A l’occasion de la première célébration de la fête de saint Joseph artisan, le Saint-Père a adressé le radiomessage suivant aux délégations d’ouvriers du monde entier, réunis à Milan (A.C.L.I.) [1] :
Le Saint-Père évoque le congrès triomphal de l’année précédente au cours duquel les travailleurs chrétiens avaient demandé une fête religieuse du travail.
Nous conservons dans le cœur le souvenir vivant et agréable de votre imposante réunion romaine de l’an dernier, alors qu’au soir radieux du premier mai, en face de la basilique vaticane, symbole de toute victoire chrétienne durable, vous Nous avez demandé de consacrer solennellement la fête du travail, dont le sens et le but vous furent par Nous-même indiqués [2]. Dans Notre affection paternelle et avec l’autorité du Pasteur suprême, non seulement Nous avons accueilli votre juste désir, mais comme un don puisé aux trésors célestes Nous avons institué la fête liturgique de votre patron, saint Joseph, l’époux virginal de Marie, le travailleur de Nazareth, humble, silencieux et juste, pour qu’il fût à l’avenir votre protecteur dans la vie, votre sauvegarde dans les peines et les épreuves du travail. Il résonne encore à Nos oreilles le « oui » solennel par lequel vous avez publiquement manifesté votre joie pour une si grande grâce, et affirmé en même temps l’engagement de fait qui découle d’une telle consécration pour chaque travailleur chrétien.
A un an de distance, tandis qu’aujourd’hui pour la première foi l’on célèbre cette fête dans l’Eglise universelle, Nous sommes très heureux, pour vous rendre en quelque sorte votre visite à Rome, de Nous transporter en esprit parmi vous et de faire entendre Notre voix à vos vaillantes équipes réunies à Milan, capitale de la Lombardie laborieuse, centre frémissant du travail italien, sûr de Nous trouver là aussi au poste assigné à Notre humble personne par la divine Providence comme Vicaire du Christ et pasteur des âmes.
Notre rencontre d’aujourd’hui se déroule sous les joyeux auspices du regard maternel de la Vierge, dont l’image domine toute la métropole lombarde et dont l’amour est bien haut dans vos cœurs. Cette rencontre est d’abord un rappel de ce qui fut accompli l’an dernier, mais elle veut aussi ouvrir au mouvement bienfaisant des travailleurs chrétiens de nouvelles voies et lui indiquer des espaces encore plus vastes. Parmi vous, en effet, se distinguent, très nombreux et pleins d’enthousiasme, des représentants des associations de travailleurs catholiques non seulement de toutes les parties de l’Italie, mais aussi de beaucoup d’autres nations, venus témoigner, non pas d’une imaginaire unité internationale de la classe ouvrière mais de l’étroite unité des travailleurs catholiques, comme membres de l’Eglise, désireux de ramener au Christ tout le monde du travail, qui Lui appartient, comme tous les autres domaines de la vie sociale.
Il rappelle aux travailleurs chrétiens des A.C.L.I. que la raison d’être de leur association est de faire d’eux des apôtres du Christ parmi leurs frères.
Nous voudrions faire remarquer, à ce propos, qu’il ne s’agit pas tant de créer l’unité des travailleurs catholiques que de la reconnaître et la réaffirmer dans leurs consciences propres et dans celles d’autrui, car elle se trouve déjà au fond même de leur foi à l’unique Christ, rédempteur de tous les hommes, et à l’unique Eglise, mère de tous les fidèles, par-delà toute frontière et tout intérêt particulier. C’est dans cette unité substantielle, solide comme le granit, que les travailleurs chrétiens trouvent aussi le puissant motif ou plutôt le devoir de s’ouvrir à tout le monde qui les entoure, pour étendre partout le règne de Dieu, qui est un règne de justice et d’amour. La raison d’être profonde de votre association, comme de toute autre association catholique, est à chercher non dans la peur d’autres mouvements ou dans le désir de concurrencer les autres, ni même dans le sentiment de solidarité qui unit les membres d’une même classe mais dans le devoir intime et le zèle que vous éprouvez, en tant que catholiques, de vous faire apôtres du Christ parmi vos frères qui en ignorent ou en repoussent le message sauveur.
Unis dans le Christ, centre vital de notre unité, vous voulez être ses apôtres, non seulement parce que vous partagez avec Lui les conditions de vie qui furent jadis les siennes pendant de longues années durant son séjour sur la terre, quand la sueur de l’effort perlait sur son front, mais surtout parce que, comme ses disciples les plus fidèles et les plus résolus, vous vous sentez pris par la flamme divine de son amour pour tous les hommes de la terre. L’amour et la force apostolique du Christ vous poussent à voir en tout travailleur l’homme que Dieu a créé et racheté pour lui rendre ce qui lui revient en vertu de la volonté divine. C’est pourquoi, Nous pouvions dire des activités de vos associations : « L’amour fait battre leur cœur, cet amour même qui faisait battre le cœur du Christ, et il inspire leur sollicitude pour la défense et le respect de la dignité du travailleur moderne et le zèle actif pour le mettre dans des conditions de vie matérielles et sociales en harmonie avec une telle dignité[3]. »
Chers fils et filles, maintenez intact et solide ce fondement religieux chrétien de vos A.C.L.I, dans la certitude qu’aucun développement historique du mouvement ouvrier ne pourra détruire leur raison d’être, ni leur unité, ni leur droit d’expansion, parce que, tant qu’il y aura des travailleurs, ce développement ne pourra pas modifier les rapports entre vous et le Christ, entre vous et vos frères. Quel que puisse être en fait l’avenir du monde du travail, il sera toujours nécessaire qu’un noyau plus ou moins vaste d’apôtres, imprime ou maintienne dans la vie sociale le sceau du règne du Christ, en réalisant ou en soutenant les valeurs qui tiennent souverainement au cœur de tout homme, de tout travailleur mûr et conscient, telles que la justice, la liberté et la paix dans la collaboration positive des classes. C’est en cette communication des biens surnaturels et humains que consistent le droit et le devoir d’expansion des A.C.L.I, expansion que Nous souhaitons rapide et concrète dans Notre chère Italie, parce que tous les travailleurs, même simplement comme hommes, appartiennent à leur Créateur et Rédempteur, au Christ, auquel ils doivent retourner avec une conscience éclairée s’ils en sont éloignés.
Le Saint-Père réfute l’objection de ceux qui prétendent que les A.C.L.I occasionnent une rupture dans le mouvement ouvrier.
Il semble toutefois que certains ne voient pas clairement que les A.C.L.I dérivent, de façon logique et nécessaire, de la substance intime du christianisme, mais manifestent au contraire un certain malaise intime dans l’effort qu’ils font pour justifier et pour ainsi dire excuser l’existence des associations chrétiennes des travailleurs. L’excuser devant qui et de quelle imputation ? L’excuser à cause de ce qu’ils appellent mouvement ouvrier en tant que tel ; l’excuser pour la « rupture » supposée que les A.C.L.I. causeraient dans le mouvement lui- même ! Qui ne voit comment pareils motifs et pareilles craintes manquent de fondement ? N’importe quel mouvement social, le mouvement ouvrier lui aussi par conséquent, suppose comme principe et comme terme l’homme avec son destin surnaturel et l’ensemble de ses droits et de ses devoirs naturels, dont on ne peut faire abstraction, même lorsque le mouvement se propose directement des buts économiques et contingents. Quant à la « rupture » et à la séparation redoutées, la vérité se trouve précisément à l’opposé. Plus soucieuses de donner que de recevoir, les A.C.L.I ouvrent délibérément leurs portes à quiconque éprouve le désir d’établir des ententes toujours plus larges entre ceux qui appartiennent au monde du travail.
Une éloquente démonstration en fut donnée voici tout juste un an, quand les travailleurs chrétiens ont invité tous leurs camarades à participer à la fête du 1er mai, considérée jusque-là comme le monopole d’une catégorie particulière d’ouvriers. Ils en donnent aujourd’hui même une autre preuve éclatante, en accueillant dans cette assemblée milanaise des travailleurs de différentes nations.
C’est pourquoi, de même que la fidélité à leur physionomie propre né doit pas empêcher les A.C.L.I. de travailler à se répandre toujours plus largement en dehors de leur propre sphère, de même devez-vous veiller à ce qu’elles ne risquent pas de disparaître, et d’être comme absorbées par le mouvement ouvrier en tant que tel. Ceux qui se sentiraient troublés et hésitants quant à l’indestructible fondement de votre unité, qu’aucun développement historique ne saurait mettre en cause, ceux-là n’auraient pas qualité pour assurer la direction des A.C.L.I. dans leur mission de devenir pour le monde du travail un ferment dans le sens évangélique du mot.
Du reste l’unité du mouvement ouvrier en tant que tel ne semble pas avoir été favorisée par le cours de l’histoire. La vie sociale des cent et quelques dernières années dans les industries européenne et américaine montre une réalité différente. Là même où se répandait parmi les travailleurs l’idée de l’unité du prolétariat conçue comme celle d’une classe en lutte contre la classe capitaliste, on n’est point parvenu à un mouvement durable d’union entre les travailleurs. Des différences sociales insurmontables, et d’autres encore, parmi les éléments constitutifs du contrat de travail, s’opposaient à l’unité du prolétariat ; et, par ailleurs, on sait bien comment l’idée de l’unité internationale de la classe ouvrière a toujours été mise en faillite par les divergences nationales au moment des conflits armés.
Le Saint-Père exhorte les travailleurs à la confiance dans les A.C.L.I. qui doivent devenir des guides dans le monde du travail.
Courage donc et fermeté, chers fils et filles ! Groupez-vous en rangs serrés autour de vos pacifiques drapeaux auxquels semble déjà sourire, riche de promesses fondées, un avenir splendide. Les A.C.L.I. renferment en elles une force vivante et intérieure qui, quand elle se sera pleinement développée, contribuera efficacement à hâter l’avènement tant souhaité de la vraie paix sociale. Les travailleurs chrétiens mus par les principes éternels, et puisant dans la foi et dans la grâce la force paisible de surmonter les obstacles, ne sont peut-être plus loin du jour où ils pourront exercer la fonction de guide au milieu du monde du travail.
Et pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? La saine doctrine qu’ils professent, les sentiments droits qui les animent sont autant de titres légitimes à devenir les guides du mouvement ouvrier d’aujourd’hui. Si elle est fidèle à cette inspiration, l’union des travailleurs chrétiens formés dans les A.C.L.I. peut être sûre de parvenir aux conquêtes les plus étendues et les plus rapides. Un esprit impartial aura vite fait de constater chez vous l’honnêteté des buts poursuivis, la mesure dans les moyens mis en œuvre, une conception droite de la justice, et par-dessus tout votre indépendance à l’égard des puissances ou des intérêts du dehors. Au contraire, là où on a de bons motifs de suspecter l’honnêteté, la rectitude de tant de prétendus chefs, et tout particulièrement leur capacité à mettre un frein aux passions après les avoir déchaînées, à l’heure où la revendication du droit se change en abus, il est compréhensible qu’on se raidisse dans l’intransigeance ou bien qu’on se plie à d’apparentes concessions qui ne changent rien du tout à la substance des choses. Or, aucun de ces soupçons ne vient entacher la confiance que l’on place en vous, travailleurs chrétiens ; car on sait de quelle source et entre quelles rives coule votre mouvement. Et voici les preuves valables de cette confiance : les approbations vous viennent de toutes parts, à commencer par les pasteurs de vos âmes, et en premier lieu le très digne archevêque de la métropole de Saint-Ambroise, tant d’autres personnalités qui prennent part aujourd’hui à votre assemblée, et ceux-là même parmi les travailleurs qui, sans militer dans vos rangs, ne vous ménagent ni leur sympathie ni leur appui.
Allez donc en pleine sécurité de conscience vers les buts élevés que vous vous êtes fixés ; allez avec un zèle tout particulier vers ceux de vos frères qui sont victimes d’erreurs et de mirages. Et que votre ardeur et votre foi dans le succès soient encouragées par cette pensée que dans la conscience de Notre devoir apostolique, Nous sommes avec vous, rempli d’un amour qui n’est pas vain, inopérant ou stérile, mais d’un amour vif, juste et efficace. C’est d’un tel amour que le Pape vous aime, que l’Eglise vous aime ! Paternellement compréhensif de votre sort et de celui de vos familles, conscient de vos besoins, de vos droits légitimes autant que de vos devoirs, Nous sommes avec vous dans les événements qui agitent le monde. Et, puisque le service que l’Eglise, fidèle à sa constante tradition, rend aujourd’hui aux classes laborieuses va puiser ses critères et ses lois dans la sagesse éternelle de l’Evangile, aucun d’entre vous, chers fils, ne peut mettre en doute les bénéfices religieux, moraux et matériels que son action bienfaisante et infatigable ne manquera pas d’obtenir par les voies de l’ordre et de la paix.
En terminant, le Saint-Père revient sur un problème qui lui tient particulièrement à cœur : la paix. Il redit combien l’Eglise travaille pour la paix et affirme que les groupements de travailleurs chrétiens doivent être parmi les meilleurs artisans de la paix.
L’ordre et la paix ! Tels sont, en effet, les biens suprêmes que Notre effort se propose d’obtenir chaque fois que Nous tournons Nos regards sur les tristesses de cette terre et que Nous tendons la main vers ceux qui peuvent en déterminer le cours. La paix surtout, comme vous le savez bien, chers fils ! L’Eglise — Nous l’avons répété cent fois — déteste la guerre et ses horreurs, aujourd’hui surtout que des moyens guerriers destructeurs de toute valeur et de toute civilisation menacent l’humanité tremblante. Elle veut et elle défend la paix, la paix intérieure entre les fils d’une même patrie, et la paix extérieure entre les membres de la grande famille humaine. Mais elle a besoin de collaborateurs résolus et forts pour une aussi grande entreprise. Parmi ceux-là, qui sont nombreux en toutes les régions du monde, Nous vous reconnaissons, vous, travailleurs chrétiens de tous pays et de toutes langues, vous, chers fils aujourd’hui rassemblés à l’ombre de l’admirable cathédrale milanaise. Par votre fidèle adhésion à la doctrine de l’Evangile et aux directives de la sainte hiérarchie, vous ne collaborez pas seulement, dans le camp du travail, au triomphe du règne de Dieu dans une société qui souvent oublie sa présence, sa volonté et ses droits sacrés ; mais vous vous inscrivez parmi les premières troupes de ces forces saines du corps social engagées dans la pacifique bataille pour le salut commun des peuples. Prenez pleinement conscience de l’honneur que comporte cette double collaboration que les A.C.L.I. réclament de vous, accroissez la puissance de son action par votre exemple et votre labeur, et Dieu ne manquera pas de vous faire goûter les fruits de la justice, de l’ordre et de la paix que vous aurez puissamment contribué à mûrir.
En formulant de tels vœux, Nous invoquons abondante et durable, sur vos personnes, sur vos familles et sur votre travail, la grâce du Seigneur, en vous accordant de tout cœur, à vous tous ici présents, et à tous ceux qui vous sont unis dans l’espérance et dans l’amour, Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 287 ; traduction française de l’Osservatore Romano, du 11 mai 1956.
- Pour célébrer dignement la première fête de saint Joseph artisan les A.C.L.I. (Associations chrétiennes des travailleurs italiens) avaient convié leurs membres et des ? délégations d’ouvriers ? chrétiens du monde entier à une grande manifestation qui se déroula le premier mai à Milan, sur la place du Dôme, sous la présidence de S. Exc. Mgr Montini.[↩]
- Cf. Documents Pontificaux 1955, p. 122.[↩]
- Cf. Discorsi e radiomessaggi, vol. X, p. 334 ; Documents Pontificaux 1948, p. 242.[↩]