Les radiomessages de Noël, plus encore que ceux de Pâques, sont maintenant un événement attendu du monde entier, d’autant plus que le Saint-Père s’adresse dès l’an dernier non seulement aux chrétiens mais à tous les hommes.
Noël de guerre
Voici encore, chers fils et chères filles de tout l’univers, que pour la cinquième fois la grande famille chrétienne se prépare à célébrer la magnifique solennité de la paix et de l’amour qui rachète et rend frères dans une sombre atmosphère de mort et de haine. Cette année encore, elle sent et elle éprouve l’amertume et l’horreur d’une opposition irréductible entre le doux message de Bethléem et l’acharnement féroce avec lequel l’humanité se déchire.
Les années précédentes étaient douloureuses, elles étaient troublées par le sauvage fracas des armes ; mais les cloches de Noël soulevaient les âmes, réveillaient et faisaient surgir de timides espérances, suscitaient de chaudes et puissantes aspirations vers la paix.
Malheureusement quand le monde regarde autour de lui, il doit encore contempler avec horreur une réalité de combats et de ruines, qui de jour en jour gagnent en étendue et en cruauté ; cette réalité brise toutes ses espérances et par une expérience froide et brutale comprime et étouffe ses aspirations les plus ardentes.
Que voyons-nous, en effet, sinon que le conflit dégénère en une forme de guerre sans égards ni considérations d’aucune sorte ? On dirait un monstre apocalyptique né d’une civilisation où le progrès toujours croissant de la technique s’accompagne d’une baisse toujours plus profonde de l’esprit et de la morale ; une forme de guerre qui suit, sans s’arrêter, son horrible chemin et produit des ravages auprès desquels pâlissent les pages les plus sanglantes et les plus épouvantables des siècles passés. Tandis qu’ils ont dû assister avec terreur à un nouvel et immense perfectionnement des moyens et de l’art de détruire, les peuples ont constaté en même temps chez eux une décadence qui, par suite du refroidissement et de la déviation du sens moral, accélère sa marche précipitée vers la suppression de tout sentiment d’humanité et un tel obscurcissement de la raison et de l’esprit à vérifier la parole de la Sagesse : « Tous étaient liés par la même chaîne de ténèbres » (Sag., xvii, 17).
La lumière de l’astre de Bethléem
Cependant, au milieu de cette nuit ténébreuse, resplendit pour le fidèle la lumière de l’étoile de Bethléem qui lui montre en l’illuminant le chemin vers Celui dont la plénitude de grâce et de sagesse nous a été communiquée à tous (Jean, i, 16) ; le chemin vers le Rédempteur qui, par sa venue en ce monde, s’y est fait essentiellement Prince de paix et notre paix : Ipse enim est pax nostra, « car c’est lui qui est notre paix » (Eph., ii, 14).
Seul le Christ peut éloigner les funestes esprits d’erreur et de péché qui ont réduit l’humanité sous le joug d’un tyrannique et humiliant esclavage, en l’asservissant aux pensées et aux vouloirs d’une insatiable convoitise de biens sans limites.
Seul le Christ qui nous a délivrés du triste esclavage du péché peut nous enseigner et nous frayer le chemin vers une liberté digne et disciplinée, étayée et soutenue par une véritable droiture et la conscience morale.
Seul le Christ, « sur les épaules de qui a été posé l’empire » (cf. Is., ix, 6), est capable avec sa toute-puissance secourable de relever le genre humain et de l’arracher aux angoisses sans nom qui le tourmentent au cours de cette vie et de le mettre sur le chemin du bonheur.
Un chrétien qui se nourrit et vit de la foi au Christ, assuré que lui seul est la voie, la vérité et la vie, porte sa part des souffrances et des misères du monde à la crèche du Fils de Dieu et, devant l’Enfant nouveau-né, trouve une consolation et un appui inconnus du monde qui lui donnent force et courage pour résister et se maintenir imperturbable, sans se laisser abattre ou défaillir au milieu des épreuves les plus angoissantes et les plus pénibles.
I. – Aux déçus
Faillite des mystiques collectives sans Dieu
Il est triste et douloureux, fils bien-aimés, de penser qu’une multitude d’hommes, tout en éprouvant, dans leur recherche d’un bonheur qui les satisfasse en cette vie, l’amertume d’illusions trompeuses et de douloureuses déceptions, se sont fermé l’accès de toute espérance. Vivant, comme ils le font, éloignés de la foi chrétienne, ils ne savent pas retrouver le chemin de la crèche et de cette consolation qui fait surabonder de joie les héros de la foi au milieu de toutes les tribulations. Ils voient effondré l’édifice des croyances dans lesquelles humainement ils avaient mis leur confiance et leur idéal ; mais ils ne sont pas parvenus à trouver cette foi unique et véritable qui aurait réussi à les réconforter et à ranimer leur courage. Par ‑suite de cette instabilité intellectuelle et morale, ils sont en proie à une incertitude d’esprit qui les déprime et ils vivent dans un état d’inertie qui opprime leur âme et que seul est en état ‑de comprendre intimement avec une compassion fraternelle celui qui, passant pardessus le tourbillon de toutes les contingences temporelles pour se fixer dans l’éternel, a la joie de vivre dans la vivante et familière atmosphère d’une foi surnaturelle.
a) Ceux qui avaient mis leur confiance dans l’expansion mondiale de la vie économique.
Dans les rangs de ces aigris et de ces déçus, il n’est pas difficile de signaler ceux qui avaient mis toute leur confiance dans l’expansion mondiale de la vie économique. Seule, pensaient-ils, elle était capable de réunir les peuples dans une mutuelle fraternité. De son organisation grandiose, toujours plus perfectionnée et affinée, ils se promettaient, pour le bien-être de la société humaine, des progrès inouïs et insoupçonnés.
Avec quelle complaisance et quel orgueil ils contemplaient l’accroissement mondial du commerce, l’échange entre les continents de tous les biens et de toutes les inventions et productions, la marche triomphale de la diffusion de la technique moderne qui ne connaît plus les limites du temps et ‑de l’espace ! Aujourd’hui, par contre, que leur fait constater la réalité ? Ils voient désormais que cette économie avec ses relations gigantesques et ses connexions mondiales, par la division et la multiplication excessives du travail, contribuait de mille manières à généraliser et aggraver les crises de l’humanité, tandis que, dépourvue de tout frein moral et privée de tout regard vers le supraterrestre propre à l’éclairer, elle ne pouvait manquer d’aboutir à une exploitation indigne et humiliante de la personne humaine et de la nature, à une triste et effroyable indigence chez les uns et à une opulence orgueilleuse et provocante chez les autres, à une opposition douloureuse et implacable entre les privilégiés et les indigents : maudits effets qui n’ont pas été à la dernière place dans la longue chaîne de causes qui ont conduit à l’immense tragédie actuelle.
Qu’ils ne craignent pas, ces déçus de la science et de la puissance économique, de se présenter à la crèche du Fils de Dieu. Que leur dira l’Enfant qui y est né et qui y reçoit l’adoration de Marie et de Joseph, des bergers et des anges ? Sans doute, à la crèche de Bethléem, la pauvreté est un état qu’il a choisi uniquement pour lui ; elle n’implique donc par elle-même aucune condamnation ou aucun refus de la vie économique en ce qui est nécessaire au progrès et au perfectionnement physique et naturel de l’homme. Mais cette pauvreté du Seigneur et Créateur du monde, qu’il a librement voulue et qui l’accompagnera encore à l’atelier de Nazareth et tout au long de sa vie publique, signifie et manifeste à quel point il était maître des choses matérielles et au-dessus d’elles. Il montrait par là avec une puissante efficacité que les biens de la terre sont naturellement et essentiellement ordonnés à la vie de l’esprit et à une perfection plus haute de la vie intellectuelle, morale et religieuse, nécessaire à l’homme raisonnable. Ceux qui attendaient le salut de la société du mécanisme du marché économique mondial restent ainsi déçus, parce qu’ils étaient devenus non pas les seigneurs et les maîtres, mais les esclaves des richesses matérielles auxquelles ils s’étaient asservis en les coupant de tout lien avec la fin supérieure de l’homme pour en faire leur fin à elles-mêmes.
b) Ceux qui mettaient le bonheur dans la science sans Dieu.
La même façon de penser et agir se retrouvait chez d’autres encore que le passé a également déçus et qui plaçaient le bonheur et le bien-être uniquement en un monde de science et de culture qui se refusait à reconnaître le Créateur de l’univers. Ces pionniers et ces disciples non pas de la vraie science, qui est un admirable reflet de la lumière divine, mais d’une science orgueilleuse, qui ne laisse aucune place à l’action d’un Dieu personnel, indépendant de toute limite et supérieur à tout ce qui est terrestre se vantaient de pouvoir expliquer tout ce qui arrive dans le monde par le seul déterminisme rigide et par l’enchaînement de fer des lois naturelles.
Mais une telle science ne peut donner ni le bonheur ni le bien-être. Le reniement du Verbe divin, par lequel tout a été fait, a conduit l’homme à l’apostasie de l’esprit et, par là, elle lui a rendu difficile la poursuite d’un idéal et d’un but hautement intellectuels et moraux. La science, ayant ainsi renié la vie spirituelle, qui se flattait d’avoir acquis, en reniant Dieu, une liberté et une autonomie complètes, se voit aujourd’hui punie par un esclavage tel qu’il n’en fut jamais de plus humiliant : elle est devenue l’esclave et comme l’exécutrice automatique de directives et d’ordres qui ne tiennent aucun compte des droits de la vérité et de la personne humaine. Ce que cette science avait tenu pour liberté pour elle fut une chaîne d’humiliation et d’avilissement. Découronnée comme elle l’est, elle ne recouvrera sa dignité première qu’à la condition de revenir au Verbe éternel, source de sagesse si follement abandonnée et oubliée.
C’est précisément à ce retour qu’invite le Fils de Dieu, qui est voie, vérité et vie ; voie de bonheur, vérité qui élève, vie qui rend l’homme immortel. Tous ces déçus, il les invite comme en un muet et pénétrant langage de sa venue en ce monde, car, loin de décevoir l’âme humaine, il lui communique l’élan qui la porte à sa rencontre.
II. – Aux désolés sans espérance
Faillite des existences sans Dieu
A côté de ceux qui vivent profondément déconcertés par la faillite des directives sociales et intellectuelles dont s’inspiraient largement hommes politiques et savants se tient la foule non moins considérable de ceux qu’a jetés dans le malaise et dans la peine l’écroulement de l’idéal propre et personnel de leur vie.
a) Ceux dont le but de la vie était le travail.
Ils sont nombreux ceux dont la vie avait pour but le travail dont les fatigues tendaient à leur assurer une existence matérielle commode, mais qui, dans leur lutte pour la poursuite de cette fin, avaient tenu à l’écart les considérations religieuses et négligé de donner à leur existence une orientation saine et morale. La guerre les a arrachés à cette activité à laquelle ils étaient habitués, qu’ils aimaient et où ils trouvaient la dignité et le soutien de leur vie. Eloignés ainsi de leur profession et de leur métier, ils éprouvent en eux-mêmes un vide qui leur fait peur. Que si quelques-uns peuvent encore se livrer à leurs occupations, la guerre a imposé des conditions de travail et de vie qui en ont fait disparaître tout caractère personnel, qui suppriment et rendent impossible une vie de famille régulière, qui ne permettent plus, enfin, de goûter ce contentement de l’âme que fournit seulement le travail tel qu’il a été voulu et ennobli par Dieu.
Ô travailleurs, approchez-vous de la crèche de Jésus ! N’ayez pas peur de cette grotte où s’abrite le Fils de Dieu. Ce n’est point par hasard, mars par suite d’un très haut et ineffable dessein que vous y trouverez uniquement des travailleurs : Marie, la Vierge Mère, mère de famille travailleuse ; Joseph, père de famille travailleur ; les bergers, gardiens de troupeaux ; les sages, enfin, venus de l’Orient ; travailleurs des mains, des veilles et de la pensée, ils s’inclinent pour adorer le Fils de Dieu qui, par son silence volontaire et gracieux mais plus éloquent que la parole, leur explique à tous le sens et la valeur du travail. Il n’est pas seulement fatigue des membres dépourvue de sens et de valeur et pas davantage une humiliante servitude. Le travail est service de Dieu, don de Dieu, vigueur et plénitude de vie pour l’homme, méritoire du repos éternel. Levez et dressez haut la tête, travailleurs. Regardez le Fils de Dieu qui, avec son Père éternel, créa et organisa l’univers. Devenu homme et semblable à nous, le péché excepté, il croit en âge et entre dans la grande communauté du travail ; puis il use et consume sa vie terrestre à remplir sa mission de salut. Rédempteur du genre humain, c’est lui qui, pénétrant de sa grâce notre être et notre activité, élève et ennoblit le travail honnête, quel qu’il soit, celui d’en haut et celui d’en bas, grand ou petit, agréable ou pénible, matériel ou intellectuel, lui conférant aux yeux de Dieu une valeur de mérite surnaturel et faisant ainsi de l’accomplissement des multiples ouvrages de l’homme une même glorification constante du Père qui est aux cieux.
b) Ceux qui avaient mis leur espérance dans la jouissance de la vie terrestre.
Malheureux également ceux qui voient s’évanouir l’espoir d’un bonheur qu’ils avaient rêvé en le mettant uniquement dans la jouissance d’une vie passagère et terrestre. Ils le plaçaient exclusivement dans la plénitude des énergies du corps, dans la beauté des formes et de la personne, dans l’opulence et la surabondance des commodités de la vie ou dans la possession de la force et du pouvoir.
Or, voici qu’aujourd’hui, dans le tourbillon de la guerre, toute cette jeunesse qui avait grandi et s’était entraînée sur les terrains de sport, voit sa vigueur s’éteindre et sa beauté se flétrir dans les hôpitaux militaires ; beaucoup de jeunes errent et se traînent, mutilés ou infirmes physiquement et moralement, sur les grands chemins d’une patrie désolée, qu’en beaucoup de villes de ses régions les plus fortunées les bombardements aériens et les opérations militaires ont réduite à un monceau de ruines.
Si une partie de la jeunesse masculine n’a plus la force pour peiner et pour travailler, les futures mères de la génération prochaine, contraintes comme elles le sont de se livrer à un travail excessif au-delà de toute limite de temps, perdent peu à peu la possibilité de fournir à un peuple exsangue cet accroissement de santé corporelle et spirituelle qui favorise la venue à la vie et l’éducation des enfants, faute desquels l’avenir de la patrie est menacé d’un triste déclin.
La pénible irrégularité du travail et de la vie dans l’absence de Dieu et de sa grâce, avec les attraits et les séductions des mauvais exemples, insinue et prépare un pernicieux relâchement des relations conjugales et familiales, et c’est ainsi que le venin de la luxure s’essaye aujourd’hui, plus que jadis, à empoisonner la source sacrée de la vie. Les faits et périls douloureux montrent à l’évidence que si, en beaucoup de pays, le dessein de rendre leur vigueur à la famille et au peuple était tenu pour un des plus nobles à poursuivre, il se produit et se propage, en sens inverse, avec une épouvantable rapidité, un dépérissement physique et une perversion spirituelle que seul réussira lentement à faire disparaître, au moins en partie, un travail d’assainissement et d’éducation à continuer durant plusieurs générations. Si le conflit de la guerre a causé chez un si grand nombre de telles ruines corporelles et spirituelles, il n’a pas épargné ceux qui étaient avides d’opulence et ne songeaient qu’à jouir de la vie, qui restent maintenant muets et perplexes en présence des destructions qui se sont abattues jusque sur leurs biens à la manière d’un ouragan dévastateur : richesses et foyers anéantis par le fer et par le feu, vie de bien-être et de plaisir disparue, présent tragique, avenir avec peu d’espoirs et beaucoup de craintes.
Plus triste est la vision qui trouble et qui épouvante ceux qui aspirèrent à posséder la force et à dominer : actuellement, ils contemplent avec terreur l’océan de sang et de larmes qui baigne le monde, les tombes et les fosses pleines de cadavres qui jonchent si nombreuses toutes les parties de la terre et les îles de la mer ; la lente extinction de la civilisation, la disparition croissante du bien-être même matériel, la destruction de monuments insignes et des plus nobles chefs‑d’œuvre de l’art, qu’on pouvait appeler le patrimoine commun du monde civilisé, des haines de plus en plus aiguës et profondes qui excitent les peuples les uns contre les autres et ne laissent rien espérer de bon pour l’avenir.
III. – Aux fidèles
a) Le réconfort de la foi dans les calamités actuelles.
Venez, maintenant, vous, chrétiens, vous, fidèles, liés par un lien surnaturel ineffable au Fils de Dieu qui s’est fait petit enfant pour vous, guidés et sanctifiés par son Evangile, nourris par la grâce, fruits de la Passion et de la mort du Rédempteur. Vous aussi vous ressentez la douleur, mais avec l’espoir d’un réconfort qui provient de votre foi.
Les misères présentes sont aussi les vôtres ; la guerre destructrice vous visite et tourmente, vous aussi, vos corps et vos âmes, vos avoirs et vos biens, votre maison et votre foyer. La mort vous a brisé le cœur et infligé des blessures lentes à se cicatriser. La pensée de chères tombes lointaines restées peut-être inconnues, l’anxiété pour les morts ou les disparus, le désir impatient d’embrasser de nouveau vos bien-aimés prisonniers ou déportés vous mettent dans une peine qui accable votre esprit, tandis que la pensée d’un avenir pesant et obscur vous opprime tous, parents et enfants, jeunes et vieux.
Chaque jour, et plus que jamais à l’heure présente, Notre cœur de Père se sent avec une affection profonde et immuable tout près de chacun de vous, chers fils et chères filles, affligés et angoissés. Mais tous Nos efforts ne peuvent faire cesser tout à coup cette horrible guerre, ni redonner la vie à vos chers morts, ni reconstruire votre foyer détruit, ni vous délivrer entièrement de votre anxiété. Il est encore bien moins en Notre pouvoir de vous dévoiler l’avenir, dont les clés sont entre les mains de Dieu, qui dirige le cours des événements et en a fixé l’aboutissement pacifique.
Il y a pourtant deux choses que Nous pouvons et que Nous voulons accomplir. La première est que Nous avons fait et que Nous ferons toujours tout ce qui est en Notre pouvoir, matériel et spirituel, pour alléger les tristes conséquences de la guerre, pour les prisonniers, pour les blessés, les disparus, les évacués, pour les hommes de toute langue et de toute nationalité qui sont dans la souffrance et la tribulation.
La seconde est que, dans ce déroulement du triste temps de la guerre, Nous voulons que vous vous souveniez avant tout du grand réconfort que nous inspire la foi, quand elle nous enseigne que la mort et les souffrances de cette vie terrestre perdent leur ‑douloureuse amertume pour ceux qui peuvent, avec une conscience tranquille et sereine, s’appliquer l’émouvante prière de l’Eglise dans la messe des défunts. « Pour tes fidèles, ô Seigneur, la vie est changée ; elle n’est pas enlevée ; et quand la demeure de cette habitation terrestre est détruite, une habitation éternelle est préparée dans le ciel. » [1]. Tandis que les autres qui n’ont pas d’espérance se trouvent devant un abîme effrayant et que leurs mains, tâtonnant à la recherche d’un point d’appui, palpent le néant, non de leur âme immortelle, mais d’un bonheur de l’au-delà évanoui, vous, au contraire, par la grâce et la libéralité d’un Dieu miséricordieux, après la mort certaine, certa moriendi conditio, vous avez, ineffable et divine consolation, la promesse de l’immortalité future, futuræ immortalitatis promissio.
Par cette foi vous parvenez à une sérénité intime, à une force morale confiante, qui ne succombent pas, même dans les plus cruelles souffrances. Grâce sublime que celle-là, et inestimable privilège, que vous devez attribuer à la bonté du Sauveur ; grâce et privilège qui exigent que vous y répondiez par une action de constance exemplaire et qui requiert un apostolat de chaque jour, tendant à rendre la confiance à qui l’a perdue et à mettre sur la voie du salut éternel ceux qui, comme des naufragés dans l’océan des malheurs présents, sont sur le point d’être submergés et de périr.
b) Devoirs des chrétiens à l’heure présente.
La route suivie par l’humanité dans la confusion actuelle des idées a été une route sans Dieu, et même contre Dieu ; sans le Christ et même contre le Christ. En disant cela, Nous n’avons pas la volonté ni la pensée d’offenser les égarés ; ils sont et demeurent nos frères.
Il convient pourtant que la chrétienté considère aussi cette part de responsabilité qui lui incombe dans les épreuves d’aujourd’hui. Beaucoup de chrétiens n’ont-ils pas fait, peut-être, eux aussi, des concessions à ces fausses idées et à ces manières de vivre, si souvent désapprouvées par le magistère de l’Eglise ?
Toute tiédeur et toute transaction inconsidérée avec le respect humain dans la profession de la foi et de ses maximes ; toute pusillanimité et tout flottement entre le bien et le mai dans la pratique de la vie chrétienne, dans l’éducation des enfants et dans le gouvernement de la famille ; tout péché secret ou public ; tout cela, et tout ce que l’on pourrait y ajouter, a été et est une contribution déplorable au malheur qui bouleverse aujourd’hui le monde. Et qui donc aurait le droit de se croire sans aucune faute ? L’examen de votre conscience et de vos œuvres, l’humble reconnaissance de votre responsabilité morale, vous feront découvrir et sentir au plus profond de votre âme quels saints devoirs sont pour vous la prière et l’action en vue d’apaiser et d’implorer la miséricorde de Dieu, en vue de contribuer au salut de vos frères ; vous rendrez ainsi à Dieu cet honneur qui lui fut refusé durant tant de dizaines d’années, vous conquerrez et vous obtiendrez pour les hommes cette paix intérieure qui ne se peut retrouver qu’en se rapprochant de la lumière spirituelle de la grotte de Bethléem.
c) A l’œuvre, fils bien-aimés !
A l’œuvre donc et au travail, fils bien-aimés ! Serrez vos rangs. Que votre courage ne défaille pas ; ne restez pas inertes au milieu des ruines. Sortez-en pour reconstruire un nouveau monde social au Christ.
Elle brille sur vous l’étoile qui guida les mages dans leur chemin vers Jésus. L’esprit qui émane de lui n’a rien perdu de sa force et de sa puissance de guérison pour l’humanité tombée. Il triompha jadis du paganisme régnant. Pourquoi ne devrait-il pas triompher, aujourd’hui encore, quand des peines et des déceptions de toutes sortes montrent à tant ‑d’âmes la vanité et les errements des sentiers suivis jusqu’à présent dans la vie publique et privée ? Un grand nombre d’intelligences sont à la recherche de nouveaux idéaux politiques et sociaux, privés et publics, pour l’instruction et l’éducation, et elles éprouvent l’angoisse intime de satisfaire le besoin de leur cœur. Que l’exemple de votre vie chrétienne soit leur guide ; que votre parole enflammée les secoue. Tandis que passe la figure de ce monde, montrez-leur comment la vraie vie est « qu’ils vous connaissent, vous, le seul vrai Dieu, et Celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ » (Jean, xvii, 3).
Appel à la charité
Que vos paroles fassent renaître parmi vos frères la connaissance du Père des cieux qui, même dans les temps de terrible misère, gouverne le monde avec une bonté sage et prévoyante ; qu’ils expérimentent le tranquille bonheur qui provient d’une vie brûlant de l’amour de Dieu. Mais l’amour de Dieu rend le cœur délicatement sensible aussi aux besoins des frères, prompt à les aider spirituellement et matériellement, prêt à renoncer à tout, pour que refleurisse dans tous les cœurs l’amour ardent et actif.
Ô force de la charité du Christ ! Nous la sentons vibrer dans la tendresse de Notre cœur de Père qui, également ouvert et tendu vers tous, Nous fait prêcher par le cri de Notre parole l’œuvre de miséricorde et d’amour secourable.
Combien de fois Nous avons dû répéter, l’âme meurtrie, l’exclamation du divin Maître : Misereor super turbam, « j’ai pitié de cette foule », et combien de fois ajouter, Nous aussi : Non habent quod manducent, « ils n’ont pas de quoi manger » (Marc, viii, 2), spécialement quand Nous jetons les yeux sur de nombreuses régions dévastées et désolées par la guerre ! Et ce ne fut jamais, à aucun moment, sans ressentir durement le contraste entre l’exiguïté de Nos ressources, impuissantes à porter secours, et l’extension gigantesque des besoins d’une multitude qui Nous fait parvenir sa voix suppliante et son douloureux gémissement, d’abord des régions lointaines, et maintenant, toujours davantage, même des plus proches.
En face d’une telle détresse, chaque jour croissante, Nous adressons au monde chrétien un cri insistant d’appel paternel au secours et à la pitié : Ecce sto ad ostium et pulso, « voici que je me tiens à la porte et je frappe » (Apoc., iii, 20).
Et Nous n’hésitons pas à Nous adresser, avec cette confiance que Dieu Nous inspire, au sentiment humain et chrétien de ces peuples et de ces nations à qui la Providence a épargné jusqu’ici la souffrance directe des horreurs de la guerre, ou qui, tout en étant en guerre, vivent encore dans des conditions qui leur permettent de donner généreusement libre cours à leurs sentiments de miséricorde et de porter aide et soutien à ceux qui, dans les dures privations du conflit et sans secours extérieur, manquent déjà aujourd’hui du nécessaire et en manqueront encore davantage à l’avenir.
A vous adresser cet appel, Nous sommes poussé et soutenu par l’espoir qu’il trouvera un écho au fond du coeur des fidèles et de quiconque a au cœur un vif sentiment d’humanité ; car, parmi les heurts engendrés et exaspérés par le conflit mondial, un courant consolant de pensées et de projets apparaît dans une lumière toujours plus claire ; Nous voulons dire le réveil d’une responsabilité solidaire en face des problèmes posés par l’appauvrissement général causé par la guerre. Les destructions et les dévastations, qui en sont les suites, exigent impérieusement pour toute l’étendue des dommages survenus une œuvre de reconstruction et de secours. Les erreurs d’un passé qui n’est guère lointain se transforment pour les esprits indépendants et éclairés en avertissements auxquels, tant par raison de prudence que par sentiment d’humanité, il n’est pas possible qu’ils restent sourds. Ils considèrent l’assainissement spirituel et le relèvement matériel des peuples et des Etats comme un tout organique où rien ne serait plus désastreux que de laisser s’installer des foyers d’infection, dont pourraient naître demain de nouvelles ruines. Ils ont conscience que dans une nouvelle organisation de la paix, du droit et de l’activité, il ne faudrait pas, en traitant certains peuples d’une manière non conforme à la justice, à l’équité et à la sagesse, laisser surgir des périls et subsister dans la structure de l’organisation tout entière des lacunes qui en compromettraient la consistance et la stabilité.
Attente de la paix.
Strictement fidèle comme Nous voulons l’être au devoir d’impartialité de Notre ministère pastoral, Nous exprimons le désir que Nos fils bien-aimés n’omettent rien pour faire triompher les principes de justice éclairée et équitable et de fraternité dans des questions si fondamentales pour le salut des Etats. C’est, en effet, le propre des esprits sages et des vrais amis de l’humanité de comprendre qu’une paix conforme à la dignité de l’homme et à la conscience chrétienne ne peut jamais être durement imposée par l’épée, mais elle doit être le fruit d’une justice prévoyante et d’une équité envers tous ceux dont ils portent la responsabilité.
Mais si, dans l’attente d’une telle paix qui tranquillise le monde, vous, chers fils et chères filles, continuez à souffrir amèrement dans votre âme et dans votre corps sous les coups des privations et de l’injustice, vous ne devez pourtant pas ternir demain cette paix et rendre injustice pour injustice ou commettre peut-être une injustice plus grande encore.
En cette veille de Noël, que votre cœur et votre esprit se tournent vers l’Enfant divin de la crèche. Voyez et méditez comment en cette grotte abandonnée, exposée au froid et aux vents, il prend sa part de votre pauvreté et de votre misère, lui. Maître du ciel et de la terre, et de toutes les richesses pour lesquelles les hommes se disputent. Tout est à lui : et pourtant, que de fois, en ces temps-ci, il a dû, lui aussi, abandonner églises et chapelles détruites, incendiées, écroulées ou menaçant de s’effondrer ! Peut-être là où la dévotion de vos ancêtres lui avait dédié de magnifiques temples aux arcs élancés et aux voûtes élevées, vous ne pouvez lui offrir, au milieu des ruines, qu’une misérable demeure dans une chapelle de refuge ou dans des maisons particulières. Nous vous félicitons et Nous vous remercions, prêtres et laïques, hommes et femmes, qui souvent, au mépris de tout danger pour votre vie, avez abrité et mis en lieu sûr le Seigneur et Sauveur eucharistique. Votre zèle ne voulait pas que se vérifiât une fois de plus ce qui fut dit du Christ ; « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean, i, 11). Ainsi, le Seigneur n’a pas refusé de venir au milieu de votre pauvreté : lui qui, autrefois, préféra Bethléem à Jérusalem, la grotte et la crèche au temple grandiose de son Père. Pauvreté et misère sont amères, mais elles deviennent douces si on conserve en soi Dieu, le Fils de Dieu, Jésus-Christ, sa grâce et sa vérité. Il reste avec vous tant que vivent dans votre cœur votre foi, votre espérance, votre amour, votre obéissance et votre piété.
Avec vous, chers fils et chères filles, Nous déposons Nos prières aux pieds de l’Enfant Jésus et Nous implorons de lui que ce soit le dernier Noël de guerre, que l’humanité puisse célébrer l’an prochain le retour de cette fête solennelle, toute resplendissante de la lumière et de la joie d’une paix vraiment chrétienne.
Principes pour un programme de paix
Et maintenant, vous tous qui portez la responsabilité, vous tous qui, par disposition ou permission de Dieu, tenez entre vos mains le sort de votre propre peuple et celui des autres : écoutez l’appel suppliant, erudimini, « instruisez-vous » (Ps., ii, 10), qui, de l’abîme sanglant et semé de ruines de cette monstrueuse guerre, retentit à vos oreilles : frémissement et avertissement pour tous, coup de trompette du jugement futur qui annonce la condamnation et le châtiment pour ceux qui seraient sourds à la voix de l’humanité, qui est aussi la voix de Dieu.
Vos buts de guerre dans la conscience de votre force peuvent bien aussi embrasser des pays et des continents entiers. La question de la responsabilité de la présente guerre et la réclamation de réparations peuvent certes vous pousser à élever la voix. Aujourd’hui pourtant, les ravages que le conflit mondial a produits dans tous les domaines de la vie, matériels et spirituels, ont atteint déjà une gravité et une extension incomparables, et il est à redouter qu’avec la continuation de la guerre ils croissent en horreurs sans nom pour les deux parties belligérantes et pour tous ceux qui y ont été entraînés, même malgré eux, ce péril apparaît si sombre et si menaçant à Notre regard, que pour le bien et pour l’existence même de tous et de chacun des peuples, Nous vous adressons cette instante supplication :
Elevez-vous au-dessus de vous-mêmes, au-dessus de toute étroitesse de jugement et de calcul, au-dessus de tout avantage de supériorité militaire, au-dessus de toute affirmation unilatérale de droit et de justice. Reconnaissez aussi les vérités désagréables et formez vos peuples à les regarder en face avec sérénité et force.
La vraie paix n’est pas le résultat, pour ainsi dire, mathématique, d’une proportion de forces, mais, dans sa dernière et plus profonde signification, une action morale et juridique.
Elle ne se réalise pas en fait sans un déploiement de force, et sa stabilité même a besoin de s’appuyer sur une mesure normale de puissance. Mais la fonction propre de cette force, si elle veut être moralement irréprochable, doit servir à protéger et à défendre, non à restreindre ou à opprimer le droit.
Une heure comme la présente – susceptible de progrès puissants et bienfaisants aussi bien que de manquements et d’erreurs funestes – ne s’est jamais peut-être rencontrée dans l’histoire de l’humanité.
Et cette heure demande d’une voix impérieuse que les buts de guerre et les programmes de paix soient ‑dictés par le sens moral le plus élevé. Ils ne doivent tendre, comme but suprême, qu’à une œuvre d’entente et de concorde entre les peuples belligérants, à une œuvre qui laisse à chaque nation, consciente de son union nécessaire avec la famille entière des Etats, la possibilité de s’associer ‑dignement, sans se renier ni se détruire elle-même, à la grande entreprise mondiale à venir d’assainissement et de reconstruction. Naturellement, la conclusion d’une telle paix ne signifierait nullement l’abandon des garanties et des sanctions nécessaires contre tout attentat de la force contre le droit.
Ne prétendez pas exiger d’aucun membre de la famille des peuples, fût-il petit ou faible, des renonciations à des droits substantiels et à des nécessités vitales, que vous-mêmes, s’il s’agissait de les appliquer à votre propre peuple, jugeriez impossibles.
Donnez vite à l’humanité anxieuse une paix qui réhabilite le genre humain devant lui-même et devant l’histoire. Une paix dont le berceau ne voie pas briller au-dessus de lui les éclairs vengeurs de la haine ni sévir les instincts d’une implacable volonté de représailles, mais resplendir l’aurore d’un esprit nouveau de communauté universelle, issu de l’universelle douleur. Un esprit de communauté qui, soutenu par les forces divines indispensables de la foi chrétienne, sera seul en mesure de préserver l’humanité, après cette guerre déplorable, de l’indicible fléau d’une paix édifiée sur des principes erronés et, par conséquent, éphémère et trompeuse.
Animé de cette espérance, avec toute Notre affection paternelle, à vous, chers fils et chères filles, à ceux surtout qui souffrent d’une manière particulièrement douloureuse des privations et des peines de la guerre et qui ont besoin des réconforts divins, et tout particulièrement à tous ceux qui, répondant à Notre appel, ouvrent leur cœur à l’amour actif et miséricordieux, ou qui, dans la conduite du destin des peuples, sont désireux de les tranquilliser en leur présentant l’olivier de la paix, Nous accordons, comme gage des abondantes faveurs du ciel. Notre Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXVI, 1944, p. 11 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. V., p. 269. Les sous-titres sont ceux du texte original.
- Préface de la messe pour les défunts.[↩]