En 1988, lorsque Mgr Lefebvre eut sacré quatre évêques, Rome réagit ausÂsiÂtôt par un docuÂment, Ecclesia Dei, où il est affirÂmé : « C’est pourÂquoi une telle désoÂbéisÂsance, qui constiÂtue en elle-​même un vériÂtable refus de la priÂmauÂté de l’évêque de Rome, constiÂtue un acte schisÂmaÂtique » [1]. Le texte expliÂciÂtait un peu plus loin cette penÂsée : « Personne ne peut resÂter fidèle à la Tradition en romÂpant le lien eccléÂsial avec celui à qui le Christ, en la perÂsonne de l’apôtre Pierre, a confié le minisÂtère de l’unité dans son Église » [2].
Epouvantées par ce préÂtenÂdu schisme, les comÂmuÂnauÂtés dites désorÂmais Ecclesia Dei sont nées. Le même docuÂment l’atteste. « A tous ces fidèles cathoÂliques qui se sentent attaÂchés à cerÂtaines formes liturÂgiques […], je désire ausÂsi maniÂfesÂter ma volonÂté […] de leur faciÂliÂter la comÂmuÂnion eccléÂsiale… » [3]. Et un peu plus loin : « Une comÂmisÂsion est insÂtiÂtuée […] dans le but de faciÂliÂter la comÂmuÂnion eccléÂsiale des prêtres, des sémiÂnaÂristes… » [4].
Lorsqu’en 2009 fut déciÂdée par Rome la levée des excomÂmuÂniÂcaÂtions, le texte réafÂfirÂmait l’existence du schisme : « Ce don de paix, […], veut ausÂsi être un signe pour proÂmouÂvoir l’unité dans la chaÂriÂté de l’Église uniÂverÂselle et arriÂver à supÂpriÂmer le scanÂdale de la diviÂsion. On souÂhaite que ce pas soit suiÂvi de la réaÂliÂsaÂtion rapide de la pleine comÂmuÂnion avec l’Église de toute la FSSPX… » [5]. La susÂpens a diviÂnis était maintenue.
Cette étiÂquette de schisÂmaÂtique a serÂvi d’épouvantail pour beauÂcoup. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare d’entendre que ceux qui résistent touÂjours aux autoÂriÂtés offiÂcielles ont une attiÂtude schisÂmaÂtique, qu’il y a un risque de s’ériger en petite église et par là de se couÂper défiÂniÂtiÂveÂment de Rome sous préÂtexte de refuÂser de se souÂmettre à ces mêmes autoÂriÂtés offiÂcielles. Une telle résisÂtance serait-​elle donc vraiÂment schisÂmaÂtique ? [6]
Notion de société
L’Église cathoÂlique est une sociéÂté. Certes surÂnaÂtuÂrelle. Mais vériÂtable sociéÂté cepenÂdant, puisque toute réaÂliÂté surÂnaÂtuÂrelle trouve son point d’ancrage sur une réaÂliÂté natuÂrelle. Rappelons donc pour comÂmenÂcer quelques vériÂtés philosophiques.
Une sociéÂté, n’est pas une sphère indéÂfiÂnisÂsable dans laquelle on renÂtreÂrait ou sorÂtiÂrait à son aise. Elle n’est pas une nébuÂleuse qui exisÂteÂrait par elle-​même, qui serait constiÂtuée dans son être et acheÂvée une fois constiÂtuée, tel un homme, un arbre, un aniÂmal, une plaÂnète. Les êtres sus-​nommés sont comÂpoÂsés de parÂties qui forment le tout (les feuilles de l’arbre, les organes du corps, etc.) et n’existent pas indiÂviÂduelÂleÂment en dehors de ce tout ou cet être. C’est ce que l’on appelle un tout substantiel.
La sociéÂté n’est pas un tout subÂstanÂtiel, pour cette raiÂson que les parÂties ou les membres de la sociéÂté ont une exisÂtence et une cerÂtaine autoÂnoÂmie en dehors du tout constiÂtué par la sociéÂté. Une famille, une entreÂprise, ne cessent pas d’exister en dehors de la sociéÂté poliÂtique. On dit alors qu’il s’agit d’un tout d’ordre parce que les parÂties sont réunies pour agir ensemble tout en garÂdant leur autoÂnoÂmie. Un tout d’ordre, c’est un tout d’action, c’est une réaÂliÂté sans cesse mouvante.
La sociéÂté n’est donc pas la simple juxÂtaÂpoÂsiÂtion de ses membres. C’est bien pluÂtôt une réaÂliÂté qui se défiÂnit par les actes des parÂties qui la comÂposent. Par exemple, une famille n’est pas le simple assemÂblage d’un homme, d’une femme et d’enfants. Ce qui défiÂnit la famille, c’est l’agir comÂmun de toutes ces perÂsonnes qui prennent part à la vie famiÂliale et qui gardent en même temps leur exisÂtence autoÂnome. Une sociéÂté se défiÂnit et se réaÂlise par la colÂlaÂboÂraÂtion suborÂdonÂnée de ses membres.
On apparÂtient donc à une sociéÂté quand on prend part à la vie même de cette sociéÂté, qu’on y contriÂbue par ses actions. Impossible donc de défiÂnir la sociéÂté (et ici l’Église) sans les actes qui sont posés par ses membres. En ce sens, il est imposÂsible de dire que l’Église (comme toute sociéÂté) est une réaÂliÂté figée. C’est une réaÂliÂté qu’il faut sans cesse entreÂteÂnir par les actions coorÂdonÂnées et suborÂdonÂnées des indiÂviÂdus qui la comÂposent. C’est cela que l’on appelle un tout d’action ou un tout d’ordre.
L’exemple le plus saiÂsisÂsant est celui de l’orchestre. Un orchestre n’existe pas sans ses musiÂciens qui le comÂposent. Et l’œuvre d’art exéÂcuÂtée maniÂfeste que l’orchestre est un tout d’ordre, un tout d’action.
L’unité de la société
Malgré les nomÂbreux membres qui comÂposent une sociéÂté, malÂgré les actions mulÂtiples et variées qui la défiÂnissent, on parle cepenÂdant de la sociéÂté au sinÂguÂlier. C’est dire que ce qui défiÂnit la sociéÂté, ce n’est pas tant la mulÂtiÂpliÂciÂté de ceux qui la comÂposent que l’unité qui en résulte.
Qu’est-ce à dire ? Dans un orchestre, pour reprendre cet exemple plus clair, on trouve pluÂsieurs insÂtruÂmenÂtistes. Le vioÂloÂniste, le flûÂtiste, le tromÂpetÂtiste et bien d’autres encore, ont une parÂtie musiÂcale difÂféÂrentes. Malgré ces difÂféÂrences (et grâce à elles), il est pourÂtant posÂsible de réaÂliÂser une belle Å“uvre musiÂcale. Cette beauÂté résulte non seuleÂment de l’action comÂmune de ces musiÂciens, mais ausÂsi de la colÂlaÂboÂraÂtion uniÂfiée de chaÂcune de leurs parties.
Ainsi, la sociéÂté se définit-​elle par l’unification de ces membres, c’est-à -dire l’unité réaÂliÂsée dans l’action.
Tout comme un corps est comÂpoÂsé [7] de ses difÂféÂrents membres et organes, ainÂsi la sociéÂté est la comÂpoÂsiÂtion de ses membres, en même temps qu’elle en est l’unité. Mais comme il s’agit d’un tout d’ordre ou d’action, et non d’un tout subÂstanÂtiel, l’unité qui en résulte est beauÂcoup plus fraÂgile dans la mesure où les sociéÂtés interÂméÂdiaires et les membres même de la sociéÂté gardent une cerÂtaine autonomie.
Cette uniÂté est donc une colÂlaÂboÂraÂtion. Étymologiquement cela signiÂfie que c’est un traÂvail comÂmun, ce qui n’est pas le cas du tout subÂstanÂtiel. Un tout subÂstanÂtiel, un minéÂral ou un homme par exemple, est un être comme figé dans sa nature. Tandis qu’une sociéÂté, c’est une uniÂfiÂcaÂtion des actiÂviÂtés ou une actiÂviÂté comÂmune. Son uniÂté relève donc de l’opération.
Mais qu’est-ce qui peut donc uniÂfier toutes les actiÂviÂtés de la sociéÂté ? C’est le bien comÂmun, ce à quoi la sociéÂté est ordonnée.
Bien commun
Toute colÂlaÂboÂraÂtion est une coorÂdiÂnaÂtion. Et qui dit coorÂdiÂnaÂtion dit, étyÂmoÂloÂgiÂqueÂment, ordiÂnaÂtion comÂmune. Or qu’est-ce qu’une ordiÂnaÂtion sinon une tenÂsion vers un but, une fin, un bien ? On comÂprend dès lors qu’une coorÂdiÂnaÂtion est une tenÂsion vers un but comÂmun, une fin comÂmune, un bien comÂmun. La fin est prinÂcipe d’ordre en toute chose : voiÂlà le prinÂcipe qu’il faut saisir.
Mais la difÂfiÂculÂté surÂgit lorsqu’il s’agit de défiÂnir le bien comÂmun. Penser à un bien, et qui plus est à un bien comÂmun, c’est souÂvent s’imaginer une réaÂliÂté matéÂrielle, une « chose » qui satisÂfasse l’individu dans le cas d’un bien perÂsonÂnel, ou une comÂmuÂnauÂté lorsqu’il s’agit d’un bien comÂmun. En effet, le bien est ce en quoi on peut se reposer.
Nous venons cepenÂdant de voir que la sociéÂté est une uniÂté d’action. Autrement dit, elle n’est pas staÂtique, elle n’est pas en repos. La vie poliÂtique est touÂjours une actiÂviÂté. Comment donc conciÂlier l’activité en quoi consiste la sociéÂté avec le bien comÂmun qui semble être un repos dans un bien posÂséÂdé. Car s’il y a repos dans un bien, il n’y a plus d’activité et la sociéÂté cesse d’être quand elle obtient son bien. Ou alors la sociéÂté contiÂnue d’être une actiÂviÂté et dans ce cas, elle n’obtient jamais de repos, autreÂment dit de bien commun.
Grande est donc la difÂfiÂculÂté de parÂler du bien comÂmun de la sociéÂté. Distinguons minutieusement.
La vie poliÂtique étant une actiÂviÂté ordonÂnée, elle n’est jamais en repos. De ce fait, elle ne peut être une fin en soi, malÂgré que l’homme ne puisse trouÂver son achèÂveÂment que par et dans la vie poliÂtique. Comme toute actiÂviÂté est ordonÂnée à une fin qui est son repos, il faut dire que la sociéÂté est elle-​même ordonÂnée à un bien comÂmun qui lui est « extéÂrieur ». Ainsi, en plus de son bien comÂmun qui lui est inhéÂrent, elle est ordonÂnée à un bien qui la dépasse et qui est son achèÂveÂment et son repos.
Pour le bien inhéÂrent à la sociéÂté on parÂleÂra de bien comÂmun intrinÂsèque ou immaÂnent, et pour le bien comÂmun qui la dépasse, et auquel elle est ordonÂnée, on parÂleÂra de bien comÂmun extrinÂsèque ou transÂcenÂdant [8].
Le bien comÂmun immaÂnent est celui que réaÂlisent les membres de la sociéÂté par leur actiÂviÂté comÂmune, en même temps qu’il boniÂfie l’homme dans tous ses biens (extéÂrieurs, corÂpoÂrels et spiÂriÂtuels). Voilà pourÂquoi saint Thomas appelle ce bien ordre, tranÂquilliÂté, paix, uniÂté, amiÂtié, bien-​être, sanÂté publique. Il s’agit tout simÂpleÂment de l’ordre poliÂtique, de l’harmonieuse colÂlaÂboÂraÂtion des parÂties. Pie XII le résume magniÂfiÂqueÂment : « Le bien comÂmun de la sociéÂté poliÂtique est la cohaÂbiÂtaÂtion sociale dans la paix, la tranÂquille cohaÂbiÂtaÂtion dans l’ordre » [9].
Quant au bien comÂmun transÂcenÂdant ou extrinÂsèque, il est le repos défiÂniÂtif ou final, c’est-à -dire ce à quoi est ordonÂnée toute la sociéÂté. Or ce terme qui dépasse la sociéÂté créée ne peut être que Dieu lui-​même, Dieu connu, aimé et serÂvi, en quoi consiste la fin de tout. En un mot, la contemÂplaÂtion de Dieu est la fin ultime de la société.
En garÂdant l’analogie avec l’orchestre, il appaÂraît que le bien comÂmun de l’orchestre qui interÂprète une Å“uvre est l’unité dans l’activité, l’harmonieuse colÂlaÂboÂraÂtion des difÂféÂrents musiÂciens entre eux d’une part (bien comÂmun intrinÂsèque : ils s’entendent bien!), et d’autre part l’agréable perÂcepÂtion et posÂsesÂsion de l’œuvre accomÂplie (bien comÂmun extrinÂsèque). Certes l’analogie a ses défiÂciences, mais elle perÂmet de mieux saiÂsir la réaÂliÂté comÂplexe de ce qu’est le bien commun.
Application à l’Église
Ces consiÂdéÂraÂtions phiÂloÂsoÂphiques, illusÂtrées par l’exemple de l’orchestre vont serÂvir à mieux saiÂsir le sujet qui nous concerne.
L’Église – et nous vouÂlons parÂler de l’Église ici-​bas – est une vériÂtable sociéÂté parÂfaite. Comme toute sociéÂté donc, elle a son uniÂté, son ordre, son bien comÂmun intrinÂsèque et extrinsèque.
Elle se défiÂnit comme la sociéÂté des bapÂtiÂsés qui proÂfessent la même foi, obéissent à la même loi de Jésus-​Christ, praÂtiquent les mêmes sacreÂments, le tout sous l’autorité de son chef Notre-​Seigneur dont le vicaire est le pape
Ainsi, l’ordre ou l’unité de la paix de l’Église, bien comÂmun immaÂnent, n’est autre que la colÂlaÂboÂraÂtion harÂmoÂnieuse des parÂties de l’Église entre elles, dans l’ordre vouÂlu par Notre-​Seigneur lui-​même. Église enseiÂgnante et Église enseiÂgnée ont chaÂcune leur place et leur rôle dans l’enseignement, la sancÂtiÂfiÂcaÂtion et le gouÂverÂneÂment. Ainsi sont assuÂrées l’unité, la paix, la tranÂquilliÂté, l’amitié, l’harmonie, et l’activité de l’Église, en quoi consiste son bien comÂmun intrinsèque.
Mais ce même bien est ordonÂné à un autre bien comÂmun, dit transÂcenÂdant, lequel consiste en la connaisÂsance et posÂsesÂsion défiÂniÂtive de Dieu qui proÂcure à l’homme sa plus grande féliÂciÂté. Le bien comÂmun extrinÂsèque de l’Église est au ciel la contemÂplaÂtion de Dieu dans son intiÂmiÂté pour l’éternité, contemÂplaÂtion antiÂciÂpée ici-​bas par la connaisÂsance de la foi que Dieu nous donne de lui-​même par la révéÂlaÂtion. Voilà pourÂquoi la chaÂriÂté ici-​bas est ordonÂnée à la contemÂplaÂtion au Ciel. Mais voiÂlà ausÂsi pourÂquoi la foi, connaisÂsance ici-​bas de Dieu dans l’obscurité et préÂlude de la contemÂplaÂtion, est le fonÂdeÂment de la chaÂriÂté. « Celui qui croiÂra et sera bapÂtiÂsé sera sauÂvé. » [10]
Hérésie et schisme
C’est fort de ces notions que l’on peut déveÂlopÂper plus préÂciÂséÂment ce que sont l’hérésie et le schisme.
Le catéÂchisme nous en donne les défiÂniÂtions. L’hérésie est la négaÂtion d’un ou pluÂsieurs articles de foi. Le schisme est une oppoÂsiÂtion à l’unité de la sociéÂté. C’est le refus, dit Cajetan, de se comÂporÂter comme parÂtie d’un tout.
Est héréÂtique donc celui qui refuse de proÂfesÂser au moins une vériÂté de foi. Il ne s’agit pas de déterÂmiÂner la quanÂtiÂté de vériÂtés crues ou refuÂsées. Ce qui est en cause, c’est le rejet de l’autorité divine qui révèle. L’hérétique se met hors de l’Église car il fait de sa raiÂson (de son senÂtiÂment ou de n’importe quoi d’humain) la raiÂson de croire ou ne pas croire.
Quant au schisÂmaÂtique, il n’est pas quesÂtion de vériÂté de foi. Au contraire, il peut bien garÂder la foi (un temps durant). Mais il refuse d’appartenir à l’unité d’un corps social, ce qui peut se faire de deux façons : soit en refuÂsant de comÂmuÂniÂquer avec les parÂties ou les membres de ce corps (c’est le refus de l’agir comÂmun), soit en refuÂsant de se souÂmettre à l’autorité de ce corps. En réaÂliÂté, ce qui le défiÂnit, c’est qu’il n’agit plus comme parÂtie du tout social et politique.
Le bien commun de l’Église
Il est alors imporÂtant de comÂprendre qu’au-delà des défiÂniÂtions qui viennent d’être donÂnées, schisme et héréÂsie s’opposent direcÂteÂment au bien comÂmun de l’Église.
En tant que refus de l’unité, le schisme brise le bien comÂmun immaÂnent de l’Église. En tant que refus de Dieu vériÂté, l’hérésie s’oppose au bien comÂmun transÂcenÂdant de l’Église. Voilà pourÂquoi tous deux sont hors de l’Église.
Thomas est très expliÂcite sur cette vériÂté : « Si le bien de la mulÂtiÂtude (c’est le bien comÂmun immaÂnent) est plus grand que le bien d’un seul (bien perÂsonÂnel), en revanche, il faut dire que ce bien de la mulÂtiÂtude (bien comÂmun immaÂnent) est moindre que le bien comÂmun extrinÂsèque auquel est ordonÂnée la mulÂtiÂtude. […] Ainsi, le bien de l’unité de l’Église (bien comÂmun immaÂnent), auquel est oppoÂsé le schisme, est moindre que le bien de la vériÂté divine (bien comÂmun transÂcenÂdant) auquel est oppoÂsé l’infidélité (l’hérésie) » [11].
Difficile d’être plus clair : il est plus grave d’être héréÂtique que schisÂmaÂtique. La raiÂson est simple : l’infidélité est un péché contre Dieu. Or Dieu est le bien absoÂlu. Tandis que le schisme est un péché contre l’unité de l’Église. Or cette uniÂté est un vrai bien, mais un bien parÂtiÂciÂpé du bien absolu.
fait, l’unité de l’Église, vrai bien comÂmun, est une parÂtiÂciÂpaÂtion au bien absoÂlu, lequel est le bien comÂmun extrinÂsèque. Pour saiÂsir cette vériÂté, preÂnons l’exemple de couÂreurs. Dans quel ordre les désigne-​t-​on dans une course ? Par leur proxiÂmiÂté à la fin. Autrement dit, toute ordiÂnaÂtion supÂpose un prinÂcipe d’ordre, lequel gouÂverne tous les inféÂrieurs. Et ce prinÂcipe, c’est la fin.
L’unité de l’Église est donc entièÂreÂment dépenÂdante de la vériÂté divine. Saint Thomas est si clair sur le sujet qu’il va jusqu’à affirÂmer que tout héréÂtique est schisÂmaÂtique mais pas inverÂseÂment bien que le schisme soit une voie qui mène à l’hérésie [12].
Voilà pourÂquoi aujourd’hui, il faut priÂviÂléÂgier le vrai comÂbat de la foi pour préÂserÂver l’unité de l’Église ! Non pas que l’un exclue l’autre. Mais celui qui comÂbat pour garÂder la foi comÂbat pour garÂder l’unité de l’Église. La hiéÂrarÂchie entre le bien comÂmun immaÂnent et le bien comÂmun transÂcenÂdant donne la hiéÂrarÂchie des objets de notre comÂbat. Et c’est ainÂsi qu’il faut comÂprendre comÂment l’unité de l’Église, autreÂment dit l’unité d’agir (car telle est l’unité d’une sociéÂté) repose d’abord et avant tout sur l’unité de la foi. Les mises en garde de saint Jean prennent tout leur sens avec ces notions phiÂloÂsoÂphiques : « Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette docÂtrine (le dépôt révéÂlé, la foi), ne le receÂvez pas dans votre maiÂson, et ne le saluez point. Car celui qui le salue parÂtiÂcipe à ses Å“uvres mauÂvaises » [13].
C’est pourÂquoi, il est vain (mais c’est le propre des épouÂvanÂtails de vouÂloir effrayer avec des loques) d’agiter les quaÂliÂfiÂcaÂtifs de schisÂmaÂtique, ou de tenÂdance schisÂmaÂtique, style petite église, contre ceux qui refusent ne serait-​ce qu’une union (pour ne pas parÂler d’unité) avec des héréÂtiques. C’est même d’ailleurs le contraire. Refuser toute coopéÂraÂtion reliÂgieuse avec un héréÂtique, c’est sauÂveÂgarÂder le bien comÂmun et transÂcenÂdant (en proÂtéÂgeant la foi) et immaÂnent (puisque l’unité de l’Église en découle). La souÂmisÂsion à un gouÂverÂneÂment (juriÂdicÂtion) d’hérétique est un agir comÂmun qui quaÂliÂfie préÂciÂséÂment l’unité d’une société.
Une crise sans précédent
Le drame de notre époque est de devoir constaÂter le foiÂsonÂneÂment d’hérésies chez les évêques conciÂliaires et chez le pape lui-​même. Ils ne sont pas déclaÂrés héréÂtiques forÂmelÂleÂment, c’est entenÂdu. Mais ils n’apportent pas non plus la docÂtrine de Jésus-​Christ selon l’expression de saint Jean. Bien au contraire. Si l’on suit saint Thomas à la lettre, ces héréÂtiques sont schisÂmaÂtiques [14]… Autrement dit, ils ne sont plus parÂties du tout qu’est l’Église. Là se trouve le mysÂtère de cette crise sans préÂcéÂdent. Et on comÂprend que le seul objecÂtif de Mgr Lefebvre, qui avec le temps mesuÂrait davanÂtage l’ampleur du désastre, n’ait été que de rameÂner les autoÂriÂtés romaines à la foi. Et par là à la comÂmuÂnion de l’Église…
L’Église ici-​bas a les proÂmesses de l’indéfectibilité. D’une façon toute divine, elle est une sociéÂté qui perÂdure dans le temps par la Tradition. Être attaÂché à la Tradition est un gage d’unité, car c’est vouÂloir resÂter parÂtie de l’Église telle qu’elle a touÂjours été. Au contraire, le refus de la Tradition est une forme de schisme.
Les sacres, un schisme ?
Lors de la céréÂmoÂnie du 30 juin 1988, Monseigneur Lefebvre a réponÂdu très clairement :
« Il est nécesÂsaire que vous comÂpreÂniez bien que nous ne vouÂlons pour rien au monde que cette céréÂmoÂnie soit un schisme. Nous ne sommes pas des schisÂmaÂtiques. Bien au contraire, c’est pour maniÂfesÂter notre attaÂcheÂment à Rome que nous faiÂsons cette céréÂmoÂnie. C’est pour maniÂfesÂter notre attaÂcheÂment à l’Église de touÂjours, au pape, et à tous ceux qui ont préÂcéÂdé ces papes qui, malÂheuÂreuÂseÂment, depuis le concile de Vatican II ont cru devoir adhéÂrer à des erreurs, des erreurs graves qui sont en train de démoÂlir l’Église et de détruire tout le sacerÂdoce cathoÂlique. »[15]
L’opération appeÂlée « surÂvie » dans ce même serÂmon n’avait finaÂleÂment qu’un seul but : sauÂver le bien comÂmun total de l’Église. En comÂbatÂtant pour la resÂtauÂraÂtion de la foi et la sauÂveÂgarde du sacerÂdoce, monÂseiÂgneur Lefebvre a finaÂleÂment sauÂvé l’unité de l’Église. Ce n’est pas lui qui a fait schisme. Tout simplement.
Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X
Qu’en disait Mgr Lefebvre ?
« Dans la mesure où le pape s’éloignerait de cette traÂdiÂtion, il devienÂdrait schisÂmaÂtique, il romÂprait avec l’Église.
Ce concile repréÂsente une nouÂvelle Église qu’ils appellent l’église conciÂliaire. Nous croyons pouÂvoir affirÂmer que celui-​ci est un concile schismatique.
Tous ceux qui coopèrent à l’application de ce bouÂleÂverÂseÂment acceptent et adhèrent à cette nouÂvelle église conciÂliaire et entrent dans le schisme. »(Mgr Lefebvre, interÂview au Figaro du 02 août 1976 )
« Vous avez pris le risque d’un schisme ? Quel schisme ? Je serai schisÂmaÂtique pour des gens que je consiÂdère comme étant hors de l’Église cathoÂlique et qui sont eux-​mêmes schisÂmaÂtiques. » (Mgr Lefebvre, entreÂtien au Figaro, 17 juin 1988)
« Cette Église conciÂliaire (Cette expresÂsion d’Eglise conciÂliaire est fréÂquente dans la bouche de Mgr Lefebvre, elle exprime la rupÂture et le vrai schisme avec la Tradition.) est une église schisÂmaÂtique, parce qu’elle rompt avec l’Église cathoÂlique de touÂjours. Cette Église conciÂliaire est schisÂmaÂtique parce qu’elle a pris pour base de sa mise à jour des prinÂcipes oppoÂsés à ceux de l’Église cathoÂlique. L’Église qui affirme de pareilles erreurs est à la fois schisÂmaÂtique et héréÂtique. Cette Église conciÂliaire n’est donc pas cathoÂlique. » (Réflexions, 29 juillet 1976, Itinéraires, La condamÂnaÂtion sauÂvage, n°40. Il y a dans ces proÂpos de l’archevêque à la fois la denÂsiÂté théoÂloÂgique du docÂteur et la simÂpliÂciÂté de la colombe de l’homme de Dieu qui rend comÂpréÂhenÂsible aux fidèles les vériÂtés difÂfiÂciles. On retrouve là un reflet de la préÂdiÂcaÂtion de Notre-​Seigneur qui par sa simÂpliÂciÂté et son uniÂverÂsaÂliÂté s’opposait aux subÂtiÂliÂtés des pharisiens.)
« Ceux qui nous excomÂmuÂnient sont déjà excomÂmuÂniés eux-​mêmes depuis longÂtemps. Pourquoi ? Parce qu’ils sont moderÂnistes. D’esprit moderÂniste, ils ont fait une Église conforme à l’esprit du monde. » (Sermon donÂné à Bitche le 10 juillet 1988)
Sources : Le Chardonnet n° 339 de juin 2018
Notes de bas de page
- Lettre aposÂtoÂlique Ecclesia Dei du souÂveÂrain ponÂtife Jean-​Paul II sous forme de Motu proÂprio, du 2 juillet 1988[↩]
- Ibid. [↩]
- Ibid. [↩]
- Ibid. [↩]
- Décret pour la levée de l’excommunication latæ senÂtenÂtiæ aux évêques de la Fraternité de Saint Pie X, du 21 janÂvier 2009. [↩]
- En parÂlant de schisme et d’hérésie, il n’est quesÂtion ici que de la réaÂliÂté théoÂloÂgique de ces termes et non de leur défiÂniÂtion canoÂnique. [↩]
- L’étymologie du mot dit bien la chose : comÂpoÂsé vient du latin cum ponere qui signiÂfie poser ensemble, dans l’unité. [↩]
- Pour ces quesÂtions difÂfiÂciles de phiÂloÂsoÂphie poliÂtique, on se réféÂreÂra à l’excellent ouvrage du Père Jean-​Dominique, O.P., Sept leçons de poliÂtique, Editions du Saint Nom, 2015. Pour ceux d’ailleurs que la seule réflexion phiÂloÂsoÂphique sans réféÂrence à saint Thomas effraie, ils seront rasÂsuÂrés par les nomÂbreuses réféÂrences de l’auteur… [↩]
- Message de Noël 1942[↩]
- Mc XVI, 16[↩]
- II II q39 a2 ad2 Les pasÂsages en itaÂlique sont des ajouts de l’auteur de l’article. [↩]
- II II q39 a1 ad3 [↩]
- II Jn 10–11 [↩]
- D’un point de vue théoÂloÂgique, non canoÂnique, c’est entenÂdu. Mais nous ne proÂfesÂsons pas non plus de posiÂtiÂvisme juriÂdique, et le sens théoÂloÂgique reste plus imporÂtant que le sens canoÂnique auquel il confère sa valeur. Si les proÂblèmes n’étaient que canoÂniques, il n’y aurait pas de proÂblème en fait… [↩]
- Sermon des sacres, consulÂtable sur le site lapor​te​la​tine​.org [↩]