Excellence, mes très chers Confrères dans le Sacerdoce, bien chers fidèles,
Quand S.E. Mgr Tissier de Mallerais m’a signifié qu’il me revenait de donner le sermon à l’occasion de ce Jubilé, j’étais d’abord très gêné. La raison était bien simple. Il fallait donc parler de soi, des bienfaits de ce demi-siècle de ministère sacerdotal et missionnaire, la vaine gloire allait y trouver son compte ; mais je me mets tout de suite à l’abri en affirmant sans hésiter qu’il faut considérer essentiellement dans ces 50 ans de Sacerdoce l’action de la grâce divine qui agit par ses prêtres, parfois à leur insu, quelquefois même malgré eux. C’est donc un chant d’action de grâces et en même temps des leçons à retirer. Les paroles que je vais vous adresser vont se résumer en trois points. Trois points qui me semblent devoir être mis en relief :
- 1) La vocation sacerdotale et missionnaire.
- 2) Les Exercices de Saint-Ignace, – il fallait s’y attendre !
- 3) Le rôle de la Très Sainte Vierge Marie.
1) La vocation sacerdotale
a) Que d’idées fausses à ce sujet, me semble-t-il, dans trop d’esprits pourtant catholiques. Tout d’abord, il est bien certain que personne n’est digne d’être prêtre. Quel homme, en effet, peut prétendre au pouvoir inimaginable de faire descendre Dieu dans ses doigts au saint autel par les paroles consécratoires ? Oui, le Corps, le Sang, l’Ame, la Divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ sont là sur l’autel après la Consécration par les mystérieuses et puissantes paroles du prêtre ordonné validement. Qui peut prétendre à ce pouvoir divin ? Qui en est digne ? Personne, absolument personne. Il faut vraiment que Dieu appelle. C’est dans le grave et sublime discours après la Cène, réservé d’abord aux intimes, que le Divin Maître nous éclaire « Ce n’est pas vous qui M’avez choisi, c’est Moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit, et un fruit permanent. » Donc, si quelqu’un dit peut-être trop péremptoirement qu’un tel ou un tel n’a pas la vocation sacerdotale ou religieuse, qu’en sait-il ? Saint Paul lui-même avait-il la vocation quand il gardait les vêtements de ceux qui lapidaient le diacre Étienne ? Saint Ignace avait-il la vocation quand dans ses années de jeunesse, il commettait des « fautes énormes », selon sa propre expression, a son confident, le père Gonzalès de Camara ?
b) Que de chrétiens ignorent que ce n’est pas seulement pour être prêtre et religieux qu’il faut une vocation spéciale, c’est encore pour un tout autre état de vie. C’est une vérité hélas trop méconnue. Il est pourtant aisé de comprendre que Dieu est Maître du monde. Il le gère, selon l’expression moderne, avec une sagesse infinie et éternelle. Tous les hommes sont appelés au salut, au bonheur céleste : c’est le but, la fin essentielle, le terme qu’ils doivent atteindre. Mais de plus, par sa divine Providence, il a destiné chacun a un état de vie particulier, comme moyen de parvenir a ce terme ; car étant le Maître absolu, Il peut disposer de chacun de nous selon son bon plaisir et lui assigner la profession d’état qu’Il lui plaît. Et dans sa bonté infinie, Il donne a chacun des dispositions, des qualités, des talents, soit cinq, soit deux, soit un, comme le précise l’Évangile. Il y a plus. Notre-Seigneur donne des grâces en rapport avec cet état. Ce que l’on appelle communément les grâces d’état. Nier la vocation divine, c’est-a-dire que chaque homme est appelé a un état de vie, reviendrait a nier la Providence particulière de Dieu, pourvoyant au salut de chacun de nous.
c) Mais voyons avec plus de précision l’APPEL DIVIN. C’est Dieu qui appelle. Il faut être disponible. La disponibilité est le mot-clé pour entendre l’appel et répondre généreusement. La disponibilité a la Volonté de Dieu est fondamentale. Dès 14–15 ou 16 ans, tout jeune homme doit demander au Ciel, comme Saint Paul l’a fait sur le chemin de Damas : « Seigneur, que voulezVous que je fasse ? » Et Dieu répond tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre. L’appel impératif comme pour Saint Paul, ou Saint Matthieu : « Viens, suis-moi. » Cet appel s’entend non pas par notre oreille, mais par le cœur ! C’est la première manière d’appeler. Le jeune homme, l’homme ne peut pas hésiter. C’est pour lui évident. Il y a une seconde manière ; par le discernement des esprits. Vers où le bon ange ‑gardien m’attire-t-il ? Au contraire : comment le démon, le mauvais esprit, me retient-il, me fait-il tout un cinéma de représentations plus ou moins grossières, des objections. L’une suit l’autre. Le démon est un « metteur en scène » de première… Il fait tout pour que je ne réponde point a l’appel.
d) J’avais environ 14 ans quand un dimanche, après un sermon sur la vocation religieuse a la cathédrale de Strasbourg, ma chère mère en larmes, avec l’approbation tacite de mon père me dit : « Jean-Jacques, il faut que tu deviennes prêtre. » Que Dieu me pardonne, j’ai répondu mollement a cet appel : le premier. Je ne suis pas allé voir le prêtre qui devait me conseiller. Attention, chers jeunes gens qui m’écoutez, pensez a cette phrase de Saint Augustin : « Prends garde a la grâce qui passe et ne repasse. »
e) Et là, je ne puis passer sous silence l’heureuse influence du scoutisme. Le vrai scoutisme d’alors, viril, exigeant, nous aidant à passer de la foi d’adolescent à la foi d’adulte, par ses veillées autour du feu, ses messes en plein air, quelquefois dans le froid, sans manger depuis minuit, alors que la messe était célébrée vers 11 heures, après avoir couché sur la dure, marché près de deux heures. Le scoutisme complétait ce que ne pouvaient pas la famille et le collège. Un seul souvenir parmi des dizaines. Une nuit, a la veillée autour du feu de camp, le chef de clan, ancien polytechnicien, nous parla presque comme pour des points de méditation, sur la beauté et la magnitude stellaires. Il ponctuait ses lentes paroles par des chiffres astronomiques en minutes et années-lumière. Plus le feu de la veillée s’éteignait, plus les étoiles brillaient, plus les constellations qu’il nous expliquait se dessinaient dans le ciel, plus aussi dans nos cœurs de routiers « scouts de France », la foi, l’adoration du Divin Créateur augmentaient. Nous avions presque vu Dieu. Nous rentrions vers vingt-trois heures /minuit dans nos tentes, en silence, en contemplation.
f) C’est pendant ces années de scoutisme que Dieu fait son second appel, appel plus pressant, puisque j’avais triché au premier. Au cours du grand camp national au Puy-en-Velay, en 1942, nous étions 6 ou 7.000 routiers « scouts de France », venus de tous les coins du pays, d’Algérie même, sacs au dos, plus de 100 km a pied, ne mangeant pas toujours a notre faim, c’étaient les restrictions alimentaires de la guerre. Oui, le 15 août 1942, le père Doncoeur, aumônier national, nous fit un sermon d’au moins vingt minutes sur la vocation. J’ai encore dans mes oreilles les paroles de ce sermon. C’était pour moi, « vas-tu écouter cette fois-ci ? » Avec les encouragements de mon confesseur et aumônier, un an après, je rentrais au séminaire des Missions Africaines.
2) Et j’en arrive au second point qui découle tout naturellement du premier : les Exercices de Saint-Ignace.
Comment, en effet, persévérer dans sa vocation ? Comment être fidèle a l’APPEL de DIEU ? Car on peut avoir la vocation et y être INFIDÈLE. Il ne faut pas nous dire que les 80.000 prêtres (c’est le chiffre du cardinal RATZINGER) qui ont défroqué depuis ce désastreux concile Vatican II n’avaient pas la vocation ! Ils l’avaient certainement mais ils y ont été INFIDÈLES. Ce n’est pas la même chose. Quel est le séminariste, quel est le prêtre même, que le démon n’attaque pas dans sa vocation ? Et pendant le séminaire, et pendant les vacances, et aujourd’hui plus que jamais ! Témoin cet article fielleux de la dévote Dépêche qui discrédite adroitement le Sacerdoce. Article auquel j’ai répondu dans la Gazette du Quercy.
Bien chers Frères, pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus de la puissance de l’efficacité, de l’urgence à la pratique de ces Exercices de Saint-Ignace, voici quelques rappels historiques et pontificaux : le premier sont les graves paroles du saint pape Pie X dans l’encyclique Pascendi :
« Le premier pas (le faux pas) fut fait par le protestantisme, le second (faux pas) est fait par le modernisme, le prochain précipitera dans l’athéisme. »
Le saint Pape écrit cela en 1907. Voyez où nous en sommes aujourd’hui. Or, bien chers Frères, Dieu n’abandonne jamais son Église qui a les promesses de la vie éternelle. Il faut croire aux dates. 1521 : Excommunication de Luther et la même année, blessure et conversion d’Inigo (Ignace de Loyola), qui deviendra le contre-poison de l’hérésie luthérienne. Alors que les deux tiers de l’Europe avaient basculé dans le protestantisme. Tout ce qui resta catholique, c’est en grande partie aux princes restés catholiques et aux fils de Saint Ignace avec leurs Exercices spirituels, petits collèges, leurs universités, qu’on le doit.
Mes bien chers Frères, c’est aux Exercices de Saint-Ignace que je dois ma persévérance dans ma sublime vocation sacerdotale et missionnaire (c’est une confidence que je rends publique). C’est Saint Ignace qui montre magnifiquement comment faire face aux assauts du démon, que le Saint nomme toujours comme « l’ennemi de la nature humaine ». Il attaque l’homme individuellement, il l’attaque dans sa famille, il l’attaque collectivement en pourrissant les chefs d’états car il veut s’emparer du savoir et du pouvoir. C’est la lutte qui traverse toute l’Histoire humaine. C’est le fond de l’Histoire. Pétrole, racisme, œcuménisme ne sont que comédie. C’est l’avant-scène, le but du démon, se servant de ses suppôts. Ce qu’il cherche, c’est l’éviction des droits de Dieu au profit des droits de l’homme. Que de retraitants j’ai vu au cours de mes cinquante ans de Sacerdoce, que d’hommes – qui se croyaient pourtant cultivés – ont vu clair au cours des Exercices de Saint Ignace, sur cette bataille. Mes bien chers Frères, nous sommes tous dans cette bataille, bataille pour la survie de la civilisation chrétienne, bataille où il faut que les chefs, les hommes de troupe soient résolus, entraînés, aguerris, très motivés. Et voilà que le pape Pie XI précisera que les Exercices de Saint-Ignace sont « le CODE dont tout bon soldat du Christ doit se servir ».
C’est donc notre service militaire dans cette guerre. Malheur à celui d’entre vous qui n’a pas encore fait ce service militaire. C’est un déserteur. Boutade à peine permise dans une église, pour terminer ce second point. Plusieurs personnes m’ont dit quelquefois : « Mon Père, vous ne paraissez pas votre âge ! » Compliment assez ; classique pour faire plaisir mais voici ma réponse :
« Les Exercices de Saint-Ignace rajeunissent ! »
3) Mon troisième point est notre bonne Mère la Sainte Vierge Marie.
Toute ma vie a été ponctuée par Elle.
- Ma chère mère selon la chair m’a mis au monde le 2 juillet 1924, fête de la Visitation. Cela m’a beaucoup aidé à visiter en Afrique. Tout missionnaire sait qu’il ne faut pas attendre que les gens viennent à la Mission. Il faut aller vers eux, surtout les païens, les protestants, les musulmans, les concubins, les polygames ! Et les Africains aiment qu’on leur rende visite. C’était un grand honneur, suivi de conversions, d’entrées en catéchuménat.
- J’ai fait ma Première Communion le 24 mai, fête de Marie-Auxiliatrice.
- 15 août 1942, Assomption, 2e appel plus pressant.
- J’ai été ordonné prêtre le 11 février 1954, Notre-Dame de Lourdes, année mariale, par le cardinal Gerlier, ancien évêque de Lourdes.
- Je me suis embarqué a Marseille pour la Côte d’Ivoire, le 24 septembre 1954, fête de Notre-Dame de la Merci, après avoir célébré la sainte messe à Notre-Dame de la Garde, comme cela était la coutume pour tous les missionnaires partants.
- C’est le 11 octobre 1976, fête de la Maternité de la bienheureuse Vierge Marie, que Mgr Lefebvre m’a dit :
« OUI, organisez ces retraites de Saint-Ignace, je veux cette œuvre dans la Fraternité. »
Mettons ‑nous tous et toujours sous la protection de notre bonne Mère du Ciel. Elle est unique, nous n’en avons point d’autre qui nous aime autant qu’Elle, qui veut notre salut. Dites votre chapelet tous les jours, faites en la promesse aujourd’hui, votre vie deviendra tout heureuse.
Que dire davantage pour terminer, sinon vous supplier, mes bien chers Frères, de prier la Très Sainte Vierge pour ma pauvre âme sacerdotale qui n’a pas toujours été parfaitement fidèle, mais qui désire réparer par plus de zèle : Ad Majorem Dei Gloriam.
Ainsi soit-il.
R.P. Marziac †
(Texte paru dans Introibo d’avril-mai-juin 2004.)