5 novembre 1979

Discours de Jean-​Paul II en ouverture du consistoire le 5 novembre 1979

Vénérables frères, membres du Sacré-Collège,

Le cardinal-​doyen, par ses paroles tou­jours si pleines d’a­ma­bi­li­té et si concrètes, a vou­lu m’a­dres­ser ses voeux, en votre nom à tous éga­le­ment, pour ma fête. je me fais un devoir à mon tour de lui pré­sen­ter les miens et de les lui renou­ve­ler publi­que­ment, et de le remer­cier aus­si, sin­cè­re­ment et affec­tueu­se­ment, non seule­ment de ce qu’il a tenu à rap­pe­ler au sujet de cette pre­mière année de mon ser­vice comme Pasteur de l’Église uni­ver­selle, mais aus­si de ce que lui-​même, en votre nom, a sou­hai­té à moi comme à l’Église et à l’hu­ma­ni­té, à savoir que se réa­lise un renou­veau géné­ral dans l’adhé­sion concrète à la doc­trine du Christ.

N’est-​ce pas là, en syn­thèse, la fina­li­té spi­ri­tuelle du Concile Vatican II, le grand évé­ne­ment ecclé­sial de notre siècle, évé­ne­ment dont la mise en oeuvre est confiée à la tâche du Peuple de Dieu tout entier ? Le cher car­di­nal Confalonieri a évo­qué, à juste titre, saint Charles Borromée, mon patron céleste. Combien n’a-​t-​il pas tra­vaillé, com­bien n’a-​t-​il pas souf­fert lui-​même pour rendre effi­caces dans le vaste archi­dio­cèse de Milan les sages direc­tives de carac­tère doc­tri­nal, moral, pas­to­ral, litur­gique du Concile de Trente !

À lui, mon pro­tec­teur, en cet ins­tant de grâce et de béné­dic­tion qui nous voit réunis ensemble, j’é­lève une prière fer­vente afin qu’il trans­mette à nos coeurs son ardeur et son dévoue­ment pour l’Église et pour les âmes.

1. Au début de notre ren­contre, je vou­drais sur­tout expri­mer ma joie de voir le Sacré-​Collège ras­sem­blé ici dans sa tota­li­té, lui dont la fonc­tion prin­ci­pale est d’é­lire l’é­vêque de Rome, comme cela s’est pro­duit pas moins de deux fois au cours de l’an­née der­nière. Le triste devoir de dire un der­nier adieu aux Papes défunts – d’a­bord Paul VI après quinze ans de pon­ti­fi­cat, puis Jean-​Paul Ier après seule­ment trente-​trois jours de minis­tère pon­ti­fi­cal – nous a réunis à Rome par deux fois en peu de temps. Conformément aux indi­ca­tions de Constitution apos­to­lique Romano pon­ti­fi­ci eli­gen­do, nous avons tenu, pen­dant les jours qui ont pré­cé­dé le conclave, les congré­ga­tions géné­rales que pré­si­daient le véné­rable doyen du Sacré-​Collège et le car­di­nal Jean Villot, camer­lingue, que le Seigneur a rap­pe­lé à lui au début du mois de mars dernier.

Ces fré­quentes ren­contres de l’en­semble du Collège car­di­na­lice don­nèrent l’oc­ca­sion d’a­van­cer la pro­po­si­tion que le Collège puisse se réunir aus­si, au moins de temps en temps, en dehors de la période du conclave. Acquiesçant à cette pro­po­si­tion, j’ai pen­sé invi­ter les véné­rables car­di­naux à cette réunion que je me per­mets d’i­nau­gu­rer et d’ou­vrir par ce dis­cours. en vous y invi­tant, je me ren­dais compte que votre venue à Rome aurait com­por­té la néces­si­té d’a­ban­don­ner les tra­vaux nom­breux et impor­tants qui sont les vôtres dans vos pays et dans vos dio­cèses. C’est pour­quoi je désire vous remer­cier d’au­tant plus cor­dia­le­ment tous aujourd’­hui de votre présence.

2. Notre ren­contre est plei­ne­ment jus­ti­fiée par le carac­tère de la digni­té dont vous êtes revê­tus et par les fonc­tions qui reviennent au Collège car­di­na­lice que vous consti­tuez tous : vous avez en effet aus­si, véné­rables Frères, outre la charge d’élire l’Évêque de Rome, celle de le sou­te­nir d’une manière par­ti­cu­lière dans sa sol­li­ci­tude pas­to­rale pour l’Église dans ses dimen­sions uni­ver­selles. Ceux d’entre vous qui appar­tiennent à la Curie romaine dans laquelle ils occupent les postes de pre­mière res­pon­sa­bi­li­té par­ti­cipent direc­te­ment de façon conti­nue et constante, à cette sol­li­ci­tude. Cependant, à côté de ce groupe de méri­tants col­la­bo­ra­teurs, tous les autres membres du Sacré-​Collège par­tagent avec le Pape la sol­li­ci­tude com­mune pour l’Église. Votre lien avec le Siège romain est par­ti­cu­lier et le signe exté­rieur de cette union se trouve par exemple dans les églises de la Ville éter­nelle qui jouissent du titre de la digni­té et du patro­nage de cha­cun d’entre vous. C’est pré­ci­sé­ment dans ce lien par­ti­cu­lier avec l’Église romaine que réside le motif pour lequel l’Évêque de Rome désire vous ren­con­trer plus sou­vent, afin de tirer pro­fit de vos conseils et de vos mul­tiples expé­riences. En outre, la ren­contre des membres du Collège car­di­na­lice est une forme par laquelle s’exerce aus­si la col­lé­gia­li­té épis­co­pale et pas­to­rale, qui est en vigueur depuis plus de mille ans et dont il convient que nous nous ser­vions aus­si à notre époque. Ceci n’affaiblit en aucune manière ni ne dimi­nue les devoirs et la fonc­tion du Synode des évêques, dont la pro­chaine réunion ordi­naire est pré­vue pour l’automne de l’année qui vient. Les tra­vaux pré­pa­ra­toires de cette réunion sont actuel­le­ment en cours ; son thème : De mune­ri­bus fami­liae chris­tia­nae fut encore fixé par le Pape Paul VI de véné­rée mémoire, confor­mé­ment aux sug­ges­tions de nom­breuses confé­rences épis­co­pales et de divers milieux.

3. Il semble donc que la réunion du Collège car­di­na­lice à l’automne de cette année puisse se livrer avec pro­fit à un exa­men, au moins som­maire de quelques pro­blèmes un peu dif­fé­rents de ceux sur les­quels tra­vaille le Synode des évêques. Ces pro­blèmes, dont je vou­drais au moins tra­cer les grandes lignes en guise d’introduction, sont impor­tants, étant don­né la situa­tion de l’Église uni­ver­selle, et ils semblent en même temps être plus étroi­te­ment reliés au minis­tère de l’Évêque de Rome que ceux qui doivent consti­tuer le thème du Synode des évêques. Il va de soi qu’on ne peut par­ler ici d’une déli­mi­ta­tion rigoureuse.

Je désire sou­li­gner tout de suite que, outre les ques­tions que je pré­sen­te­rai tout à l’heure de mon côté, je compte sur les pro­po­si­tions que cha­cun des par­ti­ci­pants à notre ren­contre met­tra en avant et déve­lop­pe­ra. Nous devons pré­voir pour cela la place néces­saire dans l’ordre du jour de nos séances. Contrairement à ce qui a lieu au Synode des évêques, cet ordre du jour n’est fon­dé sur aucun sta­tut par­ti­cu­lier. Il a été pré­pa­ré ad hoc selon les exi­gences pré­vues pour la réunion actuelle (un peu sur le modèle des congré­ga­tions qui ont eu lieu avant le Conclave de l’an der­nier). Je vou­drais ajou­ter aus­si­tôt que, en plus des inter­ven­tions orales au cours des réunions, toutes les obser­va­tions et pro­po­si­tions écrites seront pré­cieuses. Je me rends compte que l’ensemble de nos tra­vaux ne peut faire perdre trop de temps aux véné­rables membres du Sacré-​Collège, et nous avons pris aus­si cela en consi­dé­ra­tion en pré­pa­rant le pro­gramme et l’ordre du jour de notre réunion.

4. Avec la grâce du Dieu Très-​Haut et sous la pro­tec­tion de la Mère du Christ et Mère de l’Église, j’ai com­men­cé, le 16 octobre de l’année der­nière, l’exercice du ser­vice papal uni­ver­sel auquel j’ai été appe­lé par vos votes, véné­rables car­di­naux, au cours du der­nier Conclave. Je m’efforce d’exercer ce ser­vice comme je le peux, selon mes forces et avec la meilleure bonne volon­té – mais avant tout avec l’aide de la lumière et de la puis­sance de l’Esprit Paraclet –, et je ne cesse de deman­der à tous, et par­ti­cu­liè­re­ment à vous, véné­rables et chers Frères, de prier à cette inten­tion. Je n’ai pas le pro­jet de vous infor­mer ici en détail des tra­vaux qui ont rem­pli la pre­mière année du pon­ti­fi­cat, ne serait-​ce que parce qu’ils sont bien connus de vous tous. Je désire par contre me réfé­rer encore une fois à tout ce qu’il m’a été don­né de mettre en relief dès mon pre­mier dis­cours, au len­de­main de mon élec­tion. Une réa­li­sa­tion cohé­rente de l’enseignement et des direc­tives du Concile Vatican II est et conti­nue à être la tâche prin­ci­pale du pon­ti­fi­cat. Tel était, en sub­stance, le conte­nu de ce dis­cours. En effet, le Concile a éla­bo­ré et mis en face de toute l’Église une vision « d’ensemble » des tâches qui doivent être accom­plies dans le contexte du lien réci­proque et d’une dépen­dance orga­nique, en se ser­vant évi­dem­ment de méthodes mul­tiples et en ayant à sa dis­po­si­tion sa propre pers­pec­tive théo­lo­gique et historique.

5. Nous lisons dans Constitution Gaudium et spes : « Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que « tous soient un…, comme nous sommes un » (Jn 17, 21–22), il ouvre des pers­pec­tives inac­ces­sibles à la rai­son humaine et il nous sug­gère qu’il y a une cer­taine res­sem­blance entre l’union des per­sonnes divines et celle des fils de Dieu dans la véri­té et dans la cha­ri­té. » (n° 25.) L’aspiration à l’union des hommes comme « fils de Dieu unis dans la véri­té et dans la cha­ri­té » ne cesse d’être une pers­pec­tive de toute la vie et de toute la mis­sion de l’Église, à l’intérieur de sa propre com­mu­nion comme en dehors d’elle, dans cha­cun des « cercles de dia­logue », comme les appelle le Pape Paul VI dans la pre­mière ency­clique de son pon­ti­fi­cat. Nous nous ren­dons tous bien compte que cette aspi­ra­tion à l’union dans la véri­té et dans la cha­ri­té ne cesse d’être l’aspiration à la véri­té dans laquelle nous devons nous ren­con­trer réci­pro­que­ment, tout comme l’aspiration à la cha­ri­té grâce à laquelle nous devons être unis réci­pro­que­ment. Il ne peut en être autre­ment dans l’état de notre exis­tence ter­restre. C’est avant tout en ce sens que je me suis per­mis de mettre en évi­dence, dans l’encyclique Redemptor homi­nis, que tou­jours, mais par­ti­cu­liè­re­ment à notre époque par la voix du Concile, le Christ indique le che­min à l’homme, à tout homme, et qu’en ce sens l’homme dans le Christ devient d’une cer­tain façon le che­min de l’Église.

De cette manière, nous rejoi­gnons tou­jours plus la pers­pec­tive his­to­rique de la mis­sion de l’Église qui s’unit pour nous à la pers­pec­tive théo­lo­gique de la foi, puisque cette « union dans la véri­té et dans la cha­ri­té », c’est-à-dire l’unité spi­ri­tuelle liée à la digni­té « de fils de Dieu » a été mon­trée à chaque homme et à tous les hommes. Nous devons donc faire en sorte que cette for­mule syn­thé­tique, que le Concile nous a lais­sée dans sa consti­tu­tion pas­to­rale, unisse vrai­ment en elle tous les efforts par­ti­cu­liers qui consti­tuent l’œuvre de la réa­li­sa­tion du Concile. Dans sa réa­li­té la plus pro­fonde, cette œuvre est sym­bo­li­sée par l’arbre de la vie, avec lequel l’homme autre­fois a rom­pu son lien du fait du péché ori­gi­nel (cf. Gn 3, 1–7), et qui, avec le Christ, a recom­men­cé à se déve­lop­per vigou­reu­se­ment dans l’histoire de l’humanité. Le Concile n’a pas tant dévoi­lé à nos yeux l’éternel mys­tère de ce déve­lop­pe­ment, qu’il n’a mis en relief, d’une façon par­ti­cu­liè­re­ment péné­trante, son étape contem­po­raine. C’est pour­quoi l’obéissance à l’enseignement du Concile Vatican II est obéis­sance à l’Esprit-Saint, qui est don­né à l’Église afin de rap­pe­ler, à chaque moment de l’Histoire, tout ce que le Christ lui-​même a dit pour ensei­gner toute chose à l’Église (cf. Jn 14, 26). L’obéissance à l’Esprit-Saint s’exprime dans la réa­li­sa­tion authen­tique des tâches indi­quées par le Concile, en plein accord avec l’enseignement qui y est proposé.

6. On ne peut pas trai­ter de ces tâches comme si elles n’existaient pas. On ne peut pas pré­tendre pour ain­si dire, faire remon­ter à l’Église le cours de l’Histoire de l’humanité. Mais on ne peut pas non plus cou­rir pré­somp­tueu­se­ment en avant, vers des manières de vivre, de com­prendre et de prê­cher la véri­té chré­tienne, et fina­le­ment vers des modes d’être chré­tien, prêtre, reli­gieux et reli­gieuse, qui ne s’abritent pas sous l’enseignement inté­gral du Concile ; inté­gral, c’est-à-dire enten­du à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du magis­tère constant de l’Église. Tâche grande et mul­tiple que celle qui place devant nous l’impératif de la réa­li­sa­tion du Concile ! Elle demande une vigi­lance conti­nuelle par rap­port à l’authenticité de toutes les ini­tia­tives dans les­quelles s’articulera cette réa­li­sa­tion. L’Église, com­mu­nau­té vivante des fils de Dieu unis dans la véri­té et dans l’amour, doit faire un grand effort, en ce moment, pour entrer dans la vraie voie de la réa­li­sa­tion de Vatican II et se déga­ger des pro­po­si­tions contraires, cha­cune des­quelles se révé­lant, en son genre un éloi­gne­ment de cette voie. Cette voie seule – autre­ment dit l’obéissance hon­nête et sin­cère à l’esprit de véri­té – peut ser­vir à l’unité et en même temps à la force spi­ri­tuelle de l’Église.

Elle seule peut en outre, ser­vir à l’œuvre de l’oecuménisme, c’st-à-dire à l’unité renou­ve­lée que, en une pre­mière accep­tion, nous enten­dons comme l’union par la cha­ri­té, mais que, plus pro­fon­dé­ment, nous enten­dons ensuite comme une ren­contre pro­gres­sive dans la plé­ni­tude de la véri­té, avec tous ceux qui, comme nous, croient au Christ. Cette voie seule – la voie de l’union interne de l’Église du Peuple de Dieu – peut ser­vir à l’œuvre de l’évangélisation, à savoir à la mani­fes­ta­tion effec­tive à tous les hommes de la véri­té et de la vie qui est le Christ lui-​même. L’union dans la véri­té et dans la cha­ri­té est une exi­gence par­ti­cu­lière de notre temps, parce que nous y ren­con­trons aus­si la néga­tion de cette véri­té et la mise en doute radi­cale de l’Évangile et de la reli­gion en général.

7. Ce regard sur l’ensemble de la situa­tion conduit à tirer aus­si quelques conclu­sions impor­tantes, que l’on peut appe­ler « pra­tiques » (du fait que le Concile Vatican II, se fon­dant sur l’Évangile et sur la Tradition, n’a tra­cé que les grandes lignes de toute la praxis chré­tienne contem­po­raine, la manière de vivre du Peuple de Dieu).

La conclu­sion la plus impor­tante concerne la bonne com­pré­hen­sion et le bon exer­cice de la liber­té dans l’Église. Fidèle aux paroles du Seigneur, le Concile désire ser­vir au déve­lop­pe­ment de cette liber­té, la liber­té des fils de Dieu, qui est char­gée de sens, sur­tout aujourd’hui, parce que nous sommes témoins de nom­breuses formes de contraintes sur l’homme, y com­pris les contraintes sur sa conscience et sur son cœur. Il ne faut jamais oublier que le Seigneur a dit : « Vous connaî­trez la véri­té et la véri­té vous ren­dra libres. » (Jn 8, 32.) L’Église doit donc gar­der dans le cœur et dans la conscience de cha­cun de ses fils et de ses filles, et si pos­sible éga­le­ment dans le cœur et dans la conscience de tout homme, la véri­té de la liber­té elle-​même. Il n’est pas rare que la liber­té de la volon­té et la liber­té de la per­sonne soient com­prises comme le droit de faire n’importe quoi, comme le droit de n’accepter aucune règle ni aucun devoir qui engagent pour la vie entière, par exemple les devoirs décou­lant des pro­messes du mariage ou de l’ordination sacer­do­tale. Mais le Christ ne nous enseigne ni une telle inter­pré­ta­tion ni un tel exer­cice de la liber­té. La liber­té de tout homme crée des devoirs, demande le plein res­pect de la hié­rar­chie des valeurs, est diri­gée en puis­sance vers le bien sans limites, vers Dieu. Aux yeux du Christ, la liber­té n’est pas d’abord « liber­té de », mais « liber­té pour ». Le vrai fruit de la liber­té est l’amour, en par­ti­cu­lier l’amour par lequel l’homme se donne lui-​même. L’homme, en effet, ain­si que nous le lisons dans le même cha­pitre de Gaudium et spes, « ne peut plei­ne­ment se trou­ver que par le don dés­in­té­res­sé de lui-​même » (n. 24).

Tels sont l’interprétation et l’exercice de la liber­té qui doivent se retrou­ver à la base de toute l’œuvre du renou­veau. Seul l’homme qui com­prend et exerce sa liber­té de la façon indi­qué par le Christ ouvre son esprit à l’œuvre de l’Esprit-Saint, qui est Esprit de véri­té et d’amour. De l’authentique affir­ma­tion de la liber­té des fils de Dieu, dépend la grande œuvre des voca­tions sacer­do­tales, reli­gieuses, conju­gales, dépend le pro­grès oecu­mé­nique effec­tif ; dépend tout le témoi­gnage des chré­tiens, c’est-à-dire la par­ti­ci­pa­tion des chré­tiens à la cause de la trans­for­ma­tion du monde en un monde plus humain. Telle est la pre­mière condition.

8. La deuxième condi­tion du renou­veau de l’Église dans l’esprit de l’Évangile (et donc dans l’esprit de Vatican II) est consti­tuée par une conti­nuelle crois­sance de la soli­da­ri­té, c’est-à-dire de l’amour com­mu­nau­taire (social), aus­si bien à l’intérieur de l’Église qu’en consi­dé­rant tous les hommes, sans dis­tinc­tion de confes­sion ou de convic­tions. On a fait beau­coup dans ce sens ces der­niers temps, comme en témoigne l’activité de la Commission Iustitia et Pax et aus­si celle du Conseil Cor unum. Il est évident que l’Église n’a qu’une pos­si­bi­li­té limi­tée d’offrir une aide finan­cière en face des mul­tiples et très divers besoins maté­riels dans les dif­fé­rents endroits de la terre. Il faut sou­li­gner éga­le­ment ici que cette soli­da­ri­té ad extra de l’Église requiert une soli­da­ri­té à l’intérieur. Je me suis effor­cé d’attirer l’attention là-​dessus sur­tout dans les dis­cours du mer­cre­di pen­dant le der­nier Carême. L’Église elle-​même est une grande com­mu­nau­té à l’intérieur de laquelle il existe des situa­tions diverses dans chaque com­mu­nau­té ; ceux qui souffrent de res­tric­tions maté­rielles ne manquent pas, non plus que ceux qui subissent oppres­sion et per­sé­cu­tion. Dans toute la com­mu­nau­té catho­lique, dans cha­cune des Églises locales, doit croître le sens d’une soli­da­ri­té par­ti­cu­lière avec ces frères dans la foi, par­ti­cu­liè­re­ment avec ceux qui appar­tiennent à des Églises de rite orien­tal, là où celles-​ci n’ont même pas d’existence légale recon­nue. Dans le monde contem­po­rain, domi­né à sa manière par tout le sys­tème d’échange d’informations, il est néces­saire – à l’intérieur de l’Église comme à l’extérieur, devant l’opinion mon­diale – d’avoir un échange per­ma­nent d’informations concer­nant ceux qui souffrent de la misère et aus­si ceux qui souffrent pour la foi. Ils doivent sen­tir d’une façon par­ti­cu­lière qu’ils ne sont pas aban­don­nés dans leurs souf­frances, que toute l’Église se sou­vient d’eux, pense à eux et prie pour eux, qu’ils sont au centre de l’attention de tous et non en marge.

Dans ce domaine, l’Église « riche et libre » (si l’on peut s’exprimer ain­si) a des dettes et des devoirs énormes envers l’Église « pauvre et dans la contrainte » (s’il est per­mis d’utiliser de tels qua­li­fi­ca­tifs). Solidarité veut dire sur­tout com­pré­hen­sion adé­quate et ensuite action adé­quate, non pas selon ce qui cor­res­pond à la concep­tion de celui qui aide, mais selon ce qui cor­res­pond aux besoins réels de celui qui est aidé et à sa dignité.

N’oublions pas ce prin­cipe fon­da­men­tal de l’économie du salut selon lequel l’homme qui donne aux autres se sauve lui-​même. Peut-​être le remède à de mul­tiples dif­fi­cul­tés internes dont souffrent cer­taines Églises locales, cer­taines com­mu­nau­tés chré­tiennes, se trouve-​t-​il jus­te­ment dans cette soli­da­ri­té. Les dif­fi­cul­tés seront effi­ca­ce­ment sur­mon­tées lorsque ces Églises – ces­sant dans un cer­tain sens de se regar­der elles-​mêmes – com­men­ce­ront à ser­vir les autres « dans la véri­té et dans la cha­ri­té ». Ce prin­cipe inter­prète de la manière la plus simple le rôle mis­sion­naire de l’Église et il éta­blit même un pos­tu­lat sti­mu­lant et, en un cer­tain sens, un impé­ra­tif mis­sion­naire pour notre géné­ra­tion, pour la géné­ra­tion à laquelle la Providence a confié une grande œuvre de renou­veau la géné­ra­tion qui par­fois se retrouve vacillante et décou­ra­gée en consta­tant l’écroulement de cer­tains fronts de la vie tra­di­tion­nelle de l’Église, la crise des ins­ti­tu­tions fon­da­men­tales et plus encore la crise que l’on observe dans les hommes, dans leur com­por­te­ment et dans leur conscience.

9. Le Renouveau de l’Église, selon le « pro­gramme » splen­dide que le Concile Vatican II a pro­po­sé, ne peut être autre chose, dans son ossa­ture fon­da­men­tale (et aus­si dans ses mani­fes­ta­tions concrètes), qu’une authen­tique conver­sion à Dieu pro­por­tion­née aux exi­gences de notre temps. L’appel à la conver­sion (Metanoiete), à savoir à la péni­tence, est non seule­ment la pre­mière parole de l’Évangile, mais aus­si sa parole constante et irrem­pla­çable. De cette parole découle toute la vita­li­té de l’Église. L’Église se trouve d’autant plus in sta­tu mis­sio­nis, c’est-à-dire qu’elle réa­lise d’autant plus plei­ne­ment sa mis­sion, qu’elle se conver­tit davan­tage à Dieu. Et c’est seule­ment par une telle auto­con­ver­sion qu’elle devient plus puis­sante en tant que centre de la conver­sion des hommes et du monde au Créateur et Rédempteur.

Il faut donc regar­der avec une cer­taine inquié­tude le relâ­che­ment dif­fus de ces efforts fon­da­men­taux qui rendent tou­jours témoi­gnage de l’esprit de péni­tence et de la dyna­mique de la conver­sion par­mi les confes­seurs du Christ. C’est aus­si un devoir, par ailleurs, de remer­cier Dieu avec joie pour tout ce qui mani­feste l’authentique « souffle de l’Esprit » ; pour le réveil de la soif de prière, de la vie sacra­men­telle, et spé­cia­le­ment de la par­ti­ci­pa­tion à l’Eucharistie ; pour le retour sérieux à l’Écriture sainte, pour la remon­tée, au moins en cer­tains endroits, des voca­tions sacer­do­tales et reli­gieuses, pour tout ce qui peut se défi­nir comme « réveil spi­ri­tuel ». Et tout cela, véné­rables Frères, nous devons nous effor­cer de le conser­ver avec un soin par­ti­cu­lier, en créant les condi­tions néces­saires à un nou­veau déve­lop­pe­ment de ces cou­rants bien­fai­sants, si indis­pen­sables à l’Église et à l’humanité, laquelle se rend compte tou­jours mieux des résul­tats aux­quels abou­tit le maté­ria­lisme contem­po­rain dans ses mul­tiples manifestations.

10. Dans la par­tie pré­cé­dente de mon dis­cours, j’ai évi­té de trai­ter direc­te­ment des pro­blèmes par­ti­cu­liers, je vou­lais plu­tôt mettre en lumière les élé­ments fon­da­men­taux dont dépend la réa­li­sa­tion de la tâche qui s’offre à toute l’Église dans l’étape pré­sente de l’Histoire. J’espère que cela aide­ra les car­di­naux ici réunis à for­mu­ler leurs obser­va­tions et leurs pro­po­si­tions, que nous atten­dons éga­le­ment au cours de cette rencontre.

Après ce dis­cours d’introduction de nature géné­rale, seront pré­sen­tés trois rap­ports de carac­tère plus par­ti­cu­lier. Ils concernent les pro­blèmes concrets sur les­quels le Siège apos­to­lique estime utile d’informer l’illustre Collège pour en obte­nir l’avis responsable.

Pour don­ner à tous la pos­si­bi­li­té de s’exprimer, il a été pré­vu, entre autres, des ren­contres par groupes linguistiques.

Le pre­mier rap­port du car­di­nal secré­taire d’État por­te­ra sur l’ensemble des struc­tures de la Curie romaine, telles qu’elles ont été réor­don­nées, à la suite des sug­ges­tions du Concile, par la Constitution apos­to­lique du Pape Paul VI, Regimini Ecclesiae Universae. Ces struc­tures pré­sentent une liai­son orga­nique avec les mul­tiples direc­tions de l’activité contem­po­raine de l’Église. La pers­pec­tive de l’application ulté­rieure du Concile Vatican II dépend pour une bonne part du fonc­tion­ne­ment effi­cace de ces struc­tures et de leur coopé­ra­tion pro­gram­mée avec les struc­tures ana­logues qui existent dans le cadre des Églises locales et des Conférences épiscopales.

Le sujet du deuxième rap­port, qui sera pré­sen­té par le cardinal-​préfet de la Congrégation pour l’Éducation catho­lique, est un pro­blème plus spé­ci­fique mais non moins impor­tant. Il s’agit de l’activité des dif­fé­rentes Académies pon­ti­fi­cales, et en par­ti­cu­lier de l’Académie pon­ti­fi­cale des sciences.

Cet orga­nisme, ins­ti­tué par le Pape Pie XI, a une impor­tance fon­da­men­tale dans le domaine des rap­ports entre la foi et la connais­sance, et entre la reli­gion et la science. Là aus­si, il convient de réflé­chir sur un modèle plus col­lé­gial de par­ve­nir à une coopé­ra­tion en ce domaine, qui est impor­tant pour l’Église dans sa dimen­sion universelle.

Constitution pas­to­rale Gaudium et spes a consa­cré un cha­pitre à part au pro­blème des rap­ports entre l’Église et la culture. Selon l’esprit de ce docu­ment, il convien­drait de cher­cher ensuite une expres­sion adé­quate des rap­ports de l’Église avec le vaste domaine de l’anthropologie contem­po­raine et des sciences humaines, comme Pie XI a cher­ché l’expression des rap­ports de l’Église avec les sciences mathé­ma­tiques et natu­relles en ins­ti­tuant l’Académie pon­ti­fi­cale des sciences.

Et je suis heu­reux que, dans quelques jours, une ses­sion solen­nelle de cette Académie pon­ti­fi­cale ait lieu pour com­mé­mo­rer le cen­te­naire de la nais­sance d’Albert Einstein, en pré­sence de vous tous, véné­rés et chers Frères.

Le troi­sième sujet, enfin, qui sera l’objet du rap­port du cardinal-​président de l’Administration du patri­moine du Siège apos­to­lique, concerne l’ensemble des pro­blèmes qui furent déjà tou­chés som­mai­re­ment au cours des congré­ga­tions car­di­na­lices qui pré­cé­dèrent le Conclave du mois d’août de l’année der­nière. En ayant à l’esprit les divers sec­teurs de l’activité du Siège apos­to­lique, qui devaient se déve­lop­per en rela­tion avec la réa­li­sa­tion du Concile et avec les charges actuelles de l’Église, dans le domaine de l’évangélisation comme dans celui du ser­vice des hommes dans l’esprit de l’Évangile, il est néces­saire de poser la ques­tion des moyens éco­no­miques. En par­ti­cu­lier, le Collège car­di­na­lice a le droit et le devoir de connaître exac­te­ment l’état de la question.

11. Vénérés et chers Flères, voi­ci briè­ve­ment décrit un ensemble de pro­blèmes qui doivent consti­tuer le thème de cette ren­contre, que j’ai tant atten­due. J’espère que le Siège de la Sagesse, la Mère de l’Église, implo­re­ra pour nous la lumière néces­saire, afin que nous puis­sions, en un temps rela­ti­ve­ment court, exa­mi­ner ces pro­blèmes et leur appor­ter des solu­tions effi­caces pour le minis­tère futur de l’Évêque de Rome.

JOHANNES- PAULUS PP. II