Comme les années précédentes à l’occasion de Pâques, le Souverain Pontife a adressé au monde entier un radiomessage dans lequel il renouvelle ses appels à la paix, à la prière, au respect des faibles, et exprime ses encouragements aux victimes du conflit :
Appel au respect des faibles et à l’humanisation de la guerre
1. – C’est de tout cœur que Nous vous adressons à tous, chers fils et filles de Rome et du monde entier, l’alléluia pascal, joyeuse annonce de résurrection et de paix dans le Christ après la tristesse de sa divine passion. Mais, hélas ! la paix entre les peuples n’est pas ressuscitée, et au joyeux salut que Nous vous adressons se trouve mêlée la note de douleur qui plongeait dans une grande tristesse et dans une continuelle affliction 4e cœur de l’apôtre Paul, en souci pour ses frères qui étaient de son sang (Rom., ix, 2).
Dans le déplorable spectacle de luttes entre les hommes, auquel nous assistons, sans vouloir méconnaître ni la valeur ni la fidélité de tous ceux qui combattent avec un intime et loyal sens du devoir pour la défense et la prospérité de leur pays, ni le prodigieux développement de l’industrie et de la technique, qui est, en soi, si fécond, sans ignorer non plus que de louables et généreux actes de haute humanité envers l’ennemi n’ont pas fait défaut, il faut bien déclarer que le terrible conflit a pris parfois des formes de lutte qui ne peuvent être désignées autrement que comme atroces. Puissent tous les belligérants, qui ont, eux aussi, un cœur d’homme formé dans le sein d’une mère, avoir des entrailles de charité pour les souffrances des populations civiles, pour les femmes et les enfants sans défense, pour les malades et les vieillards, exposés souvent plus à découvert et plus durement aux dangers de la guerre que ne le sont sur le front les soldats en armes ! Nous supplions les belligérants de s’abstenir jusqu’au bout de l’usage d’instruments de lutte encore plus meurtriers : toute innovation dans ces moyens a pour contrecoup inévitable de la part de l’adversaire l’usage de la même nouvelle arme, parfois plus âpre et plus cruelle. Que si dès maintenant l’on doit déplorer qu’aient été dépassées, à maintes reprises, les limites de ce que permet une guerre juste, à quel inconcevable degré d’horreur la guerre ne serait-elle pas bientôt emportée par une aggravation croissante des moyens d’attaque ?
…et à la prière.
2. – Puisque dans de tourbillon de tant de maux et de périls, de tant d’inquiétudes et de craintes, le plus puissant et le plus sûr refuge de confiance et de paix qui Nous reste est le recours à Dieu entre les mains de qui se trouvent non seulement le sort des hommes, mais aussi celui de leurs litiges les plus opiniâtres, Nous remercions les catholiques du monde entier pour l’ardeur avec laquelle ils ont répondu, le 24 novembre dernier, à Notre invitation à la prière et au sacrifice pour la paix. Aujourd’hui, à vous et à tous ceux qui élèvent leur cœur et leurs mains vers Dieu, Nous répétons Notre exhortation : ne cessez pas de prier mais ravivez votre prière et redoublez-la. Oui, prions pour une prompte paix. Prions pour une paix qui soit pour tous ; non pour une paix d’oppression et de destruction des peuples, mais pour une paix qui, garantissant l’honneur de toutes les nations, donne satisfaction à leurs nécessités vitales et aux droits légitimes de tous.
L’action du pape en faveur de la paix.
3. – A la prière auprès de Dieu, Nous avons en tout temps joint Notre action. Tout ce qui pouvait être fait ou tenté pour éviter ou abréger le conflit, pour rendre humaines les méthodes de guerre, pour alléger les douleurs qui en dérivent, pour porter aide et réconfort aux victimes de la guerre, Nous l’avons accompli jusqu’à l’extrême limite de Notre pouvoir et avec le souci attentif de l’impartialité inhérente à Notre charge apostolique. Nous n’avons pas craint d’indiquer, avec une clarté non équivoque, les principes et les sentiments sur lesquels une future paix doit nécessairement s’appuyer et se régler pour pouvoir être assurée de l’intime et loyal acquiescement des peuples. Mais ce Nous est une peine de voir combien faibles sont encore les chances probables pour que vienne promptement à maturité une paix juste au regard de la conscience humaine et chrétienne.
C’est donc avec d’autant plus d’intensité et de ferveur qu’il faut que monte vers le ciel Notre supplication, afin qu’un esprit nouveau se forme, s’enracine et grandisse chez tous les peuples, spécialement chez ceux dont la puissance plus grande acquiert et exerce une plus forte influence et une responsabilité croissante ; un esprit d’empressement non simulé, mais sincère et exempt d’artifices, pour entreprendre au prix de mutuels sacrifices, sur les ruines accumulées par l’épée, le nouvel édifice d’une fraternelle solidarité entre les nations de la terre, avec des pierres nouvelles et plus solides, avec des garanties fermes et stables, avec un conscient et haut sérieux moral, répudiant toute morale double et tout double droit qui distinguerait entre grands et petits, entre forts et faibles.
La vérité, comme l’homme, n’a qu’un visage, et la vérité est Notre arme, comme Notre défense et Notre puissance est la prière, comme Notre accès aux cœurs est la parole apostolique, vivante, franche, désintéressée, mue par des sentiments paternels.
Ce ne sont pas des armes offensives et sanglantes, mais des armes de l’esprit, celles de Notre pensée et de Notre cœur. Rien ne peut Nous retenir ou Nous empêcher d’employer ces armes au service du droit, de la vraie humanité et de la paix authentique, partout où le devoir sacré de Notre charge Nous demande de la lumière, où le Misereor super turbam presse Notre amour. Rien ne peut Nous empêcher de rappeler toujours de nouveau le précepte de l’amour à ceux qui sont fils de l’Eglise du Christ, à ceux qui Nous sont proches par la foi dans le Sauveur ou, au moins, dans le Père qui est aux cieux. Rien ne peut Nous retenir ou Nous empêcher de continuer à faire ce qui dépend de Nous, afin que dans le heurt des flots montants des inimitiés entre les peuples, l’arche divine de l’Eglise du Christ se tienne immobile sur l’ancre de l’espérance, sous l’arc-en-ciel de la paix, telle une bienheureuse vision de paix – beata pacis visio – au milieu des disputes terrestres, refuge, demeure et aliment de ce sentiment de fraternité fondé en Dieu et ennobli à l’ombre de la croix, seul point de départ de la route qui nous permette de sortir sûrement de la mer orageuse d’aujourd’hui pour aborder au rivage d’un lendemain heureux et plus digne.
Compassion pour les victimes du conflit.
4. – Sous le vigilant et sage regard de Dieu, avec les armes de la prière, de l’exhortation et du réconfort, Nous continuerons donc avec persévérance à combattre en faveur de la paix pour le bien de la malheureuse humanité. Que les bénédictions et les consolations divines descendent sur toutes les victimes de la guerre : sur vous, prisonniers, et sur vos familles lointaines qui se tourmentent à votre sujet ; sur vous, réfugiés, emportés et dispersés çà et là, qui avez perdu les maisons et les champs qui étaient le soutien de votre vie. Nous sentons votre angoisse et Nous souffrons avec vous. S’il ne Nous est pas donné – comme Nous le voudrions si vivement – de prendre sur Nous le poids de vos peines, que du moins Notre intime commisération paternelle vous soit un baume qui vienne tempérer d’amertume de votre malheur par le salut de l’alléluia de ce jour, chant de triomphe du Christ sur le martyre d’ici-bas, de l’olivier de Gethsémani, fleur verdoyante de l’admirable espérance dans la résurrection et dans la vie qui ne connaît plus ni douleurs, ni deuils, ni déclin. Sur cette terre de larmes, il n’y a point de cité permanente (cf. Hébr., xiii, 14), point de patrie éternelle. Tous nous sommes exilés et errants ici-bas ; notre patrie est au ciel, au-delà du temps, dans l’éternité en Dieu. Si les espoirs terrestres vous ont apporté d’amères désillusions, l’espérance en Dieu, elle, n’est pas trompeuse, elle ne déçoit pas. Il n’y a qu’une chose à laquelle vous devez vous appliquer : c’est à ne vous laisser entraîner ni par votre triste sort ni par les hommes à violer votre fidélité au Christ ; biens et maux sont, dans le temps, communs aux hommes ; mais ce qui importe souverainement, vous dirons-Nous avec saint Augustin, c’est l’usage que l’on fait des choses appelées prospères ou de celles appelées adverses. Car les bons ne se laissent ni exalter par les biens temporels, ni abattre par les maux ; les méchants, au contraire, se corrompent dans la prospérité et reçoivent en châtiment le malheur [1].
Aux puissances qui occupent des pays pendant la guerre, Nous disons, sans vouloir manquer aux égards qui leur sont dus : que votre conscience et votre honneur vous guident dans la manière de traiter la population des territoires occupés, avec justice, humanité et sagesse. Ne leur imposez pas des poids que vous-mêmes, dans des cas semblables, avez ressentis ou ressentiriez comme injustes. Une humanité prudente et secourable est la louange et l’honneur des sages capitaines ; le traitement des prisonniers et des populations des territoires occupés est la mesure et l’indice le plus sûr de “la civilisation des âmes et des nations. Mais, regardant plus haut encore, songez que la bénédiction ou la malédiction de Dieu sur votre propre patrie pourront dépendre de la façon dont vous en usez envers ceux que le sort de la guerre place en vos mains.
Encouragements aux populations des territoires occupés.
5. – La vision d’une guerre si horrible dans tous ses domaines et des fils de l’Eglise plongés dans la douleur suscite enfin dans Notre âme de Père commun et Nous met sur les lèvres une parole de réconfort et d’encouragement pour les pasteurs et les fidèles des endroits où l’Eglise, Epouse du Christ, souffre particulièrement ; où la fidélité envers elle, la profession publique de ses doctrines, la consciente mise en pratique de ses prescriptions, la résistance morale contre un athéisme et une déchristianisation voulue, favorisée ou tolérée, sont gênées, entravées, contrariées, sous une étreinte quotidienne multiforme et toujours croissante. Les actes et les artifices de ce martyre, souvent secret, maintes fois évident, qu’une impiété hypocrite ou manifeste fait endurer aux disciples de la croix, vont s’accumulant toujours plus, constituant comme une encyclopédie aux nombreux volumes, une chronique d’héroïques sacrifices, une émouvante illustration des paroles du Rédempteur : Non est servus major domino suo. Si me persecuti sunt, et vos persequentur. « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (Jean, xv, 20), Cet avertissement divin ne jette-t-il pas la lumière d’un doux réconfort sur le douloureux et amer chemin de croix dont votre fidélité au Christ vous fait parcourir les stations ? Vous tous qui marchez affligés dans cette voie, prêtres et religieux, hommes et femmes, et vous en particulier jeunes gens, printemps des familles, tombés en une dure et âpre saison, en une saison de fer – de quelque origine, langue ou race que vous soyez, quelle que puisse être votre condition ou votre profession – vous tous sur lesquels resplendit, comme sur le grand apôtre Paul, le sceau des souffrances endurées pour le Christ, signe de douleur non moins que de gloire, vous êtes les plus intimement proches de la croix du calvaire, et, par là même, du Cœur transpercé du Christ et du Nôtre. Oh ! si vous pouviez sentir combien profondément s’enfonce dans Notre âme le cri de l’Apôtre des nations : Quis infirmatur et ego non infirmor ? « Qui est malade que je ne le sois ? » (II Cor., xi, 29). Les sacrifices qui vous sont demandés, vos souffrances dans la chair et dans l’esprit, les craintes pour votre propre foi, mais plus encore pour celle de vos fils, Nous les connaissons. Nous les ressentons, Nous en gémissons devant Dieu. Et pourtant, en ce jour, Nous vous crions un joyeux alléluia, parce que c’est le jour du triomphe du Christ sur ses bourreaux visibles et cachés, anciens et nouveaux. Nous vous le crions avec la voix et la confiance avec lesquelles, même dans les jours de la persécution, se le disaient en exultant les chrétiens des premiers siècles. Ne connaissez-vous pas les paroles du Seigneur à Marthe : Ego sum resurrectio et vita ; qui credit in me, etiam si mortuus fuerit, vivet ; et omnis qui vivit et credit in me, non morietur in æternum. « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point pour toujours » (Jean, xi, 25–26). La certitude que par le sacrifice pour la foi, même par le sacrifice de leur sang, ils allaient au-devant de la résurrection, a fait des martyrs les héros de la fidélité au Christ jusqu’à la mort. Leur certitude est aussi la vôtre. Imitez-les, et avec le sublime prophète du nouveau et éternel testament, levez les yeux vers la Jérusalem céleste, où, dans sa gloire, règne et commande le Christ ; où il récompense ses serviteurs bons et fidèles et proclame le mystère et la splendeur de leur triomphe par la blancheur de leurs vêtements, par l’inscription de leur nom en caractères ineffaçables au livre de vie afin qu’il soit exalté devant son Père et devant la cour angélique par ces admirables paroles que, dans vos épreuves, vous ne devez jamais oublier : Qui vicerit, sic vestietur vestimentis albis, et non delebo nomen eius de libro vitæ, et confitebor nomen eius coram Patre meo et coram angelis eius. « Celui qui sera vainqueur sera ainsi revêtu de vêtements blancs ; je n’effacerai point son nom du livre de la vie, et je confesserai son nom devant mon Père et devant ses anges » (Apoc., iii, 5).
Chers fils et chères filles ! C’est vers Jésus-Christ, « prince des rois de la terre, qui nous a aimés et qui nous a lavés de nos péchés dans son sang » (Apoc., i, 5), que Nous vous invitons à lever vos yeux tandis que, comme gage de la paix divine, que lui seul peut Nous donner et que Nous implorons de lui en surabondante mesure sur toute l’humanité, Nous accordons de tout Notre cœur à vous, aux pasteurs et fidèles, à vos familles, à vos fils – que le Christ veuille protéger et conserver dans sa grâce et dans son amour – à ceux qui dans l’accomplissement de leur devoir ont à combattre sur terre, sur mer et dans le ciel, et spécialement à tous ceux qui ont été durement frappés par le fléau de la guerre, Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A, S., XXXIII, 1941, p. 112 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 41.
- De Civ. Dei, 1. I, c. 8 ; Migne, P. L.t t. 41, col. 20.[↩]