Aux COPTES
LÉON XIII, PAPE,
Salut et paix dans le Seigneur.
A peine avions-Nous entrepris, selon Notre dessein et après avoir convoqué en Conseil les patriarches orientaux, de rétablir ou de fortifier l’unité chrétienne en Orient, que le clergé catholique de ces contrées Nous envoya des lettres pleines de respect pour Nous et d’instantes prières. D’autres Nous parvinrent encore peu après, respirant le même amour filial, également suppliantes, que Nous écrivaient d’un accord commun les chefs de votre nation. Les unes et les autres Nous ont été si agréables qu’elles ont excité pour vous dans Notre cœur une affection profonde.
Ce sentiment est d’autant plus naturel que Nous avons vu dans ces lettres un témoignage éclatant de votre zèle ardent et tout spécial pour aider à la réconciliation et au salut de vos concitoyens, dont le Siège Apostolique déplore depuis si longtemps la désunion d’avec lui. C’est là une disposition qui convient bien vraiment à la profession de la foi catholique et à la fraternité chrétienne.
Assurément, Nous n’avons mis aucun retard à faire porter plus spécialement Nos réflexions sur les demandes que vous Nous aviez faites, mais c’est à dessein que Nous avons différé de vous répondre jusqu’à ce jour. 11 Nous a paru qu’il serait plus utile à vos intérêts de vous découvrir Nos intentions d’une façon complète, et de vous donner, avec les consolations que vous sollicitez de Notre cœur paternel, quelques exhortations apostoliques.
Nous sommes animé, et vous ne vous y trompez pas, de la plus grande bienveillance pour votre illustre Eglise et pour votre peuple, Nous n’avons rien plus à cœur que de les relever de leur abaissement par un secours efficace.
Dès les premières années de l’Eglise, des liens très étroits d’une particulière amitié rattachaient l’Eglise de Rome et celle d’Alexandrie. C’est le Prince des apôtres lui-même qui confia à Marc, son disciple et son interprète, le soin de fonder et de diriger l’Eglise d’Alexandrie, qui devait être remarquable à tant de titres. Tout le monde sait avec quel éclat elle fut gouvernée par des hommes d’une sainteté et d’une sagesse reconnue, entre autres par Denys, Pierre le Martyr, Athanase et Cyrille, qui furent toujours, au témoignage de saint Célestin Ier, les défenseurs du dogme catholique [1], et dont le parfait accord avec le Pontife romain, la juste déférence pour son autorité, ressortent de beaucoup de faits.
Il y eut aussi près de la chaire de saint Marc une école de hautes études, dont l’éclatante renommée s’étendit au loin. Elle fut dès lors une preuve évidente de la grande utilité qu’on trouve dans les sciences humaines pour l’explication et pour la défense de la vérité divine quand on y a recours avec prudence et sagesse.
Plus belle encore fut pour votre Eglise la gloire d’avoir donné au monde des exemples de vertu éminente. Tous les âges garderont la mémoire de ces hommes qui, sous l’admirable règle de saint Antoine, firent des déserts et des solitudes de l’Egypte le séjour de la perfection évangélique.
Vinrent ensuite des temps hostiles à l’unité catholique, longtemps funestes aussi à l’Eglise d’Alexandrie. Pourtant, même dans son sein, il ne manqua pas d’hommes pour prouver qu’il fallait rentrer dans la foi et dans la communion de Rome, témoin le fait mémorable qui marqua l’issue du grand Concile de Florence, où Eugène IV, Notre prédécesseur, après avoir reçu l’illustre ambassade des Coptes et des Ethiopiens, réconcilia le siège d’Alexandrie et les peuples qui lui étaient,soumis, au Siège Apostolique, à la grande joie de l’Eglise. Ah ! plût à Dieu que l’union conclue eût duré chez tous ces peuples, et que de fâcheuses causes de division ne se fussent pas produites à nouveau !
Les Pontifes romains n’en gardèrent pas moins pour leurs fils séparés le même intérêt prévoyant, le même zèle de charité. Vous-mêmes, dans vos lettres, Nous avez rappelé avec un souvenir reconnaissant les noms spécialement de Pie IV, de Grégoire XIII, d’Innocent XI et d’Innocent XII, de Clément XI et de Clément XII, de Benoît XIV, de Pie VII.
En ce qui Nous concerne, il Nous est agréable assurément de savoir que vous gardez profondément gravé dans vos cœurs, comme vous le dites loyalement, le souvenir du soin que Nous avons pris de vos intérêts depuis le commencement de Notre pontificat. Mais il Nous est bien plus agréable encore d’apprendre avec quelle bonne volonté et quel dévouement vous vous efforcez de correspondre à Notre zèle.
Notre premier soin a été de vous assurer l’utile secours des membres de la Société de Jésus. Ils vous aident par leurs missions, plus encore par l’éducation de la jeunesse et surtout par la formation cléricale des jeunes gens qui ont les dispositions voulues.
C’est par Notre ordre aussi que, plus tard, arrivèrent chez vous les prêtres des missions africaines de Lyon, ces hommes apostoliques qui vivent encore au milieu de vous, plus spécialement dans la Basse Egypte. Vous avez raison de louer comme vous le faites les œuvres magnifiques qu’ils ont accomplies et dont les fruits se répandent si loin. Oui, tout cela vous permet de bien augurer du relèvement et de la gloire de votre Eglise dans un avenir prochain. C’est cela même qui grandit Notre espoir et stimule Notre zèle, à tel point que naguère, et bien volontiers, Nous avons voulu vous accorder une de vos requêtes. En effet, vous avez maintenant pour évêque un de vos compatriotes et c’est Nous qui vous l’avons donné. C’est un homme en qui brille, avec l’âge, la science, la sagesse et la conduite, et qui n’épargne ni veilles ni labeurs pour votre salut à tous. Nous avons ressenti une véritable joie des éclatantes marques d’honneur avec lesquelles, comme Nous l’apprennent vos dernières lettres, vous l’avez accueilli d’un seul cœur, quand il a pris possession de son siège, et que vous lui avez religieusement promis l’obéissance que vous lui devez.
Nous espérons grandement, avec la grâce de Dieu et le concours de vos efforts et de votre piété, pouvoir arriver dans la suite à des résultats plus nombreux et plus grands concernant vos intérêts. Il faut d’abord que vous vous appliquiez avec un très grand soin à garder intact et inviolable le dépôt de la foi. Vous n’ignorez pas que c’est là le plus précieux de tous les biens, et qu’il n’est que trop exposé aux attaques perverses et fallacieuses de certains hommes qui viennent de l’étranger. Au maintien de la foi importe assurément beaucoup l’enseignement donné à l’enfance : efforcez-vous donc de tout votre pouvoir de le maintenir à l’abri de tout péril d’erreur et au service de la religion et de l’honneur, en multipliant les bonnes écoles. Dans une affaire si importante, Nous voulons même vous fournir les secours utiles.
Mais toutes ces recommandations n’auront pas les bons résultats que Nous devons en attendre, si vous n’y joignez pas la pratique des vertus et de la piété chrétienne, vous surtout qui avez l’autorité de l’âge et de la situation. Aussi, que chacun de vous, dans la mesure de son pouvoir, mette toute la vivacité de son zèle à produire des fruits dans toutes les bonnes œuvres, et à grandir dans la connaissance de Dieu [2]. Il est vrai, le besoin de prêtres se fait sentir, eu égard à l’état du pays et aux nécessités des fidèles. Pourtant, un certain nombre de vos jeunes gens grandissent déjà en se préparant au sacerdoce. S’ils ont la double auréole de l’intégrité dans la doctrine et de la pureté dans la vie, si le zèle pour la religion catholique et un véritable amour de la patrie les guident, ils seront le principe d’heureux développements, et en prépareront de plus heureux encore pour plus tard, en attirant au sacerdoce d’autres recrues plus nombreuses.
Vous porterez le même intérêt aux religieuses qui s’occupent de l’éducation des jeunes filles, et vous en concevrez les mêmes espérances. Qu’elles fleurissent sous la protection de Catherine, votre sainte, la vierge sage et invincible !
Nous n’avons plus qu’un seul conseil à vous donner, et c’est avec une tendre affection que Nous vous le donnons : c’est que vous ne cessiez pas d’aimer et de garder l’union dans vos esprits. Que les clercs entre eux, qu’entre eux les laïques s’efforcent d’avoir la plus grande similitude de sentiment et d’action, et que les deux ordres restent étroitement unis et resserrés par le lien de la perfection, qui est l’amour de Jésus-Christ. Mais pour que ces enseignements fassent plus d’impression sur vos âmes, Nous voulons vous parler avec le même zèle pastoral que le bienheureux Cyrille, quand il s’adressait à vos aïeux du haut de son trône patriarcal [3] : Frères très chers et qui avez entendu comme nous l’appel céleste, imitons, imitons, chacun selon nos moyens, Jésus le guide et le consommateur de notre salut. Embrassons cette humilité d’esprit qui élève les âmes, cette charité qui nous unit à Dieu et cette foi sincère aux divins mystères. Fuyez la division, évitez la discorde… donnez-vous les douces marques d’une charité mutuelle : écoutez le commandement du Christ : « C’est à ceci que tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. » (S. Jean XIII, 35.)
Parmi les fruits nombreux que produira cette parfaite concorde dans la charité, il en est un plus remarquable que les autres. Ceux de vos concitoyens dissidents seront touchés d’un tel exemple et plus naturellement amenés à désirer et à rechercher la communion catholique avec vous. Ce résultat que vous souhaitez si vivement et avec raison, Nous voudrions que vous le poursuiviez vous-mêmes, en rendant à ces frères séparés tous les devoirs de la bienveillance chrétienne, et en adressant à Dieu de saintes prières. C’est là ce que Nous avons recommandé tout dernièrement à tous les catholiques.
Ici Notre âme est vivement émue, et Nous désirons vous manifester, à vous tous que sépare de Nous le rite copte, toute la sollicitude et toute la charité avec laquelle Nous cherchons et Nous désirons vous ramener tous à l’unité dans les entrailles de Jésus-Christ [4]. Laissez-Nous vous appeler avec un désir plein de douceur Nos frères et Nos fils : laissez-Nous entretenir dans Notre âme la forte espérance que vous Nous donnez de votre retour. Nous savons en effet, oui, Nous savons vos bienveillantes dispositions envers Nous et envers les nôtres : Nous savons aussi avec quelle piété, déplorant ce qu’ont fait vos pères, vous rappelez souvent les temps anciens si riches pour vous en sainteté et en gloire. Ce qui augmente aussi Notre confiance, c’est qu’un grand nombre parmi vous tournent les regards et des regards ardents vers la Chaire de Pierre comme vers la citadelle de la vérité et l’asile du salut : déjà ils n’hésitent presque plus, ils inclinent aux meilleures résolutions à l’égard de la papauté.
Ces sentiments ont pour auteur l’Esprit-Saint qui les jette dans les âmes droites. Dans le passé, Nous les avons déjà accueillis avec empressement : aujourd’hui, Nous les accueillons encore avec un cœur de plus en plus aimant, et Nous les recommandons de toute Notre âme au Dieu de miséricorde. Tout ce qui pourra de Notre part contribuer à l’accomplissement de ces vœux, soyez-en bien certains, non seulement Nous le ferons jusque dans le détail, mais Nous l’accorderons spontanément et avec largesse selon le devoir de Notre conscience. Oui, Nous sommes fermement résolu à imiter la conduite pleine de prudence et de bonté que tint, dans la même affaire, Benoît XIV, Notre illustre prédécesseur, qui a bien mérité de votre nation. Très opportunes, en effet, furent les nombreuses décisions qu’il prit en tempérant l’autorité par l’indulgence. Voici ce qu’il déclarait et ce que, de même, Nous déclarons : De cette indulgence Nous attendons une moisson chaque jour plus abondante de joies spirituelles, c’est-à-dire le gain des âmes qui rentreront au giron de l’Eglise. Elles comprendront bien, en effet, que tenant sur la terre la place de Jésus, le bon Pasteur, Nous voulons seulement rechercher et sauver les brebis perdues, et que Nous ramenons au bercail les brebis retrouvées, non avec la verge de la crainte, mais avec le dévouement de la charité [5]. – C’est ainsi que Notre cœur s’ouvre à vous, et puisque ces exhortations ne Nous sont inspirées que par la charité, du Christ Jésus, qui vous appelle dans son héritage, que ce soit aussi cette charité, Nous vous en supplions, qui touche vos cœurs et les détermine à correspondre à Notre appel.
Dans cette situation, que le désir de l’unité catholique grandisse chaque jour davantage dans l’Egypte tout entière, que ces premiers fruits de bénédiction continuent à devenir plus nombreux, et l’Eglise d’Alexandrie pourra bientôt, selon le vif désir que vous en avez manifesté, chercher hardiment à recouvrer l’éclat de son antique prospérité ; elle pourra espérer pour elle des privilèges et des dignités convenables de la part de l’Eglise romaine qui est une mère très aimante toujours.
Heureux gages d’union ! Daignent les entretenir avec bonté les illustres cohortes de saints que l’Egypte a envoyés au ciel, le bienheureux Pierre et Marc, son disciple très cher, les fondateurs et les patrons de votre Eglise, et surtout la Très Sainte Vierge Marie, à qui votre saint Cyrille a assuré le titre de Mère de Dieu par sa merveilleuse constance.
Enfin, il ne reste plus qu’à supplier la Sainte Famille qui, par l’ordre de Dieu, visita votre pays lors de sa fuite, bénit cette terre hospitalière et déposa dans les cœurs de vos ancêtres les premières semences de la céleste doctrine et de la grâce. Qu’elle jette sur chacun de vous et sur nous tous un regard salutaire, et qu’elle vous comble abondamment des bienfaits de cette antique tendresse !
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 11 juin de l’année 1893, de Notre Pontificat la dix-huitième.
LÉON XIII, PAPE
Source : Lettres apostoliques de S. S. Léon XIII, tome 4, La Bonne Presse – ASS, vol. XXVII (1894–1895), pp. 705–709.