Entretien de l’abbé Xavier Beauvais BEAUVAIS à Civitas


Abbé Xavier Beauvais, prieur de Saint-Nicolas-du-Chardonnet,
chargé de formation pour la doctrine sociale de l’Eglise auprès de Civitas

Civitas

CIVITAS : Bonjour, pourriez-​vous prendre la peine de vous pré­sen­ter pour celles et ceux ne vous connais­sant pas encore ?

Né en 1957 dans une famille de 7 enfants, de parents pro­fon­dé­ment catho­liques for­més à la Cité catho­lique, après mes études secon­daires et une année de phi­lo­so­phie à l’I.P.C. (Institut de phi­lo­so­phie com­pa­rée) j’ai effec­tué mes 6 années de sémi­naire à Ecône entre­cou­pées d’un ser­vice mili­taire au 6e RPIma pour abou­tir au sacer­doce des mains de Monseigneur Lefebvre le 29 juin 1983. Nommé prieur de Lourdes, en 1983 puis de Marseille en 19 84. Après ces 7 années mar­seillaises j’ai effec­tué 12 ans en Amérique du Sud comme supé­rieur du dis­trict et me voi­ci prieur de Saint-​Nicolas du Chardonnet depuis 2003.

CIVITAS : En tant qu’homme de Dieu, com­ment définiriez-​vous l’Institut CIVITAS ? Quel est l’intérêt de l’action de CIVITAS dans la vie de la cité ?

L’Institut Civitas n’est pas d’abord un cercle de réflexion, encore moins un salon mon­dain où l’on cause de poli­tique sans but. Certes, il est un ins­ti­tut de for­ma­tion poli­tique dans un but bien pré­cis : enra­ci­ner nos convic­tions sur les prin­cipes qui doivent gui­der notre action poli­tique en vue du règne social de Notre Seigneur Jésus-​Christ, donc : Formation et action poli­tique de laïcs catho­liques, et dans ce but secon­dai­re­ment, une cohé­sion d’amis d’accord sur les mêmes prin­cipes et les mêmes moyens d’action.

Cette for­ma­tion et cette action débou­che­ront évi­dem­ment sur le com­bat contre révo­lu­tion­naire, car c’est bien la Révolution sous toutes ses formes moder­niste, laï­ciste et mon­dia­liste qu’il faut com­battre. Il ne s’agit pas seule­ment de bien connaître la doc­trine poli­tique, mais il le faut.

L’intérêt de l’action de Civitas dans la vie de la cité est de don­ner les élé­ments néces­saires et l’enthousiasme mêlé de géné­ro­si­té et d’engagement pour rechris­tia­ni­ser ou tout au moins main­te­nir et déve­lop­per dans les ins­ti­tu­tions diverses un ferment catho­lique et ne pas méri­ter ce que Jean Jaurès repro­chait aux catho­liques libé­raux lors de la loi de sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat :

« Nos adver­saires nous ont-​ils répondu ?
Ont-​ils oppo­sé doc­trine à doc­trine, idéal à idéal ?
Ont-​ils eu le cou­rage de dres­ser contre la pen­sée de la Révolution l’entière pen­sée catho­lique qui reven­dique pour Dieu, pour le Dieu de la révé­la­tion chré­tienne, le droit non seule­ment d’inspirer et de gui­der la socié­té spi­ri­tuelle mais de façon­ner la socié­té civile ?
Non, ils se sont déro­bés ; ils ont chi­ca­né sur des détails d’organisation. Ils n’ont pas affir­mé net­te­ment le prin­cipe même qui est comme l’âme de l’Eglise ».

Jaurès, loin d’être pour nous un maître, dit à Civitas ce qu’il faut faire et ne pas faire.

CIVITAS : Vous suc­cé­dez à l’abbé DUVERGER. Qu’allez-vous appor­ter avec votre prise de fonc­tion ? Quel est le mes­sage que vous comp­tez faire pas­ser, notam­ment auprès de la jeu­nesse qui est tota­le­ment déboussolée ?

Succédant à l’abbé Duverger, j’espère appor­ter à sa suite le meilleur enthou­siasme com­mu­ni­ca­tif à la cause du règne social de Notre Seigneur Jésus-​Christ, des encou­ra­ge­ments à l’enracinement de nos convic­tions, à l’action sur le ter­rain avec la grâce de Dieu et, avec le temps que Saint-​Nicolas me lais­se­ra, vous encou­ra­ger au com­bat contre révo­lu­tion­naire. S’il y a un mes­sage à faire pas­ser à la jeu­nesse c’est :

« N’ayez pas peur de vous enga­ger. Laissez au pla­card le confor­misme. Ayez le cou­rage de ne pas suivre les cou­rants du monde, de la mode, du qu’en dira-​t-​on. Au com­bat inté­rieur donc par une vie pro­fon­dé­ment et inté­gra­le­ment chré­tienne ! Au com­bat inté­rieur par une for­ma­tion de l’esprit ! Au com­bat exté­rieur quand il s’agit de ne pas refu­ser la bagarre, c’est cela la « cha­ri­té poli­tique » énon­cée par le pape Pie XI.

CIVITAS : Aujourd’hui les Français, jeunes et moins jeunes, lisent moins de beaux textes. Quels seraient donc les trois livres que vous conseille­riez et que vous esti­mez indis­pen­sables à une bonne for­ma­tion intellectuelle ?

Il m’est impos­sible de conseiller trois livres indis­pen­sables à une bonne for­ma­tion intel­lec­tuelle, car trois ne suf­fi­raient pas. Mais « Ils l’ont décou­ron­né » de Monseigneur Lefebvre, les ouvrages du Père Calmel, ceux du pro­fes­seur Marcel de Corte en sont les outils pré­cieux, sans oublier la doc­trine du car­di­nal Pie.

Pour sus­ci­ter aus­si l’enthousiasme, on peut aller sur les pas de saint Paul, de saint François-​Xavier et de Charles de Foucauld, et chez les plus pro­fanes on trouve de très beaux textes chez cer­tain com­bat­tant dont je peux tou­jours conseiller les œuvres ; enfin pour ne pas perdre le piquant tou­jours néces­saire, on peut aller chez Léon Daudet.

CIVITAS : Le but de la poli­tique est de prendre le pou­voir. L’action élec­to­rale a échoué. Comment est-​il pos­sible de prendre le pouvoir ?

Le but de la poli­tique n’est pas d’abord de prendre le pou­voir. C’est comme disait Henri Charlier « Après le ser­vice de Dieu la plus haute fonc­tion à laquelle on puisse aspi­rer, car elle a pour objet de recher­cher le bien com­mun des hommes et de l’assurer autant qu’il est possible ».

Le pou­voir est évi­dem­ment un moyen par lequel doit être réa­li­sé ce bien com­mun. Et ce bien com­mun dit encore Charlier « consiste à trou­ver com­mo­dé­ment de quoi vivre, et à éloi­gner les obs­tacles maté­riels tant à la vie du corps qu’à celle de l’âme, la misère, la dis­corde, les occa­sions du vice et du péché ».

CIVITAS : Le 9 mai 2010 CIVITAS a orga­ni­sé pour la pre­mière fois un hom­mage à Jeanne d’Arc qui a réuni 2600 per­sonnes. Au vu de ce chiffre, on peut par­ler de suc­cès. Comment l’expliquez-vous ? Combien de Français comptez-​vous réunir le 8 mai 2011 ? Ne serait-​il pas pos­sible d’organiser un cor­tège unique avec l’Action fran­çaise, ini­tia­trice his­to­rique du cor­tège pour la Sainte de la patrie ?

Oui, le 9 mai 2010 l’hommage à sainte Jeanne d’Arc fut un franc succès.

Comment l’expliquer ? C’est une prise de conscience de l’importance à per­pé­tuer cette tra­di­tion fran­çaise d’un tel hom­mage en tant que catho­liques et patriotes. Elle est la sainte de la Nation.
L’état de déchéance dans lequel se trouve notre pays a sus­ci­té un souffle de prière ; c’est l’heure de la prière, certes, mais c’est aus­si l’heure de la pro­fes­sion de la foi catho­lique. Le carac­tère politico-​religieux de cette mani­fes­ta­tion a per­mis éga­le­ment de réunir au-​delà des catho­liques de la nef, ceux du par­vis. L’illusion du nombre est d’inspiration démo­cra­tique, mais il est vrai que nous ne sommes pas des esprits angé­liques, et le nombre peut bien confor­ter. Alors pour­quoi ne pas pen­ser être un peu plus l’an prochain ?

Un cor­tège unique me paraî­trait une bonne solu­tion, comme démons­tra­tion de force, je crois cepen­dant qu’une cer­taine diver­si­té propre à cha­cun peut être conser­vée. Notre défi­lé n’est en rien concur­ren­tiel des autres, et qui plus est, marque davan­tage notre carac­tère catholique.

Ceci dit, toutes les forces natio­nales et catho­liques pour­raient s’adjoindre l’après-midi à ce grand défi­lé. La for­mule de 2010 sous l’unique ban­nière de Civitas a mon­tré que l’Institut Civitas, en col­la­bo­ra­tion avec la Fraternité Saint-​Pie X, pou­vait ras­sem­bler encore autant et plus de monde tout en res­tant à sa pre­mière ini­tia­tive et dans le même esprit.

CIVITAS : Depuis quelques temps les blogues et sites diri­gés par des catho­liques fleu­rissent sur le net. S’agit-il d’une prise de conscience ou d’un phé­no­mène de mode ?

« Des blogs et sites diri­gés par des catho­liques qui fleu­rissent sur le net » comme vous dites, il y a à boire et à man­ger. Beaucoup d’entre eux se meuvent hélas par le sen­ti­ment, sans pro­fon­deur, très super­fi­ciel­le­ment.

Il y a peut-​être aus­si face à la mon­tée de l’Islam et à une « catho­pho­bie » galo­pante, un réflexe iden­ti­taire, une redé­cou­verte de nos racines chré­tiennes. C’est très posi­tif mais il faut aller plus loin dans l’analyse du mal, et ne pas craindre de s’attaquer aux vraies racines du mal révo­lu­tion­naire qui est la révolte contre Dieu, le « non ser­viam » de Lucifer.

CIVITAS : Pourriez-​vous nous citer des héros his­to­riques qui, selon vous, doivent ins­pi­rer la jeu­nesse de France ?

Les héros his­to­riques qui peuvent ins­pi­rer la jeu­nesse de France peuvent être de plu­sieurs ordres, de l’ordre de la sain­te­té, de l’ordre de la poli­tique chré­tienne, de l’ordre de l’intel­li­gence, de l’ordre du com­bat de la foi et même de l’ordre de la bra­voure . Comme nous vivons dans un cli­mat de ter­reur idéo­lo­gique, il vaut mieux taire cer­tains noms ; je n’en don­ne­rai pas.

CIVITAS : Quel sera votre mot de la fin ?

Nous ne sommes pas condam­nés à nous battre sans espoir de vaincre. Cela doit être très clair dans nos esprits. Voulons-​nous tra­vailler avec effi­ca­ci­té au triomphe de la véri­té ?

Serait-​il nor­mal que la véri­té soit si conti­nuel­le­ment stérile ?

Serait-​il nor­mal que le men­songe soit si conti­nuel­le­ment triomphant ?

C’est l’heure de se sou­ve­nir de ce que disait sainte Jeanne d’Arc :« les hommes d’armes bataille­ront et Dieu don­ne­ra la vic­toire ».

Donc pas de pro­vi­den­tia­lisme béat, de quié­tisme de l’action, d’indif­fé­ren­tisme pra­tique, et pas non plus de natu­ra­lisme pra­tique ou d’activisme.

Alors le mot de la fin, je l’emprunte au car­di­nal Ottaviani cité dans « l’Action » de Jean Ousset :

« La fré­quence, la puis­sance du crime, écri­vait le car­di­nal Ottaviani, ont hélas émous­sé la sen­si­bi­li­té chré­tienne, même chez les chré­tiens. Non seule­ment comme hommes, mais comme chré­tiens ils ne réagissent plus, ne bon­dissent plus. Comment peuvent-​ils se sen­tir chré­tiens, s’ils sont insen­sibles aux bles­sures faites au chris­tia­nisme ? […] La vie se prouve par la sen­sa­tion de la dou­leur, par la viva­ci­té avec laquelle on réagit à la bles­sure, par la promp­ti­tude et la puis­sance de la réac­tion. Dans la pour­ri­ture et la décom­po­si­tion, on ne réagit plus.
Il n’est aucune orga­ni­sa­tion, aucun par­ti, aucune secte qui n’ait aujourd’hui un plan à pro­po­ser et qui ne s’attache à le faire admettre. Nous seuls chré­tiens allons à la remorque capables tout au plus de quelques brefs sursauts.Ainsi nous perdons-​nous en recettes et bri­coles. Campagnes à court terme. Bruitages sans échos. Attendant le salut de quelque opé­ra­tion brus­quée. Empiriques à la petite semaine qu’aucune expé­rience n’instruit.
« Pagailleux » nous qui pro­fes­sons l’ordre et la méthode. Paresseux, nous qui cano­ni­sons le zèle et le tra­vail. Passionnés éper­dus dès que nous pré­ten­dons agir, nous qui pro­cla­mons tou­jours vou­loir rai­son garder.
Et moins confiants que les maté­ria­listes dans les forces intel­lec­tuelles et spi­ri­tuelles, nous qui les invo­quons sans cesse. Au point que si demain la Révolution l’emporte, ce triomphe sera d’une haute justice.
Car depuis 151 ans (il écrit en 1968 par réfé­rence à 1717, date du grand essor de la franc-​maçonnerie moderne) que ses vagues d’assaut se suc­cèdent et se renou­vellent, inlas­sa­ble­ment ingé­nieuses, tou­jours plus habiles, effi­caces, on peut dire que la Révolution a méri­té sa conquête du monde.
Ses hommes ont su se battre ;
ont su tenir ;
ont su se dépen­ser opiniâtrement ;
ont su ouvrir leur bourse autant qu’il le fallait.

Propos recueillis par Franck ABED pour CIVITAS en Novembre 2010