Le lundi 16 avril, le Souverain Pontife a reçu en audience les membres du congrès international pour la défense et la réhabilitation sociale des malades de la lèpre. Il a prononcé en français, à cette occasion, le discours suivant :
Nous vous souhaitons cordialement la bienvenue. Messieurs, et sommes heureux de vous recevoir à l’occasion du congrès international pour la défense et la réhabilitation sociale des malades de la lèpre. Vous ne doutez certes pas du vif intérêt que Nous portons à l’œuvre bienfaisante que vous avez déjà accomplie et que vous désirez continuer avec une efficacité encore accrue. Notre gratitude va aussi à l’Ordre souverain et militaire de Malte qui, fidèle à ses traditions charitables de secours aux infirmes, a voulu affronter ainsi une tâche d’une gravité particulière. Nombreux sont encore, hélas, les pays où cette maladie exerce ses ravages, et trop nombreuses ses victimes. On compterait actuellement dans le monde plus de cinq millions de hanséniens, dont quatre cent mille seulement en traitement. Pourtant la médecine dispose de remèdes éprouvés capables d’enrayer les progrès du mal, et même de rendre la santé à ceux que l’on peut soigner à temps. Aussi ce congrès, qui groupe des savants et sociologues de quarante pays, Nous semble particulièrement opportun : mettant en commun votre savoir et votre expérience, vous pourrez donner à la lutte contre la lèpre un nouvel élan et une plus grande extension.
Grâce aux nouveaux remèdes la lèpre n’est plus une maladie inguérissable.
Quand on parle de la lèpre, un fait mérite d’abord d’être souligné : c’est le changement radical qui s’est opéré depuis 1941 dans sa thérapeutique ; à cette époque, en effet, débutèrent les premiers essais de traitement par les sulfones (promin, sulphétrone, diasone), qui se révélèrent beaucoup plus efficaces que le chaulmoogra utilisé jusqu’alors, mais dont le prix élevé rendait difficile l’application à un grand nombre de patients. Un progrès important fut enregistré en 1948 lorsqu’on songea à substituer aux dérivés sulfonés la sulfone-mère : ce médicament de prix modique et d’emploi aisé permettait l’utilisation sur une grande échelle, parmi des populations pauvres et peu évoluées.
On peut donc affirmer à présent que la lèpre n’est plus inguérissable, même si l’on reste encore trop démuni à l’égard des manifestations douloureuses et si les rechutes restent encore possibles dans un certain nombre de cas. Comment souligner suffisamment la portée d’un tel résultat, surtout si l’on se rappelle la terreur que la lèpre inspirait jadis et inspire encore à présent, bien à tort d’ailleurs ? Son antiquité — ne remonte-t-elle pas jusqu’aux temps de la préhistoire ? — les développements littéraires qui l’ont prise pour thème, le caractère spectaculaire des déformations qu’elle inflige, quand elle est parvenue à un stade avancé, les mesures de défense sociale qu’elle a déterminées au cours des siècles, en particulier la claustration cruelle et d’ailleurs d’utilité très contestée, tout cela contribuait et contribue encore à entretenir à son égard une aversion en quelque sorte instinctive, contre laquelle il importe de réagir fortement.
Elle est moins contagieuse que la tuberculose.
Il faut d’abord remarquer que, si la lèpre est contagieuse, elle l’est moins que la tuberculose et ne se propage que difficilement : 3 à 6% seulement des personnes vivant auprès des hanséniens contracteraient l’infection ; cette faible proportion est due à ce qu’un certain nombre de malades n’émettent pas de germes ou n’en émettent qu’en petite quantité et à cette particularité que le bacille se transmet surtout par voie cutanée. Il suffit d’observer les règles essentielles de l’hygiène pour éviter dans une large mesure le danger de contamination ; on a d’ailleurs pu noter comme exceptionnel le fait que des médecins ou leurs familles vivant à proximité des lieux d’hospitalisation aient contracté la maladie. Il n’y a donc pas de motif d’adopter vis- à‑vis de la lèpre des mesures plus sévères que pour d’autres maladies contagieuses ; on évitera même ainsi une des causes les plus actives de sa propagation : la dissimulation du mal. Les malades traités avec libéralité ne craindront plus le médecin à l’égal du policier, et viendront d’eux-mêmes demander des soins au lieu de se cacher, de rester pour leur entourage des facteurs permanents de contagion et de se condamner eux-mêmes à en subir les pires conséquences. La suppression des préjugés courants et des méthodes de coercition conditionne donc le succès des campagnes anti-lépreuses, et vous avez pleinement raison de mettre en évidence la réalité des faits telle qu’elle se présente aujourd’hui. Tout autorise à croire que les méthodes de prophylaxie anti-tuberculeuse, qui ont fait leurs preuves en Europe et sont basées sur le dépistage et le traitement précoces, obtiendront les mêmes effets là où on appliquera à la lèpre des procédés semblables.
Des problèmes concernant l’épidémiologie de la lèpre n’ont pas encore trouvé de solution et retardent les progrès de la médecine.
Cependant, une difficulté sérieuse retarde aujourd’hui encore les progrès de la médecine dans ce domaine ; de nombreux problèmes concernant l’épidémiologie de la lèpre n’ont pas encore trouvé de solution. Le bacille de Hansen s’avère, en effet, très difficile à étudier ; il n’arrive à se fixer naturellement que dans l’organisme humain et, malgré les travaux poursuivis par de nombreux savants pendant plus d’un demi-siècle, on n’a pas encore réussi des essais de culture en laboratoire ; on n’est pas non plus parvenu à l’inoculer aux animaux et à déterminer chez eux une maladie transmissible. On manque également d’enquêtes épidémiologiques, qui mettraient en évidence les facteurs biologiques, climatiques, raciaux, sociaux, jouant un rôle dans son expansion. Pareil travail requiert évidemment un appareillage scientifique coûteux et que précisément les pays où la lèpre sévit davantage sont incapables de se procurer. On aperçoit là du simple point de vue de la recherche une tâche considérable et de première importance. Quant aux mesures d’action directe, il apparaît comme primordial de préparer dans chacun des pays intéressés un personnel spécialisé, ayant reçu une formation sérieuse auprès des savants les plus compétents en la matière. Il faudrait ensuite organiser la lutte aux endroits les plus touchés : des dispensaires bien équipés, fixes ou mobiles suivant le cas, constitueront les éléments de pointe s’efforçant de repérer et de soigner à temps les malades de type bénin, tandis que les contagieux seront dirigés vers des sanatoriums qui leur assureront tous les soins nécessaires sans entraver leur liberté.
Le Saint-Père déclare que s’occuper des lépreux demeure toujours un admirable apostolat ; car ces malades ont autant besoin de réconfort moral que de soins corporels.
Aussi longtemps qu’on fut privé d’un remède vraiment efficace, le soin des hanséniens exigeait de ceux qui s’y consacraient un dévouement héroïque. Combien de religieux et de religieuses n’ont pas hésité à séjourner dans les léproseries, d’où tout espoir semblait banni et tombèrent victimes à leur tour du même fléau ! Actuellement la thérapeutique de la lèpre s’apparente à celle de toute autre affection chronique ; le traitement appliqué avec discernement, et accompagné d’une surveillance systématique pour prévenir les accidents et y remédier, obtient toujours des résultats appréciables. Quel meilleur stimulant pour les âmes généreuses, qui se consacrent à cette tâche avec plus d’ardeur encore que par le passé ! En même temps que la guérison des corps et les problèmes déjà ardus qu’elle pose, il faut affronter les difficultés psychologiques et sociales, en particulier celles qu’entraîne l’hospitalisation des cas contagieux, que l’évolution très lente de la maladie retiendra plusieurs années loin de leur famille et de leurs occupations. Séparé de la société, le malade n’a-t-il pas alors un besoin plus urgent d’aide morale et spirituelle, de compréhension, d’encouragement ? Surtout lorsque son cas ne donne plus guère espoir de guérison, ne doit-il pas entretenir des raisons de vivre et de souffrir, que les doctrines humaines sont bien incapables de lui donner ? Précisément parce que la lèpre requiert une cure prolongée, provoque parfois des déformations et des infirmités pénibles, et aussi parce que persistent à son égard des attitudes injustifiées dé répulsion et de crainte, le malade a besoin de toutes ses ressources spirituelles ; il souhaite comprendre le sens de l’épreuve qui le frappe et la porter non avec un stoïcisme froid ou une résignation aveugle, mais avec le courage généreux, dont seule une foi religieuse solide peut donner le secret.
Même après sa guérison, le lépreux a besoin d’aide et d’encouragements
Pour vous-mêmes. Messieurs, vous avez l’ambition d’apporter dans cette lutte anti-lépreuse toutes vos énergies, toutes les ressources de votre intelligence et de votre cœur. Qu’une propagande bien- menée fasse connaître au grand public les moyens dont dispose actuellement la médecine pour aborder cette lutte, ainsi que son caractère véritable, et d’autre part l’urgence d’une action plus énergique et plus vaste. Aujourd’hui comme autrefois, les missions catholiques s’y dépensent, soit directement par l’entretien de services médicaux, dispensaires et hôpitaux, soit indirectement par la recherche scientifique et les formes les plus diverses d’assistance sociale. Lorsqu’il est rentré dans la vie civile, le hansénien en voie de guérison se heurte aux difficultés de la réadaptation, et parfois son corps garde les stigmates des souffrances endurées : un labeur important reste donc à accomplir dans le domaine de l’assistance sociale, ainsi que pour effacer, par le moyen de la chirurgie réparatrice ou esthétique et de l’orthopédie, les séquelles de la maladie. Question d’organisation et de technique, sans doute, mais plus encore œuvre de sympathie humaine et d’amour sincère. Ici encore Nous voulons croire que des catholiques formés à l’école d’un Maître, qui propose la charité comme premier précepte, rivaliseront d’ingéniosité et de ferveur, si possible au moyen d’un « Comité international catholique », pour soulager ces peines et rendre à leurs frères visités par l’épreuve plus de sérénité et de joie intime.
Le Saint-Père termine en exhortant ceux qui soignent les corps à penser aussi aux âmes des lépreux.
Un épisode fort expressif de la Bible illustre, par la guérison d’un homme frappé de lèpre, les détours admirables, par lesquels la Providence divine sait attirer les hommes à la vérité. Naaman le Syrien, ignorant du vrai Dieu, vient trouver le prophète Elisée pour implorer de lui la guérison ; cédant à contrecœur à son injonction, il se baigne dans le Jourdain, recouvre la santé et reconnaît « qu’il n’y a point de Dieu sur toute la terre, si ce n’est le Dieu d’Israël » (IV Rois, V, 15). L’intervention divine ne se limite pas à la guérison du corps ; elle pénètre plus à fond, jusqu’à l’esprit, le délivre de l’erreur et lui indique la voie qui mène à la lumière. Lorsque le Christ rencontrait des malades de la lèpre au cours de ses pérégrinations, il ne pouvait rester sourd à leurs cris suppliants. « Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir », disait l’un d’eux (Matth., VIII, 2). Jésus étend la main, le touche et « aussitôt sa lèpre fut guérie » (ibid. VIII, 3). Nous aussi, Messieurs, Nous voudrions que ce même cri, répété aujourd’hui encore par plusieurs millions d’hommes, suscite un grand élan de compassion. Que l’on utilise au maximum, pour supprimer une plaie particulièrement douloureuse de l’humanité, les merveilleuses conquêtes de la science moderne, mais qu’on songe avec plus de sollicitude encore aux âmes immortelles en quête de la vérité et de la vie qui ne passe pas. Comme les malades de la lèpre dont parle l’Evangile, elles aspirent à rencontrer la personne de Jésus, le seul Sauveur, grâce à la charité des hommes d’aujourd’hui, qui acceptent de proclamer son Nom et de se faire les témoins sincères de sa puissance et de son amour.
En appelant les faveurs du Ciel sur vous-mêmes et sur tous ceux qui consacrent au service des malades de la lèpre le meilleur de leurs forces et de leurs affections, Nous souhaitons à votre effort le succès le plus large, et de tout cœur vous en donnons pour gage Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte français des A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 282.