Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

24 décembre 1943

Radiomessage de Noël au monde entier

Table des matières

Les radio­mes­sages de Noël, plus encore que ceux de Pâques, sont main­tenant un évé­ne­ment atten­du du monde entier, d’autant plus que le Saint-​Père s’adresse dès l’an der­nier non seule­ment aux chré­tiens mais à tous les hommes.

Noël de guerre

Voici encore, chers fils et chères filles de tout l’univers, que pour la cin­quième fois la grande famille chré­tienne se pré­pare à célé­brer la magni­fique solen­ni­té de la paix et de l’amour qui rachète et rend frères dans une sombre atmo­sphère de mort et de haine. Cette année encore, elle sent et elle éprouve l’amertume et l’horreur d’une oppo­si­tion irré­duc­tible entre le doux mes­sage de Bethléem et l’achar­nement féroce avec lequel l’humanité se déchire.

Les années pré­cé­dentes étaient dou­lou­reuses, elles étaient trou­blées par le sau­vage fra­cas des armes ; mais les cloches de Noël sou­le­vaient les âmes, réveillaient et fai­saient sur­gir de timides espé­rances, susci­taient de chaudes et puis­santes aspi­ra­tions vers la paix.

Malheureusement quand le monde regarde autour de lui, il doit encore contem­pler avec hor­reur une réa­li­té de com­bats et de ruines, qui de jour en jour gagnent en éten­due et en cruau­té ; cette réa­li­té brise toutes ses espé­rances et par une expé­rience froide et bru­tale com­prime et étouffe ses aspi­ra­tions les plus ardentes.

Que voyons-​nous, en effet, sinon que le conflit dégé­nère en une forme de guerre sans égards ni consi­dé­ra­tions d’aucune sorte ? On dirait un monstre apo­ca­lyp­tique né d’une civi­li­sa­tion où le pro­grès tou­jours crois­sant de la tech­nique s’accompagne d’une baisse tou­jours plus pro­fonde de l’esprit et de la morale ; une forme de guerre qui suit, sans s’arrêter, son hor­rible che­min et pro­duit des ravages auprès des­quels pâlissent les pages les plus san­glantes et les plus épouvanta­bles des siècles pas­sés. Tandis qu’ils ont dû assis­ter avec ter­reur à un nou­vel et immense per­fec­tion­ne­ment des moyens et de l’art de détruire, les peuples ont consta­té en même temps chez eux une déca­dence qui, par suite du refroi­dis­se­ment et de la dévia­tion du sens moral, accé­lère sa marche pré­ci­pi­tée vers la sup­pres­sion de tout sen­ti­ment d’humanité et un tel obs­cur­cis­se­ment de la rai­son et de l’esprit à véri­fier la parole de la Sagesse : « Tous étaient liés par la même chaîne de ténèbres » (Sag., xvii, 17).

La lumière de l’astre de Bethléem

Cependant, au milieu de cette nuit téné­breuse, res­plen­dit pour le fidèle la lumière de l’étoile de Bethléem qui lui montre en l’illuminant le che­min vers Celui dont la plé­ni­tude de grâce et de sagesse nous a été com­mu­ni­quée à tous (Jean, i, 16) ; le che­min vers le Rédempteur qui, par sa venue en ce monde, s’y est fait essentielle­ment Prince de paix et notre paix : Ipse enim est pax nos­tra, « car c’est lui qui est notre paix » (Eph., ii, 14).

Seul le Christ peut éloi­gner les funestes esprits d’erreur et de péché qui ont réduit l’humanité sous le joug d’un tyran­nique et humi­liant escla­vage, en l’as­ser­vis­sant aux pen­sées et aux vou­loirs d’une insa­tiable convoi­tise de biens sans limites.

Seul le Christ qui nous a déli­vrés du triste escla­vage du péché peut nous ensei­gner et nous frayer le che­min vers une liber­té digne et dis­ci­pli­née, étayée et sou­te­nue par une véri­table droi­ture et la conscience morale.

Seul le Christ, « sur les épaules de qui a été posé l’empire » (cf. Is., ix, 6), est capable avec sa toute-​puissance secou­rable de rele­ver le genre humain et de l’arracher aux angoisses sans nom qui le tour­mentent au cours de cette vie et de le mettre sur le che­min du bonheur.

Un chré­tien qui se nour­rit et vit de la foi au Christ, assu­ré que lui seul est la voie, la véri­té et la vie, porte sa part des souf­frances et des misères du monde à la crèche du Fils de Dieu et, devant l’Enfant nouveau-​né, trouve une conso­la­tion et un appui incon­nus du monde qui lui donnent force et cou­rage pour résis­ter et se main­te­nir imper­tur­bable, sans se lais­ser abattre ou défaillir au milieu des épreuves les plus angois­santes et les plus pénibles.

I. – Aux déçus

Faillite des mystiques collectives sans Dieu

Il est triste et dou­lou­reux, fils bien-​aimés, de pen­ser qu’une mul­titude d’hommes, tout en éprou­vant, dans leur recherche d’un bon­heur qui les satis­fasse en cette vie, l’amertume d’illusions trom­peuses et de dou­lou­reuses décep­tions, se sont fer­mé l’accès de toute espé­rance. Vivant, comme ils le font, éloi­gnés de la foi chré­tienne, ils ne savent pas retrou­ver le che­min de la crèche et de cette conso­la­tion qui fait sur­abon­der de joie les héros de la foi au milieu de toutes les tribu­lations. Ils voient effon­dré l’édifice des croyances dans les­quelles humai­ne­ment ils avaient mis leur confiance et leur idéal ; mais ils ne sont pas par­ve­nus à trou­ver cette foi unique et véri­table qui aurait réus­si à les récon­for­ter et à rani­mer leur cou­rage. Par ‑suite de cette insta­bi­li­té intel­lec­tuelle et morale, ils sont en proie à une incer­ti­tude d’esprit qui les déprime et ils vivent dans un état d’iner­tie qui opprime leur âme et que seul est en état ‑de com­prendre inti­me­ment avec une com­pas­sion fra­ter­nelle celui qui, pas­sant par­dessus le tour­billon de toutes les contin­gences tem­po­relles pour se fixer dans l’éternel, a la joie de vivre dans la vivante et fami­lière atmo­sphère d’une foi surnaturelle.

a) Ceux qui avaient mis leur confiance dans l’expansion mondiale de la vie économique.

Dans les rangs de ces aigris et de ces déçus, il n’est pas dif­fi­cile de signa­ler ceux qui avaient mis toute leur confiance dans l’expansion mon­diale de la vie éco­no­mique. Seule, pensaient-​ils, elle était capable de réunir les peuples dans une mutuelle fra­ter­ni­té. De son organi­sation gran­diose, tou­jours plus per­fec­tion­née et affi­née, ils se pro­mettaient, pour le bien-​être de la socié­té humaine, des pro­grès inouïs et insoupçonnés.

Avec quelle com­plai­sance et quel orgueil ils contem­plaient l’ac­croissement mon­dial du com­merce, l’échange entre les conti­nents de tous les biens et de toutes les inven­tions et pro­duc­tions, la marche triom­phale de la dif­fu­sion de la tech­nique moderne qui ne connaît plus les limites du temps et ‑de l’espace ! Aujourd’hui, par contre, que leur fait consta­ter la réa­li­té ? Ils voient désor­mais que cette éco­no­mie avec ses rela­tions gigan­tesques et ses connexions mon­diales, par la divi­sion et la mul­ti­pli­ca­tion exces­sives du tra­vail, contri­buait de mille manières à géné­ra­li­ser et aggra­ver les crises de l’humanité, tan­dis que, dépour­vue de tout frein moral et pri­vée de tout regard vers le supra­ter­restre propre à l’éclairer, elle ne pou­vait man­quer d’aboutir à une exploi­ta­tion indigne et humi­liante de la per­sonne humaine et de la nature, à une triste et effroyable indi­gence chez les uns et à une opu­lence orgueilleuse et pro­vo­cante chez les autres, à une oppo­si­tion dou­lou­reuse et impla­cable entre les pri­vi­lé­giés et les indi­gents : mau­dits effets qui n’ont pas été à la der­nière place dans la longue chaîne de causes qui ont conduit à l’immense tra­gé­die actuelle.

Qu’ils ne craignent pas, ces déçus de la science et de la puis­sance éco­no­mique, de se pré­sen­ter à la crèche du Fils de Dieu. Que leur dira l’Enfant qui y est né et qui y reçoit l’adoration de Marie et de Joseph, des ber­gers et des anges ? Sans doute, à la crèche de Bethléem, la pau­vre­té est un état qu’il a choi­si uni­que­ment pour lui ; elle n’implique donc par elle-​même aucune condam­na­tion ou aucun refus de la vie éco­no­mique en ce qui est néces­saire au pro­grès et au per­fec­tion­ne­ment phy­sique et natu­rel de l’homme. Mais cette pau­vreté du Seigneur et Créateur du monde, qu’il a libre­ment vou­lue et qui l’accompagnera encore à l’atelier de Nazareth et tout au long de sa vie publique, signi­fie et mani­feste à quel point il était maître des choses maté­rielles et au-​dessus d’elles. Il mon­trait par là avec une puis­sante effi­ca­ci­té que les biens de la terre sont natu­rel­le­ment et essen­tiel­le­ment ordon­nés à la vie de l’esprit et à une per­fec­tion plus haute de la vie intel­lec­tuelle, morale et reli­gieuse, néces­saire à l’homme rai­son­nable. Ceux qui atten­daient le salut de la socié­té du méca­nisme du mar­ché éco­no­mique mon­dial res­tent ain­si déçus, parce qu’ils étaient deve­nus non pas les sei­gneurs et les maîtres, mais les esclaves des richesses maté­rielles aux­quelles ils s’étaient asser­vis en les cou­pant de tout lien avec la fin supé­rieure de l’homme pour en faire leur fin à elles-mêmes.

b) Ceux qui mettaient le bonheur dans la science sans Dieu.

La même façon de pen­ser et agir se retrou­vait chez d’autres encore que le pas­sé a éga­le­ment déçus et qui pla­çaient le bon­heur et le bien-​être uni­que­ment en un monde de science et de culture qui se refu­sait à recon­naître le Créateur de l’univers. Ces pion­niers et ces dis­ciples non pas de la vraie science, qui est un admi­rable reflet de la lumière divine, mais d’une science orgueilleuse, qui ne laisse aucune place à l’action d’un Dieu per­son­nel, indé­pen­dant de toute limite et supé­rieur à tout ce qui est ter­restre se van­taient de pou­voir expli­quer tout ce qui arrive dans le monde par le seul déter­mi­nisme rigide et par l’enchaînement de fer des lois naturelles.

Mais une telle science ne peut don­ner ni le bon­heur ni le bien-​être. Le renie­ment du Verbe divin, par lequel tout a été fait, a conduit l’homme à l’apostasie de l’esprit et, par là, elle lui a ren­du dif­fi­cile la pour­suite d’un idéal et d’un but hau­te­ment intel­lec­tuels et moraux. La science, ayant ain­si renié la vie spi­ri­tuelle, qui se flat­tait d’avoir acquis, en reniant Dieu, une liber­té et une auto­no­mie com­plètes, se voit aujourd’hui punie par un escla­vage tel qu’il n’en fut jamais de plus humi­liant : elle est deve­nue l’esclave et comme l’exécutrice auto­ma­tique de direc­tives et d’ordres qui ne tiennent aucun compte des droits de la véri­té et de la per­sonne humaine. Ce que cette science avait tenu pour liber­té pour elle fut une chaîne d’humiliation et d’avilissement. Découronnée comme elle l’est, elle ne recou­vre­ra sa digni­té pre­mière qu’à la condi­tion de reve­nir au Verbe éter­nel, source de sagesse si fol­le­ment aban­don­née et oubliée.

C’est pré­ci­sé­ment à ce retour qu’invite le Fils de Dieu, qui est voie, véri­té et vie ; voie de bon­heur, véri­té qui élève, vie qui rend l’homme immor­tel. Tous ces déçus, il les invite comme en un muet et péné­trant lan­gage de sa venue en ce monde, car, loin de déce­voir l’âme humaine, il lui com­mu­nique l’élan qui la porte à sa rencontre.

II. – Aux désolés sans espérance

Faillite des existences sans Dieu

A côté de ceux qui vivent pro­fon­dé­ment décon­cer­tés par la faillite des direc­tives sociales et intel­lec­tuelles dont s’inspiraient lar­ge­ment hommes poli­tiques et savants se tient la foule non moins consi­dé­rable de ceux qu’a jetés dans le malaise et dans la peine l’écroulement de l’idéal propre et per­son­nel de leur vie.

a) Ceux dont le but de la vie était le travail.

Ils sont nom­breux ceux dont la vie avait pour but le tra­vail dont les fatigues ten­daient à leur assu­rer une exis­tence maté­rielle com­mode, mais qui, dans leur lutte pour la pour­suite de cette fin, avaient tenu à l’é­cart les consi­dé­ra­tions reli­gieuses et négli­gé de don­ner à leur exis­tence une orien­ta­tion saine et morale. La guerre les a arra­chés à cette acti­vi­té à laquelle ils étaient habi­tués, qu’ils aimaient et où ils trou­vaient la digni­té et le sou­tien de leur vie. Eloignés ain­si de leur pro­fes­sion et de leur métier, ils éprouvent en eux-​mêmes un vide qui leur fait peur. Que si quelques-​uns peuvent encore se livrer à leurs occu­pa­tions, la guerre a impo­sé des condi­tions de tra­vail et de vie qui en ont fait dis­pa­raître tout carac­tère per­sonnel, qui sup­priment et rendent impos­sible une vie de famille régu­lière, qui ne per­mettent plus, enfin, de goû­ter ce conten­te­ment de l’âme que four­nit seule­ment le tra­vail tel qu’il a été vou­lu et enno­bli par Dieu.

Ô tra­vailleurs, approchez-​vous de la crèche de Jésus ! N’ayez pas peur de cette grotte où s’abrite le Fils de Dieu. Ce n’est point par hasard, mars par suite d’un très haut et inef­fable des­sein que vous y trou­ve­rez uni­que­ment des tra­vailleurs : Marie, la Vierge Mère, mère de famille tra­vailleuse ; Joseph, père de famille tra­vailleur ; les ber­gers, gar­diens de trou­peaux ; les sages, enfin, venus de l’Orient ; tra­vailleurs des mains, des veilles et de la pen­sée, ils s’inclinent pour ado­rer le Fils de Dieu qui, par son silence volon­taire et gra­cieux mais plus élo­quent que la parole, leur explique à tous le sens et la valeur du tra­vail. Il n’est pas seule­ment fatigue des mem­bres dépour­vue de sens et de valeur et pas davan­tage une humi­liante ser­vi­tude. Le tra­vail est ser­vice de Dieu, don de Dieu, vigueur et plé­ni­tude de vie pour l’homme, méri­toire du repos éter­nel. Levez et dres­sez haut la tête, tra­vailleurs. Regardez le Fils de Dieu qui, avec son Père éter­nel, créa et orga­ni­sa l’univers. Devenu homme et sem­blable à nous, le péché excep­té, il croit en âge et entre dans la grande com­mu­nau­té du tra­vail ; puis il use et consume sa vie ter­restre à rem­plir sa mis­sion de salut. Rédempteur du genre humain, c’est lui qui, péné­trant de sa grâce notre être et notre acti­vi­té, élève et enno­blit le tra­vail hon­nête, quel qu’il soit, celui d’en haut et celui d’en bas, grand ou petit, agréable ou pénible, maté­riel ou intel­lec­tuel, lui confé­rant aux yeux de Dieu une valeur de mérite sur­na­tu­rel et fai­sant ain­si de l’accomplissement des mul­tiples ouvrages de l’homme une même glo­ri­fi­ca­tion constante du Père qui est aux cieux.

b) Ceux qui avaient mis leur espérance dans la jouissance de la vie terrestre.

Malheureux éga­le­ment ceux qui voient s’évanouir l’espoir d’un bon­heur qu’ils avaient rêvé en le met­tant uni­que­ment dans la jouis­sance d’une vie pas­sa­gère et ter­restre. Ils le pla­çaient exclu­si­ve­ment dans la plé­ni­tude des éner­gies du corps, dans la beau­té des formes et de la per­sonne, dans l’opulence et la sur­abon­dance des com­mo­di­tés de la vie ou dans la pos­ses­sion de la force et du pouvoir.

Or, voi­ci qu’aujourd’hui, dans le tour­billon de la guerre, toute cette jeu­nesse qui avait gran­di et s’était entraî­née sur les ter­rains de sport, voit sa vigueur s’éteindre et sa beau­té se flé­trir dans les hôpi­taux mili­taires ; beau­coup de jeunes errent et se traînent, muti­lés ou infirmes phy­si­que­ment et mora­le­ment, sur les grands che­mins d’une patrie déso­lée, qu’en beau­coup de villes de ses régions les plus for­tu­nées les bom­bar­de­ments aériens et les opé­ra­tions mili­taires ont réduite à un mon­ceau de ruines.

Si une par­tie de la jeu­nesse mas­cu­line n’a plus la force pour pei­ner et pour tra­vailler, les futures mères de la géné­ra­tion pro­chaine, contraintes comme elles le sont de se livrer à un tra­vail exces­sif au-​delà de toute limite de temps, perdent peu à peu la pos­si­bi­li­té de four­nir à un peuple exsangue cet accrois­se­ment de san­té cor­po­relle et spi­ri­tuelle qui favo­rise la venue à la vie et l’éducation des enfants, faute des­quels l’avenir de la patrie est mena­cé d’un triste déclin.

La pénible irré­gu­la­ri­té du tra­vail et de la vie dans l’absence de Dieu et de sa grâce, avec les attraits et les séduc­tions des mau­vais exemples, insi­nue et pré­pare un per­ni­cieux relâ­che­ment des rela­tions conju­gales et fami­liales, et c’est ain­si que le venin de la luxure s’essaye aujourd’hui, plus que jadis, à empoi­son­ner la source sacrée de la vie. Les faits et périls dou­lou­reux montrent à l’évidence que si, en beau­coup de pays, le des­sein de rendre leur vigueur à la famille et au peuple était tenu pour un des plus nobles à pour­suivre, il se pro­duit et se pro­page, en sens inverse, avec une épou­van­table rapi­di­té, un dépé­ris­se­ment phy­sique et une per­ver­sion spi­ri­tuelle que seul réus­si­ra len­te­ment à faire dis­pa­raître, au moins en par­tie, un tra­vail d’assainissement et d’éducation à conti­nuer durant plu­sieurs géné­rations. Si le conflit de la guerre a cau­sé chez un si grand nombre de telles ruines cor­po­relles et spi­ri­tuelles, il n’a pas épar­gné ceux qui étaient avides d’opulence et ne son­geaient qu’à jouir de la vie, qui res­tent main­te­nant muets et per­plexes en pré­sence des des­truc­tions qui se sont abat­tues jusque sur leurs biens à la manière d’un oura­gan dévas­ta­teur : richesses et foyers anéan­tis par le fer et par le feu, vie de bien-​être et de plai­sir dis­pa­rue, pré­sent tra­gique, ave­nir avec peu d’espoirs et beau­coup de craintes.

Plus triste est la vision qui trouble et qui épou­vante ceux qui aspi­rèrent à pos­sé­der la force et à domi­ner : actuel­le­ment, ils contemplent avec ter­reur l’océan de sang et de larmes qui baigne le monde, les tombes et les fosses pleines de cadavres qui jonchent si nom­breuses toutes les par­ties de la terre et les îles de la mer ; la lente extinc­tion de la civi­li­sa­tion, la dis­pa­ri­tion crois­sante du bien-​être même maté­riel, la des­truc­tion de monu­ments insignes et des plus nobles chefs‑d’œuvre de l’art, qu’on pou­vait appe­ler le patri­moine com­mun du monde civi­li­sé, des haines de plus en plus aiguës et pro­fondes qui excitent les peuples les uns contre les autres et ne laissent rien espé­rer de bon pour l’avenir.

III. – Aux fidèles

a) Le réconfort de la foi dans les calamités actuelles.

Venez, main­te­nant, vous, chré­tiens, vous, fidèles, liés par un lien sur­na­tu­rel inef­fable au Fils de Dieu qui s’est fait petit enfant pour vous, gui­dés et sanc­ti­fiés par son Evangile, nour­ris par la grâce, fruits de la Passion et de la mort du Rédempteur. Vous aus­si vous res­sen­tez la dou­leur, mais avec l’espoir d’un récon­fort qui pro­vient de votre foi.

Les misères pré­sentes sont aus­si les vôtres ; la guerre des­truc­trice vous visite et tour­mente, vous aus­si, vos corps et vos âmes, vos avoirs et vos biens, votre mai­son et votre foyer. La mort vous a bri­sé le cœur et infli­gé des bles­sures lentes à se cica­tri­ser. La pen­sée de chères tombes loin­taines res­tées peut-​être incon­nues, l’anxiété pour les morts ou les dis­pa­rus, le désir impa­tient d’embrasser de nou­veau vos bien-​aimés pri­son­niers ou dépor­tés vous mettent dans une peine qui accable votre esprit, tan­dis que la pen­sée d’un ave­nir pesant et obs­cur vous opprime tous, parents et enfants, jeunes et vieux.

Chaque jour, et plus que jamais à l’heure pré­sente, Notre cœur de Père se sent avec une affec­tion pro­fonde et immuable tout près de cha­cun de vous, chers fils et chères filles, affli­gés et angois­sés. Mais tous Nos efforts ne peuvent faire ces­ser tout à coup cette hor­rible guerre, ni redon­ner la vie à vos chers morts, ni recons­truire votre foyer détruit, ni vous déli­vrer entiè­re­ment de votre anxié­té. Il est encore bien moins en Notre pou­voir de vous dévoi­ler l’avenir, dont les clés sont entre les mains de Dieu, qui dirige le cours des évé­ne­ments et en a fixé l’aboutissement pacifique.

Il y a pour­tant deux choses que Nous pou­vons et que Nous vou­lons accom­plir. La pre­mière est que Nous avons fait et que Nous ferons tou­jours tout ce qui est en Notre pou­voir, maté­riel et spi­ri­tuel, pour allé­ger les tristes consé­quences de la guerre, pour les pri­son­niers, pour les bles­sés, les dis­pa­rus, les éva­cués, pour les hommes de toute langue et de toute natio­na­li­té qui sont dans la souf­france et la tribulation.

La seconde est que, dans ce dérou­le­ment du triste temps de la guerre, Nous vou­lons que vous vous sou­ve­niez avant tout du grand récon­fort que nous ins­pire la foi, quand elle nous enseigne que la mort et les souf­frances de cette vie ter­restre perdent leur ‑dou­lou­reuse amer­tume pour ceux qui peuvent, avec une conscience tran­quille et sereine, s’appliquer l’émouvante prière de l’Eglise dans la messe des défunts. « Pour tes fidèles, ô Seigneur, la vie est chan­gée ; elle n’est pas enle­vée ; et quand la demeure de cette habi­ta­tion ter­restre est détruite, une habi­ta­tion éter­nelle est pré­pa­rée dans le ciel. » [1]. Tandis que les autres qui n’ont pas d’espérance se trouvent devant un abîme effrayant et que leurs mains, tâton­nant à la recherche d’un point d’appui, palpent le néant, non de leur âme immor­telle, mais d’un bon­heur de l’au-delà éva­noui, vous, au contraire, par la grâce et la libé­ra­li­té d’un Dieu misé­ri­cor­dieux, après la mort cer­taine, cer­ta morien­di condi­tio, vous avez, inef­fable et divine conso­la­tion, la pro­messe de l’immortalité future, futuræ immor­ta­li­ta­tis promissio.

Par cette foi vous par­ve­nez à une séré­ni­té intime, à une force morale confiante, qui ne suc­combent pas, même dans les plus cruelles souf­frances. Grâce sublime que celle-​là, et ines­ti­mable pri­vi­lège, que vous devez attri­buer à la bon­té du Sauveur ; grâce et pri­vi­lège qui exigent que vous y répon­diez par une action de constance exem­plaire et qui requiert un apos­to­lat de chaque jour, ten­dant à rendre la confiance à qui l’a per­due et à mettre sur la voie du salut éter­nel ceux qui, comme des nau­fra­gés dans l’océan des mal­heurs pré­sents, sont sur le point d’être sub­mer­gés et de périr.

b) Devoirs des chrétiens à l’heure présente.

La route sui­vie par l’humanité dans la confu­sion actuelle des idées a été une route sans Dieu, et même contre Dieu ; sans le Christ et même contre le Christ. En disant cela, Nous n’avons pas la volon­té ni la pen­sée d’offenser les éga­rés ; ils sont et demeurent nos frères.

Il convient pour­tant que la chré­tien­té consi­dère aus­si cette part de res­pon­sa­bi­li­té qui lui incombe dans les épreuves d’aujourd’hui. Beaucoup de chré­tiens n’ont-ils pas fait, peut-​être, eux aus­si, des conces­sions à ces fausses idées et à ces manières de vivre, si sou­vent désap­prou­vées par le magis­tère de l’Eglise ?

Toute tié­deur et toute tran­sac­tion incon­si­dé­rée avec le res­pect humain dans la pro­fes­sion de la foi et de ses maximes ; toute pusilla­nimité et tout flot­te­ment entre le bien et le mai dans la pra­tique de la vie chré­tienne, dans l’éducation des enfants et dans le gouverne­ment de la famille ; tout péché secret ou public ; tout cela, et tout ce que l’on pour­rait y ajou­ter, a été et est une contri­bu­tion déplo­rable au mal­heur qui bou­le­verse aujourd’hui le monde. Et qui donc aurait le droit de se croire sans aucune faute ? L’examen de votre conscience et de vos œuvres, l’humble recon­nais­sance de votre res­pon­sa­bi­li­té morale, vous feront décou­vrir et sen­tir au plus pro­fond de votre âme quels saints devoirs sont pour vous la prière et l’action en vue d’apaiser et d’implorer la misé­ri­corde de Dieu, en vue de contri­buer au salut de vos frères ; vous ren­drez ain­si à Dieu cet hon­neur qui lui fut refu­sé durant tant de dizaines d’années, vous conquer­rez et vous obtien­drez pour les hommes cette paix inté­rieure qui ne se peut retrou­ver qu’en se rap­pro­chant de la lumière spi­ri­tuelle de la grotte de Bethléem.

c) A l’œuvre, fils bien-aimés !

A l’œuvre donc et au tra­vail, fils bien-​aimés ! Serrez vos rangs. Que votre cou­rage ne défaille pas ; ne res­tez pas inertes au milieu des ruines. Sortez-​en pour recons­truire un nou­veau monde social au Christ.

Elle brille sur vous l’étoile qui gui­da les mages dans leur che­min vers Jésus. L’esprit qui émane de lui n’a rien per­du de sa force et de sa puis­sance de gué­ri­son pour l’humanité tom­bée. Il triom­pha jadis du paga­nisme régnant. Pourquoi ne devrait-​il pas triom­pher, aujour­d’hui encore, quand des peines et des décep­tions de toutes sortes montrent à tant ‑d’âmes la vani­té et les erre­ments des sen­tiers sui­vis jusqu’à pré­sent dans la vie publique et pri­vée ? Un grand nombre d’intelligences sont à la recherche de nou­veaux idéaux poli­tiques et sociaux, pri­vés et publics, pour l’instruction et l’éducation, et elles éprouvent l’angoisse intime de satis­faire le besoin de leur cœur. Que l’exemple de votre vie chré­tienne soit leur guide ; que votre parole enflam­mée les secoue. Tandis que passe la figure de ce monde, montrez-​leur com­ment la vraie vie est « qu’ils vous connaissent, vous, le seul vrai Dieu, et Celui que vous avez envoyé, Jésus-​Christ » (Jean, xvii, 3).

Appel à la charité

Que vos paroles fassent renaître par­mi vos frères la connais­sance du Père des cieux qui, même dans les temps de ter­rible misère, gou­verne le monde avec une bon­té sage et pré­voyante ; qu’ils expéri­mentent le tran­quille bon­heur qui pro­vient d’une vie brû­lant de l’amour de Dieu. Mais l’amour de Dieu rend le cœur déli­ca­te­ment sen­sible aus­si aux besoins des frères, prompt à les aider spirituelle­ment et maté­riel­le­ment, prêt à renon­cer à tout, pour que refleu­risse dans tous les cœurs l’amour ardent et actif.

Ô force de la cha­ri­té du Christ ! Nous la sen­tons vibrer dans la ten­dresse de Notre cœur de Père qui, éga­le­ment ouvert et ten­du vers tous, Nous fait prê­cher par le cri de Notre parole l’œuvre de misé­ri­corde et d’amour secourable.

Combien de fois Nous avons dû répé­ter, l’âme meur­trie, l’excla­mation du divin Maître : Misereor super tur­bam, « j’ai pitié de cette foule », et com­bien de fois ajou­ter, Nous aus­si : Non habent quod man­ducent, « ils n’ont pas de quoi man­ger » (Marc, viii, 2), spécia­lement quand Nous jetons les yeux sur de nom­breuses régions dévas­tées et déso­lées par la guerre ! Et ce ne fut jamais, à aucun moment, sans res­sen­tir dure­ment le contraste entre l’exiguïté de Nos res­sources, impuis­santes à por­ter secours, et l’extension gigan­tesque des besoins d’une mul­ti­tude qui Nous fait par­ve­nir sa voix sup­pliante et son dou­lou­reux gémis­se­ment, d’abord des régions loin­taines, et main­te­nant, tou­jours davan­tage, même des plus proches.

En face d’une telle détresse, chaque jour crois­sante, Nous adres­sons au monde chré­tien un cri insis­tant d’appel pater­nel au secours et à la pitié : Ecce sto ad ostium et pul­so, « voi­ci que je me tiens à la porte et je frappe » (Apoc., iii, 20).

Et Nous n’hésitons pas à Nous adres­ser, avec cette confiance que Dieu Nous ins­pire, au sen­ti­ment humain et chré­tien de ces peuples et de ces nations à qui la Providence a épar­gné jusqu’ici la souf­france directe des hor­reurs de la guerre, ou qui, tout en étant en guerre, vivent encore dans des condi­tions qui leur per­mettent de don­ner géné­reu­se­ment libre cours à leurs sen­ti­ments de misé­ri­corde et de por­ter aide et sou­tien à ceux qui, dans les dures pri­va­tions du conflit et sans secours exté­rieur, manquent déjà aujourd’hui du néces­saire et en man­que­ront encore davan­tage à l’avenir.

A vous adres­ser cet appel, Nous sommes pous­sé et sou­te­nu par l’espoir qu’il trou­ve­ra un écho au fond du coeur des fidèles et de qui­conque a au cœur un vif sen­ti­ment d’humanité ; car, par­mi les heurts engen­drés et exas­pé­rés par le conflit mon­dial, un cou­rant conso­lant de pen­sées et de pro­jets appa­raît dans une lumière tou­jours plus claire ; Nous vou­lons dire le réveil d’une res­pon­sa­bi­li­té soli­daire en face des pro­blèmes posés par l’appauvrissement géné­ral cau­sé par la guerre. Les des­truc­tions et les dévas­ta­tions, qui en sont les suites, exigent impé­rieu­se­ment pour toute l’étendue des dom­mages sur­ve­nus une œuvre de recons­truc­tion et de secours. Les erreurs d’un pas­sé qui n’est guère loin­tain se trans­forment pour les esprits indé­pen­dants et éclai­rés en aver­tis­se­ments aux­quels, tant par rai­son de pru­dence que par sen­ti­ment d’humanité, il n’est pas possi­ble qu’ils res­tent sourds. Ils consi­dèrent l’assainissement spi­ri­tuel et le relè­ve­ment maté­riel des peuples et des Etats comme un tout orga­nique où rien ne serait plus désas­treux que de lais­ser s’installer des foyers d’infection, dont pour­raient naître demain de nou­velles ruines. Ils ont conscience que dans une nou­velle orga­ni­sa­tion de la paix, du droit et de l’activité, il ne fau­drait pas, en trai­tant cer­tains peuples d’une manière non conforme à la jus­tice, à l’équité et à la sagesse, lais­ser sur­gir des périls et sub­sis­ter dans la struc­ture de l’organisation tout entière des lacunes qui en com­pro­met­traient la consis­tance et la stabilité.

Attente de la paix.

Strictement fidèle comme Nous vou­lons l’être au devoir d’impar­tialité de Notre minis­tère pas­to­ral, Nous expri­mons le désir que Nos fils bien-​aimés n’omettent rien pour faire triom­pher les prin­cipes de jus­tice éclai­rée et équi­table et de fra­ter­ni­té dans des ques­tions si fon­da­men­tales pour le salut des Etats. C’est, en effet, le propre des esprits sages et des vrais amis de l’humanité de com­prendre qu’une paix conforme à la digni­té de l’homme et à la conscience chré­tienne ne peut jamais être dure­ment impo­sée par l’épée, mais elle doit être le fruit d’une jus­tice pré­voyante et d’une équi­té envers tous ceux dont ils portent la responsabilité.

Mais si, dans l’attente d’une telle paix qui tran­quillise le monde, vous, chers fils et chères filles, conti­nuez à souf­frir amè­re­ment dans votre âme et dans votre corps sous les coups des pri­va­tions et de l’injustice, vous ne devez pour­tant pas ter­nir demain cette paix et rendre injus­tice pour injus­tice ou com­mettre peut-​être une injus­tice plus grande encore.

En cette veille de Noël, que votre cœur et votre esprit se tournent vers l’Enfant divin de la crèche. Voyez et médi­tez com­ment en cette grotte aban­don­née, expo­sée au froid et aux vents, il prend sa part de votre pau­vre­té et de votre misère, lui. Maître du ciel et de la terre, et de toutes les richesses pour les­quelles les hommes se dispu­tent. Tout est à lui : et pour­tant, que de fois, en ces temps-​ci, il a dû, lui aus­si, aban­don­ner églises et cha­pelles détruites, incen­diées, écrou­lées ou mena­çant de s’effondrer ! Peut-​être là où la dévo­tion de vos ancêtres lui avait dédié de magni­fiques temples aux arcs élan­cés et aux voûtes éle­vées, vous ne pou­vez lui offrir, au milieu des ruines, qu’une misé­rable demeure dans une cha­pelle de refuge ou dans des mai­sons par­ti­cu­lières. Nous vous féli­ci­tons et Nous vous remer­cions, prêtres et laïques, hommes et femmes, qui sou­vent, au mépris de tout dan­ger pour votre vie, avez abri­té et mis en lieu sûr le Seigneur et Sauveur eucha­ris­tique. Votre zèle ne vou­lait pas que se véri­fiât une fois de plus ce qui fut dit du Christ ; « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean, i, 11). Ainsi, le Seigneur n’a pas refu­sé de venir au milieu de votre pau­vre­té : lui qui, autre­fois, pré­fé­ra Bethléem à Jérusalem, la grotte et la crèche au temple gran­diose de son Père. Pauvreté et misère sont amères, mais elles devien­nent douces si on conserve en soi Dieu, le Fils de Dieu, Jésus-​Christ, sa grâce et sa véri­té. Il reste avec vous tant que vivent dans votre cœur votre foi, votre espé­rance, votre amour, votre obéis­sance et votre piété.

Avec vous, chers fils et chères filles, Nous dépo­sons Nos prières aux pieds de l’Enfant Jésus et Nous implo­rons de lui que ce soit le der­nier Noël de guerre, que l’humanité puisse célé­brer l’an pro­chain le retour de cette fête solen­nelle, toute res­plen­dis­sante de la lumière et de la joie d’une paix vrai­ment chrétienne.

Principes pour un programme de paix

Et main­te­nant, vous tous qui por­tez la res­pon­sa­bi­li­té, vous tous qui, par dis­po­si­tion ou per­mis­sion de Dieu, tenez entre vos mains le sort de votre propre peuple et celui des autres : écou­tez l’appel sup­pliant, eru­di­mi­ni, « instruisez-​vous » (Ps., ii, 10), qui, de l’abîme san­glant et semé de ruines de cette mons­trueuse guerre, reten­tit à vos oreilles : fré­mis­se­ment et aver­tis­se­ment pour tous, coup de trom­pette du juge­ment futur qui annonce la condam­na­tion et le châ­ti­ment pour ceux qui seraient sourds à la voix de l’humanité, qui est aus­si la voix de Dieu.

Vos buts de guerre dans la conscience de votre force peuvent bien aus­si embras­ser des pays et des conti­nents entiers. La ques­tion de la res­pon­sa­bi­li­té de la pré­sente guerre et la récla­ma­tion de répa­rations peuvent certes vous pous­ser à éle­ver la voix. Aujourd’hui pour­tant, les ravages que le conflit mon­dial a pro­duits dans tous les domaines de la vie, maté­riels et spi­ri­tuels, ont atteint déjà une gra­vi­té et une exten­sion incom­pa­rables, et il est à redou­ter qu’avec la conti­nua­tion de la guerre ils croissent en hor­reurs sans nom pour les deux par­ties bel­li­gé­rantes et pour tous ceux qui y ont été entraî­nés, même mal­gré eux, ce péril appa­raît si sombre et si mena­çant à Notre regard, que pour le bien et pour l’existence même de tous et de cha­cun des peuples, Nous vous adres­sons cette ins­tante supplication :

Elevez-​vous au-​dessus de vous-​mêmes, au-​dessus de toute étroi­tesse de juge­ment et de cal­cul, au-​dessus de tout avan­tage de supé­rio­ri­té mili­taire, au-​dessus de toute affir­ma­tion uni­la­té­rale de droit et de jus­tice. Reconnaissez aus­si les véri­tés désa­gréables et for­mez vos peu­ples à les regar­der en face avec séré­ni­té et force.

La vraie paix n’est pas le résul­tat, pour ain­si dire, mathéma­tique, d’une pro­por­tion de forces, mais, dans sa der­nière et plus pro­fonde signi­fi­ca­tion, une action morale et juridique.

Elle ne se réa­lise pas en fait sans un déploie­ment de force, et sa sta­bi­li­té même a besoin de s’appuyer sur une mesure nor­male de puis­sance. Mais la fonc­tion propre de cette force, si elle veut être mora­le­ment irré­pro­chable, doit ser­vir à pro­té­ger et à défendre, non à res­treindre ou à oppri­mer le droit.

Une heure comme la pré­sente – sus­cep­tible de pro­grès puis­sants et bien­fai­sants aus­si bien que de man­que­ments et d’erreurs funestes – ne s’est jamais peut-​être ren­con­trée dans l’histoire de l’humanité.

Et cette heure demande d’une voix impé­rieuse que les buts de guerre et les pro­grammes de paix soient ‑dic­tés par le sens moral le plus éle­vé. Ils ne doivent tendre, comme but suprême, qu’à une œuvre d’entente et de concorde entre les peuples bel­li­gé­rants, à une œuvre qui laisse à chaque nation, consciente de son union néces­saire avec la famille entière des Etats, la pos­si­bi­li­té de s’associer ‑digne­ment, sans se renier ni se détruire elle-​même, à la grande entre­prise mon­diale à venir d’assainissement et de recons­truc­tion. Naturellement, la conclu­sion d’une telle paix ne signi­fie­rait nul­le­ment l’aban­don des garan­ties et des sanc­tions néces­saires contre tout atten­tat de la force contre le droit.

Ne pré­ten­dez pas exi­ger d’aucun membre de la famille des peuples, fût-​il petit ou faible, des renon­cia­tions à des droits substan­tiels et à des néces­si­tés vitales, que vous-​mêmes, s’il s’agissait de les appli­quer à votre propre peuple, juge­riez impossibles.

Donnez vite à l’humanité anxieuse une paix qui réha­bi­lite le genre humain devant lui-​même et devant l’histoire. Une paix dont le ber­ceau ne voie pas briller au-​dessus de lui les éclairs ven­geurs de la haine ni sévir les ins­tincts d’une impla­cable volon­té de repré­sailles, mais res­plen­dir l’aurore d’un esprit nou­veau de com­munauté uni­ver­selle, issu de l’universelle dou­leur. Un esprit de com­mu­nau­té qui, sou­te­nu par les forces divines indis­pen­sables de la foi chré­tienne, sera seul en mesure de pré­ser­ver l’humanité, après cette guerre déplo­rable, de l’indicible fléau d’une paix édi­fiée sur des prin­cipes erro­nés et, par consé­quent, éphé­mère et trompeuse.

Animé de cette espé­rance, avec toute Notre affec­tion pater­nelle, à vous, chers fils et chères filles, à ceux sur­tout qui souffrent d’une manière par­ti­cu­liè­re­ment dou­lou­reuse des pri­va­tions et des peines de la guerre et qui ont besoin des récon­forts divins, et tout particu­lièrement à tous ceux qui, répon­dant à Notre appel, ouvrent leur cœur à l’amour actif et misé­ri­cor­dieux, ou qui, dans la conduite du des­tin des peuples, sont dési­reux de les tran­quilli­ser en leur présen­tant l’olivier de la paix, Nous accor­dons, comme gage des abon­dantes faveurs du ciel. Notre Bénédiction apostolique.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXVI, 1944, p. 11 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S. S. Pie XII, t. V., p. 269. Les sous-​titres sont ceux du texte original.

Notes de bas de page
  1. Préface de la messe pour les défunts.[]