Voici l’article de Jean Madiran sur l’attitude intellectuelle de Mgr Montini, futur pape Paul VI, substitut de la secrétairerie d’Etat à l’époque de la publication par Pie XII, en 1950, de son encyclique « Humanis generis » condamnant les erreurs modernes. Et l’on voudrait aussi canoniser Paul VI ?
« ….Puisque nous parlons d’inattention aux textes et d’erreurs de fait, je peux bien dire que j’avais buté sur la page 27 « du livre de jean Guitton (Dialogues avec Paul VI, t.2) à propos de l’encyclique Humani Generis de 1950. j’en fus d’emblée tellement secoué que je rouvris l’encyclique ce qui est toujours une grâce, une bénédiction, une lumière : j’en remercie Jean Guitton qui en a été la cause occasionnelle.
En sa page 27 nous sommes à la date du 8 septembre 1950. L’encyclique n’est pas vieille d’un mois : elle du 12 août. Elle est tout à fait présente à l’esprit de ceux qui viennent de la lire, de commencer à l’étudier. Or cette date, en cette page, recopiant les « notes qu’il avait écrites le soir même » de ce 8 septembre, voici le propos que rapporte Jean Guitton :
« Vous avez sans doute remarqué vous-mêmes les nuances qui sont inscrites dans ce texte pontifical. par exemple, jamais l’Encyclique ne parle d’ERREURS (errores). Elle parle seulement d’OPINIONS (opiniones). Ceci indique que le Saint Siège vise à condamner, non les erreurs proprement dites, mais des modes de pensée qui pourraient amener des erreurs mais qui en eux-mêmes demeurent respectables »
L’erreur de fait est complète ; l’inattention au texte invoqué est totale ; et point par point :
1. « Jamais l’Encyclique ne parle d’erreurs (errores) »
Le mot « erreurs » apparait dès la première ligne de la traduction française pour rendre le terme latin « aberratio » , qui n’est pas error, mais qui n’est pas moindre, au contraire. Nous retrouvons « aberrationem » dès le début du second paragraphe. Au § 6, il est question d’une novae aberranti philosophiae, une nouvellle philosophie aberrante. Au § 7 , d’un historicisme qui subvertit veritatis legisque absolutae fundamenta, c’est-à-dire qui « mine en son fondement toute vérité et toute loi absolue » : serait-ce là simple « opinion », et nullement erreur ? Au § 10, nous trouvons erroribus et errorem, pour nous prévenir que parmi nos philosophes et nos théologiens, il en est qui « tachent de se soustraire à la direction du Magistère et tombent insensiblement et sans en avoir conscience dans le danger d’abandonner même la vérité divinement révélée et d’entraîner avec eux les autres dans l’erreur ». Au § 18, il est souligné que ce qu’expliquent les encycliques de Pontifes romains « est négligé par certains d’une manière habituelle et préméditée ». Parlant des assertions contre lesquelles s’élèvent les dix-huit premiers paragraphes, le § 19 déclare : « Tous ces dires peuvent paraître fort adroits, l’erreur pourtant n’y manque pas » (le latin ne dit pas error ni errores, il dit : falacia, qui est équivalent, ou qui plutôt est encore plus grave). Au § 22, il est question de docteurs catholiques qui « renouvellent la théorie déjà plusieurs fois condamnée… » Au § 37, l’encyclique répète qu’elle signale des erreurs manifestes et des dangers d’erreur : manifestos errores errorisque pericula ; non seulement donc, des dangers d’erreur mais bien des ERREURS MANIFESTES. Le § 58 répète : ces erreurs, « aujourd’hui répandues ouvertement ou en secret » (iis erroribus)
Qu’on se reporte au texte authentique latin ou à la traduction française, il est incroyable que l’on ait pu avancer une telle proposition : « Jamais l’encyclique ne parle d’erreurs (errores) » Elle en parle tout le temps. Quand elle ne dit pas errores, elle dit aberrationes et elle dit fallacia
2. L’Encyclique parle seulement d’opinions (opiniones)
Le terme « opinions » figure en effet dans le titre : « de Nonnullis falsis opinionibus quae catholicae doctrinae fundamenta subruere minantur : « De quelques opinions fausses qui menacent de ruiner les fondements de la doctrine catholique ». Il n’est donc pas questions de simples « opinions », l’encyclique ne parle pas seulement d’opinions », elle parle d’opinions fausses. On voit mal quelle différence on pourrait apercevoir entre « une opinion fausse » et une erreur, s’agissant d’opinions fausses qui menacent de ruiner les fondements de la doctrine catholique.
Il n’est pas vrai, nous l’avons vu, que l’encyclique n’emploie jamais le terme d’errores : elle l’emploie souvent. Il est vrai qu’elle emploie en outre les termes opiniones et opinationes, mais dans le même sens qu’errores : outre le titre, cela ressort du § 58 où « ces opinions nouvelles » (novas eiusdem opinationes ») et « ces erreurs » (iis erroribus) sont employées tour à tour non pas pour désigner deux sortes différentes de choses, mais comme deux expressions ayant en l’occurrence même extension et même compréhension.
3. Le Saint Siège vise à condamner non des erreurs proprement dites, mais des modes de pensée qui pourraient amener des erreurs »
A) Voici dans l’ordre, les « modes de pensée » qui sont explicitement désignés dans l’encyclique :
- la théorie moniste et panthéiste (§ 5)
- le matérialisme dialectique des communistes (id)
- l’immanentisme, le pragmatisme, l’existentialisme (§6)
- un faux historicisme (§7); etc, etc.
Il est singulièrement étrange de voir en ces doctrines « non des erreurs proprement dites, mais des modes de pensée qui pourraient amener des erreurs »…
B) D’ailleurs, l’encyclique déclare explicitement qu’elle vise non pas des pensées qui pourraient amener des erreurs mais des nouveautés qui ont déjà produit, dans presque toutes les parties de la théologie des fruits empoisonnés (§ 25 : ac mirum non est hujusmodi novitates, ad omnes fere theologiae partes quod attinet, jam venenosos peperisse fructus). Des fruits empoisonnés ! Déjà produits ! dans presque toutes les parties de la théologie !
Au § 16 il était dit : « Ces tentatives non seulement conduisent à ce que l’on appelle le relativisme dogmatique, mais le contiennent déjà réellement » (non tantum ducere…sed illum iam reapse continere).
Ainsi par deux fois au moins, le texte de l’encyclique de la manière la plus explicite et la plus précise, s’applique à prévenir et à écarter l’interprétation qui prétendrait qu’elle vise « non des erreurs proprement dites, mais des modes de pensée qui POURRAIENT AMENER des erreurs ». Néanmoins cette interprétation fut mise en avant moins d’un mois après sa publication.
C’est donc bien, comme on vient de le voir, point par point et mot à mot que le propos du 8 septembre 1950 rapporté en la page 27 de Jean Guitton, contredit des affirmations explicites de l’encyclique Humani generis.
A la page précédente, Jean Guitton avait rapporté sa propre opinion : « L’encyclique a besoin d’une interprétation ». C’est possible : au moins en ce sens que toute lecture est interprétative. Interpréter, c’est par exemple rechercher quel sens donner aux termes errores, aberationes, fallacia, contenus dans le texte. Mais commencer par dire et (apparemment par croire) que ces termes ne sont pas dans le texte, et que leur absence est une caractéristique de la plus haute importance, qui doit commander toute la lecture du document et qui indique son intention générale, – ce n’est plus une interprétation. Ce n’est même pas une interprétation fausse. C’est, en deçà de toute interprétation, la négation de l’objet, le refus du texte à interpréter, remplacé par une rêverie gratuite sur laquelle on construit des considérations d’une allure déterminante et impérative, mais qui sont accrochées en l’air.
Ainsi la réflexion, au lieu de scruter ce qui est, devient purement « poétique », au sens grec ou l’entend Marcel de Corte, et se met à planer dans un arbitraire qui, décourageant les communications intellectuelles opérées par le moyen du langage articulé, ne laisse en définitive, nécessairement, subsister entre les hommes que des rapports de force.
Vous connaissez l’histoire du chaudron :
- Tu ne m’as pas encore rendu mon chaudron neuf ?
- Tu ne m’en as prêté aucun. Et il n’était pas neuf. Et je te l’ai déjà rendu.
La pensée catholique, chez un nombre croissant de ses représentants les plus hautement éminents, (N.B. Jean Madiran a en vue ici Mgr Montini, substitut de la Secrétairerie d’Etat) en est donc à l’heure du chaudron.
J’ignore si en 1967, au moment où l’on relisait les épreuves de la page 27, on a eu la simple curiosité de rouvrir l’encyclique Humani Generis de Pie XII ; j’ignore si la contradiction arbitraire qu’on lui faisait par chuchotement privé en 1950, et que l’on a publiquement renouvelée en 1967 a été volontairement délibérée, en pleine connaissance de cause. Je constate les faits
Comparée à l’état présent du monde et de l’Eglise l’encyclique de Pie XII est aussi actuelle que la réponse de Jésus à saint Jude. Mais on nous fait croire que Jésus n’a pas répondu ; et que « les erreurs manifestes » signalées en 1959 n’étaient pas vraiment des erreurs.
Alors cette génération d’homme s’enfonce dans l’angoisse et dans la nuit.
Jean Madiran in Itinéraires n°128 Décembre 1968. p154-159
Source : La Revue Item/Abbé Paul Aulagnier/Octobre 2013