La deuxième encyclique de Pie XII est adressée aux évêques des Etats-Unis, à l’occasion du 150e anniversaire de l’établissement de la hiérarchie catholique dans leur pays. Après avoir félicité les catholiques des Etats-Unis pour la vitalité de leur catholicisme, le Pape recommande comme remèdes aux maux actuels la sainteté de la famille, l’unité et la justice sociale. Voici la traduction de cet important document :
A ses très chers fils archvêques, évêques et autres ordinaires des lieux des États-Unis d’Amérique en paix et communion avec le Siège Apostolique
Vénérables frères,
Salut et bénédiction apostolique
Désireux d’accroître encore une guirlande de sainte joie, Nous franchissons, par la pensée, l’interminable étendue de la mer, et Nous venons, en esprit, au milieu de vous, qui célébrez avec tous vos fidèles l’heureux achèvement de ce siècle et demi qui Nous sépare du jour où la hiérarchie ecclésiastique fut établie aux Etats-Unis. Et Nous le faisons très volontiers, parce que, en ce début de Notre souverain pontificat, ce Nous est une occasion solennelle — qui Nous est d’autant plus agréable — d’attester publiquement quelle estime et quelle affection Nous éprouvons pour le peuple américain si illustre et débordant de jeunesse.
A ceux qui parcourent les annales de votre nation et qui recherchent les causes profondes des événements qui en sont la trame, il apparaît avec évidence que le développement triomphal de la religion divine n’a pas peu contribué à conduire votre patrie vers la gloire et la prospérité dont elle jouit. Il est bien vrai que, si cette religion, née du ciel par ses institutions et ses lois, est destinée à conduire les hommes à la félicité éternelle, elle n’en comble pas moins la vie d’ici-bas de tant de bienfaits qu’elle n’en pourrait distribuer davantage, dans l’hypothèse où sa principale raison d’être serait de rendre heureux les hommes durant leur courte existence terrestre.
Le premier évêque des Etats-Unis. [1]
Il Nous est agréable de rappeler des faits bien connus. Quand Pie VI donna à vos compatriotes leur premier évêque dans la personne d’un citoyen américain, John Carroll, en le nommant au siège de Baltimore, il y avait là un nombre de catholiques si restreint et de si petite importance, et la situation des Etats-Unis était si précaire, que leur groupement et leur unité politique elle-même étaient menacés d’une crise profonde. En effet, à cause d’une longue guerre épuisante, le Trésor était gravement endetté, les industries languissaient, et la population, exaspérée par les calamités, s’était divisée en partis opposés. Ce fut le très célèbre George Washington, homme au caractère ferme et à l’esprit sagace, qui redressa cette situation douloureuse et même critique. Il était lié d’une solide amitié avec le vénéré évêque de Baltimore. Ainsi le père de la patrie et le premier pasteur de l’Eglise sur cette terre qui Nous est si chère, unis par des liens de bienveillance réciproque — exemple permanent pour la postérité et leçon pour tous les temps à venir — se tenant en quelque façon par la main, indiquaient au peuple américain qu’il devait avoir pour règle sacrée de vie le respect de la foi chrétienne, qui, renfermant les suprêmes principes de la morale et leur donnant toute leur valeur, est la sauvegarde du bien public et contient la source du véritable progrès.
Prospérité de l’Eglise catholique aux Etats-Unis.
Nombreuses furent les causes auxquelles on doit attribuer l’épanouissement de l’Eglise catholique dans votre pays. Nous voulons en relever une, particulièrement digne d’attention. Des groupes de prêtres, chassés par la persécution vers votre pays, vinrent apporter à votre premier pasteur une aide très désirée et répandirent, par leur collaboration active au ministère des âmes, une semence précieuse, qui leva en une abondante moisson de vertus. Quelques-uns d’entre-eux devinrent ensuite évêques, et ainsi participèrent encore davantage aux progrès de la cause catholique. Il arriva donc ce qui arrive toujours, comme l’histoire le démontre : les orages de la persécution n’éteignent pas, mais étendent au contraire sur de plus vastes espaces la flamme apostolique qui, alimentée par une foi loyale et une charité sincère, embrase les cœurs généreux.
Un siècle après cet événement qui vous remplit maintenant d’une joie si légitime, le pape Léon XIII, d’heureuse mémoire, voulut, dans sa lettre Longinqua oceani [2], mesurer le chemin parcouru là-bas par l’Eglise depuis ses débuts et donner des recommandations et des directives où la bienveillance le disputait à la sagesse. Ce qui fut si bien écrit alors par Notre auguste prédécesseur devra rester toujours digne d’attention. Dans ces cinquante années écoulées, les progrès de l’Eglise ne se sont pas arrêtés là-bas, mais ils ont pris une extension plus vaste et une intensité plus forte.
La vie, que la grâce du Saint-Esprit entretient dans le sanctuaire de l’âme, est, en effet, là-bas, florissante ; bien fournie, l’affluence dans les églises ; à la Table sainte, où l’on reçoit le Pain des anges, la nourriture des forts, les fidèles viennent nombreux ; les retraites fermées sont suivies avec une sainte ardeur ; beaucoup d’âmes, dociles à la voix divine qui les appelle à un idéal de vie plus haute, reçoivent le sacerdoce ou embrassent l’état religieux. Actuellement, il y a chez vous dix-neuf provinces ecclésiastiques, cent quinze diocèses, près de deux cents séminaires, d’innombrables églises, écoles élémentaires et supérieures, collèges, hôpitaux, hospices, monastères. Non sans raison, l’étranger admire l’organisation et le fonctionnement de vos différentes catégories d’écoles, soutenues par la générosité des fidèles, protégées par les soins assidus des autorités ecclésiastiques ; c’est d’elles, en effet, que sortent ces foules de citoyens bien formés et éduqués qui, respectueux des lois divines et humaines, sont considérés à bon droit comme la force, la fleur et l’honneur de l’Eglise et de la patrie.
Vitalité des œuvres missionnaires…
Les œuvres missionnaires, ensuite — notamment l’Œuvre pontificale de la Propagation de la Foi — solidement établies et d’une activité exemplaire, viennent aider par la prière, l’aumône et divers autres moyens, les hérauts de l’Evangile qui portent l’étendard de la croix salvatrice dans les terres infidèles. Nous éprouvons le besoin, en cette circonstance, de louer publiquement les œuvres missionnaires particulières de votre nation, qui travaillent avec un zèle infatigable à l’expansion du catholicisme. Elles sont connues sous les noms de Catholic Church Extension Society, société entourée d’une auréole de gloire pour sa pieuse bienfaisance ; Catholic Near East Welfare Association, qui fournit une aide providentielle aux nécessités du christianisme en Orient, où il y a de si grands besoins ; Indian and Negroes Mission, œuvre approuvée par le IIIe concile de Baltimore [3], que Nous confirmons et encourageons, parce qu’elle semble exigée par la remarquable charité envers vos concitoyens. Nous vous avouons que Nous Nous sentons pénétré d’un amour particulier — inspiré certainement du ciel — pour les nègres habitant parmi vous, parce que Nous savons que, dans le domaine de la religion et de l’instruction, ils ont besoin de soins spéciaux et de réconfort qu’ils méritent bien d’ailleurs. Nous appelons donc d’abondantes bénédictions divines et Nous souhaitons toutes sortes de succès à ceux qui, mûs par un zèle généreux, se consacrent à l’assistance spirituelle des Noirs.
En outre, vos compatriotes rendent grâce à Dieu de façon très opportune, pour le don inestimable d’une foi véritable et complète ; remplis d’une sainte ardeur, ils envoient d’importants renforts à l’armée des missionnaires qui, au prix de fatigues, par une patience inlassable et une énergie féconde en nobles initiatives pour promouvoir le règne du Christ, récoltent des mérites que la terre admire et qui seront couronnés au ciel par de justes récompenses.
…et des œuvres destinées aux fidèles du pays.
Et elles sont également florissantes les œuvres qui s’adressent aux membres de l’Eglise à l’intérieur de votre patrie : les offices diocésains de charité dont l’organisation et le fonctionnement sage et pratique par l’intermédiaire des curés et le concours des familles religieuses, portent aux pauvres, aux besogneux, aux malades, les dons de la charité chrétienne et soulagent les misères ; dans l’accomplissement d’un ministère de si grande importance, le chrétien voit des yeux de la foi doux et perçants le Christ lui-même présent dans les indigents et les affligés, qui sont les membres mystiques souffrants du très aimé Rédempteur.
Parmi vos associations laïques — les énumérer toutes serait trop long — les lauriers d’une gloire durable reviennent à l’Action catholique, aux congrégations mariales, à la Confraternité de la doctrine chrétienne, heureuses des fruits recueillis et assurées d’une moisson encore plus belle dans l’avenir, sans oublier l’Association du Saint-Nom, excellent guide pour promouvoir le culte et la piété chrétienne. A la tête de cette activité multiple des catholiques, activité qui s’exerce en diverses provinces, suivant les exigences du moment, se trouve ce comité qui s’appelle la National Catholic Welfare Conference et qui procure à votre ministère épiscopal des moyens adaptés.
Les principales de ces institutions, Nous avons pu les voir en partie, en octobre 1936, lorsqu’au cours de Notre voyage au-delà de l’Océan, Nous avons eu la joie de vous connaître directement, vous et votre champ d’activité. De tout ce que Nous avons alors admiré de Nos yeux, Nous garderons toujours dans Notre cœur l’inoubliable et joyeux souvenir.
Il convient donc qu’avec des sentiments d’adoration, Nous rendions grâces à Dieu de tout cela, et que Nous fassions monter vers lui l’hymne de la reconnaissance : « Rendez gloire au Dieu du ciel, parce que sa miséricorde est éternelle » [4]. Le Seigneur dont la bonté ne comporte aucune limite, n’a pas seulement rempli votre terre de la libéralité de ses dons, mais il a aussi donné à vos églises l’ardeur au travail et a rendu très fructueux leur labeur inlassable. Mais une fois offert à Dieu le tribut de reconnaissance qui est dû à Celui d’où proviennent tous les biens, reconnaissons, Nos très chers fils, que cette prospérité féconde que Nous admirons aujourd’hui avec vous est le résultat de l’esprit d’initiative et de la constante activité des vénérés pasteurs et des fidèles qui forment cette portion du troupeau du Christ ; reconnaissons qu’elle est due aussi à votre clergé qui, porté à une action énergique, exécute avec un zèle généreux vos décisions ; aux membres de tous les ordres et de toutes les congrégations qui, remarquables par leurs vertus, rivalisent de dévouement en cultivant le champ du Seigneur ; aux religieuses innombrables qui, souvent silencieuses et ignorées des hommes, poussées par une flamme intérieure de charité, se consacrent avec un dévouement exemplaire à la cause de l’Evangile, véritables lis du jardin du Christ et délices des saints.
Le chrétien est toujours apôtre.
Mais Nous voulons que Nos louanges aient des fruits salutaires. La considération du bien réalisé ne doit pas amener un relâchement qui conduirait à la paresse ; elle ne doit pas engendrer la vaine gloire qui chatouille agréablement l’esprit, mais, au contraire, agir comme un stimulant, pour que des énergies nouvelles s’efforcent d’empêcher les maux et pour qu’on voie croître, plus solides et puissantes, les œuvres utiles, prudentes et dignes d’éloges. Le chrétien qui fait honneur à son nom est toujours apôtre ; il ne convient pas au soldat du Christ d’abandonner le combat, car seule la mort met fin à son temps de service.
Vous savez bien où il faut faire preuve d’une vigilance toute spéciale et quel programme d’action il faut tracer aux prêtres et aux fidèles, pour que la religion du Christ, ayant surmonté les obstacles, soit le guide lumineux des esprits, la règle des mœurs et, pour que, cause unique de salut, elle pénètre tous les organes et artères de la société humaine. Certes, l’accroissement des biens extérieurs et matériels, doit être grandement estimé pour les multiples et opportunes facilités qu’il apporte à l’existence, mais il ne suffit pas à l’homme qui est né pour de plus hauts et splendides destins. L’homme, en effet, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, cherche Dieu avec une incoercible aspiration, et souffre, en poussant de secrètes plaintes, si, dans le choix de son amour, il repousse la souveraine Vérité et le Bien infini.
Source des maux présents : méconnaissance de la majesté de Dieu, oubli de la loi divine, inconstance de la volonté humaine.
Cependant, ce n’est pas en traversant les espaces corporels qu’on accède à Dieu — à ce Dieu dont on sait que ceux qui s’écartent de lui sont condamnés à mourir, ceux qui se convertissent à lui vivent, ceux qui s’arrêtent en lui s’éclairent — mais on accède à Dieu, sous la conduite du Christ, par la plénitude d’une foi sincère, par la conscience sans tache d’une volonté droite, par la sainteté des œuvres, par l’acquisition et l’usage de cette authentique liberté, dont les normes sacrées se trouvent promulguées dans l’Evangile. Si, au contraire, les divins commandements sont méprisés, non seulement l’on ne peut atteindre la félicité éternelle placée au-delà du bref espace de temps assigné à l’existence terrestre, mais la vraie civilisation humaine elle-même vacille sur ses bases, et l’on ne peut s’attendre qu’à des ruines, sur lesquelles il faudra verser des larmes tardives, car ce qui conduit aux biens éternels est aussi principe de force solide et sûr appui dans les choses d’ici-bas. Comment, en effet, pourraient bien trouver une garantie de stabilité le bien public et la gloire de la civilisation, lorsque les droits sont renversés et que les vertus sont abandonnées et méprisées ? Mais, de même que Dieu est la source et le soutien du droit, il est aussi l’inspirateur et la récompense de la vertu : personne ne l’égale parmi les législateurs [5]. Telle est, au témoignage de tous les hommes de bon sens, la racine amère et prolifique des maux du monde : la méconnaissance de la divine Majesté, l’abandon des lois divines ou une détestable inconstance, qui fait balancer entre le licite et l’illicite, entre la justice et l’iniquité. De là découlent l’égoïsme aveugle et effréné, la soif de plaisirs, l’alcoolisme, la mode impudique et dispendieuse, la criminalité qui n’est pas rare même chez les mineurs, l’ambition d’arriver au pouvoir, l’incurie à l’égard des pauvres, les désirs d’iniques richesses, la désertion des campagnes, la légèreté dans la conclusion des mariages, les divorces, la désagrégation des familles, le refroidissement du mutuel amour entre parents et enfants, la limitation des naissances, l’affaiblissement de la race, la baisse du respect dû aux autorités, ou le servilisme, ou la rébellion, l’abandon des devoirs envers la patrie et l’humanité. En outre, Nos plaintes se font plus vives encore, de ce que souvent dans tant d’écoles, on méprise ou on ignore le Christ, on ramène toute l’explication de l’univers et du genre humain au domaine du naturalisme et du rationalisme, et de ce que l’on cherche à établir de nouveaux systèmes d’éducation, qui dans la vie intellectuelle et morale de la nation ne pourront pas ne pas porter de tristes fruits.
La famille chrétienne. Les enfants, heureux gages d’amour.
Il en est ainsi de la vie domestique. De même que, dans l’observation de la loi du Christ, elle s’épanouit en une vraie félicité, de même, en répudiant l’Evangile, elle dépérit misérablement, ravagée par le vice : « Celui qui scrute la loi en est rassasié, mais pour l’hypocrite, elle est un scandale » (Eccli., xxxii, 15.) Que peut-il y avoir sur la terre de plus agréable et de plus heureux que la famille chrétienne ? Prenant son origine devant l’autel du Seigneur, où l’amour a été proclamé un lien sacré indissoluble, elle se consolide et s’accroît dans ce même amour, qu’entretient la grâce d’en haut. Là « le mariage est honoré de tous et le lit conjugal exempt de souillures » (Hebr., xiii, 4) ; les murs de ces foyers tranquilles ne retentissent pas de querelles ; ils ne sont pas témoins de secrets martyres causés par la révélation d’hypocrites manœuvres d’infidélité. Une solide confiance éloigne l’aiguillon du soupçon ; dans un mutuel amour de bienveillance s’apaisent les douleurs, s’accroissent les joies. Là, les enfants ne sont pas considérés comme de pesants fardeaux, mais comme de doux objets de tendresse.
Là, ni de honteux motifs utilitaires ni la recherche de voluptés stériles ne font que soit empêché le don de la vie et que ne tombent en désuétude les doux noms de frères et sœurs. Avec quel zèle les parents ne mettent-ils pas toute leur sollicitude pour que leurs enfants ne grandissent pas seulement en vigueur physique, mais qu’ils suivent aussi les traces de leurs aïeux fréquemment évoqués, afin d’être auréolés de cette lumière que procurent la profession d’une foi très pure et l’honnêteté morale. Touchés de tant de bienfaits, les enfants regardent comme leur suprême devoir d’honorer leurs parents, de seconder leurs désirs, de les soutenir d’une aide fidèle dans leur âge avancé, de charmer leur vieillesse par une affection qui, survivant à la mort, sera rendue encore plus glorieuse et plus complète dans le royaume du ciel. Les membres de la famille chrétienne, sans murmure dans l’adversité, sans ingratitude dans la prospérité, sont toujours remplis de confiance en Dieu, ils obéissent à son autorité suprême, se reposent sur sa volonté et n’attendent pas en vain son secours.
Indissolubilité du mariage. Maux causés par le divorce.
Pour constituer et maintenir les familles conformément aux sages enseignements de l’Evangile, les fidèles doivent être souvent exhortés à cet égard par ceux qui, dans les églises, assument une charge d’enseignement ou de direction. Qu’ainsi leurs soins assidus s’ingénient à préparer au Seigneur un peuple parfait. Pour ce même motif, il est souverainement important de veiller à ce que le dogme de l’unité et de l’indissolubilité de droit divin du lien matrimonial soit religieusement considéré et saintement sauvegardé par ceux qui contractent mariage. Que ce point capital de la doctrine catholique ait une puissante efficacité pour une forte cohésion de la famille, pour le progrès et la prospérité de la société civile, pour la vie saine du peuple, pour une civilisation dont la lumière ne soit pas fausse et vaine, de nombreux esprits même éloignés de notre foi le reconnaissent, grâce à leur remarquable sens politique. Oh ! si votre patrie avait pu seulement connaître, par l’expérience des autres et non point par des exemples personnels, la grande quantité de maux engendrés par l’autorisation du divorce ! Que l’attachement à la religion, l’amour pour le noble peuple américain, poussent à combattre et à extirper ce mal funeste et grandissant dont les conséquences ont été décrites par le pape Léon XIII en des termes énergiques et exacts : « Par le divorce, les engagements du mariage deviennent révocables ; l’affection réciproque est affaiblie ; l’infidélité reçoit de pernicieux stimulants ; la protection et l’éducation des enfants sont compromises ; il donne occasion à la dissolution de la société domestique ; il sème des germes de discorde entre les familles ; il amoindrit et avilit la dignité de la femme qui court le risque d’être abandonnée après avoir servi aux passions de l’homme. Et comme rien ne contribue davantage à détruire les familles et à affaiblir les Etats que la corruption des mœurs, il est facile de reconnaître que le divorce est extrêmement nuisible à la prospérité des familles et des peuples » [6].
Nous ne doutons pas le moins du monde que l’on observe chez vous avec soin les prescriptions du Code de Droit canonique quand il s’agit d’unir, par le mariage, des contractants dont l’un n’est pas catholique ou n’a pas été baptisé. Ces mariages, vous l’avez vous-même constaté par de nombreux exemples, apportent rarement un bonheur de longue durée et causent d’ordinaire des pertes graves à l’Eglise catholique.
L’étude des sciences divines et humaines, moyen de lutter contre ces maux.
Un moyen très efficace de faire disparaître de si grand maux est d’enseigner à tous les catholiques la vérité divine dans sa plénitude et de montrer clairement aux peuples le chemin qui conduit au salut. C’est pourquoi Nous exhortons instamment les prêtres à faire en sorte que soit vaste leur science des choses divines et humaines ; qu’ils ne se contentent pas des connaissances intellectuelles acquises dans leur jeunesse ; qu’ils méditent avec attention la loi du Seigneur dont les oracles sont plus purs que l’argent ; que sans cesse ils se délectent, après les avoir goûtées, des chastes délices de la Sainte Ecriture ; que tout le long de leur vie ils étudient plus profondément l’histoire de l’Eglise, ses dogmes, ses sacrements, ses droits, ses prescriptions, sa liturgie, sa langue, de manière à ce que, chez eux, le progrès intellectuel, la façon de parler, aillent de pair avec le progrès moral. Qu’ils cultivent aussi l’étude des lettres et des sciences profanes, surtout de celles qui sont spécialement en connexion avec la religion, afin qu’ils puissent exposer avec éloquence et clarté les vérités qui apportent le salut et imposer aux intelligences savantes le fardeau léger et le joug du Christ. Ô combien heureuse l’Eglise qui ainsi « sera fondée sur des saphirs » ! (cf. Is., liv, 11).
En outre, les besoins des temps actuels requièrent que même les laïques, spécialement ceux qui collaborent avec la hiérarchie ecclésiastique, se procurent un trésor de connaissances religieuses, non pas maigre et léger, mais riche et solide, au moyen des bibliothèques, des discussions, des cercles d’études. Ainsi, ils en retireront un grand profit pour eux-mêmes, ils pourront enseigner les ignorants, réfuter les adversaires obstinés et aider leurs bons coreligionnaires.
La presse, la radio, l’Université catholique de Washington.
Nous avons appris avec beaucoup de joie que votre presse défend avec intrépidité la cause catholique et que la radio marconienne, dont la voix se fait entendre instantanément dans le monde entier (merveilleuse invention, image de la foi apostolique embrassant tout le genre humain), est souvent utilisée et avec avantage pour assurer la plus grande diffusion possible à tout ce qui concerne l’Eglise.
Nous louons le bien ainsi accompli. Mais que ceux qui remplissent ces fonctions prennent garde, même lorsqu’ils exposent ou développent ce qui a trait au problème social, de suivre les directives et organes du magistère ecclésiastique ; qu’oublieux de leur avantage personnel et non désireux de la gloriole, ne suivant pas les factions partisanes, ils parlent « comme au nom de Dieu, devant Dieu, en Jésus-Christ » (ii Cor., ii, 17).
Dans Notre désir que la culture des arts et des sciences les meilleurs s’affermisse de plus en plus chez vous, Nous désirons, profitant de cette heureuse occasion, vous assurer de Notre très cordial intérêt pour l’Université catholique de Washington. Vous savez de quels souhaits ardents le pape Léon XIII saluait cet illustre temple de la science, quand il surgit, et de quels témoignages répétés de particulière affection le combla Notre prédécesseur immédiat. Ce dernier était intimement persuadé que si ce grand institut, ayant déjà récolté d’abondants mérites, se fortifiait encore davantage et obtenait une renommée plus grande, cela contribuerait non seulement aux développements de l’Eglise, mais aussi à la gloire et à la prospérité civile de vos compatriotes. Partageant cette même espérance, Nous venons à vous pour vous recommander très fortement cette Université. N’épargnez aucun effort, afin que, protégée par votre bienveillance, elle triomphe de ses difficultés et que, par ses progrès toujours plus heureux, elle justifie pleinement les grands espoirs fondés sur elle.
En outre, Nous approuvons vivement votre désir de rendre plus spacieux et mieux adapté le Collège pontifical qui accueille à Rome, pour leur éducation ecclésiastique, les jeunes gens de l’Amérique du Nord. Si c’est chose avantageuse que des jeunes gens d’une intelligence remarquable se rendent dans les pays lointains pour affiner leurs connaissances, une longue et heureuse expérience prouve qu’il y a le plus grand avantage pour les aspirants au sacerdoce à faire leur éducation cléricale ici près du Siège de Pierre où l’on peut boire à la source très pure de la foi, où tant de monuments de l’antiquité chrétienne et tant de vestiges de saints poussent les cœurs généreux aux grandes entreprises.
Pour une heureuse solution de la question sociale.
Nous abordons un autre sujet d’une très grande importance, à savoir la question sociale. Non résolue, elle agite fortement depuis longtemps les Etats et répand dans les diverses classes de citoyens des germes de haines et de lutte réciproque. Point n’est besoin de vous parler longuement de l’aspect qu’elle revêt chez vous ni des difficultés et des agitations qu’elle suscite ; vous les connaissez. Son article fondamental réclame que les biens créés par Dieu pour tous les hommes parviennent à tous équitablement, la justice accompagnée de la charité dirigeant cette répartition. L’histoire de tous les siècles atteste qu’il y a toujours eu des pauvres et des riches ; l’inflexible condition des choses humaines fait prévoir qu’il en sera toujours ainsi. Ils sont honorés les pauvres qui craignent Dieu ; le royaume des cieux leur appartient et facilement ils ont en abondance les biens spirituels. Quant aux riches, s’ils sont loyaux et honnêtes, ils sont les dispensateurs et les gérants des biens terrestres de Dieu ; ministres de la Providence divine, ils aident les indigents, par les mains desquels souvent ils reçoivent les faveurs spirituelles et sous leur conduite ils espèrent pouvoir atteindre la vie éternelle. Dieu, qui pourvoit à tout de la façon la meilleure, a établi, en vue de faire pratiquer les vertus et d’éprouver les mérites, qu’il y aurait en même temps dans le monde des riches et des pauvres ; mais il ne veut pas que les uns possèdent les biens terrestres à l’excès et que d’autres soient dans une pauvreté extrême à tel point qu’ils manquent des choses nécessaires à la vie. C’est une bonne source de vertus qu’une honnête pauvreté qui vit du travail de chaque jour, selon cette parole de l’Ecriture : « Ne me donne ni pauvreté ni richesse ; accorde-moi seulement les choses nécessaires à l’existence » (Prov., xxx, 8).
Si les riches et ceux qui ont abondance de biens doivent, mûs par une miséricorde naturelle, agir avec libéralité envers les miséreux, a fortiori doivent-ils leur donner ce que la justice exige. En conséquence, que les salaires des ouvriers soient tels qu’ils suffisent à leur subsistance et à celle de leur famille. Importantes sont, à propos de cette obligation, les paroles de Notre prédécesseur Pie XI : « On n’épargnera donc aucun effort en vue d’assurer aux pères de famille une rétribution suffisamment abondante pour faire face aux charges normales du ménage. Si l’état présent de la vie industrielle ne permet pas toujours de satisfaire à cette exigence, la justice sociale demande que l’on procède le plus tôt possible à des réformes qui garantiront à tout ouvrier adulte un salaire répondant à ces conditions. A cet égard, il convient de louer ici comme ils le méritent tous ceux qui, dans un très sage et très utile dessein, ont imaginé et expérimenté des formules diverses selon lesquelles la rémunération du travail est proportionnée aux charges familiales de telle manière que l’accroissement de celles-ci s’accompagne d’un relèvement parallèle du salaire ; bien plus, il est pourvu, le cas échéant, à des nécessités extraordinaires » [7]. En outre, il faut que celui qui a la force de travailler pour se procurer, ainsi qu’aux siens, la nourriture de chaque jour, trouve suffisamment de travail. Nous plaignons vivement le sort et la situation de ceux, très nombreux chez vous, qui malgré leur santé robuste et leur volonté de travailler, ne peuvent avoir les emplois qu’ils cherchent ; que la sagesse des gouvernements civils, la libéralité prévoyante des patrons, l’avènement rapide de temps plus tranquilles, permettent de satisfaire de si justes désirs pour le profit de tous !
Syndicats et corporations.
En outre, puisque naturellement les hommes sont portés à vivre en société et qu’il est licite, en unissant ses forces, d’accroître ce qui est honnêtement utile, on ne peut, sans injustice, refuser ou restreindre, pour les patrons comme pour les ouvriers et les paysans, la libre faculté de former des associations ou sociétés, par lesquelles ils défendront leurs droits et obtiendront, d’une façon plus complète, des avantages relatifs aux biens de l’âme et du corps et au confort légitime de la vie. Aux corporations de ce genre qui, dans les siècles passés, ont procuré à la chrétienté une gloire immortelle et aux métiers un éclat merveilleux, on ne peut imposer partout la même discipline, la même organisation ; elles sont susceptibles de varier selon le tempérament des peuples et les circonstances de temps et de faits. Pourtant, il faut que ces sociétés puisent toujours leur vitalité dans les principes de saine liberté, qu’elles soient modelées d’après les grandes normes de la justice et de l’honnêteté et que sous leur conduite et leurs auspices, tout en cherchant à améliorer les intérêts de la classe, elles agissent de façon à ne léser personne, à maintenir les efforts de concorde, à respecter le bien commun de la société civile.
Il nous est agréable de savoir que le document du magistère pontifical mentionné plus haut comme aussi la lettre-encyclique du même genre, Rerum novarum, du pape Léon XIII où se trouve traitée la question sociale selon les préceptes de l’Evangile et de la philosophie éternelle, sont chez vous l’objet d’un examen attentif et prolongé de la part de certains esprits très distingués qu’une volonté généreuse pousse à rétablir parmi les hommes la charité et l’union. Même quelques patrons ont voulu aplanir, selon les prescriptions de ces encycliques, en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité de la personne humaine, les désaccords sans cesse renaissants avec les ouvriers.
Appel à l’union…
Quelle gloire pour la nation américaine naturellement portée à la générosité de sentiments et à la libéralité, si elle jette les bases d’une ère plus heureuse par la solution adéquate et complète de la vieille et rocailleuse question sociale selon les voies sûres éclairées par les rayons de l’Evangile. Pour que cela se réalise sous de favorables auspices, les forces ne doivent pas être brisées par la dispersion, mais accrues le plus possible par l’union. A cette salutaire unité de pensées, à cet accord, générateur de grandes actions, nous invitons aussi, mû par la charité, ceux que l’Eglise maternelle pleure de voir séparés d’elle. La plupart d’entre eux, lorsque Notre prédécesseur s’endormit du sommeil des justes et que Nous-même, peu de temps après sa mort, montâmes par une disposition insondable de la bonté divine sur le trône de saint Pierre — cela ne Nous a pas échappé — ont manifesté de vive voix et dans leurs écrits des sentiments pleins de respect et de noblesse. C’est pourquoi — Nous le disons ouvertement — ces choses Nous ont fait concevoir une espérance que le temps n’emporte pas, que l’âme qui pressent nourrit, qui Nous console dans une situation difficile et pénible.
… et au service du règne du Christ.
La grandeur des travaux à entreprendre avec sagacité pour la gloire du très doux Rédempteur et pour préparer le salut des âmes ne doit pas vous épouvanter, fils très chers, mais, munis du secours divin, vous stimuler ; à la vérité, les œuvres ardues engendrent des vertus plus robustes, produisent des mérites plus éclatants. Que les efforts des ennemis qui, en rang serrés, visent à détruire le règne du Christ, nous poussent à établir, à affermir, à développer ce même règne, en parfait accord de volonté ! Rien de plus heureux ne peut arriver aux individus, aux familles, aux nations que d’obéir à l’Auteur du salut, de se conformer à ses préceptes, d’accepter son règne par lequel nous devenons libres et riches de bonnes œuvres : « règne de vérité et de vie, règne de sainteté et de grâce, règne de justice, d’amour et de paix » [8]. Souhaitant le plus possible que vous et les brebis au bien desquelles vous veillez en pasteurs attentifs vous marchiez chaque jour vers des buts meilleurs et plus élevés et que vous recueilliez, des solennités fixées, une abondante moisson de vertus, Nous vous donnons dans le Seigneur, en témoignage de Notre bienveillance, la Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1939, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte latin des A. A. S., XXXI, 1939, p. 635 ; cf. la traduction française de la Documentation Catholique, t. XLI, col. 111.
- Mgr John Carroll (1735–1815) prit possession du siège de Baltimore en 1789.[↩]
- 6 janvier 1895. Cf. Actes des Papes, Lettres apostoliques de Léon XIII, t. IV.[↩]
- Cf. chap. II des Actes de ce concile.[↩]
- Ps 135, 26.[↩]
- cf. Jb 36, 22.[↩]
- Lettre encyclique Arcanum.[↩]
- Lettre encyclique Quadragesimo anno.[↩]
- Préface de la messe du Christ-Roi.[↩]