Le radiomessage de Noël expose les causes du conflit et les principes essentiels sur lesquels devra être reconstruit le nouvel ordre international :
A l’aube et dans la lumière annonciatrice de la sainte fête de Noël, toujours attendue avec les soupirs d’une joie suave et pénétrante, au moment où tous les fronts s’apprêtent à se courber et tous les genoux à fléchir pour adorer l’ineffable mystère de la miséricordieuse bonté de Dieu, qui dans sa charité infinie a voulu donner à l’humanité le don le plus grand et le plus auguste, son Fils unique, Notre cœur, chers fils et filles épars sur la surface de la terre, s’ouvre à vous et, tout en n’oubliant pas la terre, s’élève et s’enfonce dans le ciel.
L’étoile de Bethléem, messagère d’espérance.
L’étoile, indicatrice de la crèche du Rédempteur nouveau-né, resplendit encore merveilleuse après vingt siècles au ciel de la chrétienté. « Que les nations s’agitent et que les peuples conspirent contre Dieu et contre son Messie » (Ps., ii, 1–2) : à travers les tempêtes du monde humain, l’étoile n’a pas connu, ne connaît pas et ne connaîtra pas de couchant ; le passé, le présent et l’avenir sont à elle. Elle avertit de ne jamais désespérer ; elle resplendit sur les peuples, même quand se font plus denses au-dessus de la terre, comme sur un océan que fait mugir la tempête, les sombres ouragans générateurs de carnages et de misères. Sa lumière est une lumière de réconfort, d’espérance, de foi inébranlable, de vie et de certitude du triomphe final du Rédempteur ; lumière qui, comme un torrent sauveur, débordera en paix intérieure et en gloire pour tous ceux qui, élevés à l’ordre surnaturel de la grâce, auront reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, parce que nés de Dieu.
Aussi, Nous, qui en ces temps amers de bouleversements nés de la guerre, sommes tourmenté de ce qui vous tourmente, affligé de ce qui vous afflige, Nous qui vivons comme vous dans le lourd cauchemar d’un fléau qui pour la troisième année déchire encore l’humanité, à la veille d’une si grande solennité, Nous aimons, avec le cœur ému d’un père, à vous adresser la parole pour vous exhorter à rester forts dans la foi et pour vous communiquer le réconfort de cette espérance et de cette certitude véritables, surabondantes, divinisantes, qui rayonnent de la crèche du Sauveur nouveau-né.
Les souffrances et les mines accumulées par la guerre.
En vérité, chers fils, si Notre œil ne regardait pas plus haut que la matière et que la chair, c’est à grand-peine qu’il trouverait quelque motif de réconfort. Les cloches répandent bien le joyeux message de Noël, églises et oratoires s’illuminent, les harmonies religieuses réjouissent les âmes, tout est fête et décoration dans les temples sacrés ; mais l’humanité ne cesse pas de se déchirer dans une guerre d’extermination. Au cours des rites sacrés retentit sur les lèvres de l’Eglise l’admirable antienne : Rex pacificus magnificatus est, cujus vultum desiderat universa terra, « le Roi pacifique a été glorifié, lui dont toute la terre désire voir la face » [1] ; mais elle résonne en strident contraste avec des événements qui grondent à travers montagnes et vallées avec un bruit plein d’épouvante, dévastent terres et maisons sur d’immenses étendues, et jettent des millions d’hommes et leurs familles dans le malheur, dans la misère et dans la mort. Ils sont, certes, admirables les multiples spectacles de la valeur indomptée dans la défense du droit ou du sol natal, de la sérénité dans la douleur, d’âmes qui vivent comme des flammes d’holocauste pour le triomphe de la vérité et de la justice. Mais c’est aussi avec une angoisse qui Nous étreint l’âme que Nous pensons, les regardant comme dans un rêve, aux terribles chocs d’armes et de sang qu’a vus l’année qui s’achève, au sort infortuné des blessés et des prisonniers, aux souffrances corporelles et spirituelles, aux massacres, aux destructions et aux ruines que la guerre aérienne apporte et déverse sur de grandes et populeuses cités et sur des centres et de vastes territoires industriels, aux richesses des Etats dilapidées, aux millions de créatures que le cruel conflit et la dure violence jettent dans la misère et dans la famine.
Et tandis que la vigueur et la santé d’une bonne partie de la jeunesse qui grandit se trouvent ébranlées du fait des privations imposées par le présent fléau, on voit, par contre, s’élever à des hauteurs vertigineuses les dépenses et les charges de la guerre qui, engendrant une contraction des forces de production dans le domaine civil et social, ne peuvent manquer de fournir un fondement aux inquiétudes de ceux qui tournent un regard préoccupé vers l’avenir. L’idée de la force étouffe et pervertit la norme du droit. Rendez possible et donnez toute liberté à des individus et à des groupes sociaux ou politiques de léser les biens et la vie d’autrui, permettez à toutes les autres destructions morales de troubler elles aussi l’atmosphère civile et d’y allumer la tempête, et vous verrez les notions de bien et de mal, de droit et d’injustice perdre leurs contours tranchants, s’émousser, se confondre et menacer de disparaître. Ceux qui, en vertu du ministère pastoral, ont le moyen de pénétrer dans les cœurs, savent et voient quelle accumulation de douleurs et d’indicibles anxiétés s’appesantit et s’étend sur beaucoup d’âmes, en amoindrit la soif et la joie de travailler et de vivre ; étouffe les esprits et les rend muets et indolents, soupçonneux et comme sans espoir en face des événements et des besoins : troubles d’âme que ne peut prendre à la légère quiconque tient à cœur le véritable bien des peuples et désire promouvoir un retour rapide à des conditions normales et ordonnées de vie et d’action. En présence d’une telle vision du présent se fait jour une amertume qui envahit le cœur, d’autant plus qu’on ne voit apparaître aujourd’hui aucune voie d’entente entre les parties belligérantes, dont les buts réciproques et les programmes de guerre semblent être en opposition inconciliable.
La cause n’en est pas la faillite du christianisme…
Quand on recherche les causes des ruines actuelles, devant lesquelles l’humanité qui les contemple reste perplexe, il n’est pas rare d’entendre affirmer que le christianisme a failli à sa mission. De qui et d’où vient une semblable accusation ? Serait-ce de ces apôtres, gloire du Christ, de ces héroïques zélateurs de la foi et de la justice, de ces pasteurs et de ces prêtres, hérauts du christianisme, qui, à travers persécutions et martyres, civilisèrent la barbarie et la jetèrent à genoux devant l’autel du Christ, donnèrent naissance à la civilisation chrétienne, sauvèrent les restes de la sagesse et de l’art d’Athènes et de Rome, unirent les peuples sous le nom chrétien, répandirent le savoir et la vertu, élevèrent la croix sur les pinacles aériens et sur les voûtes des cathédrales, images du ciel, monuments de foi et de piété, qui dressent encore leur tête vénérable parmi les ruines de l’Europe ? Non : le christianisme, dont la force dérive de Celui qui est Voie, Vérité et Vie, qui est et sera avec lui jusqu’à la consommation des siècles, n’a pas failli à sa mission, mais les hommes se sont révoltés contre le christianisme vrai et fidèle au Christ et à sa doctrine ; ils se sont forgé un christianisme à leur guise, une nouvelle idole qui ne sauve pas, qui ne s’oppose pas aux passions de la concupiscence de la chair, à l’avidité de For et de l’argent qui fascine les yeux, à l’orgueil de la vie, une nouvelle religion sans âme ou une âme sans religion, un masque de christianisme mort privé de l’esprit du Christ ; et ils ont proclamé que le christianisme a failli à sa mission.
… mais la déchristianisation progressive des individus et des sociétés…
Fouillons au fond de la conscience de la société moderne, recherchons la racine du mal : où la trouvons-nous ? Sans doute ici non plus Nous ne voulons pas passer sous silence la louange qui est due à la sagesse des gouvernants qui ont ou toujours favorisé ou voulu et su remettre en honneur, pour le bien du peuple, les valeurs de la civilisation chrétienne, par d’heureux rapports entre l’Eglise et l’Etat, par la protection de la sainteté du mariage et par l’éducation religieuse de la jeunesse. Mais Nous ne pouvons fermer les yeux à la triste vision de la progressive déchristianisation individuelle et sociale qui du relâchement des mœurs est passée à l’affaiblissement et à la négation ouverte de vérités et de forces destinées à éclairer les intelligences sur le bien et sur le mal, à fortifier la vie familiale, la vie privée, la vie des Etats et la vie publique. Une anémie religieuse se répandant comme une maladie contagieuse a ainsi frappé de nombreux peuples d’Europe et du monde, et fait dans les âmes un tel vide moral qu’aucun succédané religieux, aucune mythologie nationale ni internationale ne pourrait le combler. Par les paroles, par les actions, par les mesures prises pendant des dizaines et des centaines d’années, qu’a‑t-on su faire de mieux ou de pire qu’arracher des cœurs des hommes, de l’enfance à la vieillesse, la foi en Dieu, Créateur et Père de tous, rémunérateur du bien et vengeur du mal, en dénaturant l’éducation et l’instruction, en combattant et en opprimant la religion et l’Eglise du Christ de toutes façons et par tous les moyens, par la diffusion de la parole et de la presse, par l’abus de la science et du pouvoir ?
.. et ses conséquences sur tous les plans.
L’esprit, une fois entraîné dans le gouffre moral pour s’être éloigné de Dieu et de la pratique chrétienne, les pensées, les projets, les entreprises des hommes, leur estimation des choses, leur action et leur travail n’avaient plus d’autre issue que de se tourner et de regarder vers le monde matériel ; leurs fatigues et leurs peines, plus d’autre but que se dilater dans l’espace pour grandir plus que jamais au-delà de toute limite dans la conquête des richesses et de la puissance, rivaliser de vitesse à produire plus et mieux tout ce que l’avancement et le progrès matériels semblaient exiger. D’où, dans la politique, la prévalence d’un élan effréné vers l’expansion et le pur crédit politique, sans souci de la morale ; dans l’économie, la domination des grandes et gigantesques entreprises et groupements ; dans la vie sociale, l’affluence et l’entassement des masses d’hommes, en pénible surabondance, dans les grandes villes et dans les centres d’industrie et de commerce et cette instabilité qui suit et accompagne toute multitude d’hommes qui change de maison et de résidence, de pays et de métier, de passions et d’amitiés.
Il s’ensuivit alors que les rapports mutuels de la vie sociale prirent un caractère purement physique et mécanique. Au mépris de toute mesure et de tous égards raisonnables, l’empire de la contrainte extérieure, le simple fait de la possession du pouvoir remplacèrent les règles de l’ordre qui doit régir la vie sociale des hommes, règles qui, émanées de Dieu, établissent quelles sont les relations naturelles et surnaturelles qui existent entre le droit et l’amour envers les individus et la société. La majesté, la dignité de la personne humaine et des sociétés particulières furent blessées, ravalées, supprimées par l’idée de la force qui crée le droit ; la propriété privée devint pour les uns un pouvoir dirigé vers l’exploitation du travail d’autrui, chez les autres, elle engendra la jalousie, l’intolérance et la haine ; l’organisation qui en résultait se transforma en puissante arme de combat pour faire prévaloir des intérêts de parti. Dans certains pays, une conception athée ou antichrétienne de l’Etat lia tellement à elle l’individu de ses vastes tentacules, qu’elle en vint à le priver presque d’indépendance dans la vie privée autant que dans la vie publique.
Qui pourra s’étonner aujourd’hui qu’une telle opposition radicale aux principes de la doctrine chrétienne en arriva enfin à se transformer en un choc violent de tensions internes et externes, au point de conduire à une extermination de vies humaines, à une destruction de biens, comme celles que Nous voyons et auxquelles Nous assistons avec une peine profonde ? Funeste conséquence et fruit des conditions sociales que Nous venons de décrire, la guerre, loin d’en arrêter l’influence et le développement, les favorise, les accélère et les amplifie, avec des effets d’autant plus ruineux qu’elle dure davantage, rendant la catastrophe encore plus générale.
Bien que le progrès technique soit louable…
Ce serait mal interpréter Nos paroles contre le matérialisme du siècle dernier et du temps présent que d’en déduire une condamnation du progrès technique. Non, Nous ne condamnons pas ce qui est don de Dieu, qui, de même qu’il fait jaillir le pain des mottes de la terre, a caché dans les entrailles les plus profondes du sol, aux jours de la création du monde, des trésors de feu, de métaux, de pierres précieuses, que la main de l’homme doit extraire pour ses besoins, pour ses œuvres, pour son progrès. L’Eglise, mère de tant d’universités d’Europe, qui exalte encore et réunît les maîtres les plus hardis dans les sciences, les scrutateurs de la nature, n’ignore pas toutefois que de tous les biens et même de la liberté de la volonté on peut faire un usage digne ou de louange et de récompense, ou, au contraire, de blâme et de condamnation. Il est arrivé que l’esprit et l’orientation dans lesquels on a souvent usé du progrès technique font qu’à l’heure actuelle la technique doit expier son erreur et se punir elle-même en quelque sorte en créant des instruments de ruine qui détruisent aujourd’hui ce qu’elle avait édifié hier.
… le remède à cette situation est dans le retour à la foi.
En face de l’ampleur du désastre engendré par les erreurs que Nous venons d’indiquer, il n’y a pas d’autre remède que le retour au pied des autels, où d’innombrables générations de croyants ont puisé dans le passé la bénédiction et l’énergie morale de l’accomplissement de leurs devoirs ; le retour à la foi qui éclairait individus et sociétés et enseignait quels sont les droits et les devoirs de chacun, le retour aux sages et inébranlables normes d’un ordre social qui, sur le terrain national comme sur le terrain international, dressent une barrière efficace contre l’abus de la liberté non moins que contre l’abus du pouvoir. Mais il faudra que le rappel à ces sources bienfaisantes résonne bien haut, insistant, universel, à l’heure où l’ancienne organisation sera sur le point de disparaître et de céder le pas et la place à une organisation nouvelle.
Les bases de la reconstruction future.
La future reconstruction pourra présenter et donner de précieuses facilités pour promouvoir le bien, facilités qui ne seront pas exemptes, cependant, du danger de tomber dans l’erreur, et par l’erreur de favoriser le mal. Elle exigera un sérieux plein de prudence et une mûre réflexion, non seulement à cause de la gigantesque difficulté de l’œuvre, mais encore à cause des graves conséquences qu’entraînerait sa faillite tant dans le domaine matériel que dans le domaine spirituel. Elle exigera des intelligences aux vues larges et des volontés aux fermes résolutions, des hommes courageux et actifs, mais surtout, et avant tout, des consciences qui, dans les projets, les délibérations, les actions soient animées, poussées et soutenues par un sens aigu des responsabilités, et ne refusent pas de s’incliner devant les saintes lois de Dieu ; car si, à la vigueur organisatrice dans l’ordre matériel ne s’unissent pas une souveraine pondération et une intention sincère dans l’ordre moral, il n’est pas douteux qu’on verra se vérifier la sentence de saint Augustin : Bene currunt, sed in via non currunt. Quanta plus currunt, plus errant, quia a via recedunt, « ils courent bien, mais ils courent à côté du chemin ; plus ils courent, plus ils s’égarent, car ils s’éloignent du chemin » [2].
Ce ne serait pas la première fois que des hommes, s’apprêtant à se couronner des lauriers de victoires militaires, aient songé à donner au monde une nouvelle organisation, en indiquant de nouvelles voies qui conduiraient selon eux au bien-être, à la prospérité et au progrès. Mais chaque fois qu’ils cédèrent à la tentation d’imposer leur construction contre ce que prescrivait la raison, la modération, la justice et un noble sens de l’humanité, ils se trouvèrent par terre, tout étonnés à contempler les ruines d’espérances déçues et de projets avortés. L’histoire enseigne que les traités de paix conclus dans un esprit et à des conditions opposés soit aux prescriptions morales soit à une authentique sagesse politique, n’eurent jamais qu’une vie misérable et brève, mettant ainsi à nu et témoignant une erreur de calcul, humaine, sans doute, mais non moins funeste pour cela.
Les ruines de cette guerre sont maintenant trop considérables pour qu’on y ajoute encore celles d’une paix frustrée et trompeuse. Aussi, pour éviter un tel malheur, faut-il qu’avec une parfaite sincérité de volonté et d’énergie, et résolus à une généreuse contribution, viennent y coopérer, non seulement tel ou tel parti, non seulement tel ou tel pays, mais tous les peuples et l’humanité entière. C’est une entreprise universelle de bien commun qui requiert la collaboration de la chrétienté pour les aspects religieux et moraux du nouvel édifice que l’on veut construire.
Le rétablissement de la loi morale.
Nous faisons, par conséquent, usage d’un droit qui est Nôtre ou, pour mieux dire, Nous remplissons un de Nos devoirs si aujourd’hui, à la veille de Noël, divine aurore d’espérance et de paix pour le monde, avec l’autorité de Notre ministère apostolique et la chaude incitation de Notre cœur, Nous appelons l’attention et la méditation de l’univers entier sur les périls qui guettent et menacent une paix qui soit la base appropriée d’un nouvel ordre de choses et réponde à l’attente et aux vœux des peuples pour un plus tranquille avenir.
Cette nouvelle organisation, que tous les peuples aspirent à voir réalisée, après les épreuves et les ruines de cette guerre, devra être élevée sur le rocher inébranlable et immuable de la loi morale, manifestée par le Créateur lui-même au moyen de la loi naturelle et inscrite par lui dans le cœur des hommes en caractères ineffaçables ; loi morale dont l’observance doit être inculquée et favorisée par l’opinion publique de toutes les nations et de tous les Etats avec une telle unanimité de voix et de force que personne ne puisse oser la mettre en doute ou en atténuer l’obligation.
Comme un phare resplendissant, elle doit par les rayons de ses principes diriger l’activité des hommes et des Etats qui auront à en suivre les salutaires et bienfaisantes admonitions et indications, s’ils ne veulent pas condamner à la tempête et au naufrage tout travail et tout effort pour établir une nouvelle organisation. Résumant donc et complétant ce qui fut exposé par Nous en d’autres occasions [3], Nous insistons, aujourd’hui encore, sur certains présupposés essentiels d’un ordre international qui assure à tous les peuples une paix juste et durable, féconde de bien-être et de prospérité.
Les principes essentiels d’un ordre international : respect de la liberté de tous les Etats…
1° Dans le domaine d’une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n’y a pas place pour l’atteinte à la liberté, à l’intégrité et à la sécurité d’autres nations, quelle que soit leur extension territoriale ou leur capacité de défense. S’il est inévitable que les grands Etats, à cause de leurs plus grandes possibilités et de leur puissance, tracent le chemin pour la constitution de groupes économiques entre eux et les nations plus petites et plus faibles, on ne peut cependant contester, dans le domaine de l’intérêt général, le droit de celles-ci comme de tous au respect de leur liberté dans le domaine politique, à la conservation efficace dans les contestations entre les Etats de la neutralité qui leur est due en vertu du droit naturel et du droit des gens, et à. la défense de leur développement économique, puisque c’est seulement de cette manière qu’elles pourront atteindre de façon adéquate le bien commun, le bien-être matériel et spirituel de leur propre peuple.
… respect des minorités nationales…
2° Dans le domaine d’une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n’y a pas place pour l’oppression, ouverte ou dissimulée, des particularités culturelles et linguistiques des minorités nationales, pour l’entrave et le resserrement de leurs capacités économiques, pour la limitation ou l’abolition de leur fécondité naturelle. Plus l’autorité compétente de l’Etat respecte consciencieusement les droits des minorités, plus sûrement et plus efficacement elle peut exiger de leurs membres l’accomplissement loyal des devoirs civiques communs à tous les citoyens.
… équitable répartition des richesses…
3° Dans le domaine d’une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n’y a pas place pour les étroits calculs d’égoïstes qui tendraient à accaparer les sources économiques et les matières d’usage commun, de manière que les nations moins favorisées par la nature en seraient exclues. A ce sujet, il est, pour Nous, souverainement consolant de voir affirmer la nécessité d’une participation de tous aux biens de la terre, même chez les nations qui, dans la mise en acte de ce principe, appartiendraient à la catégorie de ceux « qui donnent » et non de ceux « qui reçoivent ». Mais il est conforme à l’équité qu’une solution méthodique et progressive à semblable question décisive pour l’économie du monde soit donnée avec les garanties nécessaires et en tirant la leçon des manquements et des omissions du passé. Si dans la future paix on n’en venait pas à affronter courageusement ce point, il subsisterait dans les relations entre les peuples une source vaste et profonde d’amères oppositions et de jalousies exaspérées qui, en se développant, finiraient par conduire à de nouveaux conflits. Il faut cependant observer combien la solution satisfaisante de ce problème est étroitement liée à un autre fondement essentiel d’une nouvelle organisation, dont Nous parlons dans le point suivant.
… désarmement et respect des traités…
4° Dans le domaine d’une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n’y a pas de place, une fois éliminés les foyers les plus périlleux de conflits armés, pour une guerre totale ni pour une course sans frein aux armements. On ne doit pas permettre que le malheur d’une guerre mondiale avec ses ruines économiques et sociales et ses aberrations et perturbations morales, se déverse pour la troisième fois sur l’humanité. Pour tenir celle-ci à l’abri d’un tel fléau, il est nécessaire que l’on procède avec sérieux et honnêteté à une limitation progressive et adéquate des armements. Le déséquilibre entre un armement exagéré des Etats puissants et l’armement insuffisant des faibles crée un danger pour la conservation de la tranquillité et de la paix des peuples et conseille d’en venir à une limitation ample et proportionnée dans la fabrication et la possession d’armes offensives.
Puis, dans la mesure où le désarmement sera réalisé, il faudra établir des moyens appropriés, honorables pour tous et efficaces, pour rendre à la règle : pacta sunt servanda (il faut observer les traités), la fonction vitale et morale qui lui revient dans les relations juridiques entre les Etats. Cette règle qui dans le passé a subi des crises inquiétantes et des infractions indéniables a trouvé en face d’elle une défiance quasi incurable parmi les divers peuples et leurs dirigeants. Pour que renaisse la confiance réciproque, il faut que se créent des institutions qui, s’attirant le respect général, se consacrent à la très noble fonction soit de garantir la sincère exécution des traités, soit d’en promouvoir d’opportunes corrections ou révisions selon les principes du droit et de l’équité.
Nous ne Nous dissimulons pas le nombre immense des difficultés à surmonter et la force quasi surhumaine de bonne volonté requise de toutes les parties en présence pour qu’elles s’accordent en vue de donner une heureuse solution à la double entreprise ici tracée. Mais ce travail commun est tellement essentiel pour l’établissement d’une paix durable que rien ne doit arrêter les hommes d’Etat responsables ou les dissuader de l’entreprendre et d’y coopérer avec les forces d’une bonne volonté qui, usant le bien futur, sache vaincre les douloureux souvenirs des échecs du passé et ne pas se laisser effrayer à la vue de la gigantesque force d’âme requise pour une telle œuvre.
.. respect de Dieu et de l’Eglise.
5° Dans le domaine d’une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n’y a pas de place pour la persécution de la religion et de l’Eglise. D’une foi vive en un Dieu personnel transcendant se dégage une franche et résistante vigueur morale qui donne le ton à tout le cours de la vie ; car la foi n’est pas seulement une vertu : elle est la porte divine par laquelle entrent dans le temple de l’âme toutes les vertus qui forment ce caractère fort et tenace qui ne vacille pas dans les épreuves de la raison et de la justice. Cela vaut en tout temps ; mais cela doit resplendir bien plus encore quand de l’homme d’Etat comme du dernier des citoyens on exige le maximum de courage et d’énergie morale pour reconstruire une nouvelle Europe et un nouveau monde sur les ruines que, par sa violence, par la haine et la division des âmes, le conflit mondial a accumulées.
Quant à la question sociale en particulier, qui à la fin de la guerre se présentera d’une façon plus aiguë, Nos prédécesseurs et Nous- même avons indiqué les principes de sa solution ; mais il faut remarquer que ceux-ci ne pourront être totalement suivis et donner leur plein fruit que si hommes d’Etat et peuples, employeurs et ouvriers sont animés de la foi en un Dieu personnel, législateur et juge, auquel ils doivent répondre de leurs actions. Car si l’incrédulité qui se dresse contre Dieu ordonnateur de l’univers est la plus dangereuse ennemie d’un équitable ordre nouveau, en revanche, chaque homme qui croit en Dieu, en est un puissant soutien et champion. Quiconque a foi au Christ, à sa divinité, à sa loi, à son œuvre d’amour et de fraternité parmi les hommes, apportera des éléments particulièrement précieux à la reconstruction sociale ; à plus forte raison en porteront davantage les hommes d’Etat, s’ils se montrent prompts à ouvrir largement les portes et à aplanir le chemin à l’Eglise du Christ, afin qu’elle puisse, librement et sans entraves, mettre ses énergies surnaturelles au service de l’entente entre les peuples et de la paix, et coopérer ainsi, avec son zèle et son amour, à la tâche immense ‑de guérir les blessures de la guerre.
Liberté pour l’action religieuse.
Aussi est-il pour Nous inexplicable que dans certains pays de multiples dispositions entravent la voie au message de la foi chrétienne, tandis qu’elles ouvrent un large et libre passage à une propagande qui la combat. Elles soustraient la jeunesse à la bienfaisante influence de la famille chrétienne et l’écartent de l’Eglise ; elles l’éduquent dans un esprit opposé au Christ, lui inculquant des conceptions, des maximes et des pratiques antichrétiennes ; elles rendent pénible et agité le travail de l’Eglise dans le ministère des âmes et dans les œuvres de bienfaisance ; elles méconnaissent et rejettent son influence sur l’individu et la société ; toutes mesures qui, loin d’avoir été mitigées ou abolies au cours de la guerre, n’ont fait, au contraire, qu’empirer à bien des égards. Que tout cela, et autre chose encore, puisse être continué au milieu des souffrances de l’heure présente, c’est un triste signe de l’esprit dans lequel les ennemis de l’Eglise imposent aux fidèles, outre tous les autres sacrifices qui ne sont pas légers, le poids douloureux d’une anxiété pleine d’amertume qui s’appesantit sur les consciences.
Dieu Nous est témoin que Nous aimons d’une égale affection tous les peuples, sans aucune exception ; et c’est pour éviter jusqu’à l’apparence d’être guidé par l’esprit de parti que Nous Nous sommes imposé jusqu’ici la plus grande réserve ; mais les dispositions prises contre l’Eglise et les fins qu’elles se proposent sont maintenant telles que Nous Nous sentons obligé, au nom de la vérité, de parler pour empêcher qu’il ne s’ensuive par malheur un trouble dans les âmes des fidèles.
La Rome chrétienne, phare de la civilisation.
Nous contemplons aujourd’hui, chers fils, l’Homme-Dieu, né dans une grotte pour rétablir l’homme dans la grandeur dont il était déchu par sa faute, pour le replacer sur le trône de liberté, de justice et d’honneur que les siècles des faux dieux lui avaient refusé. Le fondement de ce trône sera le Calvaire, son ornement ne sera pas l’or ou l’argent, mais le sang du Christ, sang divin qui depuis vingt siècles coule sur le monde et empourpre les joues de son épouse, l’Eglise, et, purifiant, consacrant, sanctifiant, glorifiant ses fils, se transforme en céleste candeur.
Ô Rome chrétienne, ce sang-là est ta vie : c’est par ce sang-là que tu es grande et que tu éclaires même les restes et les ruines de ta grandeur païenne, que tu purifies et consacres les codes de la sagesse juridique des préteurs et des Césars. Tu es la mère d’une justice plus haute et plus humaine, qui t’honore, qui honore le lieu où tu sièges et ceux qui t’écoutent. Tu es un phare de civilisation, et l’Europe civilisée et le monde te doivent ce qu’il y a de plus sacré et de plus saint, de plus sage et de plus honnête chez tous les peuples, ce qui les exalte et fait la beauté de leur histoire. Tu es mère de la charité : tes fastes, tes monuments, tes hospices, tes monastères et tes couvents, tes héros et tes héroïnes, tes prédicateurs et tes missionnaires, les divers âges et siècles de ton histoire avec leurs écoles et leurs universités, témoignent de ta charité qui embrasse tout, supporte tout, espère tout, entreprend tout pour se faire tout à tous, pour réconforter tous les hommes et les consoler, les guérir et les appeler à la liberté donnée à l’homme par le Christ, les pacifier tous dans cette paix qui rend les peuples frères et fait de tous les hommes, quels que soient les cieux qui les abritent, la langue ou les coutumes qui les distinguent, une seule famille, et du monde une patrie commune.
Noël, route d’espérance.
De cette Rome, centre, rocher et maîtresse du christianisme, de cette cité que le Christ, bien plus que les Césars, a immortalisée dans le temps, Nous, poussé par le désir vif et ardent du bien de chaque peuple et de l’humanité tout entière, Nous adressons à tous Notre parole, priant et demandant avec instance que ne tarde pas à venir le jour où, dans tous les lieux où aujourd’hui l’hostilité contre Dieu et le Christ entraîne les hommes à la ruine temporelle et éternelle, prévaudront des connaissances religieuses plus étendues et de nouvelles résolutions ; le jour où sur la crèche de la nouvelle organisation des peuples resplendira l’étoile de Bethléem, annonciatrice d’un nouvel esprit qui poussera à chanter avec les anges : Gloria in excelsis Deo, et à proclamer à toutes les nations, en recevant le don enfin accordé par le ciel : Pax hominibus bonae voluntatis. Quand se lèvera l’aurore de ce jour, avec quelle joie, nations et gouvernants, l’âme délivrée de la crainte d’embûches et de reprises de conflits, transformeront les épées qui auront déchiré des poitrines humaines en charrues qui traceront leur sillon au soleil de la bénédiction divine dans le sein fécond de la terre, pour en faire sortir un pain arrosé de sueur, c’est vrai, mais non plus de sang et de larmes !
Les vœux du Saint-Père.
C’est dans cette attente et avec cette anxieuse prière sur les lèvres, que Nous adressons Notre salut et Notre Bénédiction à tous Nos fils de l’univers entier. Que Notre Bénédiction descende plus large sur ceux – prêtres, religieux et laïques – qui souffrent peines et tribulations pour leur foi ; qu’elle descende aussi sur ceux qui, sans appartenir au corps visible de l’Eglise catholique, Nous sont proches par la foi en Dieu et en Jésus-Christ, et sont d’accord avec Nous sur l’organisation et les buts fondamentaux de la paix ; qu’elle descende, avec une émotion et une affection particulière sur tous ceux qui gémissent dans la tristesse, dans la dure angoisse des souffrances de cette heure. Qu’elle serve de bouclier à ceux qui sont sous les armes, de remède aux malades et aux blessés, de réconfort aux prisonniers, à ceux qui ont été chassés du pays natal, éloignés du foyer domestique, déportés en terre étrangère, aux millions de malheureux qui luttent à toute heure contre les terribles morsures de la faim. Qu’elle soit un baume pour toute douleur et pour toute infortune ; qu’elle soit un soutien et une consolation pour tous ceux qui, dans la misère et dans le besoin, attendent une parole amie qui verse dans leur cœur la force, le courage, la douceur de la compassion et de l’aide fraternelle. Que Notre Bénédiction se pose enfin sur les âmes et les mains compatissantes qui, au prix d’inépuisables et généreux sacrifices, Nous ont donné de quoi pouvoir, au-delà des limites étroites de Nos propres moyens, sécher les larmes, adoucir la pauvreté de beaucoup, spécialement des plus pauvres et des plus abandonnés parmi les victimes de la guerre, donnant ainsi la preuve que la bonté et la bénignité de Dieu, dont la suprême et ineffable révélation est l’Enfant de la crèche qui a voulu Nous enrichir de sa pauvreté, ne cessent jamais à travers les âges et les calamités d’être vivantes et opérantes dans l’Eglise.
A tous Nous accordons, avec un profond amour paternel et de la plénitude de Notre cœur, la Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXIV, 1942, p. 10 ; cf. la traduction française des Actes de S.S. Pie XII, t. III, p. 235.
- 2 In Nativ. Domini, in I. Vesp., antiph. I.[↩]
- Serm. CXLI, c. IV ; Migne, P. L., t. LXXXIII, col. 777.[↩]
- Dans son discours In questo giorno, du 24.12.39 (voir Documents Pontificaux 1939, p. 377), le pape, après avoir rappelé ses efforts pour empêcher la guerre, indiqua les conditions juridiques et politiques d’une paix juste et honorable. L’allocution Grazie, du 24.12.40, (Documents Pontificaux 1940, p. 376), traite des présupposés spirituels et des conditions indispensables de l’ordre nouveau, dont parlait brièvement le discours de l’année précédente.[↩]