Présenté par Adrien Loubier
Article extrait de la revue « Sous la Bannière » (n°116), publié dans « L’Aigle Royal »
(Bulletin du Prieuré de l’Enfant Jésus, à Plauzat – 63), n°17 (avril-mai 2005), pp. 21 à 27.
ans les années 60, en plein concile, la « Cité catholique » fondée par Jean Masson et Jean Ousset, commençait à se diluer dans l’Office International. Mais on y tenait encore bon. J’en étais. Et les temps qui courent aujourd’hui, 40 ans plus tard, m’ont fait ressouvenir d’une petite plaquette éditée alors par Jean Ousset, en réponse à une lettre toute semblable à d’autres qui nous arrivent aujourd’hui à « Sous la Bannière ».
Ce lecteur, écoeuré et découragé par l’état de l’Église, qu’il qualifiait à juste titre de « pagaille noire », disait son scandale devant « l’attitude de certains clercs », « l’universelle retape pour Teilhard », devant « le scandale de l’étouffement clérical de l’affaire PAX », devant « les défoulements du psychiatre Oraison », les « réseaux scouts d’aide au FLN », la « dépacellisalion » en cours ; bref, son découragement devant le combat de l’office et de la rue des Renaudes, où celui-ci avait son siège. Combat qu’il jugeait inutile comme celui de la « vieille Renaude » de Monsieur Seguin, « qui ayant lutté toute la nuit contre le loup, n’en fut pas moins dévorée au matin ».
Tous ces scandales évoqués par ce correspondant naguère sont aujourd’hui bien dépassés. Et même certains sont sans doute oubliés par quelques-uns de nos lecteurs. Mais ils sont abondamment remplacés par d’autres, souvent pires, et plus nombreux sans doute. Et le même découragement se retrouve dans des lettres actuelles devant une « pagaille noire » sans cesse renouvelée, sans cesse accrue, qui n’épargne même pas les milieux qui combattent encore pour la tradition dans des ténèbres de plus en plus épaisses, et semblent en effet voués au sort de la « vieille Renaude« de Monsieur Seguin.
Mais la réponse que fit alors Jean Ousset à son correspondant reste et demeure animée d’un souffle qui revigora bien des jeunes dont j’étais alors, et dont les arguments restent d’une actualité brûlante. Aussi, j’en propose l’essentiel à mes lecteurs, en y ajoutant seulement parfois quelques éléments propres à les actualiser en ces jours de 2004.
Ce qui précède, et ce qui est écrit de ma main est en caractères droits, les citations de Jean Ousset sont en italiques.
« Il n’est pas agréable de répondre à votre lettre. Il y faudrait un volume. Sans qu’on soit assuré de tomber juste. Garder le silence ? »
« J’avoue ne pouvoir m’arrêter à cette solution. Non par désir, vous le pensez bien, de courir après un souscripteur qui s’en va. Mais parce que l’amitié qui, dans vos lignes transparaît à notre égard, est en droit d’attendre autre chose qu’un silence prudent ou désabusé. Je pense qu’elle a besoin d’une réponse aussi brutale que la colère qui vous anime. »
« Vous dites avoir perdu la Foi. Je n’en suis pas si sûr. Et cela d’après votre lettre ; révolte, au moins, à propos de ce qui est l’objet même de la Foi. Preuve que cette Foi (au sens strict du serment anti-moderniste : « adhésion à un enseignement. », etc.) est en vous plus lucide, plus ardente en dépit d’un certain aspect, qu’en ce « béni-oui-ouisme » de réputés fervents qui ne savent pas à quoi ils croient. Prêts à tout gober dès que le papier leur en est vendu aux portes des églises ! »
« Votre péché me semble beaucoup plus contre l’Espérance. Non l’espérance selon le monde, faite d’optimisme béat, mais l’authentique espérance chrétienne. Vertu théologale, surnaturelle. Sereine, quoique sans illusions. Plus forte que la mort et les pires scandales… pour peu qu’elle soit nourrie de bonnes doctrines, ET d’une connaissance suffisante de l’histoire de l’Église. »
« Or, si pécher contre l’espérance peut être aussi désastreux que pécher contre la foi, on ne répond pas à un péché contre l’espérance comme on répond à un péché contre la foi. »
« Vous me faites penser à un soldat qui abandonnerait le service et l’amour de sa patrie parce qu’il en est à ne plus supporter les misères ou les fautes d’un trop grand nombre de ses chefs. Situation tragique ; mais qui ne l’est pas autant que ce degré pire où ne peuvent manquer de conduire pareilles désertions ou révoltes. »« Trop d’excès cléricaux vous scandalisent. Vous en perdriez la. foi. Et le fait est que, très souvent, le refus de la foi a pour argument la protestation contre cet excès autre mais tout analogue : « scandale pour les juifs, folie pour les païens » d’un Dieu s’abaissant, souffrant, mourant sur une croix, entre deux voleurs, sous les insultes et sarcasmes de ce que la religion légitime d’alors comptait de plus officiellement « gratiné ». « Pagaille » ; comme vous dites, qui brisa d’un coup l’élan des premiers disciples, mais qu’au matin de la Résurrection le Maître se plut à commenter à « deux d’entre eux » sur le chemin d’Emmaüs. En les traitant d’abord : « d’esprits sans intelligence : lents à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes… » etc. (S Luc, ch. XXIV). »
« Et de même pour l’Église. »
« Pensez-vous qu’il n’importe pas qu’elle ait, elle aussi, à souffrir. Comme le Maître ! Avant qu’il lui soit donné de devenir en son entier la Jérusalem céleste ! »
« Comme si la vie, comme si l’être de l’Église n’étaient pas, n’étaient plus la vie, l’être de Jésus-Christ projetés dans les successions de l’histoire et la multitude des nations. »« « … Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes… » »
« Telle est la méthode ! »
« Et commençant par l’étude de l’Église en ses débuts et parcourant toute son histoire… »
« Car c’est par ignorance de ce que l’Église n’a cessé de subir depuis vingt siècles que nous nous faisons de notre sainte religion une idée fadasse, totalement énucléée par le conformisme clérical. »
« Alors que depuis le Calvaire, d’une façon constante, Dieu a permis, Dieu permet que l’histoire de l’Église soit (au moins sous un certain aspect) un drame clérical. Drame analogue à celui de la vie, de la Passion du Seigneur. »« Vous parlez de « pagaille noire actuelle ». »
« Même s’il est vrai, l’argument est faible dans la mesure où il se borne précisément à la seule « pagaille » actuelle. Car, en un sens, l’histoire de l’Église est l’histoire d’une pagaille perpétuelle. Au point que… si l’on devait perdre la foi pour raison de « pagaille » ce serait pécher par défaut, non par excès que d’évoquer seulement la « pagaille » d’aujourd’hui. »« A se révolter, pourquoi se révolter au nom de la seule dernière « partie » quand il y a le « tout » ? »
« C’est qu’à le pousser à fond l’argument se renverse. A prendre le « tout » et non seulement la partie qui nous touche davantage parce que nous la vivons [.] (« Commençant par Moïse et parcourant… » etc). Autant dire, à prendre l’histoire de l’Église dès son début et à examiner le renouvellement de ses drames au cours des siècles ce qui, fragmentairement considéré, risque de faire perdre la foi, devient argument de cette dernière, pour peu qu’on le médite dans sa totalité. »
Oui, Jean Ousset avait raison. On s’est formé, particulièrement dans ces années 50, – ce que Monseigneur Williamson appelait le cinquantisme – une idée FADASSE, ÉNUCLÉÉE de la vie et de l’histoire de l’Église. A cette époque je me souviens d’avoir eu entre les mains une « Histoire de l’Église » de Rohrbacher qui avait servi de lecture dans un couvent de femmes. Mon attention fut attirée par de nombreux passages raturés au crayon, avec mention en marge : « Ne pas lire ».
A l’examen, ces passages étaient ceux où l’historien retraçait les défaillances de clercs, de religieux, de religieuses, voire de princes, voire d’évêques ou de papes ; défaillances qui avaient fait scandale, entraîné la fermeture de maisons religieuses ou leur perte, favorisé des hérésies, etc. Certains passages même avaient été remplacés par des commentaires ou des résumés pieux ; mais de fausse piété.
Que restait-il ? Une histoire fadasse, énucléée, à l’eau de rose, où l’on racontait seulement les vertus des réformateurs en cachant les scandales et déviations qui avaient suscité leurs réactions et leurs combats.
Nourris de cette fausse piété, comment des chrétiens pouvaient-ils comprendre ce que Jean Ousset disait alors à son correspondant ?
« Vous butez sur les scandales d’un certain cléricalisme actuel. »
« Croyez qu’il faut buter sur beaucoup plus pour tomber sérieusement à genoux. Car le spectacle de ce « beaucoup plus » est tel qu’il ne peut plus être équivoque. Il faut, bon gré, mal gré, y reconnaître la marque d’un drame divin. Tragédie de la rédemption qui continue et continuera à s’opérer « jusqu’à ce que le nombre des élus soit complet ». »« Ainsi l’argument « contre » devient l’argument « pour » dès lors qu’on le médite à la lumière surnaturelle de la Passion du Seigneur. »
« L’enfer ne désarme pas ! »
« Et comme cela est réconfortant ! Quel admirable signe de l’éternelle actualité de notre foi ! Et comme nous devons préférer cet état d’alarme incessant à la vie de tant de « religions » sans grabuge, que Satan ne prend même pas la peine de « cribler ». »
« Le mal, le très grand mal, est que nous, catholiques, ne connaissons pas, ne méditons pas l’histoire de l’Église. Telles luttes, tels remous nous paraissent inavouables parce que nous croyons que le calme et la paix devraient être les seules marques de sa divinité. »
« Nous laissons se répandre de plus en plus ce slogan publicitaire que chez nous la vie serait plus paisible et sereine que partout ailleurs. Et nous nous étonnons de l’inertie générale. Comme disait Bernanos : « Ils écriront sur leur temple : on est mieux nourri ici qu’en face. Et ils s’étonneront de ne recueillir que des ventres ». »« Quelques persécutions… venant de l’extérieur ? Passe encore ! Mais troubles, trahisons, scandales au-dedans et comme entre nous ! Nous perdons confiance. »
« Pourtant ni la doctrine, ni l’expérience d’une histoire vingt fois séculaire, ne permettent d’affirmer qu’ici-bas l’Église doit être nécessairement composée de fidèles édifiants, de prêtres de bonne doctrine, surnaturels, d’évêques sans respect humain, courageux devant César et soumis de cour au Saint-Siège, voire de papes impeccables, bien qu’infaillibles. »
« « Il faut qu’il y ait des hérésies, écrit un auteur peu suspect d’intégrisme : Kart Rahner (Gefahren im heutigen Katholizismus…) parce qu’elles sont plus que de simples conséquences d’une liberté arbitraire. Elles appartiennent à ces sombres choses qui « doivent » être, afin qu’aucun homme, et donc aussi la « vérité » de l’homme, ne puisse se glorifier devant Dieu. Ainsi le chrétien ne doit pas s’étonner de rencontrer des hérésies. Bien plus, il les attendra. Il les considérera comme une tentation inévitable, voire comme la tentation (l’épreuve) la plus haute, la plus sublime. Celle dans laquelle les ténèbres se déguisent en ange de lumière. Et si le chrétien ne distingue aucune hérésie [.] il ne considérera pas une semblable paix de l’esprit comme quelque chose qui va de soi. Il se demandera plutôt, avec crainte, si les yeux de son esprit ne seraient pas devenus aveugles et son cour insensible à la différence entre le vrai et le faux, au point de ne plus pouvoir distinguer l’hérésie comme telle. » »« Si nous connaissions mieux l’histoire de l’Église, nous ne douterions plus de la prédilection de Dieu pour ce genre d’épreuve. »
« C’est manquer d’un sens juste du divin que d’ignorer, taire, cacher délibérément ce que, dans les annales chrétiennes, Dieu a si manifestement laissé surabonder. »
« Se serait-Il trompé ? Ou n’est-ce point nous qui tendrions à préférer une comédie de patronage à la tragédie bouleversante de la Rédemption ? Les saints, eux, ont aimé la saveur de ce vin et s’en sont enivrés. Nos chrétiens réputés « adultes » préfèrent l’eau de burette ! Un grand nombre de chrétiens perd cour à la vue de certains heurts. Curieux soldats d’une Église réputée militante, que ces guerriers troublés aux premiers signes de la bataille. »
« Où se croient-ils ? Pourquoi Dieu nous épargnerait-il ce qu’il n’a épargné à aucune génération chrétienne ? « Nous y avons droit ». Et de quoi vous plaignez-vous ? »
Ici, Jean Ousset passait en revue les principaux scandales qui, en plein concile, dans les années 60, bouleversaient l’Église.
Je ne crois pas utile de reprendre la mise à jour de ce triste catalogue qui, pour n’être plus le même de nos jours, n’en serait que plus long.
Mais aujourd’hui, comme du temps de Jean Ousset, ces scandales de toute sorte n’ont-ils pas les mêmes effets sur beaucoup ? Perte de la Foi ! Surtout perte de l’Espérance ! Et c’est là l’erreur la plus grave.
« … tout cela vous paraît le signe d’une « pagaille noire » [.] vous fait « perdre la foi » [.] « abandonner ». »
« Mais n’aviez-vous jamais réfléchi à ce que l’incessant cortège des hérésies et des schismes a pu entretenir d’insolences, de révoltes, de bassesses [.] auprès desquelles celles que nous subissons paraissent « petits graviers », incidents et détails ? »
« Soient, à la course [.] gnostiques et manichéens du tout début ; montanistes novatiens du second siècle, accompagnés des quarto-décimans, débaptisants, millénaires, antitrinitaires. Puis donatistes et méleciens, précurseurs de l’arianisme ; lequel eut plusieurs phases ou retours. Pélage et Célestin. Nestorius et Eutychès. El tous les autres… jusqu’à nos jours. A la cadence de trois ou quatre hérésies par siècle. »« Aujourd’hui, et de loin, tout cela paraît clair ; net, parfaitement distinct : fidèles d’un côté, hérétiques ou schismatiques de l’autre. Mais, pour ceux qui vécurent cela, c’était aussi « pagaille noire » . On ne savait pour qui opter. Le curé était d’un bord, le vicaire de l’autre, les évêques en collégiale discorde, les Athanase et les Hilaire en minuscule minorité. Et comme toujours, c’étaient les autres qui, modestement, se prétendaient dans le sens de l’histoire, « présents au monde », témoins de leur siècle, etc. »
« Le recul du temps déforme, en ordonnant à l’excès ce qui fut pagaille noire et sanglante. »
« Songez à ce qu’eût pu être notre humeur si nous avions eu sous les yeux les accessoires inévitables de tant d’erreurs : suspicions, polémiques, insultes, tumultes, conflits, tortures, assassinats, apostasies, trahisons, lâchetés que l’histoire ne prend même plus la peine de relater parce qu’elle en est pleine. »
« Et, puisque vous en avez contre les clercs, songez à ce que fut l’état de l’Église au Xe siècle. La pire époque ! Plus d’écoles, plus d’enseignement ! L’ignorance est telle que les conciles (celui de Trosly : 909) se voient contraints de ramener les prêtres eux-mêmes à des études si rudimentaires qu’on en perd le souffle. »
« Et pourtant, Monsieur, nous ne pouvons douter que même en ces périodes épouvantables, le ciel eut la joie de voir des fidèles « tenir ». Authentiques consolateurs du Christ dans son agonie. »
« « Pagaille » du Grand Schisme d’Occident. Deux papes et même trois, s’anathématisant l’un l’autre. « Pagaille » du « concile » de Bâle, déclarant le pape suspect. « Pagaille » de peuples entiers passant à l’hérésie, clergé en tête. « Pagaille » d’évêques gallicans et jansénistes. »
« Pour nous qui voulons rendre notre patrie à son « droicturier seigneur » : « pagaille » du procès de Jeanne d Arc. Ce fut la forte dose. Un évêque, un vice-inquisiteur, plusieurs pères abbés, la fine fleur des docteurs de Sorbonne, futnous assez à ce que fut, au fond du cour de la mère de Jeanne et de tous les bons chrétiens de Domrémy, lurs « experts », pour la plupart, à l’indigne concile de Bâle qui allait s’ouvrir peu après. »
« Pensons- a tentation de révolte ou de désespoir (« sublime épreuve », nous dit Rahner) quand parvint, en ces boucles de Meuse, l’annonce du bûcher de Rouen ? »
Faut-il rappeler ici que le père et le frère aîné de Jeanne d’Arc en moururent de chagrin, n’osant plus sortir de chez eux sous la honte d’avoir une fille et une sour condamnée et brûlée vive par « l’Église » comme sorcière et hérétique ?
« Jeanne, certes, fut réhabilitée. Pas avant toutefois que le roi de France ait triomphé [.] la diplomatie l’emportant souvent sur la proclamation de la vérité et de la défense de l’innocent ! »
« Et Dieu permet cela ! Comme Il a permis la vie douloureuse et la cruelle passion de son Fils. Toujours pour la même raison : sa plus grande gloire, la plus grande gloire des élus. »
« Mystère de la croix rédemptrice. Mystère de l’Église. Mystère des épreuves innombrables de tous les saints. Une seule et même perspective. »
« Et c’est parce que notre conception de l’Église se désurnaturalise, se rationalise, se veut toujours plus dans « le sens de l’histoire », sens d’un messianisme tout humain, que nous perdons l’intelligence et l’amour du mystère adorable de la sainte passion de notre mère : l’Église. »« Que faire ? »
« Ce que frirent Véronique et le Cyrénéen au passage du Maître couvert de sang, de poussière, de crachats, de vomissures avinées (c’est l’Écriture qui le dit. Elle n’a pas peur des mots) ; la couronne d’épines ceignant ses cheveux d’une glu rouge ; le visage tuméfié ; titubant sous la croix ; rudoyé par la soldatesque ; conspué par le peuple ; condamné par les docteurs, prêtres et théologiens du temps. »
« Et donc pour nous le devoir est clair. »
« D’abord ne pas avoir peur, nous moquer des sarcasmes ; ne pas déserter. Fendre les rangs de la foule. Avancer résolument vers Jésus. Rester fermes dans la foi. »« Depuis vingt siècles que le mystère s’en renouvelle, comment serions-nous excusables d’en paraître surpris seulement aujourd’hui ? »
« Soyons prêts, et plus prompts s’il se peut que Véronique pour reconnaître, sous quelque souillure que ce soit, avec la sainte Face de notre Dieu, la sainte Face de l’Église. Qu’en gestes doux et pieux nous sachions rendre au cher visage son essentielle pureté. »
« Essuyer la sainte Face, comme Véronique. Mais en prenant soin, comme elle, de ne pas ajouter à sa douleur. Sans l’écorcher un peu plus du fait de nos colères ou de nos impatiences. Sans rouvrir ses blessures. Encore qu’elle ait dû, pour y parvenir, se frayer un passage, bousculer quelques badauds, passer outre à quelque interdiction légale, forcer le cordon des légionnaires. »
« Aider à porter la Croix, comme Simon. Efficacement certes. Mais sans rudesses nouvelles, sans maladresses, sans sursauts douloureux. »
« Gardons-nous, surtout, de détourner les yeux devant l’ignominie du spectacle. Sachons reconnaître Celui… et donc Celle (l’Église) qui semblent vaciller devant nous. Malgré tant de souillures, tant d’ecchymoses, empêchons qu’on oublie leur pureté, leur sainteté fondamentales. »« Heureux serons-nous si, ayant tout suivi, tout vu, tout entendu, comme le centurion du Calvaire, nous en repartons professant plus haut et plus clair que cet homme est vraiment le Fils de Dieu [.] que l Église est réellement et toujours l’épouse immaculée du Christ. »
« « Nous l’avons méconnu, prophétisait Isaïe. Sans beauté, sans éclat [.] méprisé, le dernier des hommes, un être de douleur, rompu à la souffrance, au visage caché, semblable à un lépreux. » Oui, tout cela est vrai. Du Christ et aussi de l’Église. »
« « Sa grande détresse, nous dit Bernanos (LA GRANDE PEUR…) est justement ce troupeau tenu, rassemblé par l’habitude ou la crainte pour qui le divin n’est plus guère qu’une sorte d’alibi à sa paresse, à son horreur de toute lutte virile, à son goût maladif de subir, d’endurer., d’éprouver la force d’un maître. Mais qui les recueillerait, sinon l’Église ? Elle ne sollicite que les consciences, ne prétend régir qu’un domaine intérieur où ne peut avoir accès que Dieu seul, au lieu qu’un parti politique réclame premièrement des gages. Ainsi voit-on se presser autour d’elle, repoussant les saints sur le parvis, une foule de malheureux qui n’y viennent chercher d’âge en âge que le repos, des honneurs ou des rentes, incapables de trouver ailleurs le pain de leur propre convoitise. Quiconque s’étonnerait de les voir là ressemblerait aux pharisiens sourcilleux toisant d’un regard de dégoût le rabbi Jésus avec son escorte de béquillards, d’aveugles, de mendiants et probablement aussi de simulateurs. Car l’Église n’est rien moins que le panthéon des grands hommes, mais, sous la rage de la pluie et du vent éternels, le refuge où la plus misérable espèce vient recevoir de Dieu et de ses saints, jour après jour, de quoi subsister, vaille que vaille, jusqu’à l’éternel pardon. » »« C’est là, sans nul doute, l’aspect lépreux, sans beauté, sans éclat décrit en maints passages d’Isaïe. Mais non moins vrais, pour le Christ (et son Église) les textes sacrés qui parlent du plus beau des enfants des hommes, de vêtements blancs comme la neige, de visage plus brillant que le soleil. »
« Église, source de sainteté clans la vie privée. Église, source de civilisation, d’ordre et de paix dans la vie publique. Mère des saints, mère des vierges, mère des martyrs, mère des apôtres, mère des docteurs, mère des moines défricheurs, agriculteurs et bâtisseurs, mère des libérateurs d’esclaves, mère des guérisseurs de malades, mère des hôpitaux, mère des orphelinats, mère des refuges, mère des écoles, mère du respect de la .femme, mère de l’esprit chevaleresque, mère institutrice des peuples, mère des encyclique sociales, mère protectrice des arts, mère du grégorien, mère de nos basiliques et de nos cathédrales [.] Mère des deux Thérèse, mère de François, de Bonaventure, de Thomas, d’Ignace, de Xavier, de Vincent, etc. »« Qui dit mieux ? »
« Mieux dans la durée ? Mieux dans l’universalité des manifestations ? Mieux clans la qualité, l’héroïcité de ces bienfaits ? Sont-ce là des valeurs qu’on abandonne, cause qu’on déserte, armée qu’on lâche… Même si, comme vous le prétendez, une certaine « clique » n’attend que l’occasion de nous démolir ? Croyez-vous que Bernanos préparait un lâchage de l’Arche Sainte, qui pourtant ne craignit pas d’écrire : « Une nouvelle invasion moderniste commence. Cent ans de concessions, d’équivoque, ont permis à l’anarchie d’entamer le clergé. La cause de l’ordre ne peut plus compter sur bon nombre de ces primaires déclassés. Je crois que nos fils verront des « troupes » de l’Église du côté des forces de mort. Je serai fusillé par des prêtres bolchevicks qui auront le « Contrat Social » dans la poche et la croix sur la poitrine. » »« Ce que Dieu n’a quand même pas permis, voyez-vous. Preuve qu’il reste le Maître. Ou qu’il nous réserve tout cela ! »
« Ou qu’il nous réserve tout cela » ?
Ces paroles de Jean Ousset peuvent aujourd’hui paraître prophétiques. Celles de Bernanos ne le sont pas moins. Soyons prêts !
« A cet égard, ce nom de « Renaudes » évoquerait ce qui nous attend. »
« Dieu vous écoute ! »
« Car enfin, cette « vieille Renaude », elle a tenu tête au loup toute la nuit, refusant de se coucher pour mourir avant le lever de l’aurore. Est-il sort plus enviable pour tout soldat du Christ qui refuse d’être « planqué » ? »
« Car la nuit c’est le temps des loups. Le temps où ils profitent des ténèbres pour faire admettre leur déguisement de bergers. Le temps où, des paroles de « PAX » plein la gueule, ils avancent pour ravager le troupeau. »
« La nuit, c’est le temps de la dispersion des lâches ; de l’aplatissement des « trembleurs » dont parle l’Écriture. Le temps où le mauvais pasteur préfère rester couché, où les apôtres ont les paupières appesanties par le sommeil. »
« Le temps de l’activité des Judas. »
« Le temps de la solitude du Maître. »
« Mais aussi le temps où l’Époux se réjouit de trouver les vierges sages, leur lampe pleine d’huile, toutes mèches allumées. C’est donc la nuit, et malgré la nuit, qu’il importe surtout de « tenir » et combattre. »
« En conséquence, bienheureuses les Renaudes qui, inébranlablement décidées à lutter, n’acceptent de se coucher pour mourir qu’après le lever de l’aurore. »« Car, voyez-vous, l’aurore c’est de toute façon la victoire des Renaudes. Le terme de leur mission. Parce que, même si les loups se retirent après les avoir déchirées, le fait est que l’aurore est l’heure de la fuite des loups devant la lumière. L’heure où ils s’éloignent de la bergerie. L’heure où les bergers, même médiocres, se réveillent. L’heure où les « lâches » reprennent cour où le troupeau peut avancer sans crainte. »
« Dieu. fasse de nous de vraies « Renaudes ». Et quand sonnera l’heure de nous coucher pour mourir, puissions-nous voir du côté de l’Est, l’éclatante lueur, non d’une étoile, mais cette « lumen gentium », ce « sol justiciae » qui sont le Christ : aurore d’un nouvel ordre chrétien social sur le monde. »« Le reste importe peu. Celui qui sème n’étant pas celui qui moissonne, rien d’alarmant si les « Renaudes » disparaissent au lever du jour. »
« La gloire de l’Église ne saurait être une gloire humaine. Il lui faut être sainte comme malgré nous. »
« Oseriez-vous dire qu’elle nous a laissé sans enseignement ? Manquez-vous d’encycliques pour y voir clair ? Les discours et messages pontificaux ne vous paraissent-ils pas assez nets ? Allons, vos réactions seraient moins violentes contre le progressisme de certains clercs si vous étiez moins sûr de leur méconnaissance de la doctrine de l’Église en ces matières ! »« Alors ? Que penserait un officier du soldat qui n’accepte de faire son devoir que si personne autour de lui ne « tire au flanc » ou ne désobéit ? La désertion deviendrait-elle permise dès que l’exemple en est donné ? »
« Épreuve douloureuse ! Certes ! Mais qui est celle de notre espérance et de notre. foi en l’Église. De notre espérance et de notre foi en la Croix. »
« Allons, cher ami, reprenons-nous. Et comme dit à peu près l’auteur de l’Imitation : « Il n’est aucune raison sérieuse de s’arrêter Marchons ensemble. Jésus est avec nous. Par Jésus, certes, nous serons chargés de la croix, mais il sera notre soutien, celui qui est notre seul chef et notre guide. Voilà que notre Roi marche devant nous. Il combattra pour nous. Suivons avec courage. Que rien ne nous effraie. Soyons prêts à mourir généreusement dans cette guerre. Et ne souillons pas notre gloire de la honte d’avoir fui la croix. » (L. III ; ch. LVI). »
« O Crux ave Spes unica ! »
Abbé Michel Koller