Monsieur l’abbé, l’institut Civitas a longtemps bénéficié de vos conseils. Alors que vous venez de quitter vos fonctions de premier assistant du district de France de la Fraternité Saint Pie X pour celle de responsable du district d’Afrique, Civitas voudrait vous interroger pour bénéficier une dernière fois de votre réflexion et de vos jugements.
Le constat que « tout va mal » n’est pas difficile à faire. Se lamenter et critiquer est un exercice tout aussi facile. Dans nos milieux, l’analyse profonde sur la décadence de la société et la recherche des causes qui ont mené à cet état ont été faites depuis longtemps, les ouvrages qui en traitent sont légions. Ils donnent des solutions idéales à la crise politique et économique que nous subissons.
Ces ouvrages sont nécessaires, il faut que tous ceux qui s’intéressent à la vie de la cité les lisent et les méditent.
Mais il faut ensuite passer à l’action. Or, il faut l’avouer, depuis des décennies les catholiques se sont retirés de la chose publique.
Pourquoi les catholiques ne font-ils plus entendre leur voix dans le combat politique ?
La racine de cet abandon vient de deux causes principales.
La première est le libéralisme qui pervertit les intelligences et poussent les catholiques qui s’engagent encore en politique, à ne plus affirmer la doctrine sociale de l’Eglise sous le fallacieux prétexte que « cette voie catholique n’est plus possible aujourd’hui », et dès lors à rechercher le plus petit dénominateur commun dans les alliances scellées avec des non-catholiques. Petit à petit leur discours et leurs actes n’ont plus rien de catholique.
La seconde cause vient d’une certaine forme d’idéalisme et de perfectionnisme. Ne rêve-t-on pas à des solutions tombées du ciel qui éviteraient aux hommes de combattre ? On attend des restaurations qui referaient d’un coup de baguette magique la France chrétienne. On parle, on discute, on théorise, le temps passe et la France se déchristianise, abandonnée à des hommes sans foi, ni loi.
Ces deux attitudes sont à la racine du silence de la voix catholique en politique aujourd’hui. Elles ont démobilisées les hommes de bonne volonté, annihilées la volonté de reconquête catholique pour faire régner le Christ Roi.
Une solution catholique est-elle envisageable dans une société désormais déchristianisée ?
La doctrine sociale de l’Eglise est plus que jamais d’actualité. Elle est la seule issue pour nos sociétés déchristianisées. Elle n’est pas une simple théorie qui ne peut être mise en pratique. Tous les papes jusqu’à Pie XII inclus l’ont prêchée magnifiquement. Malheureusement trop souvent les catholiques n’ont pas su, ou pas voulu, la mettre intégralement en pratique.
Si les premiers chrétiens avaient négligé le règne social du Christ, la civilisation chrétienne n’aurait jamais existée. La situation politique à leur époque n’était pas pire que la nôtre.
Dire que le règne du Christ Roi n’est plus possible parce que la société est déchristianisée, c’est manquer à la vertu d’espérance, cette attitude n’est pas digne d’un catholique. Le Bon Dieu veut toujours sauver les âmes et dans une société chrétienne les âmes se sauvent plus facilement.
La paix et la concorde civile ne peuvent exister en dehors de Jésus-Christ. S’il ne règne pas sur les cœurs les familles et les cités, le désordre s’installe vite et les sociétés signent leur arrêt de mort.
La société ne redeviendra pas chrétienne du jour au lendemain. Il faudra des décennies de combat pour redonner à la France un gouvernement catholique.
Comment peut-on affirmer notre intention de restaurer le règne du Christ quand l’Eglise elle-même se fait très discrète sur le sujet ?
Malheureusement l’Eglise depuis le Concile ne prêche plus le Règne du Christ-Roi. Les évêques et les prêtres n’ont plus soutenu cette politique seule conforme à la doctrine de l’Eglise, souvent ils se sont fait les alliés objectifs de la déchristianisation.
Mais cette trahison du combat catholique des clercs ne peut empêcher un catholique de faire son devoir. Ce combat est peut-être plus difficile, mais pas impossible. D’ailleurs, si les catholiques avaient été plus hardis pour défendre les droits de Notre Seigneur n’auraient-ils pas ainsi évité beaucoup de trahisons de la part des clercs ? La doctrine sociale de l’Eglise demeure vraie et réalisable malgré les défaillances des hommes d’Eglise.
On reproche aux catholiques d’avoir souvent manqué de vision politique. N’y a‑t-il pas dans les milieux catholiques, y compris dans la Tradition, une tendance à délaisser le combat politique pour se lancer dans les œuvres catholiques ?
La crise qui secoue l’Eglise depuis 50 ans a obligé les catholiques à défendre leur Foi et à se donner les moyens de survivre spirituellement. Mais le combat ne peut s’arrêter à la constitution de ces bastions de résistance que sont les prieurés, les chapelles, les écoles. Il faut maintenant reprendre l’initiative dans le combat politique pour protéger ces bastions des attaques des ennemis de la société chrétienne qui feront tout pour détruire ce qui reste de catholique. Si les catholiques ne se donnent pas à ce combat, les prieurés, les chapelles et les écoles catholiques si chèrement bâtis seront empêchées par des lois iniques, rendant même la vie de famille impossible.
Dans ce combat peut-on mobiliser les catholiques conciliaires ?
Pourquoi pas ? Dans ce combat gigantesque toutes les bonnes volontés sont bien venues. Une seule condition est nécessaire à ce combat c’est la volonté farouche de ne vouloir que le règne du Christ Roi dans la stricte conformité à la doctrine catholique. Malheureusement force est de constater que ces catholiques infestés des erreurs modernes, n’ont pas toujours les convictions nécessaires pour ce combat qui n’admet pas de compromis.
Peut-on aussi mobiliser les hommes de bonne volonté qui ne sont pas baptisés, alors que notre engagement est résolument chrétien ?
Pourquoi pas ? Ce que nous disons à propos des modernistes est vrai pour toutes les bonnes volontés. Ceux, déçus par les théories politiques athées qui mènent à des impasses ou à des catastrophes, peuvent se joindre au combat des catholiques. Ils grossiront les troupes et combattront pour le Règne de Notre Seigneur. Ce sera peut-être leur chemin de Damas.
Mais dans ces alliances avec des groupes ou des personnes il faut rester prudent pour ne pas se laisser corrompre par une pensée erronée ou contraint de participer à des actions qui ne seraient catholiques qu’en apparence. Pour faire court, la règle principale est de toujours garder l’initiative du combat, c’est aux non catholiques de se soumettre à la doctrine catholique et non l’inverse. De plus, la maîtrise des actions à mener doit rester dans des mains intégralement catholiques. Ce n’est pas seulement la finalité d’une action qui permet d’y participer, mais aussi la bonté des principes qui en sont à la racine et l’intention de ceux qui la mènent. Ainsi vouloir combattre l’avortement sans aucune référence surnaturelle est illusoire et stérile. La Fraternité Saint Pie X a toujours refusé de s’associer aux grandes manifestations contre l’avortement qui refusaient de poser la Foi catholique comme principe de ces manifestations, par contre elle s’associe aux rosaires pour la vie du docteur Dor.
Un important travail reste à faire pour convaincre les catholiques d’aujourd’hui de s’engager dans le combat politique. Comment expliquez-vous leur réticence, alors qu’ils sont porteurs de la Vérité et qu’ils devraient avoir soif de la diffuser dans la société ?
Les deux causes de la disparition des catholiques en politique que nous exposions plus haut donnent une partie de l’explication de la réticence des catholiques pour la politique L’autre explication vient de la crainte de perdre son âme dans ce combat et de croire ne pas être capable de l’entreprendre, associées aux « je n’ai pas le temps » ou « ça ne sert à rien ».
Certes, tous ne sont pas faits pour participer à la vie politique, mais très nombreux sont ceux qui le peuvent et qui n’osent pas. Dans une municipalité, avant de participer à son gouvernement en devenant conseillé ou maire, il y a toute une action de proximité auprès des habitants à réaliser : action sociale à mener, aide aux personnes nécessiteuses, participation aux activités de la commune pour apprendre à connaître ses voisins de quartier. Il faut s’intéresser et participer à la vie de la commune, ne pas hésiter à prendre de petites responsabilités et à y insuffler un esprit catholique. Cette véritable action politique permet à un catholique de faire beaucoup de bien.
Civitas prône cette action municipale à la portée des jeunes et des moins jeunes, bien entendu plus facile à mener dans les petites communes.
Ce sont les catholiques qui referont la France catholique de demain et ils ne la referont qu’en menant un combat politique de proximité.
Confesser sa foi n’est-il pas un inconvénient à l’efficacité immédiate ?
Comment la Foi pourrait-elle être un obstacle à l’efficacité ? Ce sont de telles erreurs qui ont mené les catholiques à leur perte. La défense de la Foi ne demande pas de faire de grandes déclamations en tout lieu et en tout temps. Il faut savoir défendre la foi avec intelligence, force et charité en temps utile. Dans l’action municipale, agir en catholique est déjà une belle prédication.
N’a‑t-on pas trop tendance à rechercher le nombre ?
Le nombre ne fait rien à l’affaire. Par exemple, il est intéressant de noter que l’opposition est plus violente contre les rosaires pour la vie du docteur Dor qui ne rassemblent que quelques personnes souvent âgées, (où sont les plus jeunes ?) que les grandes manifestations de masse où la Foi n’est pas affirmée.
Mais il ne faut tomber dans l’excès inverse et craindre le nombre. Plus les catholiques seront nombreux à combattre pour le Christ Roi, plus son règne s’étendra.
Quelles réflexions vous inspire l’engagement de Civitas ?
Le but que Civitas poursuit est clair et bien défini. Agir dans la Cité pour faire régner notre Seigneur Jésus-Christ. Cette action se concrétise dans la volonté de former les catholiques pour qu’ils s’investissent dans la vie communale. Les cercles d’étude sont nécessaires pour apporter la formation et soutenir par l’action ceux qui s’engagent dans la politique communale.
L’Institut Civitas est seul à orienter son action politique principalement vers la politique communale. Ce combat est essentiel pour le renouveau de la France chrétienne, il est à la portée des catholiques et produit des effets bénéfiques rapidement.
Cette formation à la doctrine de l’Eglise pour une action politique catholique ne peut être efficace sans une solide formation spirituelle et une vie de prière profonde. C’est à la messe dans la réception des sacrements que les membres de Civitas puiseront les lumières nécessaires aux bonnes décisions pour déjouer les pièges et la force surnaturelle pour ce combat difficile.
Plus que jamais la parole de Jeanne d’Arc doit résonner dans les cœurs : « L’homme combat et Dieu donne la victoire ».