec Rome, espérant que la Tradition retrouverait un jour ses droits. Mais ce fut peine perdue.
Devant le refus de Rome de prendre en considération nos protestations et nos demandes de retour à la Tradition, et devant mon âge car j’ai maintenant 82 ans, je suis dans ma 83me année, il est évident que je sens la fin venir, il me faut un successeur. Je ne peux pas laisser cinq séminaires à travers le monde, sans évêque pour ordonner ces séminaristes, puisqu’on ne peut pas faire de prêtres sans évêque. Et que tant qu’il n’y aura pas d’accord avec Rome, il n’y aura pas d’évêques qui accepteront de faire des ordinations. Donc je me trouve dans une impasse absolue et j’ai un choix à faire : ou bien mourir et laisser mes séminaristes comme cela dans l’abandon et laisser mes séminaristes orphelins, ou bien faire des évêques. Je n’ai pas le choix.
Alors j’ai demandé à Rome plusieurs fois : laissez-moi faire des évêques, permettez-moi d’avoir des successeurs. C’est pourquoi, le 29 juin dernier (1987), j’ai fait une allusion claire dans ma prédication ici à Écône à l’occasion de l’ordination des séminaristes. J’ai dit, je vais faire des consécrations épiscopales puisque Rome ne veut pas m’écouter, ne veut pas entendre et nous abandonne. Je me vois obligé de me donner des successeurs. Par conséquent le 25 octobre prochain, je consacrerai des évêques pour ma succession. Grand émoi à Rome !
C’est à partir de cette déclaration que Rome s’est émue, profondément, et que j’ai reçu une lettre le 28 juillet, après avoir rencontré le cardinal Ratzinger le 14 juillet, auquel j’ai dit : « Ou Rome m’accorde de faire des évêques, ou je les fais moi-même ». Dans , le cardinal Ratzinger m’a répondu : « Pour ce qui est des évêques, il faut attendre que votre Fraternité soit reconnue. Pour le reste, nous pouvons peut-être vous faire des concessions, sur la liturgie, sur l’existence de vos séminaires et ensuite à la rigueur vous envoyer un visiteur ».
J’avais demandé effectivement une visite, pour que l’on nous connaisse puisque l’on ne nous connaissait pas, on ne venait pas nous voir. Il y a donc eu une ouverture de la part de Rome à ce moment-là. J’avoue que j’ai beaucoup hésité. Est-ce que je devais accepter cette ouverture ou est-ce que je devais la refuser. J’avais bien envie de la refuser parce que je n’ai aucune confiance dans ces autorités romaines, je dois bien le dire, car leurs idées sont complètement opposées aux nôtres. Nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d’ondes, je n’avais donc aucune confiance.
Nous avions toujours été persécutés, c’était encore l’époque de Port-Marly, de la persécution de l’abbé Lecareux pour ses paroisses, approuvée par Rome d’ailleurs, les évêques étant approuvés par Rome. Tout cela ne nous inspirait pas du tout confiance de nous mettre dans les mains de Rome, d’une Rome qui combattait la Tradition.
Cependant nous avons voulu faire un effort : essayons, nous allons sonder quelles vont être les dispositions de Rome à notre égard. C’est dans cet esprit-là que je suis allé à Rome et qu’ensuite nous avons reçu la visite du cardinal Gagnon. Il semble que cette visite a été favorable. J’avoue que je n’en sais rien, puisque je n’ai pas eu un seul mot du résultat de cette visite qui a eu lieu il y a sept mois. Je l’ai dit au cardinal Ratzinger : c’est inadmissible. On fait une visite pour savoir si nous faisons bien, si nous faisons mal, s’il y a des reproches à nous faire, s’il y a des compliments à nous faire, et l’on ne nous dit rien. Je n’ai rien su de la visite en 1974 des deux prélats belges qui sont venus visiter le séminaire voilà maintenant quatorze ans. Je n’ai jamais reçu une seule ligne me disant quel était le résultat de cette visite.
Alors le cardinal Gagnon est venu, et puis ensuite on nous a proposé des colloques pour réaliser un protocole préparant un accord destiné à mettre en place les institutions qui auraient régi la tradition. Nous avons donc eu ces colloques. J’avoue que j’aurais bien voulu participer moi-même au premier des colloques, mais ils ont préféré que je n’y sois pas et que je désigne un théologien et un canoniste. C’est ce que j’ai fait. J’ai désigné M. l’abbé Tissier de Mallerais et M. l’abbé Laroche pour se rendre à Rome, pour s’entretenir avec des représentants du cardinal Ratzinger. Ils étaient trois : un théologien, un canoniste et le P. Duroux qui présidait cette réunion.
Une première rédaction a été mise au point après quarante-huit heures, réglant les questions doctrinales et les questions disciplinaires. Nous avons été surpris de voir qu’ils voulaient nous faire signer un texte doctrinal. Étant donnée l’ouverture qu’avait manifestée le cardinal Ratzinger par sa lettre du 28 juillet 1987, l’année dernière, il n’était plus question de problèmes doctrinaux. Nous avons donc été un peu surpris que l’on nous remette sous les yeux ce qui avait fait l’objet d’une incompréhension pendant quinze ans. Nous étions opposés par des questions doctrinales précisément. Mais comme l’article 3 de la partie doctrinale du protocole assurait que nous pouvions reconnaître qu’il y avait des points dans le Concile, dans la liturgie et dans le Droit canon qui n’étaient pas parfaitement conciliables avec la Tradition, alors cela nous a satisfait. En quelque sorte on nous donnait satisfaction sur ces points-là. Cela nous permettait de discuter des points dans le Concile, dans la liturgie, et dans le Droit canon. C’est ce qui nous a permis de signer ce protocole doctrinal, sans quoi nous ne l’aurions pas signé.
Et puis venaient ensuite les questions disciplinaires. Il y avait surtout la question de l’évêque, celle d’un bureau à Rome, bureau dans lequel Rome aurait eu cinq membres et nous seulement deux. Cela ne nous plaisait pas beaucoup. Nous avons discuté parce que nous trouvions que vraiment nous étions mis en minorité dans ce bureau de Rome. Mais d’autre part, ensuite, dans une certaine mesure, nous étions exempts de la juridiction des évêques.
Au cours d’une seconde réunion, cette fois avec le cardinal Ratzinger et moi-même et avec les différents théologiens, canonistes, qui avaient déjà discuté entre eux, nous sommes arrivés à une conclusion, sur le papier, acceptable. Le cardinal Ratzinger a d’abord signé ; moi j’ai signé le 5 mai à Albano. Le protocole était donc signé.
La presse a annoncé : accord entre Mgr Lefebvre et le Vatican. Il semble que les choses s’arrangent, que tout va s’arranger. Personnellement comme je vous l’ai dit, j’allais avec méfiance. J’ai toujours éprouvé un sentiment de méfiance et je dois avouer que j’ai toujours pensé que tout ce qu’ils faisaient c’était pour parvenir à nous réduire, à accepter le Concile et les réformes post-conciliaires. Ils ne peuvent admettre, et d’ailleurs le cardinal l’a dit récemment dans une interview à un journal allemand :
Nous ne pouvons pas accepter qu’il y ait des groupes, après le Concile, qui n’admettent pas le Concile et les réformes qui ont été faites après le Concile. Nous ne pouvons pas admettre çà.
Le cardinal l’a plusieurs fois répété :
« Monseigneur il n’y a qu’une Église, il ne peut pas y avoir d’Église parallèle ». Je lui ai dit : « Éminence ce n’est pas nous qui faisons une Église parallèle puisque nous continuons l’Église de toujours, c’est vous qui faites l’Église parallèle en ayant inventé l’Église du Concile, celle que le cardinal Benelli a appelé l’Église conciliaire, c’est vous qui avez inventé une église nouvelle, pas nous, c’est vous qui avez fait de nouveaux catéchismes, de nouveaux sacrements, une nouvelle messe, une nouvelle liturgie, ce n’est pas nous. Nous, nous continuons ce qui a été fait auparavant. Ce n’est pas nous qui faisons une nouvelle Église ».
Nous avons donc senti, tout au cours de ces colloques, un désir, une volonté de nous ramener au Concile.
Bien. Malgré tout, j’ai signé, j’ai essayé de montrer de la bonne volonté mais dès le jour même où nous avons décidé de signer, à propos de l’évêque j’ai demandé au cardinal Ratzinger : « Alors, maintenant, nous allons signer le protocole, est-ce que vous pourriez déjà nous donner la date pour la consécration de l’évêque »(c’était le 4 mai). « Vous avez le temps d’ici le 30 juin de me donner le mandat pour l’évêque. J’ai moi-même participé à la présentation des évêques quand j’étais Délégué apostolique, pour trente-sept évêques, je sais comment cela se fait. » J’avais présenté les noms. Les noms étaient déjà sur le bureau du Vatican, trois noms, c’est ce qu’on appelle la terna. C’est un terme classique à Rome pour dire les trois noms des évêques qui sont proposés, et le Saint-Siège choisit parmi ces trois noms. J’ai donc donné trois noms. « D’ici le 30 juin vous avez le temps de préparer, de faire une enquête et de me donner le mandat.
– Ah ! non, non, non, c’est impossible ; le 30 juin, impossible.
– Alors quand ? Le 15 août ? À la fin de l’année mariale ? Ah ! non, non, non, Monseigneur. Vous savez bien, le 15 août à Rome il n’y a plus personne. Du 15 juillet au 15 septembre ce sont les vacances, il ne faut pas compter sur le 15 août, ce n’est pas possible.
– Alors disons le 1er novembre, la Toussaint ?
– Ah ! je ne sais pas, je ne peux pas vous le dire.
– Pour Noël ?
– Je ne peux pas vous le dire ».
J’ai dit : « C’est fini, j’ai compris. On veut nous mener en bateau, c’est terminé, c’est fini, je n’ai plus confiance ». J’avais bien raison de ne pas avoir confiance, on est en train de nous jouer. J’ai perdu confiance complètement. Et le jour même, le 5 mai, j’ai écrit une lettre au Pape et une lettre au cardinal Ratzinger en disant : « J’avais espéré arriver à un résultat, je crois que c’est terminé. Nous voyons très bien. Il y a une volonté de la part du Saint-Siège de vouloir nous soumettre à ses volontés et à ses orientations. C’est inutile de continuer. Nous sommes tout à fait opposés l’un à l’autre. »
Grand émoi évidemment à Rome à ce moment-là, au sujet de cette lettre que j’ai écrite : « Comment, vous dénoncez le protocole ? Ce n’est pas permis, c’est lamentable ».
Oui, mais je puis vous lire rapidement quelques extraits de cette lettre que j’ai écrite : c’était le 6 mai. Au courrier du cardinal était joint un projet de lettre à faire au Pape dans lequel il fallait que je demande pardon non pas pour ça, mais pour tout ce qui a été fait au cours de ces treize années passées, pour les torts que j’avais pu avoir, même en toute bonne foi. Ce sont eux qui écrivent cela pour que je le signe ; ce n’est pas moi. « En toute bonne foi on peut commettre des erreurs. Ainsi je vous prie humblement de pardonner tout ce qui dans mon comportement ou celui de la Fraternité, a pu blesser le Vicaire du Christ et l’Église ».
Toutes ces choses que l’on avait abandonnées, on les remettait de nouveau sous nos yeux. Les tracasseries que l’on remettait sous nos yeux manifestaient qu’il n’y avait pas de bonne volonté vis-à-vis de nous, et que le seul désir du Saint-Siège était de nous ramener au Concile et aux réformes.
C’est pourquoi on vous a remis la lettre qu’en définitive j’ai écrite au Pape le 2 juin.
« Très Saint-Père, les colloques et entretiens avec le cardinal Ratzinger et ses collaborateurs, bien qu’ils aient eu lieu dans une atmosphère de courtoisie et de charité, nous ont convaincu que le moment d’une collaboration franche et efficace n’est pas encore arrivé », étant donné que le but de cette réconciliation n’est pas du tout le même pour le Saint-Siège que pour nous. J’ajoutais : « C’est pourquoi nous nous donnerons nous-même les moyens de poursuivre l’œuvre que la Providence nous a confiée ».
Évidemment affolement à Rome ! J’ai reçu, après, une lettre du Saint-Père, signée de lui-même, me suppliant de garder l’unité, l’unité de l’Église, de ne pas diviser l’Église, de demeurer dans la fidélité à l’Église.
Mais précisément, nous ne sommes pas dans la même vérité. Pour eux la vérité est évolutive, la vérité change avec le temps, et la Tradition : c’est Vatican II aujourd’hui. Pour nous la Tradition c’est ce que l’Église a enseigné depuis les apôtres jusqu’à nos jours. Pour eux, non, la Tradition c’est Vatican II qui résume en lui-même tout ce qui a été dit précédemment. Les circonstances historiques sont telles que maintenant il faut croire ce que Vatican II a fait. Ce qui s’est passé avant, ça n’existe plus. Cela appartient au temps passé. C’est pourquoi le cardinal n’hésite pas à dire « Le Concile Vatican II est un anti-Syllabus ». On se demande bien comment un cardinal de la Sainte Église peut dire que le Concile de Vatican II est un anti-Syllabus, acte très officiel du Pape Pie IX dans l’encyclique Quanta Cura. C’est inimaginable.
J’ai dit un jour au cardinal Ratzinger : « Éminence, il faut que nous choisissions : ou bien la liberté religieuse telle qu’elle est dans le Concile, ou bien le Syllabus de Pie IX. Ils sont contradictoires et il faut choisir. » Alors il m’a dit : « Mais Monseigneur nous ne sommes plus au temps du Syllabus.
– Ah ! ai-je dit, alors la vérité change avec le temps. Alors ce que vous me dites aujourd’hui, demain ce ne sera plus vrai. Il n’y a plus moyen de s’entendre, on est dans une évolution continuelle. Il devient impossible de parler ».
Ils ont cela dans l’esprit. Il m’a répété : « Il n’y a plus qu’une Église, c’est l’Église de Vatican II. Vatican II représente la Tradition ». Malheureusement, l’Église de Vatican II s’oppose à la Tradition. Ce n’est pas la même chose.
Alors le Pape me supplie de ne pas briser l’unité de l’Église. Il me menace des peines canoniques si je fais ces consécrations le 30 juin prochain.
Je vous avoue que l’ambiance dans laquelle se sont déroulés les colloques précédant la rédaction du protocole, puis les faits qui ont atteint ceux qui se sont ralliés à Rome donnent à réfléchir.
Je prends l’exemple de Dom Augustin, qui a un couvent à Flavigny dans lequel il y a vingt-quatre prêtres que j’ai moi-même ordonnés, des bénédictins, et qui me quitte et me dit : « Monseigneur, je ne peux plus rester avec vous, je me rallie à Rome ; je rentre dans l’obéissance avec Rome ; je ne peux pas rester avec vous. » Bien, il s’est rallié à Rome avec l’espoir qu’on lui garderait la Tradition, qu’il conserverait dans son monastère, c’est-à-dire la messe traditionnelle pour ses moines, pour la messe conventuelle. Eh bien, Rome a exigé que pour la messe conventuelle ce soit la messe du Concile et non pas la messe ancienne. Au lieu de nous dire vous pouvez garder la Tradition, on change la Tradition.
Prenons un deuxième exemple ; Encore un monastère : Fontgombault. Ils ont accepté par obéissance de garder pendant quinze ans la messe nouvelle ; parce que les évêques avaient dit qu’il fallait prendre la messe nouvelle, ils l’ont fait. Vient l’indult de Rome ; tous ceux qui ont accepté la messe nouvelle, désormais pourront dire la messe ancienne. Cela s’appliquait parfaitement à Fontgombault. Refus de l’archevêque de Bourges. Vous ne pouvez pas dire la messe ancienne pour la messe conventuelle. Vous devez garder la messe nouvelle, c’est comme çà. L’abbé de Fontgombault va voir à la Congrégation du Culte à Rome, Mgr Mayer, qui lui dit : « Vous savez c’est difficile, essayez donc de voir le Pape ». Le Pape le renvoie au cardinal Mayer disant : « Faites un effort, peut-être on pourra arranger cela… » Le cardinal Mayer finit par le renvoyer à l’évêque de Bourges, et ils sont toujours avec la messe nouvelle pour la messe conventuelle.
Et pourtant ils remplissaient parfaitement les conditions de l’indult.
Nous ne pouvons pas avoir confiance, ce n’est pas possible. Et je vais vous citer un dernier exemple : un exemple extraordinaire.
Vous avez entendu parler, sans doute, et vous avez fait quelques articles dans les journaux, il y a deux ans, sur les transfuges d’Écône, les fameux transfuges d’Écône ! Etaient partis d’ici, d’Écône, neuf séminaristes. Celui qui a été le chef en quelque sorte de cette petite rébellion, l’abbé N. est resté dans le séminaire pendant un certain temps, il cachait bien son jeu, et il est arrivé à déterminer huit autres séminaristes à quitter Écône. Il s’est mis en relation avec l’abbé Grégoire Billot, qui est ici en Suisse à Baden ; cet abbé Billot est lui-même en relation avec le cardinal Ratzinger ; il parle l’allemand. Il a téléphoné au cardinal Ratzinger : « Voilà, il y a à Écône neuf séminaristes qui sont prêts à partir. Qu’est-ce que vous leur promettez ? Qu’est-ce que vous faites avec eux ? ».
Oh ! C’est formidable ; c’est une occasion unique ; si on leur promet monts et merveilles, il y en aura d’autres qui vont venir. Il l’a dit explicitement. Le cardinal Ratzinger l’a dit « Je suis heureux qu’il y en ait qui aient quitté Écône et j’espère bien qu’il y en aura d’autres qui suivront les premiers. »
Vous le savez très bien, on a fait le fameux séminaire Mater Ecclesiae dirigé par un cardinal, le cardinal Innocenti, avec le cardinal Garrone et un troisième cardinal le cardinal Ratzinger, approuvé par le Pape officiellement dans L’Osservatore Romano. Une affaire mondiale. Tous les journaux du monde ont parlé de ce séminaire traditionnel fait avec les transfuges d’Écône et qui rassemblerait aussi bien des séminaristes qui avaient la même sensibilité.
Ils sont partis là-bas et se sont retrouvés peut-être une vingtaine de séminaristes.
Je vous assure que çà vaut la peine de lire cette lettre que vient de nous envoyer ces jours-ci l’abbé N. qui était l’instigateur du départ de ces séminaristes. Il écrit : « Je regrette », en gros titre dans sa lettre. « Je regrette, nous avons tout perdu, on n’a tenu aucune promesse. Nous sommes des misérables, nous ne savons plus même où aller ».
Eh bien voilà pour des gens qui ont voulu se rallier à Rome!… Cela va être notre cas. Nous en sommes de plus en plus persuadés. Plus nous réfléchissons à l’ambiance de ces colloques, plus nous nous rendons compte que l’on est en train de nous tendre un piège, de nous piéger, et que demain on nous dira désormais c’est fini la messe traditionnelle, il faut accepter la messe nouvelle aussi. Il ne faut pas être contre la messe nouvelle. Cela ils nous l’ont dit.
Voici un exemple qu’a donné le cardinal Ratzinger. « Par exemple à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Monseigneur, quand le protocole sera signé, que les affaires seront réglées, il est évident que Saint-Nicolas-du-Chardonnet ne va pas rester comme maintenant. Pourquoi ? Parce que Saint-Nicolas est une paroisse de Paris et dépend du cardinal Lustiger. Par conséquent il sera absolument nécessaire que dans la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet il y ait une messe nouvelle régulièrement, tous les dimanches. On ne peut pas accepter que les paroissiens qui désirent une nouvelle messe, ne puissent pas aller dans leur paroisse pour avoir cette messe nouvelle. » Voyez cela ! C’est le commencement de l’introduction : accepter la messe nouvelle, nous aligner… Ce n’est pas possible ! Nous nous sentons pris dans un engrenage dont nous ne pouvons plus sortir.
Des difficultés inextricables surgiront avec les évêques, avec les mouvements des diocèses qui voudront que nous collaborions avec eux si nous sommes reconnus par Rome. Nous aurons toutes les difficultés possibles et imaginables. Alors, c’est pourquoi je pense et qu’il m’a semblé en conscience que je ne pouvais pas continuer. J’ai décidé… D’où ma lettre du 2 juin au Saint-Père et l’annonce de la consécration des quatre évêques qui aura lieu le 30 juin.
Vous avez sur une feuille que l’on vous a remise, les indications sur ces futurs évêques.
L’Osservatore Romano publiera l’excommunication, une déclaration de schisme, évidemment.
Qu’est-ce que tout cela veut dire ?
Excommunication par qui ? Par une Rome moderniste par une Rome qui n’a plus parfaitement la foi catholique. On ne peut pas dire que quand il y a une manifestation comme à Assise, on est toujours catholique. Ce n’est pas possible. On ne peut pas dire que quand il y a Kyoto, et les déclarations qui ont été faites aux juifs à la Synagogue et la cérémonie qui a eu lieu à Sainte-Marie-du-Transtevere l’année dernière en pleine Rome, que l’on est encore catholique. C’est scandaleux. Ce n’est plus catholique.
Alors nous sommes excommuniés par des modernistes, par des gens qui ont été condamnés par les papes précédents. Alors qu’est-ce que cela peut bien faire. Nous sommes condamnés par des gens qui sont condamnés, et qui devraient être condamnés publiquement. Cela nous laisse indifférent. Cela n’a pas de valeur évidemment. Déclaration de schisme ; schisme avec quoi, avec le Pape successeur de Pierre ? Non, schisme avec le Pape moderniste, oui, schisme avec les idées que le Pape répand partout, les idées de la Révolution, les idées modernes, oui. Nous sommes en schisme avec cela. Nous n’acceptons pas bien sûr. Nous n’avons personnellement aucune intention de rupture avec Rome. Nous voulons être unis à la Rome de toujours et nous sommes persuadés d’être unis à la Rome de toujours, parce que dans nos séminaires, dans nos prédications, dans toute notre vie et la vie des chrétiens qui nous suivent, nous continuons la vie traditionnelle comme elle l’était avant le Concile Vatican II et qu’elle a été vécue pendant vingt siècles. Alors, je ne vois pas pourquoi nous serions en rupture avec Rome parce que nous faisons ce que Rome elle-même a conseillé de faire pendant vingt siècles. Cela n’est pas possible.
Voilà la situation actuelle. Il faut bien le comprendre pour ne pas pinailler sur elle.
Alors on peut penser : vous aviez un évêque, c’est bien. Vous pouviez avoir un peu plus de membres dans le conseil romain. Mais, ce n’est pas cela qui nous intéresse. C’est le problème de fond qui est toujours derrière nous et qui nous fait peur. Nous ne voulons pas être des collaborateurs de la destruction de l’Église. J’ai écrit dans mon livre Lettre ouverte aux catholiques perplexes – j’ai terminé par là – : « Je ne veux pas quand le Bon Dieu me rappellera qu’Il me dise : qu’est ce que tu as fait là-bas sur la terre ? Tu as contribué à démolir l’Église aussi ». Ce n’est pas vrai. Je n’ai pas contribué à démolir l’Église. J’ai contribué à la construire. Ceux qui la démolissent, ce sont ceux qui diffusent des idées qui détruisent l’Église et qui ont été condamnés par mes prédécesseurs. Voilà le fond de ces événements. Ces événements que nous allons vivre ces jours-ci, bien sûr vont faire parler et il y aura un monde fou à la cérémonie du 30 juin pour la consécration de ces quatre jeunes évêques qui seront au service de la Fraternité. Eh bien, ces quatre évêques seront au service de la Fraternité, voilà.
Celui qui aura donc en principe la responsabilité des relations avec Rome lorsque je disparaîtrai, ce sera le Supérieur général de la Fraternité, M. l’abbé Schmidberger, qui a encore six années de supériorat général à accomplir. C’est lui qui, éventuellement, aura désormais les contacts avec Rome pour continuer les colloques, s’ils continuent ou si le contact est maintenu ce qui est peu probable pendant quelque temps puisque dans L’Osservatore Romano va être mis sous un grand titre : « Schisme de Mgr Lefebvre, excommunication… » Pendant X années, peut-être deux ans, trois ans, je n’en sais rien cela va être la séparation.