Minettes, gaminettes

Jusqu’où a été l’a­mour déré­glé de nous-​mêmes de por­ter le laid et l’in­dé­cence par sou­mis­sion au méprisable ?

C’était un devoir com­mun du Clergé, dans l’his­toire, de « ton­ner » contre la mode. On disait « ton­ner » car, du haut de la chaire, le pré­di­ca­teur lan­çait des foudres contre le luxe et l’in­dé­cence. Ces foudres, c’é­tait la menace de l’Enfer.

Finis, la chaire, les foudres de l’Enfer !

Je relis avec admi­ra­tion les fortes paroles de Pie XII contre l’hor­reur des modes ; contre la même hor­reur, quelques accents doux et déso­lés de Jean XXIII. Remontons à Pie XI : éner­gique pro­tes­ta­tion et cepen­dant le Pape ne voyait pas un seul genou féminin.

Depuis, ni chaire ni tonnerre.

La Sainte Vierge, elle, a ton­né par la voix pré­cise des enfants de Fatima. Jacinta, quelques jours avant sa mort disait : « Les péchés qui jettent le plus d’âmes en Enfer sont les péchés d’im­pu­re­té. On lan­ce­ra cer­taines modes qui offen­se­ront beau­coup Notre-​Seigneur. Les per­sonnes qui servent Dieu ne doivent pas suivre ces modes… Notre-​Seigneur est tou­jours le même… »

Autant en emporte le vent.

J’écris pour « les per­sonnes qui pré­tendent ser­vir Dieu », pour les chré­tiennes, les familles qui s’in­di­gnât de la catas­trophe des moeurs et de la reli­gion. Eh bien, je dis que les paroles des Papes qui ont par­lé de l’im­pu­deur des modes, et les paroles de la Sainte Vierge n’ont ser­vi à rien du tout, à rien qu’à aug­men­ter l’é­pou­van­table res­pon­sa­bi­li­té des mères chré­tiennes et de beau­coup de mûres et de vieilles.

Faire confiance à la chair ?

La doc­trine : Avant la chute, Adam et Eve étaient nus, sans honte. Après le péché « leurs yeux s’ou­vrirent et ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant assem­blés des feuilles de figuier, ils s’en firent des cein­tures ». Créés à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu, leur corps était sou­mis à leur rai­son, leur rai­son et leur cœur vivant dans la grâce.

Dépouillés de la grâce et leur chair révol­tée contre la rai­son, ils prirent honte à bon droit de cette chair et la cou­vrirent sur les par­ties où la révolte était plus sen­sible et plus honteuse.

Dieu sanc­tion­na cette honte et cette pré­cau­tion : Il leur four­nit lui-​même des tuniques de peaux de bêtes et « les en revêtit ».

Saint Jean Chrysostome dit : « Ces mots signi­fient que Dieu com­man­da que ces tuniques existent, et vou­lut que le vête­ment rap­pe­lât sans cesse la désobéissance ».

A par­tir de là, nous dit saint Thomas, le plai­sir de la chair trou­bla la rai­son, ce fut la volup­té – et c’est pour­quoi la pri­va­tion volon­taire ou vir­gi­ni­té fut décla­rée supé­rieure au mariage. Le corps devint « cap­tif de la loi du péché qui est dans ses membres » ; la chair est enne­mie de l’es­prit – « le corps est un corps de mort dont la nature ne délivre pas ». Mais la grâce de la Croix de Jésus-​Christ par le bap­tême, la Croix de Jésus-​Christ por­tée avec lui, dans une lutte qui dure jus­qu’à notre der­nier jour. Car le corps mar­qué du péché reste enne­mi par la concupiscence.

L’homme ne doit jamais faire confiance à la chair. Il n’est rede­vable à la chair que de la mort. La vue elle-​même, faite pour pré­sen­ter à la rai­son le sen­sible dont elle doit abs­traire l’in­tel­li­gible, la vue elle-​même agit sur la chair direc­te­ment comme chez les ani­maux et direc­te­ment sur les organes de la géné­ra­tion. L’imagination n’a même pas besoin d’i­mages nou­velles, elle en garde suf­fi­sam­ment pour pro­vo­quer les mau­vais dési­rs, sur­tout à l’âge de la puber­té et dans l’ha­bi­tude du vice. L’imagination excite les sens et pro­voque la curio­si­té de la chair.

Quand on satis­fait cette curio­si­té par le nudisme, l’or­gueil et la satié­té tem­po­raire retiennent la sen­sua­li­té – pour la rendre irré­sis­tible, l’ex­pé­rience pas­sée. Le mariage est à la fois, pour ceux qui y sont appe­lés, une épreuve et un apai­se­ment , pour­vu qu’il soit obser­vé dans la grâce du sacre­ment, selon les fins de la nature et la loi de Dieu rap­pe­lée par l’Eglise. Il reste que don­ner satis­fac­tion aux pas­sions, quelles qu’elles soient, c’est nour­rir un dra­gon insa­tiable, for­ti­fier l’ob­ses­sion et la rendre des­po­tique. Le spec­tacle de la nudi­té est la nour­ri­ture de l’obsession.

Calmer la chair est non l’œuvre de la chair qui ne pro­duit que la cor­rup­tion, c’est l’œuvre de l’es­prit sanc­ti­fié dans la grâce. Ce corps de mort avec ses ten­ta­tions mour­ra. S’il a satis­fait ses exi­gences, il res­sus­ci­te­ra pour l’Enfer éter­nel, s’il a été vain­cu par l’es­prit en état de grâce, il res­sus­ci­te­ra incor­rup­tible « comme un ange dans les Cieux ».

Il faut donc « refou­ler » les appé­tits de la chair ou plu­tôt « puri­fier l’œil inté­rieur » par la Croix de Jésus-​Christ, déli­vrer l’âme par sa sainte mort, cette mort pro­gres­sive en Jésus qui s’ap­pelle tem­pé­rance, sobrié­té, chas­te­té, mor­ti­fi­ca­tion, médi­ta­tion quo­ti­dienne de la mort phy­sique cer­taine, l’Espérance du Ciel. Bienheureux les cœurs purs, car ils ver­ront Dieu.

Le monde nie que ce corps est un corps de mort et de péché. Moi, je l’af­firme, et j’af­firme en même temps que je suis des­ti­née à un amour éter­nel dans la contem­pla­tion du bon­heur même de Dieu.

Pour nous chré­tiens, le remède n’est pas de nier les ravages du péché ori­gi­nel dans notre nature. « Qui me déli­vre­ra de ce corps de mort ? » Saint Paul ne répond pas : « Moi-​même, en me per­sua­dant que je suis indemne, que la chair satis­faite est amie et épa­nouis­se­ment. » Mais : « Grâces soient ren­dues à Dieu par Jésus-​Christ Notre-​Seigneur. » Enseveli dans la mort de Jésus par le bap­tême, j’en sors vivant, vêtu d’une robe blanche : « Recevez ce vête­ment blanc. – Puissiez-​vous le por­ter sans tâche jus­qu’au Tribunal de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, de manière à pos­sé­der la vie éternelle. »

C’est le vête­ment du res­pect de ce corps deve­nu Temple vivant de la Sainte Trinité. « Telle est la guerre entre l’es­prit et la chair ; ne don­nez pas dans l’illu­sion de croire votre âme insen­sible… aux exci­ta­tions qui jaillissent des images et qui, colo­rées des appâts du plai­sir, sai­sissent l’i­ma­gi­na­tion… elles trouvent la maligne com­pli­ci­té des ins­tincts de notre nature déchue et désor­don­née. » (Pie XII, 22 mai 1941, à la jeu­nesse féminine.)

Voilà à quoi expose « la vue de la chair nue ». Le savent clai­re­ment et l’ap­pliquent ceux qui vivent ouver­te­ment du vice.

Voilà ce que font sem­blant d’i­gno­rer les familles dites chré­tiennes qui exposent des cuisses de filles ou des col­lants sur les formes, occa­sions de chute immé­diate dans leur orga­nisme pour beau­coup d’hommes et de jeunes gens.

Le vête­ment n’est plus vête­ment, dit Pie XII, il est exi­gu ou col­lant, pour mon­trer.

D’où l’es­time de la Tunique, – de la longue robe – telle que nous appa­raît la Reine des Cieux, d’où cette sou­tane, cette aube qui vit sous nos yeux comme un rap­pel constant de notre condi­tion dan­ge­reuse et infi­ni­ment digne. La malice se plaît à remé­dier à la peau par le pan­ta­lon adhé­rent, la femme abdique sa fémi­ni­té. La confu­sion des sexes est un stade de l’im­pu­re­té. Ce pan­ta­lon « adhé­rent » sert ain­si à deux fins : on argue de la com­mo­di­té. Commodité double : pour être à son aise, et perdre son âme.

Le vête­ment mas­cu­lin pour la femme, for­mé d’un pour­point for­te­ment atta­ché aux chausses et com­plé­té par la huque qui des­cend jus­qu’à la che­ville, peut être légi­ti­me­ment adop­té par tout femme enfer­mée la nuit en pri­son avec une « sol­da­tesque sans scru­pule ». C’est le cas de Jeanne d’Arc.

Des cris et des larmes

Le plus grand mal­heurs, ce n’est pas que ces modes existent, les modes de nudi­té ou de « fol­le­ment » ont tou­jours exis­té pour les méré­trices, les cour­ti­sanes, les demi-​mondaines, etc, etc. C’est, dit Pie XII, avec une ter­rible pers­pi­ca­ci­té « qu’elles sont accep­tées par les femmes croyantes et même pieuses… elles font par leur exemple tom­ber les der­nière hési­ta­tions. Tant que ces « toi­lettes » res­tent le triste pri­vi­lège des femmes de répu­ta­tion dou­teuse et qua­si le signe qui les fait recon­naître, nul n’o­se­ra les adop­ter. mais dès qu’elles sont por­tées par des per­sonnes au-​dessus de tout soup­çon, on n’hé­site plus à suivre le cou­rant, un cou­rant qui entraîne peut-​être aux pires chutes. »

Nous écri­vons donc aujourd’­hui pour ces femmes croyantes, même pieuses, au-​dessus de tout soup­çon. Voilà les res­pon­sables, les cou­pables, celles qui ont ouvert les vannes au cou­rant du cloaque.

L’Eglise a dû lut­ter en tous temps contre le fléau du luxe et de l’im­pu­di­ci­té. Satan connaît son monde.

Mais l’en­tre­prise a été et est trop menée aujourd’­hui pour ne pas faire pen­ser à des « ten­ta­tives pré­mé­di­tées, à une offen­sive sans pré­cé­dent qui ne connaît pas de trêve », selon les justes expres­sions de Jean XXIII. Avec les démons, des hommes veulent « sub­mer­ger l’in­té­gri­té de la conduite morale ».

Léon XIII : « Il s’est trou­vé, dans la Franc Maçonnerie, des hommes… pour sou­te­nir qu’il fal­lait sys­té­ma­ti­que­ment employer tous les moyens pour satu­rer la mul­ti­tude d’un laisser-​aller illi­mi­té dans les vices. » Le Pape pos­sé­dait là-​dessus des docu­ments d’une entière clar­té, par exemple la lettre du 9 août 1838 entre deux chefs de la Haute Vente ita­lienne : « Ne nous las­sons jamais de cor­rompre, pour abattre le catho­li­cisme cor­rom­pons la femme… »

Sous le Second Empire, la mode com­mence à péné­trer les cam­pagnes. Elément de la per­sé­cu­tion morale du pay­san que cette guerre du cos­tume régio­nal, « habit sobre et modeste qui garan­tis­sait la liber­té spi­ri­tuelle » (Père Emmanuel).

L’étape prin­ci­pale de cette cor­rup­tion, c’est l’é­cole laïque.

Puis c’est la mode « de lan­gage oblique, de vani­té auda­cieuse, de fatui­té » (Pie XII) ; le nudisme comme remède à « l’hy­po­cri­sie », le nudisme rela­tif des plages qui s’ins­talle par le tou­risme jus­qu’au cœur du pays, le divorce, et puis ce que nous savons si bien main­te­nant : le ciné­ma, la publi­ci­té, la télé­vi­sion, l’é­cole mixte, l’u­nion libre, la contes­ta­tion, la mini-​jupe, la cuis­se­rie com­plète de notre temps.

Les femmes, et par elles les familles, ont été condi­tion­nées par un pro­gres­sif des­po­tisme auquel elles ont appris à obéir, gen­ti­ment, sans répu­gnance, avec res­pect.

La répu­gnance, le sar­casme, le haus­se­ment d’é­paule, elles l’a­dressent à celles qui osent bra­ver ce des­po­tisme, et por­ter encore des habit décents.

Quand on pense qu’en 1928, puis en 1930, Pie XI décla­rait indé­cent le décol­le­tage de plus de deux doigts au-​dessus du cou, ordon­nait que les manches allassent jus­qu’au coude, signa­lait ces coquins d’af­freux bas cou­leur de chair « qui donnent l’illu­sion que les jambes ne sont pas cou­vertes », ordon­nait aux prêtres de refu­ser la com­mu­nion aux per­sonnes ain­si vêtues ! Mon Dieu, que nous avons puis­sam­ment évo­lué, que tout cela fait bête, fait grand-​mère 1930 : avant le déluge temps des illu­sions. Aujourd’hui, temps des fortes réa­li­tés : ce qui est nu est nu !

Aussi, Madame Verdier, fon­da­trice en 1944 du Renouveau fran­çais contre l’in­dé­cence des modes, pou­vait dire : « Je suis seule, abso­lu­ment seule ! » Les raris­simes « qui couvrent leurs genoux même quand elles sont assises » peuvent, cha­cune en sa sphère, pro­non­cer cette parole découragée.

Alors, on rap­pelle les voix saintes, ces voix véhé­mentes, sup­pliantes, Pie IX, Pie X, tous les Papes et Jacinthe et Lucie, qui prêchent la « croi­sade de la pure­té ». Ah, disent-​elles, les yeux sur la Vierge Marie, mar­chez vers cette étoile du matin qui dis­sipe les ten­ta­tions du Malin. Consacrez les familles au Cœur Immaculé de Marie, au Cœur dou­lou­reux et Immaculé de Marie. Contemplez les dou­leurs indi­cibles de la Mère de Dieu au pied de La Croix. Comment une femme, une jeune fille de cœur, en face d’une telle dou­leur, accepterait-​elle d’être une occa­sion de chute par l’im­mo­des­tie de sa tenue… ?

Et le cri bou­le­ver­sant de Pie XII :

« Ô Mères chré­tiennes, si vous saviez quel ave­nir d’an­goisses et de périls, de hontes mal conte­nues, vous pré­pa­rez à vos fils et à vos filles, en les accou­tu­mant à vivre à peine cou­verts, en leur fai­sant perdre le sens de la modes­tie, vous rou­gi­riez vous-​mêmes, et vous redou­te­riez l’in­jure que vous vous faîtes à vous-​mêmes, le tort que vous cau­sez à ces enfants que le Ciel vous a confiés pour les éle­ver chrétiennement. »

Ces cris, ces saintes sup­pli­ca­tions ont cer­tai­ne­ment ébran­lé et conver­ti quelques femmes. Nous en voyons, nous les connais­sons. Mais pour l’im­mense majo­ri­té des femmes dites catho­liques et, selon l’ex­pres­sion de Pie XII, « des per­sonnes au-​dessus de tout soup­çon », toute la doc­trine, toute la morale, toutes les exhor­ta­tions, toutes les appa­ri­tions, toutes les menaces, n’ont ser­vi abso­lu­ment de rien. La toute-​puissance dia­bo­lique a com­man­dé : genou ! Le genou est appa­ru. Elle a dit : cuisse, et la cuisse est venue. De 5, 10, 15, 20 cm de cuisse, selon l’hu­meur, debout, et selon la néces­si­té, assise.

Le remède à l’hypocrisie

Cependant, c’est la doc­trine de Jésus-​Christ qui condam­ne­ra, c’est pour­quoi nous l’a­vons redite.

Elle est et elle demeure.

C’est d’elle que vient la vie et la conversion.

Mais, pour l’en­sei­gner, l’ap­pli­quer et l’op­po­ser aux vices, il est plus d’une manière. 

Quand le vice est par­ve­nu à une cer­taine pour­ri­ture publique, quand il prend la forme d’un aveu­gle­ment pai­sible et col­lec­tif, de telle sorte que les corps et les âmes en font comme une seconde nature, le portent « hum­ble­ment » (dans une paro­die de l’hu­mi­li­té ver­tueuse) comme un joug légi­time, quand en un mot, les cuisses des femmes de bonne répu­ta­tion se montrent en une obéis­sance régu­lière, par un dres­sage bien assou­pli, l’ex­po­sé de la doc­trine, les appels, les élé­va­tions et les sup­pli­ca­tions voire les menaces de l’Enfer éter­nel sont vains et, aux yeux des solides dévotes de la mode, paraissent ridi­cules, comme si, contre l’é­vo­lu­tion toute puis­sante, nous, imbé­ciles retar­da­taires, lan­cions des flèches de papier.

L’inversion est deve­nue totale, car les tenants de la doc­trine et des bonnes mœurs « se sen­tant seuls, abso­lu­ment seuls » n’ont guère confiance en leurs armes, ils demandent en vain secours aux auto­ri­tés, encore heu­reux quand celles-​ci, sans les contre­dire, se contentent de détour­ner les yeux et, tout amol­lis, per­plexes, ils sont près de croire aus­si à la puis­sance évo­lu­tive de la chair, ils doutent du bien fon­dé de leurs obser­va­tions. Peut-​être, pensent-​ils, ces femmes qui trottent à la messe, cuisses visibles, qui s’ap­prochent de la Sainte Table en tenue de plage sont-​elles, tant leur expres­sion est sérieuse et aisée, reve­nues à l’in­no­cence pri­mi­tive et que nous seuls voyons du mal où il n’y a que « sup­pres­sion d’hy­po­cri­sie ». Quoi de plus loyal qu’une cuisse chré­tienne ? C’est de l’autre côté, du côté du strip-​tease métho­dique qu’est la paix, l’as­su­rance et la certitude.

Je me rap­pelle à pro­pos une obser­va­tion que je reçus un jour du com­mis­saire de police. La veille, très tard, je médi­tai en vain l’é­cri­teau du « sta­tion­ne­ment per­mis jus­qu’à 20h45 » et c’est de ce côté que je lais­sai sot­te­ment ma voi­ture. Le len­de­main matin, sur ce côté fatal, sous l’es­suie glace : le petit papier trop connu. Mais le Commissariat est à deux pas, je vais arguer de ma bonne foi. Et le com­mis­saire sans humour, gra­ve­ment : « Comment, dit-​il, vous ne vous êtes pas sen­tie com­plè­te­ment seule ! »

Voilà ! c’est cela, l’im­pres­sion­nante, l’in­con­ve­nante soli­tude des cuisses invi­sibles aujourd’hui !

Quand les choses en sont là, par le jeu dia­bo­lique d’une sub­ver­sion sans pré­cé­dent, il n’est plus qu’une méthode pour réveiller les chré­tiennes endor­mies : le fouet. Le fouet de la satire. Il n’est plus que la colère géné­reuse, la haine vigou­reuse, la mer­veilleuse et pure indi­gna­tion pour se pré­sen­ter avec son grand fouet de dompteur.

J’ai dit « ton­ner ». C’est avec des ton­nerres et des fouets que les Pères de l’Eglise mau­dis­saient les femmes folles de leur temps, que saint Cyprien leur disait : « Avec vos lèvres rou­gies, vous res­sem­blez à des ours reve­nant du car­nage… Tu ne peux pré­tendre que d’âme tu es chaste… Ce sont les anges apos­tats qui t’ap­prennent à mar­quer tes yeux d’un cercle noir, à peindre tes joues, à teindre tes cheveux… »

Et saint Jérôme : « Vos mèches teintes ont la cou­leur des flammes de l’enfer !… »

C’est ain­si qu’Isaïe crie aux filles vani­teuses de Sion : « Le Seigneur vous ren­dra chauves ! »

« Il frappe comme un sourd », disait Madame de Sévigné quand elle « allait en Bourdaloue », « Sauve qui peut ! »

Le divin Roi, le Saint des Saints, voi­là le grand Maître de la satire. De la satire contre l’hy­po­cri­sie. Mais qu’est-​ce autre chose que la pire des hypo­cri­sies, cette pré­ten­due hon­nê­te­té des femmes vêtues comme les cour­ti­sanes de Rome que la loi obli­geait à la jupe courte pour qu’à pre­mière vue on les dis­tin­guât des matrones.

N’est-​ce pas des pha­ri­siens (« sépulcres blan­chis, race de vipère ! ») ces théo­lo­giens de la mort de Dieu qui sont les maîtres de ce culte effrayant de la chair, parce qu’ils détruisent tout abso­lu dans les âmes, toute exi­gence divine, tout com­man­de­ment sacré, tout ordre millénaire.

Le Sauveur les mau­dit, armé du fouet ter­ri­fiant des plus cin­glantes malédictions.

Un jour, pour appuyer la Sainte Ecriture devant un autre vice (éta­bli, pai­sible, public, admis), en un tour­ne­main, avec un paquet de cordes qu’il y avait là, il fit, comme un arti­san habile à se débrouiller, un vrai fouet tour­noyant : « Ma mai­son est une mai­son de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs. »

Le fouet de la satire, en notre temps, est tou­jours par terre ; de ces souples cordes, aucune indi­gna­tion ne fait pres­te­ment une longue et cin­glante cham­brière. Et pour­tant, Dieu sait que jamais viande au vent ne ten­ta mieux les géné­reuses cravaches.

L’honnête homme doit connaître le rire puis­sant de l’in­di­gna­tion, cette magni­fique forme d’a­mour du seul bien, cette ner­veuse et sapide défense de la Vérité. Ici, nous armons de ce mépris superbe des gar­çons intel­li­gents. Ils prennent la liber­té féroce de juger les femmes, en pre­mier exa­men, sur le degré de la dénu­da­tion. Leur chas­te­té n’a-​t-​elle pas le droit d’ap­pli­quer sévè­re­ment le prin­cipe énon­cé par le Pape Benoît XV : « Une femme n’est ver­tueuse que si elle se montre telle dans la façon de se vêtir. »

Les laides et les jolies

« Laides, elles se consternent ! »[1]. Laides, les jambes laides, et laides dans cette mode. C’est l’im­mense majo­ri­té !

Une seule fois, j’ai vu une jeune femme impres­sion­née par un juge­ment sur la mode. Ce n’é­tait pas un juge­ment moral (ce jugement-​là, je l’ai dit, l’im­mense majo­ri­té s’en moque). C’était un juge­ment esthé­tique et phy­sio­lo­gique. Relevée, la jupe impose aux yeux toutes les dis­grâces de la nature. Au des­sus du genou, en effet, mal­for­ma­tions, défor­ma­tions, cagnes et arca­tures sont évi­dentes. Vraiment, avant cette tem­pête, l’oeil n’a­vait point aper­çu, chez les femmes, une cer­taine forme de misère humaine.

Virgile dit bien cela : quand une tem­pête excep­tion­nelle fait rage, le flots reti­rés avec force font entre­voir d’hor­ribles rochers, incon­nus des navi­ga­teurs, mise­ra­bile visu.

Jamais l’on n’au­ra plus l’oc­ca­sion de com­prendre que l’ha­bit que veut la pudeur était des­ti­né aus­si à voi­ler, atté­nuer, arran­ger les suites défor­mantes des péchés universels.

Vous n’al­lez pas dire que je manque de cha­ri­té, que je ris des infir­mi­tés, des tor­sions que la fatigue, la mala­die, la mater­ni­té ont infli­gées aux deux colonnes de l’être fémi­nin. C’est la mode qui est cruelle, ce n’est pas moi ! La mode dont l’in­dé­cence détruit cette cha­ri­té élé­men­taire, ce res­pect tout ins­tinc­tif qui voile d’in­vin­cibles et inno­centes déformations.

Moi, je ris en effet, avec dégoût et amer­tume. C’est bien fait ! Qui vous oblige à mon­trer tout ça ?

L’ignominie de la mode seule ? Alors c’est bien fait !

On a envie de leur dire à ces chères femmes au cœur sérieux, dont appa­raissent les genoux : « Mon Dieu, mon Dieu, vous que les mater­ni­tés ont appe­san­ties ou épui­sées, dont le visage reflète les ver­tueuses fatigues et la noblesse d’une vie de dévoue­ment, com­pre­nez, mais com­pre­nez la sil­houette qui vous convient ! Respectez ces rides que vos grand fils doivent bai­ser, ces che­veux gris que vous déco­lo­rez ou déco­lo­rez et qui, natu­rels, met­traient tant de dou­ceur à votre regard. Ah, que flottent autour de vous, quelques plis des­cen­dants, quelque majes­té dis­crète qui appelle « l’af­fec­tion res­pec­tueuse ». Vous per­dez, vous gas­pillez l’u­nique et rare beau­té des ans sur un visage aimé. Comment peut-​on sacri­fier de tels biens, pour faire la gamine, pour expo­ser à tous les yeux vos inca­pa­ci­tés à ce rôle infâme… c’est à pleurer ! »

Cette mode per­verse est faite, en effet, pour défi­gu­rer toute dis­tinc­tion, pour rendre gro­tesque toute digni­té, pour mettre en relief toute infir­mi­té, pour avi­lir toute expres­sion morale, pour rava­ler tout ce qui n’est pas gamin, voyou, né d’hier, pour clas­ser les géné­ra­tions à l’en­vers. Le modèle, c’est la gamine, que la grand-​mère s’y conforme !

Les jupes signale les « crou­lants » aux rires des « dans le vent ».

« Leur impu­deur trouble… quand elles sont jolies. »[2] Mais enfin (c’est vous qui par­lez, vous qui m’en vou­lez) puisque vous le pre­nez par là, par l’é­lé­gance, par la grâce, oublions la luxure, la ten­ta­tion, les mau­vaises pen­sées, sug­gé­rées par tant de cuisses trot­tantes, posées, expo­sées, mutine en un mot ; ne par­lons que de beau­té, beau­té du diable si l’on veut, beau­té quand même.

Eh bien, c’est cela, ne par­lons que beauté.

Car enfin, il est de jolies femmes aux jambe ravis­santes, aux cuisses longues, justes rondes à point, et quelle grâce dans cette ligne exquise qui, révé­lée presque de la taille, file jus­qu’au bout du pied ; sur­tout avec le bas nylon, trans­pa­rent, juste des­ti­né à polir tout en expliquant.

Eh bien oui (par­lons en folle) c’est galant, une jolie femme habillée haut.

Bon, vous admet­tez que cette mode sans cha­ri­té est abo­mi­nable pour les mûres, les vieilles, les lourdes, les déviées, mais au moins qu’elle est le fri­pon triomphe de la per­fec­tion phy­sique. Et même que par la satu­ra­tion ocu­laire des jolies cuisses, le « trouble » dont parle Jean Ousset se dilue tranquillement.

L’indigestion actuelle, loin de trou­bler les entrailles les a déli­vrées. Beau résul­tat, en effet, que la satié­té ait détruit la pudeur ! Que dirait-​on d’une langue assez infec­tée pour ne plus sen­tir les ali­ments pour­ris, d’une oreille tel­le­ment gâtée qu’elle ne réagit plus à la caco­pho­nie. Quand le choc et le trouble dis­pa­raissent, le chré­tien a renié son bap­tême, l’homme civi­li­sé a rejoint le bar­bare, la chair a satu­ré l’esprit.

Quand j’é­tais petite, on me menait au cirque, nous grim­pions sur ces bancs de bois qui sentent la bohème et les gens du voyage, sous le cha­pi­teau de la « Maison » Napoléon Rancy, et là, j’ad­mi­rais ardem­ment l’é­cuyère et la trapéziste.

Venait la tra­pé­ziste. Elle se pré­sen­tait vêtue d’un long péplos de Troyenne. Les machi­nistes ache­vaient de fixer là-​haut deux tra­pèzes légers, fré­mis­sants, une échelle de corde les unis­sait au sol. Alors la chère créa­ture lais­sait tom­ber le man­teau antique, et elle parais­sait en cos­tume de tra­vail : cor­se­let étin­ce­lant, chausses col­lantes, et, au-​dessus des genoux, petite jupe rouge. Elle grim­pait comme un joli chat jus­qu’au tra­pèze. Quelquefois un filet ras­su­rait la vue, mais hélas la pauvre petite ris­quait sou­vent sa vie sans filet pour un gain plus éle­vé, j’é­tais trem­blante et éblouie. C’était le vide, l’im­pré­vi­sible, une frac­tion de seconde, et fidèle, le deuxième tra­pèze recueillait les deux mains ten­dues. En un clin d’oeil assise, vic­to­rieuse, elle lan­çait un bai­ser et glis­sant sur l’é­chelle, redes­cen­dait chez les humains. Les membres mer­veilleux ani­maient de nou­veau le peplos retrou­vé… elle s’en allait, hélas, la belle travailleuse !

Qu’eussions-​nous dit si, pre­nant maman à témoin de notre enthou­siasme, nous l’eus­sions vue sou­dain, hor­reur ! vêtue comme la tra­pé­ziste ! Les pauvres enfants d’au­jourd’­hui ne voient que des mamans tra­pé­zistes, qui ne font jamais de tra­pèze. Car le plus grand mal­heur, main­te­nant, le plus pro­fond, l’in­con­so­lable, c’est que les petits enfants ne voient plus de mamans chré­tiennes. Chrétiennes, elles le sont, ou croient l’être, elles vont à la messe et même elles prient, et même, main­te­nant, elles déplorent la Révolution dans l’Eglise, elles ont l’hor­reur des messes casse-​croûte et elles sont pour le céli­bat ecclé­sias­tique, mais ça ne se voit ni dans leur sil­houette, ni dans leur démarche, dans leur « apparition ».

C’est qu’a­vec la mode, la Dame la vision de la Dame a dis­pa­ru, vous com­pre­nez à qui je pense, à la Dame par excel­lence, la Mère par excel­lence, la belle Immaculée, la Dame de Lourdes, la Dame de la Salette, la Dame de Fatima, la Dame Annonciation, la Dame Piéta, le modèle de toutes les mères chré­tiennes, l’é­lé­gante sou­ve­raine, la sil­houette céleste dont la robe atteint les pieds ornés de roses, dont les étoiles et le « crois­sant fin et pur » de la lune achèvent la toi­lette, bref la Dame qui écrase le ser­pent, celle à qui toute mère bap­ti­sée doit obli­ga­toi­re­ment ressembler.

La grande Dame.

Les enfants ne voient plus de « dames ». Pourquoi dit-​on encore « Madame » aux jeunes mariées, ser­vantes de la mode. « Citoyenne » serait mieux ou « Minette ». Gaminette, par exemple.

Mais pas ce nom sacré.

Heureux celui qui garde l’i­mage sacrée de sa mère, le sou­ve­nir déli­cieux du temps « où le bord de sa robe était notre univers ».

J’ai vu un petit mignon de deux ans, entre les genoux de sa mère en visite, jouer avec la peau de ses cuisses, il grat­tait, tirait, impri­mait ses petits doigts. La femelle, habi­tuée, « regar­dant vague­ment quelque part ». D’ailleurs, à la pis­cine, à la mer, il la voit nue, avec deux pièces colo­rant deux places.

Ce vol invrai­sem­blable, hon­teux, fait à l’en­fant, per­sonne ne s’en sou­cie. On ne le frustre ni de flat­te­ries, ni de bon­bons, ni de luxe, ni de confort, on lui vole « l’i­mage immor­telle de la mère ». Comme si la Sainte Vierge n’exis­tait pas.

Quelle expia­tion devront payer cet effa­ce­ment, cette sup­pres­sion de la plus douce majesté !

La tunique de Jésus-Christ

Le vête­ment, abri et cha­leur du pauvre corps, le vête­ment, voile de pudeur, le vête­ment voile d’in­fir­mi­té, est encore com­men­taire de beau­té. Dire qu’il faut rap­pe­ler ces choses aux femmes du chris­tia­nisme, enté sur la digni­té gréco-​romaine ! La vie de l’es­prit qui anime le corps passe dans l’é­toffe, fait vivre les plis, fait tres­saillir de grâce une écharpe et sur­tout une longue jupe.

Il est vrai qu’on ne regarde plus la taille, le port, la démarche. Les jeunes filles se déhanchent et se roulent plus sou­cieuses de mon­trer le nu, quel­qu’il soit, que de spi­ri­tua­li­ser le mou­ve­ment par « la tom­bée » vivante d’une belle toi­lette. Elles ignorent cette révélation.

J’en ai vu aux­quelles la longue robe ou seule­ment un modeste cos­tume régio­nal ensei­gnait d’emblée une fugi­tive dignité. 

Notre temps est la mort du cos­tume. Le corps est sans gloire, il lui reste l’ap­pel de la luxure, je l’ai démon­tré, puisque les cuisses visibles ne s’ex­pliquent que par là. Pressés, pous­sés, du métro dans l’au­to, nous avons dû renon­cer au volume qui célèbre le mou­ve­ment humain. Mais c’est l’im­pu­re­té seule qui abo­lit l’on­doie­ment mesu­ré d’une jupe mi-​longue, chan­tant la rapide démarche.

Depuis la rai­son grecque, depuis l’Empire romain, depuis la Loi avant la Rédemption, depuis Jésus-​Christ, jamais épouses et mères n’a­vaient pro­vo­qué ain­si les fouets, le sar­casme, le dégoût et la colère divine.

Je pense que j’ai fini, bien que le fouet soit encore tout neuf. Je vais vous offrir ma conclu­sion. Comment êtes-​vous, madame ? Tout entière de mon côté ? Ou un peu fâchée ? ou très fâchée ? Vous pen­sez, par exemple : « C’est trop de colère, trop de malice contre une mode res­pec­table comme toutes les modes. » C’est donc à vous que je m’a­dresse et je sup­pose que, assise et fâchée, les yeux sur vos genoux, vous en soyez à la conclu­sion, la conclu­sion la plus chaste, la plus aimable du monde. L’argument auquel vous vous ren­dez. Je n’y suis pour rien, je m’en empare.

Ils prirent aus­si sa tunique ; et, comme elle était sans cou­ture et d’un seul tis­su depuis le haut jus­qu’en bas, ils se dirent : ne la par­ta­geons point, mais tirons au sort à qui l’aura.

Evangile selon saint Jean, cha­pitre 19, ver­sets 23–24.

« Nous avons enten­du par­ler de cette tunique sans cou­ture, parce que le sang de Jésus-​Christ l’a ren­du plus pré­cieuse que la pourpre des rois. Quel pro­fit en retirerons-​nous, ma fille, de ces grandes leçons, voulons-​nous être les dis­ciples du monde, ou res­sem­bler au divin Jésus ? »[3]

En pen­sée, près de la Mère des dou­leurs, devant la glace, interrogez-​vous dure­ment : « Puis-​je, avec cette robe, « depuis le haut jus­qu’en bas », hono­rer la sainte tunique de Jésus-Christ ? »

Source : Extraits arran­gés d’a­près l’ar­ticle « Minettes, gami­nettes » de Luce Quenette, paru dans la revue Itinéraires n°139 de jan­vier 1970.

Notes de bas de page

  1. Jean Ousset[]
  2. Jean Ousset[]
  3. Simples Tableaux d’Education, Mlle Monniot (1868).[]

Née à Saint-​Etienne en 1904, Luce Quenette suit des études supé­rieures aux facul­tés catho­liques de Lyon, dont elle sort pour consa­crer toute sa vie à l’ins­truc­tion et à l’é­du­ca­tion des enfants. De 1928 à sa mort sur­ve­nue en 1977, elle fonde plu­sieurs écoles catho­liques libres, qu’elle dirige et anime avec un dévoue­ment inlas­sable et un cou­rage qui forcent l’admiration.