Lorsque recule la présence de Dieu, celle de Satan progresse. Alors que le monde politique se flatte d’athéisme et de laïcisme, rarement on le vit donner tant d’importance au satanisme : manifestation dans les rues proprement blasphématoires, tolérance énorme envers les sacrilèges de toutes sortes, obsession de chasser Dieu de tout discours… Cet excès de zèle porte la signature de l’antique ennemi qu’est le diable.
Le chrétien semble désemparé dans cette attaque infernale. À tel point qu’il n’est pas rare de découvrir l’anxiété de l’un ou l’autre dans la crainte d’être victime du démon. Ne sommes-nous pas le jouet de gens qui infestent nos vies ?
Sortes de manifestations démoniaques
Le démon est un ange déchu ; intelligence supérieure par sa nature angélique, sa puissance reste limitée par Dieu comme un châtiment. Les actions des démons envers les hommes peuvent être multiples ; on distingue habituellement les tentations, les vexations, les infestations, les obsessions, les possessions[1]. Gardons-nous d’imaginer une sorte de liste clinique définie aux contours précis. Même des auteurs de renom divergent sur certains aspects.
Les tentations
La tentation est le lot de tout homme durant son chemin sur la terre. « Les perfections divines exigent que la créature raisonnable et libre soit soumise à une épreuve avant d’être admise à jouir de la béatitude future. Il faut qu’une telle créature soit mise en face de Dieu et devant l’épreuve, et que librement, elle renonce à sa propre satisfaction pour reconnaître la souveraineté de Dieu et obéir à sa loi. La sainteté et la justice de Dieu réclament cet hommage. »[2]
On aurait tort de réduire le combat chrétien intérieur à des tentations venant strictement de notre corps. Comme Satan connaît les appétits désordonnés et insatiables de nos sens, il sait multiplier les occasions ou troubler notre raison. Alors que la faim le tenaille, Jésus voit venir le tentateur dans le désert : « Fais que ces pierres deviennent du pain ! ». Pour cette raison, la pénitence n’a pas comme seul but de maîtriser notre corps, ou d’expier nos fautes passées, mais aussi de repousser l’arrogance du démon.
Les obsessions
L’obsession est une série de tentations qui se distinguent non seulement par leur violence, mais par leur constance. Elle peut solliciter tant les sens extérieurs qu’intérieurs (mémoire, imagination…). Son discernement n’est pas simple, car toute vie humaine comporte des passages où l’agressivité de certaines tentations paraît obsessionnelle. Les conditions physiologiques, l’intensité d’événements vécus, ou la surexcitation nerveuse peuvent en être la cause, sans chercher une intervention démoniaque hors du commun.
Les vexations
La vexation désigne des événements, ou des troubles physiques sans autre explication que la rage du démon. Le curé d’Ars ou saint Paul de la Croix y furent durement affrontés. Dans l’Ancien Testament, Job fut sévèrement atteint dans ses enfants, ses biens et sa santé, sans être nullement possédé. Sa fidélité servit la gloire de Dieu.
Les possessions
On parle possession quand le démon « s’installe dans le corps et le meut à son gré comme s’il en était le maître, afin de jeter le trouble dans l’âme »[3]. La possession est caractérisée par un empire que le démon peut exercer sur le corps. Notons qu’il n’est pas uni au corps comme une âme, mais il n’est qu’un moteur extérieur. Ses manifestations sont généralement intermittentes.
Les infestations
L’infestation s’apparente, par similitude, à des possessions de lieux ou d’objets.
Causes des manifestations démoniaques
Le démon s’emploie, par tous les moyens, à empêcher la relation confiante et filiale entre l’âme et Dieu ; il veut qu’elle tombe en état de péché et qu’elle désespère, il veut l’éloigner des secours de Jésus-Christ et de son Église.Son pouvoir a‑t-il toujours une cause coupable chez l’homme ? Non.
En ce qui concerne les tentations, nombre d’entre elles viennent de la chair ou du monde, depuis que nous avons perdu la justice originelle. Tout homme sans exception en subit les assauts. Le démon y ajoute ses sollicitations jouant sur les circonstances de la vie, ou profitant d’un pouvoir relatif sur les sens externes ou internes. D’autres circonstances relèvent d’une permission divine afin de faire grandir dans l’amour de Dieu certaines âmes avancées. On pense aux vexations de grands saints ; mais, aussi, à des cas très rares de possessions qui semblent être le fait d’âmes qui s’offrent pour les autres (comme le cas célèbre du P. Surin). Les infestations proviennent le plus souvent des incantations ou sorts en usage dans certaines campagnes.Il ne faut pas ignorer, non plus, un nombre important de cas où les victimes sont à l’origine de leur malheur, soit en raison d’activités proprement démoniaques comme le spiritisme, soit à cause d’une participation intensive à des réalités sulfureuses (musiques, réunions, lectures…)
Remèdes à l’action du démon
Bien des fidèles pensent qu’il n’existe que l’exorcisme pour lutter contre le démon. Vaincre le démon, et parvenir au salut éternel est l’œuvre de toute une vie. Il nous faut les secours habituels des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie, mais aussi plus profondément du Baptême. « L’ablution baptismale délivre l’homme du pouvoir du démon, en tant que celui-ci l’empêche de parvenir à la gloire. »[4] Saint Thomas ajoute que les exorcismes ont pour mission d’écarter les obstacles à la réception fructueuse des sacrements : ce sont des sacramentaux.
Le Rituel liturgique n’oriente l’usage des exorcismes que vers les possessions avérées. Contre les infestations, l’Église a recours à d’autres sacramentaux comme l’eau bénite, les croix, les bénédictions… Avant d’utiliser l’exorcisme – particulièrement celui qui exige l’autorisation de l’évêque – il sera toujours procédé à une enquête auprès de médecins ou de l’entourage : la limite entre possession, trouble nerveux et imagination mal maîtrisée est difficile à distinguer.
Face aux tentations même obsessionnelles, bien des fidèles se croient seuls à supporter les sollicitations de la nature abîmée par le péché originel, ou les vexations du démon. Ils voudraient recourir bien trop facilement aux exorcismes. La peine, les douleurs les tentations sont imprimées en toute vie : chacun doit participer pour sa part à la Rédemption.
Le catholique se sait habité par la vie de la grâce, de la Sainte Trinité. Il connaît ses armes habituelles : les prières, les sacrements, le chapelet quotidien, la médaille de Saint Benoît. Mais il sait surtout qu’il possède deux protecteurs de choix : son ange gardien que Dieu lui a attitré, et la très sainte Vierge Marie.
Abbé Jean-Pierre Boubée
Source : Le Chardonnet n°361
- Dom Gabriele Amorth, exorciste du diocèse de Rome. Un exorciste raconte ‑Edition F.X de Guibert, 1992 [L’ouvrage, qui abonde de souvenirs, n’est pas indemne d’erreurs, comme sur les apparitions de Medjugorje, sur l’admiration que l’auteur porte à Jean-Paul II, sur le renouveau charismatique. NDLR).[↩]
- Dom Marmion, Le Christ dans ses mystères. p. 203.[↩]
- Tanquerey, Précis de théologie ascétique et mystique – Livre III, chap 3, article 2.[↩]
- Saint Thomas d’Aquin — Somme théologique, IIIa, q. 71, a. 2, ad 2um[↩]