Extrait de « Stella Maris » n° 24 de juin 2005
Stella Maris : Monsieur l’abbé, après plusieurs pavés dans la mare, vous allez nous parler des vêtements. Vos lecteurs ne penseront-ils pas que vous tombez un peu bas ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Ce serait bien à tort. La manière de s’habiller fait en effet partie de l’éducation et manifeste une distinction, un respect qu’il est indispensable de donner aux enfants. Laisser de côté cet aspect de la formation sous prétexte que tout le monde s’habille mal aujourd’hui serait une grande erreur. Cependant, rassurez-vous, notre intention n’est pas de dicter des règles qui resteront toujours dépendantes des temps et des lieux, mais bien de rappeler quelques principes immuables, applicables chez les esquimaux comme chez les papous.
Stella Maris : En quoi la façon de s’habiller concerne-elle l’éducateur ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Principalement en ce qu’elle se rapporte à la vertu de modestie et à la vertu de charité.
Stella Maris : Expliquez-vous.
Monsieur l’abbé d’Orsanne : La modestie, qui est une partie très importante de la vertu de tempérance, a pour rôle de nous aider à réprimer nos passions dans l’attitude extérieure. On dira donc de quelqu’un qu’il est habillé modestement si ce comportement extérieur aide les autres (et lui-même) à ne pas offenser le Bon Dieu. Au contraire, on dira d’un autre qu’il a une tenue immodeste si sa façon de s’habiller porte au péché. N’est-ce pas important d’enseigner cela ?
Stella Maris : Si, bien sûr. Et pour la charité ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : C’est un autre aspect de la question, mais également facile à comprendre et important à enseigner. La manière de se vêtir en société manifeste en effet le respect que l’on porte aux autres. D’ailleurs, on supporte difficilement la présence d’un être débraillé, sale et négligé.
Saint Jean Bosco, qu’on ne peut taxer de rigorisme en éducation, n’admettait pas la négligence vestimentaire. C’était au point que, avant d’entrer dans le bureau du saint, les garçons rectifiaient instinctivement leur tenue, passaient le plat de la main sur leur veston et reboutonnaient leur chemise ; et ce n’étaient pas des bourgeois BCBG !
Stella Maris : Donc, modestie et charité. Mais pensez-vous que ces deux valeurs soient perdues aujourd’hui ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Perdues, non. Attaquées, oui. Ce n’est d’ailleurs pas d’aujourd’hui : à toutes les époques, les honnêtes gens se plaignent du laisser-aller vestimentaire. Cependant, notre siècle se distingue des précédents par le caractère plus subtil et plus universel de ces attaques.
Stella Maris : En quoi et comment les tendances de la mode s’opposent à ces vertus ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Par rapport à la modestie, certaines modes actuelles sont ouvertement conçues pour porter au péché. Par rapport à la charité, on s’habillera de façon à n’être pas gêné, sans référence au respect dû aux autres et à soi-même. Cela se traduit notamment par le port d’un vêtement inadapté aux circonstances extérieures.
Stella Maris : Mais vos enfants, bien élevés, ne sont pas très touchés par cela.
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Vous savez, il est difficile de traverser une porcherie sans être éclaboussé… Nous devons parfois apprendre aux enfants des choses très élémentaires.
Stella Maris : Que faut-il dire aux enfants ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : La première chose, c’est que l’omniprésence de Dieu nous impose une certaine tenue, indépendamment du regard des autres. Sous le regard de Dieu, je ne peux pas faire n’importe quoi, ni me tenir n’importe comment. Les saints ont toujours insisté sur cette grande vérité de la présence de Dieu pour nous aider à faire le bien et éviter le mal. Et puis il faut leur enseigner la vertu, comme on vient de le voir.
Stella Maris : Vous parliez des vêtements inadaptés. De quoi s’agit-il ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Enfonçons des portes ouvertes : d’après le bon sens le plus élémentaire, on s’habille en fonction des circonstances. Le pyjama n’est pas mauvais en soi, mais dans la rue il devient grotesque. Le complet veston passe très bien dans un salon chic, alors qu’il devient ridicule dans une soirée entre amis. La culotte bouffante convenait très bien à la cour de François Ier, mais plus aujourd’hui.
Pourquoi cette diversité ? Parce que la modestie s’exerce de façon diverse, en fonction des circonstances. Ces exemples assez basiques manifestent le principe qu’il faut s’adapter aux circonstances : on ne s’habille pas le dimanche comme les autres jours de la semaine ; un jogging est inadapté pour la ville ; les chaussures de randonnée sont faites pour la marche, etc.
Stella Maris : Tout cela est plutôt évident…
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Bien sûr, ou du moins, devrait l’être. Et c’est donc le rouge au front que nous rappelons ces évidences. Comme il s’agit de vertu morale, il y a un juste milieu à observer : il peut y avoir un excès et un défaut.
Stella Maris : Un mal vêtu est-il un pécheur ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Non, bien sûr. Il faut se garder de juger sur les apparences extérieures des hommes, et Dieu seul sonde les reins et les cœurs. Cependant, les deux vertus de modestie et de charité doivent toujours être présentes dans l’âme. Saint Benoît Joseph Labre était parfaitement modeste et délicieusement charitable dans ses haillons : ceux qui veulent être négligés ne peuvent se recommander de son exemple.
Stella Maris : Donc, sans modestie, on ne peut se sauver ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Celui qui est intempérant n’est pas dans la voie du salut.
Stella Maris : Quelles sont les règles que vous avez le plus de mal à enseigner aux enfants ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Celles qui ne sont pas observées par les parents. Surtout par rapport à la tenue vestimentaire le dimanche : il me paraît aberrant de devoir insister sur le fait qu’on s’habille correctement pour le Bon Dieu. Quand le père de famille soigne sa tenue pour aller voir son patron, puis se néglige complètement à l’église, il montre à ses enfants une curieuse inversion des valeurs : il aura beau protester de sa bonne volonté, c’est de la contre- éducation.
Stella Maris : Terminons sur une note un peu… explosive : pourquoi l’École interdit-elle le port du blue jean ?
Monsieur l’abbé d’Orsanne : Il n’y a rien d’explosif là-dedans. Le blue jean n’est pas un pantalon mauvais en lui-même : il est parfaitement approprié pour les travaux durs et salissants. Mais comme les enfants ne font pas très souvent ce genre de choses ici, nous considérons qu’il est inadapté à la vie de tous les jours. Il ne faut pas leur donner l’habitude de vivre en salopette.
Il y a bien sûr une raison plus profonde : le blue jean a été mis à la mode par le rock’n roll et les stars de cinéma, et représente le conflit parents-adolescents des années 50. Il est devenu le pantalon d’uniforme actuel. Nous ne pouvons pas accepter ce qu’il représente, et demandons aux enfants de ne pas le porter à l’École comme un pantalon ordinaire, voilà tout.
Trois mots pour résumer tout notre propos : bon sens et vertu.
Abbé Guillaume d’Orsanne †
Professeur à l’école Sainte-Marie (35430 Saint-Père)